Aller au contenu

Les Rayons et les Ombres/À Laure, duchesse d’A.

La bibliothèque libre.


XII



À LAURE, DUCHESSE. D’A.


Puisqu’ils n’ont pas compris dans leur étroite sphère,
Qu’après tant de splendeur, de puissance et d’orgueil,
Il était grand et beau que la France dût faire
L’aumône d’une fosse à ton noble cercueil[1] ;

Puisqu’ils n’ont pas senti que celle qui sans crainte
Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux
A le droit de dormir sur la colline sainte,
A le droit de dormir à l’ombre des héros ;

Puisque le souvenir de nos grandes batailles
Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ;
Puisqu’ils n’ont pas de cœur ; puisqu’ils n’ont point d’entrailles ;
Puisqu’ils t’ont refusé la pierre d’un tombeau ;

C’est à nous de chanter un chant expiatoire !
C’est à nous de t’offrir notre deuil à genoux !
C’est à nous, c’est à nous de prendre ta mémoire
Et de l’ensevelir dans un vers triste et doux !

C’est à nous cette fois de garder, de défendre
La mort contre l’oubli, son pâle compagnon ;
C’est à nous d’effeuiller des roses sur ta cendre ;
C’est à nous de jeter des lauriers sur ton nom !


Puisqu’un stupide affront, pauvre femme endormie,
Monte jusqu’à ton front que César étoila,
C’est à moi, dont ta main pressa la main amie,
De te dire tout bas : Ne crains rien ! je suis là !

Car j’ai ma mission ! car, armé d’une lyre,
Plein d’hymnes irrités ardents à s’épancher,
Je garde le trésor des gloires de l’empire ;
Je n’ai jamais souffert qu’on osât y toucher !

Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles !
Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours,
Ton noble esprit planait avec de nobles ailes,
Comme un aigle souvent, comme un ange toujours !

Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres,
Livrée à la tempête et femme en proie au sort,
Jamais tu n’imitas l’exemple de tant d’autres,
Et d’une lâcheté tu ne te fis un port !

Car toi, la muse illustre, et moi, l’obscur apôtre,
Nous avons dans ce monde eu le même mandat,
Et c’est un nœud profond qui nous joint l’un à l’autre,
Toi, veuve d’un héros, et moi, fils d’un soldat !

Aussi, sans me lasser, dans cette Babylone,
Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau,
J’ai dit pour l’empereur : Rendez-lui sa colonne !
Et je dirai pour toi : Donnez-lui son tombeau !

  1. Le conseil municipal de la ville de Paris a refusé de donner six pieds de terre dans le cimetière du Père-Lachaise pour le tombeau de la veuve de Junot, ancien gouverneur de Paris.

    Le ministre de l’intérieur a également refusé un morceau de marbre pour ce monument. (Journaux de février 1840)