Alaric, ou Rome vaincue/Livre V

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Augustin Courbé (p. 213-252).

 
Desja la nuit tomboit, et les hautes montagnes,
Jettoient leur ombre opaque au milieu des campagnes,
Lors que ces vaillants chefs tesmoignoient à leur roy,
Que son heureux retour bannissoit leur effroy.
On voyoit leur respect aussi bien que leur joye ;
Et l’immortel heros que le ciel leur renvoye,
Respondant à l’ardeur de ces cœurs genereux,
Leur faisoit voir aussi qu’il en avoit pour eux.
Mais pendant le transport de cette noble troupe,
L’ange qui disparoist s’esleve de la poupe :

Et viste comme un traict parmy l’air tenebreux,
Cache le bel éclat de son corps lumineux.
Alaric qui le perd, le suit de la pensée ;
Et lors qu’il voit au ciel l’ourse bien avancée,
Il ordonne à ces chefs de revoir leurs vaisseaux,
Et de s’y tenir prests à refendre les eaux,
Aussi-tost que le vent qui devance l’aurore,
Viendra les advertir que l’aube se colore.
Tout obeït au roy ; tout le quitte à l’instant ;
Tout vogue dans la nuit sur l’empire flottant ;
Et ce prince tout seul retrace en sa memoire,
Malgré sa passion l’image de sa gloire ;
Revoit Rome et le Tibre ; et d’un cœur glorieux,
Les voit chargez de fers, et luy victorieux.
Mais lors que le heros à cette belle idée,
L’ame du grand sorcier par la fureur guidée,
Poursuivant un dessein que rien ne peut changer,
Travaille à sa ruine, et cherche à se vanger.
Aussi-tost qu’il eut veu son fantôme inutile,
Plus viste que le vent il esloigna cette isle :
Et parmy des broüillards qu’il avoit amassez,
Il laissa les Danois aux rivages glacez.
Dans les plus creux rochers de l’affreuse Eolie,
Une sombre caverne est comme ensevelie,
Où les fiers aquilons, et les cruels autans,
Lors qu’ils ne regnent plus sur les flots inconstans,
S’enferment despitez, et suivant leur nature,
Font retentir ces monts d’un eternel murmure.

Ce fut là que Rigilde, outré de desespoir ;
Le cœur gros de despit ; et manquant de pouvoir ;
Fut chercher un secours à sa force impuissante,
Avant qu’on vist au ciel la lumiere naissante.
Ce fut là qu’assisté des esprits animez,
Il emporta les vents dans un outre enfermez :
Et que par un prodige aussi grand qu’incroyable,
Il devint le tyran d’un peuple impitoyable,
Qui lors que son caprice esclate les hyvers,
En souslevant les flots fait trembler l’univers ;
Qui des plus fermes tours abat les grandes masses ;
Et qui de sa fureur laisse par tout des traces.
Ainsi laissant derriere, et Pelore, et Pachin,
Rigilde se chargeant de son leger butin,
Revoit, mais de bien loin, les campagnes françoises,
Et revole content vers les rives danoises,
Avec le grand espoir d’y souslever les flots,
Et d’y faire perir la flote d’un heros.
Je vaincray, je vaincray, disoit-il en luy-mesme,
Et bien que d’Alaric la valeur soit extrême ;
Et que cette valeur puisse tout surmonter ;
Je ne me flatte point, j’ay dequoy la dompter.
A quoy sert sa bravure aux choses impossibles ?
Ses plus fiers ennemis luy seront invisibles :
On les sent sans les voir ; et souffrant leur courroux,
On ne sçait ce que c’est, ny d’où partent leurs coups.
Ils courent enragez ; ils heurtent ; ils fracassent ;
Plus on leur fait d’obstacle, et plus legers ils passent ;

Ils souflent la tempeste ; ils la vont exciter ;
Et le plus grand des roys ne les peut arrester.
Je la voy, je la voy, cette orgueilleuse flote,
Errer au gré des vents, malgré l’art du pilote :
Et si les aquilons veulent me secourir,
Je la voy dispersée, et je la voy perir.
Mais pendant que Rigilde entretient cette rage,
Du criminel espoir d’un si triste naufrage,
L’aurore se fait voir aux portes d’orient,
Et colore le ciel d’un lustre variant.
A son premier aspect les soldats se resveillent ;
Les nochers sont debout ; les vaisseaux s’apareillent ;
Et pour ne perdre point un temps qu’on voit si beau,
Mille rames alors font escumer cette eau.
Alaric sur sa poupe, en riche habit de guerre,
Tourne encor ses regards du costé de la terre :
Il y laisse son cœur ; il y porte les yeux ;
Mais enfin il se dompte, et les esleve aux cieux.
Maistre de l’univers, dit ce roy magnanime,
Toy seul m’as inspiré cette ardeur qui m’anime :
Conduits-nous vers le Tibre où j’espere arriver ;
Mon ouvrage est le tien, viens-le donc achever.
Comme ce grand heros parloit de cette sorte,
Une aigle qui voloit à ses pieds tombe morte :
Et d’un heureux presage animant son grand cœur,
Luy predit que de Rome on le verra vainqueur.
O roy de tous les roys, j’accepte cét augure,
Dit-il, et nous marchons à la haute avanture :
Ta volonté nous

regle, et nous suivons ta voix ;
Attendant plus de toy que de tous nos exploits.
Alors du costé gauche un tonnerre qui gronde,
Luy promet de nouveau la conqueste du monde :
Et son vaisseau qui part, et qui blanchit les eaux,
Fait partir apres luy tous les autres vaisseaux.
Comme on voit en Phrigie aux rives du Meandre,
Les cygnes attroupez leur blanc plumage estendre,
Et nager tous de rang sur ses paisibles flots,
Lors que les vents captifs les laissent en repos.
Ainsi de ces vaisseaux voit-on les blanches voiles,
S’abandonner au vent qui fait enfler leurs toiles :
Et d’un ordre constant sur les flots inconstans,
Ces nefs suivre du roy tous les sentiers flotans.
La flote voit Hamstad ; Bahus ; son territoire ;
Et doublant de Combrot le fameux promontoire,
Et laissant loin à droit le cap de Stafanger,
On la voit vers Bamberge à l’instant se ranger ;
Sortir de ce destroit qu’Alaric abandonne ;
Et voir la vaste mer qui la terre environne.
Ce fut là que Rigilde encor plus irrité,
Ses cruels prisonniers vint mettre en liberté :
Et que les delivrant pour exercer leur rage,
Il trouva ses plaisirs dans l’horreur d’un orage.
D’abord un bruit confus murmure sourdement,
Et parmy le cordage on l’entend foiblement :
D’abord les flots troublez perdent leur couleur verte ;
De poissons bondissans cette mer est couverte ;
Et le ciel

tenebreux en ramenant la nuit,
Mesle au bruit de ces flots un effroyable bruit.
Le tonnerre et la vague à l’instant se respondent ;
Tout le ciel retentit de leurs bruits qu’ils confondent ;
Et la pluye, et la gresle, et les flâmes, et l’eau,
Tombent confusément sur plus d’un grand vaisseau.
D’un costé l’aquilon vient heurter un navire ;
Et de l’autre Vulturne y vient soufler son ire :
Tous les vents deschainez, changeans et furieux,
Semblent vouloir mesler la mer avec les cieux.
L’un heurte les vaisseaux, et les jette en arriere ;
Et l’autre les repousse à leur place premiere :
Tout l’art des mariniers ne leur sert plus de rien ;
Ils vont à droit ; à gauche ; et ne vont jamais bien.
Eure les piroüette, et les tourne en furie ;
Eure ce tourbillon si plein de barbarie :
Et donnant de la crainte aux plus fiers matelots,
Ils font trembler la terre, et souslevent les flots.
Ils renversent la mer jusques dans ses abysmes ;
Ils cachent des rochers les plus superbes cimes ;
Et le vent afriquain, terrible en ses efforts,
Pousse vague sur vague, et franchit tous les bords.
De cét humide vent le soufle impitoyable,
Fait voir que le deluge est possible et croyable :
Car joignant flot à flot, il y verse tant d’eaux,
Qu’il met entre deux mers ces malheureux vaisseaux.
Les cris des mariniers, et le bruit du cordage ;
La rumeur de ces vents qui souslevent l’orage ;

Le tonnerre qui roule, et gronde horriblement ;
L’obscure et prompte nuit qui tombe en un moment ;
Le feu de mille éclairs qui brille en ces tenebres ;
Monstrant et puis cachant tous ces objets funebres ;
Monstrant et puis cachant les perilleux rochers ;
Font trembler de frayeur les plus hardis nochers.
Ils sont transis d’effroy par la vague aboyante,
Où tombe en boüillonnant la foudre flamboyante :
Et leurs tristes vaisseaux heurtez et fracassez,
Gemissent sous les coups dont on les sent froissez.
L’on s’abandonne au vent ; l’on ameine les voiles ;
Et le pilote au ciel cherche en vain des estoiles :
Car lors que les esclairs espouventent ses sens,
Il voit le ciel tout noir, et les flots blanchissans.
Tantost la mer le cache en ses vastes abysmes ;
Tantost des plus hauts monts il surpasse les cimes ;
Et l’onde se fendant monstre en ces tristes lieux,
Le plus affreux objet qui tombe sous les yeux.
Dans ce gouffre entr’ouvert par le feu du tonnerre,
Au milieu de la mer il aperçoit la terre :
Mais cette horrible veuë augmente sa terreur,
Car il la voit si bas qu’elle luy fait horreur.
Une nuit de trois jours comme celle d’Alcmene,
Luy rend l’heure douteuse, et la route incertaine :
Il ne sçait s’il est jour ; il ne sçait s’il est nuit ;
Et ce pilote ignore où le sort le conduit.
En cent lieux differens la flote dispersée,
Erre au gré de ces vents dont elle est traversée :

Sans pouvoir descouvrir ny suivre l’amiral,
Car le vaisseau du roy n’avoit plus de fanal.
Ce malheureux vaisseau, sans mast et sans cordage,
Et tout brisé qu’il est par les coups de l’orage,
Reçoit l’eau dans son ventre ; et par ce flot amer,
S’enfonce trop chargé presques tout dans la mer.
Alors pour se sauver l’on jette tout aux ondes ;
L’ocean reçoit tout dans ses vagues profondes ;
Et la mer en fureur roule parmy ses flots,
Des casques, des boucliers, des tables, et des pots.
L’onde paroist tousjours plus superbe et plus fiere ;
Haut ; bas ; à droit ; à gauche ; en avant ; en arriere ;
Comme un balon bondit d’un et d’autre costé,
Ainsi le grand navire alors est balotté.
A longs serpents de feu le tonnerre qui tombe,
Leur fait voir de ces flots l’affreuse et noire tombe :
Et succombant enfin dans un si long travail,
Le pilote effrayé quitte le gouvernail.
Alaric qui le voit, y court, et prend sa place :
Et d’un cœur aussi grand comme l’est sa disgrace ;
Et malgré tous les vents ; et malgré le demon ;
Sa main, comme le sceptre, affermit ce tymon.
O prodige ! ô miracle ! ô merveille estonnante !
Sa generosité fait cesser la tourmente ;
Dieu qui la voit du ciel la veut recompenser ;
Et l’orgueil de la mer commence à s’abaisser.
Ce Dieu qui de l’enfer sçait brider la puissance ;
Luy qui de l’ocean arreste l’insolence ;

Qui luy prescrit son cours ; qui luy donne des loix ;
Commande, et l’ocean obeït à sa voix.
Le ciel devient serain ; la mer paroist tranquile ;
Et l’on voit Albion, la grande et fameuse isle,
L’abondante Albion, de qui les blancs rochers,
Redonnent de la force à ces foibles nochers.
Ces mariniers lassez y voguent avec joye :
Tels vit-on autrefois les fugitifs de Troye,
Lors qu’apres la tempeste, au rivage afriquain,
Ils se virent sauvez d’un naufrage certain.
En un lieu retiré, solitaire et paisible,
La mer laisse dormir sa colere terrible :
Et sous deux grands rochers qui la couvrent des vents,
Elle abaisse l’orgueil des flots tousjours mouvans.
Là peuvent les vaisseaux estre exempts de l’orage,
Sans que l’anchre courbé s’acroche à ce rivage :
Et le calme eternel qui regne en ces beaux lieux,
Fait que l’on n’y craint rien de la mer ny des cieux.
Ces deux vastes escueils ont leurs cimes couvertes,
De superbes sapins a feüilles tousjours vertes :
Qui donnant sur la mer font voir parmy ses eaux,
Et l’ombre, et la couleur, de leurs espais rameaux.
Du creux des grands rochers une source argentée,
Avec un bruit charmant se voit precipitée :
Et d’un superbe saut elle tombe en naissant,
Dans la superbe mer qui va l’engloutissant.
Là de ce grand heros aborde le navire,
Conduit par la fortune, et poussé par Zephire,
Et brisé

comme il est, il passe heureusement,
D’un element mobile au plus ferme element.
Alors tout se desbarque ; et la marine troupe,
Voit descendre Alaric le dernier de sa poupe :
Il en vole d’un sault ; et sans paroistre las,
Sur le sable mouvant il imprime ses pas.
Mais ce prince qui voit que leur ame estonnée,
De la faveur du ciel se croit abandonnée,
Cache le desplaisir dont il est assailly ;
Le renferme en son cœur devant leur cœur failly ;
Dans ses yeux plus sereins fait voir de l’esperance ;
Et leur promet un bien qui n’a point d’aparence.
Compagnons, leur dit-il, esperez, esperez :
Nous vaincrons les Romains, et vous triompherez.
La mer, la fiere mer, dans sa vaste estenduë,
Ne m’a point pris de nef qui ne me soit renduë :
Dieu qui nous a sauvez, sauvera nos vaisseaux :
Il m’a promis un thrône, et non pas des tombeaux :
Il m’a promis l’empire, et non pas le naufrage :
Il est assez puissant pour finir cét ouvrage :
Ainsi vous consolant, adoucissez enfin,
Avec ces grands destins ce contraire destin.
Asseurez-vous en luy, de qui la force est grande :
Et lors se separant de la craintive bande,
L’invincible Alaric monte sur les rochers,
Sans vouloir apres luy, ny soldats, ny nochers :
Afin de regarder si la mer appaisée,
Ne fait point r’assembler sa flote divisée.
Il soupire ;

il gemit ; il regrette en son cœur,
Tantost d’Athalaric l’invincible vigueur ;
Tantost de Radagaise il pleure le courage ;
Tantost du fier Haldan il voit la fiere image ;
Tantost du grand Sigar, et du vaillant Wermond,
Il cherche à voir les nefs du plus haut de ce mont ;
Tantost de Hildegrand il revoit la prudence ;
Tantost de Theodat il songe à la vaillance ;
Tantost de Jameric l’âge luy fait pitié ;
Et ce cœur, ce grand cœur, sensible à l’amitié ;
Et ce cœur, ce grand cœur, plus sensible à la gloire ;
Du penser de sa perte afflige sa memoire ;
Et cherche en se plaignant dequoy se consoler,
Sur ces rochers scabreux où seul il veut aller.
Aussi loin que ses yeux peuvent jetter leur veuë,
Il regarde la mer moins fiere et moins esmeuë :
Il y cherche ses nefs comme ses matelots ;
Mais il n’y peut rien voir que les superbes flots.
Alors de tous costez sur la campagne humide,
Il tache avec espoir, mais un espoir timide,
De descouvrir enfin quelqu’un de ses vaisseaux,
Sauvé de la fureur, et des vents, et des eaux.
Comme on voit un amant vers la fin d’une absence,
De l’objet qu’il cherit attendre la presence ;
Compter tous les momens ; et tousjours regarder,
Si cét aymable objet ne vient point aborder.
Ainsi du roy des Goths l’ame encore incertaine,
Regarde incessamment vers cette mer hautaine :

Et parmy le malheur dont il se va plaignant,
Il craint avec espoir, il espere en craignant.
Mais lors que ce heros, dont l’ame est balancée,
Retourne enfin vers Birch ses yeux et sa pensée,
Il s’esleve en son cœur un orage nouveau,
Qui l’esmeut sur la terre aussi bien que sur l’eau.
Ha, dit-il, ha, dit-il, c’est la qu’on voit encore,
Ce que je ne voy plus, comme ce que j’adore !
C’est là qu’Amalasonthe est plaine de despit,
Et que je ne suis plus peut-estre en son esprit.
Oüy, comme ce despart luy doit sembler estrange,
C’est là qu’on me punit, c’est là qu’elle se vange ;
C’est là qu’un noble orgueil vient encor l’irriter ;
C’est là qu’elle me quitte en se voyant quitter.
O cruelle pensée ! ô suplice effroyable !
Mais juste toutefois autant qu’impitoyable :
Car enfin je la quitte ; et puis que je le puis,
Mon cœur trop criminel merite ses ennuis.
Peut-estre que l’oubly m’a chassé de son ame ;
Peut-estre qu’un rival y met une autre flâme ;
Peut-estre que la haine ayant banny l’amour,
Elle pousse des vœux, mais contre mon retour :
Et peut-estre que lors que je pleure pour elle,
Elle rit de ces pleurs ; l’ingrate ; l’infidelle ;
Elle me fait un mal que j’ay bien merité ;
Car que ne peut l’absence en un cœur irrité ?
Je sçay bien, je sçay bien, que si cette personne,
Voyoit les sentimens que l’absence me donne ;

Voyoit quel est l’excès de mon affliction ;
Et ce que fait en moy l’ardente passion ;
Elle partageroit les peines que j’endure ;
Elle ne deviendroit, ny volage, ny dure ;
Elle aymeroit tousjours, comme j’ayme tousjours ;
Et ne feroit jamais de nouvelles amours.
Mais elle n’en voit rien, mais elle est fille, et fiere ;
Mais elle a veu mon cœur rejetter sa priere ;
Mais elle a veu ce cœur resister à ses yeux ;
Et d’amoureux qu’il fut, n’estre qu’ambitieux.
Craignons tout, craignons tout, nous avons tout à craindre :
Plaignons-nous, plaignons-nous, car nous sommes à plaindre :
Ou plutost condamnons ce que l’on doit blasmer,
Car pourroit-on partir si l’on sçavoit aymer ?
Mais si je n’ayme point, d’où vient ce mal extrême ?
Non, sans doute j’aymois, et je sens bien que j’ayme :
Et que j’ayme à tel poinct, que nul cœur enflâmé,
N’a jamais tant souffert, ny jamais tant aymé.
O Dieu, vous le sçavez, que tout roy n’est qu’un homme !
Et que le grand objet, et du Tibre, et de Rome,
Quoy que haut et pompeux, ne sçauroit effacer,
Celuy que dans mon cœur l’amour a pû tracer.
Je verray, je verray, cette adorable idole,
Au pied du Vatican, et sur le Capitole :
Et je seray captif de ses charmans regards,
Quand j’auray triomphé de l’orgueil des Cezars.
Oüy, ces roys de mon cœur feront encor la guerre,
Lors que j’auray vaincu la reyne de la terre :

Sur le char de triomphe on me verra captif ;
Ou pour me mieux nommer, esclave fugitif.
Mais esclave indiscret, qui porte encor sa chaisne ;
Qui retrouve son maistre, et dont la fuite est vaine ;
Qui loin ainsi que pres, est tousjours en prison ;
Tousjours avec ses fers ; et tousjours sans raison.
Hastons-nous donc de vaincre, et de vaincre pour elle :
Voyons Rome bien-tost, pour revoir cette belle :
Et redoublant l’effort d’un esprit genereux,
Paroissons triomphans pour paroistre amoureux.
Mais insensé que dis-je, au milieu du martyre ?
Je parle de triomphe, et je n’ay qu’un navire :
Et qu’un navire encor tout brisé par les flots,
Avec quelques soldats, et quelques matelots.
C’est trop peu, c’est trop peu, pour l’empire du monde :
La valeur ne peut rien si l’on ne la seconde :
Et pour vaincre une ville où tant de roys vaincus
Ont suivy les debris de leurs thrônes rompus,
Hercule qui dompta les lions de Nemée,
Le tenteroit en vain s’il n’avoit point d’armée.
Malheureux Alaric, que dois-tu devenir ?
L’objet de ton amour n’a pû te retenir ;
Tu l’as abandonné pour chercher la victoire ;
Et tu le reverras, et sans flote, et sans gloire !
Non, non, erre plutost parmy les flots amers,
Et les plus reculez des plus affreuses mers.
Cours, cours au gré des vents, de rivage en rivage :
Va cacher ton malheur dans quelque isle sauvage :

Et loin de ton royaume, et loin de ses beaux yeux,
Souffre ce que merite un cœur ambitieux ;
Souffre ce que merite une ame temeraire,
Qui veut tout entreprendre, et qui ne peut rien faire.
Là le heros s’arreste ; et sa pasle couleur,
Mieux que tous ses discours exprime sa douleur :
Son silence eloquent parle plus que sa bouche ;
Il voit bien la raison, mais elle l’effarouche ;
Il veut ne la pas suivre ; il la suit toutefois ;
Et luy preste en ces mots, et son cœur, et sa voix.
Superbe passion, tu prens trop de licence :
Ignores-tu du ciel, et l’ordre, et la puissance ?
La main qui fait mon mal, le sçaura bien guerir :
Elle m’apelle à Rome, il la faut conquerir.
Laissons nostre advenir à sa sage conduite :
Par ce commencement jugeons bien de la suite :
Le chemin de la gloire, où je suis animé,
Est tousjours difficile, et d’espines semé.
De ces difficultez je tire un bon augure,
Et nous le verrons tel que je me le figure :
Car malgré les escueils, et les bancs, et les eaux,
L’œil de Dieu qui voit tout, voit où sont mes vaisseaux.
Il peut me les oster, comme il peut me les rendre :
Il m’a promis la gloire, et mon cœur doit l’attendre :
Il est tout veritable, ainsi que tout puissant ;
Et si j’en puis douter je suis mesconnoissant.
O dieu de l’univers, acheve ton ouvrage :
Comme tu m’as sauvé, sauves-les du naufrage :

Ils voguent par ton ordre ; et tous mes hauts desseins,
Sont l’effet de ta voix, et l’œuvre de tes mains.
Tu commandes aux flots ; tu regnes sur les ondes ;
Tu vois de l’ocean les cavernes profondes ;
Tu gouvernes les vents ; et ta divine voix,
Aux plus fiers aquilons sçait imposer des loix.
De ces tristes vaisseaux sois donc l’adroit pilote ;
Rassemble heureusement la malheureuse flote ;
Conduits-là sans peril vers les bords d’Albion,
Et finis ses travaux, et mon affliction.
Tu n’as qu’à le vouloir, ô seigneur, pour le faire :
Tu vois en mesme temps, l’un et l’autre emisphere :
Rien ne se peut cacher à tes regards perçans :
Et tu soustiens la terre avec tes doigts puissans.
Toy seul de tout le monde ès l’unique monarque ;
Tu peux me conserver jusqu’à la moindre barque ;
Rien ne se peut sauver, ny se perdre sans toy ;
Fais donc que cette mer obeïsse à ta loy.
Il y va de ta gloire, et non pas de la mienne :
Je suis à toy, seigneur, toute ma flote est tienne ;
Nous voguons par ton ordre ; et ton seul interest,
Assemblant nos vaisseaux, sauve les s’il te plaist.
Comme on voit un navire entre deux vents contraires,
Avancer ; reculer ; sur les ondes legeres :
Ainsi du grand heros, le grand cœur incertain,
Paroist aussi douteux comme il paroist hautain :
Et la crainte, et l’espoir, et l’amour, et la gloire,
Agistent son esprit ; travaillent sa memoire ;

Et chacun tour à tour, le balotte ; le meut ;
Et semble l’emporter où ce mouvement veut.
Mais pendant qu’il se plaint, il aperçoit fort proche,
L’ouverture d’un antre enfoncé dans la roche :
Et lors qu’il le regarde, il voit comme il en sort,
Un vieillard venerable, en sa mine, en son port.
La grave majesté paroist sur son visage ;
Sa barbe et ses cheveux, blanchis par un long âge,
Luy descendent fort bas, et son royal aspect,
Au cœur mesme des roys imprime du respect.
En voyant cét hermite, il faut qu’on le revere :
Il a je ne sçay quoy, de doux et de severe ;
Il a je ne sçay quoy, dans son air, dans ses yeux,
Qui fait aymer et craindre, en ces austeres lieux.
Sa robe paroist propre, encor que fort grossiere ;
A longs plis negligez elle bat la poussiere ;
Et la pourpre des roys malgré son ornement,
A moins de majesté que cét habillement.
Prince (dit-il d’abord en langage gothique)
Chassez de vostre esprit ce soin meslancolique :
Dieu qui commande aux mers, et qui regle leur cours,
Vous rendra vos vaisseaux, sauvez par son secours.
Mais pour avoir de luy cette faveur insigne,
Meritez-là, seigneur, et rendez-vous en digne :
Par un acte de foy confessez son pouvoir ;
Il est le roy des roys, faites vostre devoir.
Mon pere (luy respond le heros des Vandales)
J’ay desja trop connu ses bontez sans esgales,

Pour ne luy rendre pas un si juste tribut,
Luy qui calme l’orage, et d’où vient mon salut.
C’est luy qui m’a sauvé ; c’est luy qui vous inspire ;
Qui vous dit qui je suis, et pourquoy je soupire ;
Oüy, je le voy plus haut, que le monde n’est bas ;
Oüy, j’espere ; je crois ; mais qui ne croiroit pas ?
O prince genereux, respond le solitaire,
Dont par son propre éclat la raison est si claire,
De combien de sçavants feriez-vous de jaloux,
Si l’art eust achevé ce que l’on voit en vous !
Un si beau naturel secondé par l’estude,
Qui sçait purger l’esprit de ce qu’il a de rude,
Eust eslevé vostre ame en un rang sans pareil,
La rendant lumineuse autant que le soleil.
Les Goths, les braves Goths, seroient incomparables,
(Comme ils le sont desja par leurs faits memorables)
Si l’amour du sçavoir, si l’amour des beaux-arts,
Eust partagé leur ame avec celle de Mars.
Les clartez de l’estude illuminent cette ame,
Et redoublent encor sa belle et noble flâme ;
La portent à la gloire avec plus de chaleur ;
Et donnent un grand lustre à sa rare valeur.
Elle agit beaucoup mieux, comme elle est mieux instruite ;
Elle a plus de succès, comme plus de conduite ;
Elle suit la raison ; jamais ne s’en despart ;
Et n’abandonne point sa fortune au hazard.
Elle regarde loin ; elle prevoit les choses ;
Elle songe aux effets, en concevant les causes ;
Et comme

elle a bien veu la cause et les effets,
Aucun evenement ne l’estonne jamais.
Grand roy, c’est le sçavoir qui la rend intrepide :
L’on ne s’esgare point avec un si bon guide :
C’est un amy fidelle, et qui nous suit tousjours ;
Et contre l’infortune un asseuré secours.
Oüy, superbe vainqueur de la superbe Rome,
L’homme avec la science est au-dessus de l’homme :
Il fait une autre espece ; il tient un autre rang ;
Il se met au-dessus de la terre et du sang ;
Il quitte la matiere où son estre le range ;
Et d’homme qu’il estoit, il devient presque un ange ;
Il voit tout sans nuage, et l’advenir douteux,
N’est point obscur pour luy, tant il est lumineux.
Il voit tout l’univers comme l’astre du monde ;
Il penetre le sein de la terre et de l’onde ;
Il est comme present à leurs productions ;
Il sçait de tous les corps toutes les fonctions ;
La nature n’a rien qu’elle cache à sa veuë ;
Il traverse les mers ; il vole sur la nuë ;
Ce que l’œil ne voit point sa raison l’aperçoit ;
Tout sert à son estude, et rien ne le deçoit.
Il discerne le vray, d’avec le vray-semblable ;
Il n’ayme jamais rien qui ne soit fort aymable ;
La seule verité peut encor l’enflamer ;
Il ayme les plaisirs comme ils les faut aymer ;
Il connoist toute chose en ce degré suprême ;
Et pour dernier bonheur il se connoist luy-mesme.

Pour moy qui suis lassé du monde et de la cour ;
Moy qui suis relegué dans ce charmant sejour ;
J’ay gousté les plaisirs ; j’ay connu la puissance ;
Et la haute fortune ; et la haute naissance ;
J’ay vescu dans la guerre ainsi que dans la paix ;
Et rien de tout cela ne m’affermit jamais ;
Et rien de tout cela ne me pût satisfaire ;
Tout ce que je faisois je le voyois deffaire ;
Mais enfin je connois, faisant mieux mon devoir,
Qu’il n’est que deux vrais biens, le ciel, et le sçavoir.
Oüy, prince, j’ay connu dans cette solitude,
Le peu que vaut le monde, et ce que vaut l’estude :
Et dans ce grand repos de l’esprit et du corps,
Mes livres bien-aymez sont icy mes thresors.
Ha ! Si je vous comptois quelle fut mon histoire,
Vous verriez que le rang, la richesse, la gloire,
Les plaisirs, les honneurs, tout n’est que vanité,
Et qu’il n’y faut chercher nulle solidité.
Qu’elle n’est qu’en Dieu seul, et que dans la science ;
Que l’on s’esleve à luy par cette connoissance ;
Et que les grands autheurs par leurs doctes escrits,
Peuvent seuls affermir le repos des esprits ;
Servir utilement, à toute heure, en tout âge ;
Et qu’enfin leur secours est un grand avantage.
Mon pere, dit le roy, je suis prest d’escouter :
Sans doute vostre vie est belle à racompter :
Je n’y puis que gagner, car je n’y puis qu’aprendre :
Et si vous le voulez, je suis prest à l’entendre.

A ces mots Alaric s’assied sur le rocher ;
Et priant ce vieillard de vouloir s’aprocher,
Il le conjure encor d’assouvir son envie,
Et de luy reciter l’histoire de sa vie.
L’hermite venerable en le satisfaisant,
D’un ton de voix qui charme, et d’un air complaisant,
Assis aupres du roy (car il le luy commande)
Fait ainsi le recit de ce qu’on luy demande.
Les lettres et les arts ayant fait mon bonheur,
Aux despends de ma gloire il faut leur faire honneur.
Roy le plus grand des roys, la puissance infinie
Me fit venir au jour dans la froide Hibernie :
Et d’une qualité qui ne vit que le roy,
Plus noble que j’estois, ny plus riche que moy.
Mais de mon fier païs la sauvage coustume,
Ignorant ce que peut une sçavante plume,
Esleva ma jeunesse avec si peu de soin,
Qu’il n’est rien d’excellent dont je n’eusse besoin :
Et je fus à la cour sans autre connoissance,
Que celle de l’orgueil d’une illustre naissance ;
Que celle du haut rang où l’on ne peut cacher,
L’ignorance honteuse, et qui fait tant broncher.
Cependant la fortune, aveugle aussi bien qu’elle,
Fut de tous mes desseins la complice fidelle :
Et sans sçavoir pourquoy, ny sans le meriter,
J’eus toute la faveur que l’on peut souhaiter :
Mais j’en usay si mal par ma raison trompée,
Qu’aux mains d’un furieux ce fut mettre une espée.
Je donnois sans mesure, et sans

ordre, et sans chois :
Ma main eust espuisé tous les thresors des rois :
Mes prodigalitez apauvrissoient mon maistre :
Je ne connoissois point le flatteur ny le traistre :
Je ne discernois point le vice et la vertu :
Le lâche triomphoit sans avoir combatu :
Le vaillant combatoit sans nulle recompense :
Tout l’estat travailloit pour ma folle dépense :
Et du pur sang du peuple usant mal à propos,
Je l’accablois enfin par d’injustes imposts.
Sous mon authorité l’innocence opprimée,
Enduroit mille affronts de l’injustice armée :
Tout crime estoit licite, appuyé de mon nom ;
Et rien n’estoit mauvais quand je le trouvois bon.
Le secret des conseils, cette ame des affaires,
N’estoit plus ignoré des personnes vulgaires :
Tout le monde sçavoit les desseins de mon roy ;
Je les disois moy-mesme, et d’autres apres moy.
Dans les estats voisins ma haute negligence,
N’entretenoit jamais aucune intelligence :
J’ignorois le dedans ; j’ignorois le dehors ;
Et je ne connoissois les foibles ny les forts.
Mais quand cette conduite eut esmeu le tonnerre,
Et qu’il falut passer de la paix à la guerre,
Pour punir mon orgueil des maux qu’il avoit faits,
Je me vis ignorant en guerre comme en paix.
Je campois mal, seigneur, j’attaquois mal les places :
En comptant mes combats, on comptoit mes disgraces :

Et comme je n’avois, ny scavoir, ny vertu,
Je fus tousjours chassé, je fus tousjours battu.
Enfin tant de malheurs réveillerent mon ame :
Ils m’ouvrirent les yeux pour me sauver de blasme :
Et je pris un conseil dont il estoit saison,
Au bord du precipice où je vy la raison.
Un Grec que j’avois pris dans les isles Hebrides,
Voyant mon embarras, et mes pensers timides,
Me dit qu’il sauveroit, et ma gloire, et l’estat ;
Qu’il en redoubleroit, et la force, et l’éclat ;
Et qu’il entasseroit victoire sur victoire,
Et bonheur sur bonheur, si je le voulois croire.
Que vous diray-je enfin ? Je le creus ; il le fit :
Ceux qui m’avoient deffait, sa valeur les deffit :
Ils nous faisoient fuïr, nous les mismes en fuite :
Tout ceda, tout fit jour à sa sage conduite :
Et d’un conseil discret me decillant les yeux,
De vaincu que j’estois, je fus victorieux.
Ainsi laissant agir sa prudence vaillante,
Nous fismes avec gloire une paix triomphante :
Et nous fusmes porter aux pieds d’un jeune roy,
Tout ce que la victoire avoit conquis par moy.
Apres continuant d’escouter sa sagesse,
La valeur fut payée, et mesme avec largesse :
Et les lasches chassez d’entre les vrais soldats,
Avec un deshonneur pire que le trespas.
En suite employant mieux la royale puissance,
Je fus le protecteur de la foible innocence :

Et sans donner creance à ceux qui la blasmoient,
J’oprimé justement tous ceux qui l’oprimoient.
Ainsi faisant progrès aux nobles exercices,
Il me fit distinguer les vertus et les vices :
L’avare et le prodigue ; et ce grand demy-dieu,
M’aprist que ces vertus sont tousjours au milieu.
Ma main donnoit beaucoup, mais c’estoit avec ordre :
La dent de l’envieux n’y trouvoit point à mordre :
Les meschans, les flatteurs, ne butinoient plus rien :
Et j’estois liberal, mais pour les gents de bien.
Oüy, me laissant conduire à cét homme si rare,
De la sueur du peuple il me fit estre avare :
Moderant les tributs d’un ordre limité,
Et ne les augmentant que par necessité.
Ainsi dans peu de temps par sa haute prudence,
Aux douceurs de la paix succeda l’abondance :
Je remplis tout l’estat de bien et de grandeur,
Et je couvris mon roy de gloire et de splendeur.
Les conseils importans furent impenetrables :
Les succés glorieux ; les traitez honnorables :
L’intelligence adroite ; et dans tous les estats,
Je fis porter au prince, ou ses yeux, ou son bras.
Apres, ce grand esprit, à la fin de la guerre,
Esleva ma raison au-dessus de la terre :
M’aprit tous les beaux-arts ; et ne me celant rien,
Je fus d’un vol hardy jusqu’au souverain bien.
Mais triomphant des sens par cette connoissance,

Mon cœur n’ayma plus rien que la haute science :
Mon cœur n’ayma plus rien que ce divin objet,
Dont tout sceptre despend, dont tout prince est sujet.
Aussi pour vaquer mieux à la paisible estude,
Je vins me confiner dans cette solitude :
Et gouster le repos d’un si charmant sejour,
Lors que ce sage Grec abandonna la cour.
Trente fois le soleil a fourny sa carriere,
Et porté haut et bas sa feconde lumiere,
Depuis qu’en ce desert je me plais à resver,
Et je crois toutesfois que j’y viens d’arriver.
J’ay pour me divertir dans cette roche affreuse,
Une bibliotheque, et superbe, et nombreuse :
Venez la voir, seigneur, mes livres ont des voix ;
Et ces grands conseillers ne flattent point les rois.
A ces mots il s’osta de l’aspect du rivage :
Et menant ce heros dans sa grotte sauvage,
Il fut y faire voir au roy qui le suivoit,
Le grand et riche amas des livres qu’il avoit.
Voicy, dit-il, seigneur, ces conseillers fidelles,
De qui les sages roys ont tous pris leurs modelles :
Qui font utilement leur sçavoir esclater ;
Et qui francs d’interest leur parlent sans flater.
Voicy de tous les arts les maistres veritables,
Et de tous les mortels les amis charitables :
Que l’on fait comme on veut, ou taire, ou discourir,
Et que l’on voit tousjours prests à nous secourir.
Voicy tous les autheurs de l’utile grammaire,
Des arts et du sçavoir la porte necessaire :

Qui de tout ce qu’on sçait, est le grand fondement,
Et qui forme l’esprit comme le jugement.
Elle jette dans nous les fertiles semences,
Qui produisent apres les hautes connoissances :
Elle ouvre les thresors d’où part tout nostre bien :
Avec elle on peut tout ; sans elle on ne peut rien :
Et d’une main adroite aussi bien que puissante,
Elle aprend à marcher à la raison naissante.
Aussi comme on tient tout de ses utiles mains,
Elle eut de grands honneurs des Grecs et des Romains :
Aucun ne luy refuse une estime si juste :
Flaccus grammairien, sous le regne d’Auguste,
Obtint une statuë ; et le grand Mecenas,
Esleva son Caius aussi haut qu’il fut bas.
Enfin cette grammaire est la porte sacrée,
Par où les triomphans font leur pompeuse entrée :
Il faut passer par elle avant que d’arriver,
Au temple de la gloire où l’on veut s’eslever.
Voicy pres des premiers, et comme sur leurs pistes,
Les livres meslangez des fameux humanistes :
Ils expliquent la fable, et les historiens ;
Ils dechiffrent l’obscur des autheurs anciens ;
Dans ces obscuritez ils portent la lumiere,
Afin d’en dissiper l’ignorance premiere :
Et par un art facile, autant qu’il est puissant,
Ils instruisent une ame en la divertissant.
Ils presentent aux yeux, comme de grands exemples,
Ces heros dont les faits ont merité des temples :

Ils font voir par ces faits le vice combatu,
Et quel est le laurier qu’on donne à la vertu.
De ces fameux autheurs l’agreable lecture,
Dans l’esprit qui les voit se change en nourriture :
Elle le fortifie ainsi que son desir ;
Et l’aliment est bon qu’on prend avec plaisir.
Ces charmans escrivains sont comme autant d’abeilles,
Qu’on voit tantost aux lis ; tantost aux fleurs vermeilles :
Des poëtes divins ils vont aux orateurs ;
L’on ne se lasse point en suivant ces autheurs :
Et leur diversité qui plaist à tout le monde,
Meine insensiblement à l’estude profonde.
Voicy des logiciens les livres espineux ;
Mais nostre foible esprit n’est armé que par eux :
Par eux seuls il discourt ; par eux il argumente ;
Par eux dans cét esprit la lumiere s’augmente ;
Par eux seuls il accuse ; il refute ; il predit ;
Il distingue ; il respond ; il preuve ; il definit ;
Et le faux, et le vray, comme le vray-semblable,
Sont distinguez par eux dans l’ame raisonnable.
Sans leur ordre excellent rien ne peut estre beau :
Dans les discours obscurs ils portent le flambeau :
Convainquent la raison ; la forcent de se rendre ;
Et par eux nous sçavons attaquer et deffendre ;
Et par eux seulement nous avons aujourd’huy,
Aristote pour guide, et Platon comme luy.
Par eux nous connoissons, et le genre, et l’espece ;
Le different ; le propre ; et l’estre, et sa noblesse :

Estres universels ; estres particuliers ;
Et rien ne peut payer ces livres singuliers ;
Et rien ne peut payer ces traitez de logique ;
Par qui de la raison l’éclat se communique ;
Et qui font voir aux sens le vray comme le faux,
Pour arriver au bien en évitant les maux :
Nous faisant descouvrir par un si bon office,
Du sophiste trompeur le malin artifice.
Eutideme, Cleanthe, et Chrysipe trop fin ;
Prothagoras, Dion, Gorgias Leontin ;
Et mille autres encore aussi dignes de blasme,
Par leurs fausses couleurs abuseroient nostre ame,
Si nous n’allions chercher pour sauver sa raison,
Dans ces premiers autheurs son vray contre-poison.
Voicy des orateurs la troupe illustre et grande,
Par qui la rethorique, esmeut, plaist, et commande :
Fait pancher nostre esprit au gré de son desir ;
Et d’un art tout puissant nous force avec plaisir.
Par eux nous aprenons comme au cœur magnanime,
Un juste sentiment passe, agit, et s’imprime :
Comment on persuade une bonne action ;
Comment la verité trouve protection ;
Comment on fait connoistre enquoy gist la justice ;
Comment une ame forte est mise en exercice ;
Par quel art on peut rendre un esprit genereux ;
Les moyens d’adoucir un courroux dangereux ;
Par où l’on rend encore une ame liberale ;
Et pour vanter aux roys l’eloquence royale,
Par où l’on

peut gagner, les peuples ; les soldats ;
Les grands et les petits ; les hauts comme les bas.
C’est cette rethorique, en pouvoir sans seconde,
Qui confond le coupable aux yeux de tout le monde :
Qui sauve l’innocent des pieges du malin ;
Qui deffend des meschans, la veuve et l’orphelin ;
Et dont le mouvement que l’orateur enflâme,
Esmeut, calme, attendrit, touche, et transporte l’ame.
Demosthene, Osocrate, et l’orateur romain,
Ciceron qui perdit, et la teste et la main ;
Et mille autres encor sont veus en cette place,
Tous brillants de l’éclat, et des fleurs du Parnasse :
Et l’on peut icy voir ce qu’Athenes oyoit,
Lors qu’en la haranguant Pericles foudroyoit.
Voicy les grands autheurs de la philosophie ;
En lisant leurs escrits l’ame se fortifie ;
Voit le bien et le mal ; les connoist par leur voix ;
Suit l’un ; évite l’autre ; et fait un juste choix.
Par eux nous aprenons l’admirable phisique ;
L’ethique ; la morale ; avec l’œconomique ;
La politique sage ; et d’un vol glorieux,
Par la metaphisique on va jusques aux cieux.
Cette philosophie est enfin apellée,
La loy de nostre vie aux hommes revelée ;
Le chemin des vertus, et le fleau des pervers ;
La lumiere des sens ; l’œil de tout l’univers ;
La maistresse des mœurs ; la regle des pensées ;
Le juge du present, et des choses passées ;
La guide de l’esprit ; le frein des passions ;
La cause et l’instrument

des bonnes actions ;
Le flambeau qui fait voir les choses naturelles ;
Et l’aigle qui nous porte aux beautez immortelles.
C’est elle qui voit tout ; c’est elle qui sçait tout ;
Qui connoist l’univers de l’un à l’autre bout ;
Qui voit tous les secrets au sein de la nature ;
Qui d’un estre invisible a bien fait la peinture ;
Qui des cieux loin de nous compte les mouvemens,
Et les divers effets des divers elemens ;
Qui donne aux grands estats, aux roys, aux republiques,
Les preceptes divins qui les font magnifiques ;
Qui soustiennent leur thrône, ou bien leur liberté ;
Et qui donnent la paix et la felicité.
C’est dans ces grands autheurs qu’on vuide la querelle,
De l’ame corruptible, et de l’ame immortelle :
Qu’on voit si l’univers dans son large contour,
Ou doit tousjours durer, ou doit finir un jour.
S’il eut commencement, ou s’il fut sans principe ;
S’il n’aura point de fin comme le croit Alcipe ;
S’il doit un jour finir comme Thales le croit ;
Si ce monde est formé des atomes qu’on voit ;
Si le monde est unique, ou s’il est plusieurs mondes ;
Et cent choses encor sçavantes et profondes,
Par où l’ame s’instruit, s’éclaire, et tient un lieu,
Qui semble eslever l’homme à la gloire d’un dieu.
Icy l’on voit encor les sectes differentes ;
La stoïque insensible aux mœurs tousjours constantes ;

La sage academique aux raisonnemens forts ;
Et l’epicurienne avec ses petits corps ;
La peripathetique, et la cirenaïque ;
Et la megarienne, avecques l’erotique ;
La cinique mordante ; et l’on y voit aussi,
L’eliaque subtile, et toutes sont icy ;
Et toutes s’opposant aux vices qui nous nuisent,
Par des chemins divers esgalement instruisent :
Illuminent l’esprit ; et d’un art sans esgal,
Donnent l’amour du bien, et la haine du mal.
Des escrivains sacrez voicy la troupe sainte,
Qui dans ses veritez ne mesle aucune feinte ;
Qui captive les sens sous le joug de la foy ;
Interpretes divins de la divine loy.
Par eux nous allons voir la lumiere en sa source,
Nous eslevant à Dieu, la fin de nostre course ;
Nous unissant à luy, l’objet de nos desirs ;
La cause de nostre estre, et de nos vrais plaisirs.
Nous connoissons par eux l’eternelle sagesse,
Et la grandeur de Dieu comme nostre bassesse :
Par eux nous connoissons d’un cœur tout enflâmé,
Que ce Dieu seul tout bon, doit estre seul aymé.
Par eux nous penetrons les plus obscurs misteres,
Vrais aveugles sans eux, aux choses les plus claires :
Ils marquent le chemin ; ils conduisent nos pas ;
Et quand on les suit bien, l’on ne s’esgare pas ;
Et quand on les suit mal, on se perd, on s’esgare ;
De ce vaste ocean estans l’unique phare :

Et parmy ces escueils, et parmy ces rochers,
Seuls pilotes experts, et seuls hardis nochers.
Par eux nous concevons cette main si puissante ;
Cette main qui receut la nature naissante ;
Et dont l’art merveilleux, pour nostre commun bien,
Travailla sans matiere, et forma tout de rien.
Cét abysme profond qui la raison estonne,
L’unité de l’essence en la triple personne ;
Le fils esgal au pere, en temps comme en grandeur ;
Leur esprit procedant de leur commune ardeur ;
Une mere encor vierge ; une vierge feconde ;
Quoy plus ? Un dieu naissant qui vit naistre le monde ;
Un autheur de la vie au sepulcre enfermé ;
Un dieu vivant et mort ; et ce mort r’animé ;
Et pour dernier prodige un mistere terrible,
Qui semble diviser un corps indivisible ;
Qui dans tous ses fragmens met son humanité ;
Et qui se multiplie en gardant l’unité.
Pres de ces grands autheurs, les autheurs heretiques,
Nous monstrent le venin de leurs erreurs publiques :
Et lors que ces serpens piquent nostre raison,
On cherche le remede en leur propre poison.
Car comme on peut tirer de l’ingrate vipere,
Un remede puissant, utile, et necessaire,
De mesme on peut trouver pour son soulagement,
Dans un livre heretique un fort bon sentiment.
Oüy, le lecteur prudent, par la cause premiere,
Tire le bien du mal ; de l’ombre la lumiere ;

Voit le piege tendu ; l’esvite sagement ;
Et suit le grand chemin pour aller seurement.
Icy des curieux et sçavans cabalistes,
Avec peu de travail on peut suivre les pistes :
Traverser apres eux ces sentiers escartez ;
Et des obscurs Hebreux demesler les clartez.
Tout ce que les rabins ont escrit de sublime ;
Et du grand nom de Dieu la force legitime ;
Et des nombres sacrez l’art tout misterieux ;
Et l’occulte pouvoir des images des cieux ;
Enfin tout le sçavoir de l’antique Judée,
Qu’elle dit luy venir de l’eternelle idée ;
Qu’elle pretend tirer du celeste thresor ;
Se trouve en ces escrits que l’on conserve encor.
De cét autre costé de mes rochers sauvages,
Des poëtes divins sont les divins ouvrages :
Ouvrages immortels par leurs beaux ornemens,
Des Grecs et des Latins les chefs-d’œuvres charmans.
Leur fureur poëtique est par son excellence,
De l’effort de l’esprit la derniere puissance :
Et leur rare sçavoir, tant il est admiré,
Paroist aux yeux du monde un sçavoir inspiré.
Des princes et des roys l’immortelle memoire,
D’ailleurs que de leur art ne peut tirer sa gloire :
L’oubly les enveloppe, et leur nom meurt comme eux,
Sans l’illustre labeur des poëtes fameux.
Oüy, roys, malgré le sceptre, et malgré la couronne,
Et le thrône pompeux que l’éclat environne,
Vostre nom n’ira

point à la posterité,
S’il ne reçoit par eux ce qu’il a merité.
Icy l’on voit Homere ; icy l’on voit Virgile ;
A qui doit tant Enée ; à qui doit tant Achille ;
Euripide ; Sophocle ; Aeschile ingenieux ;
Menandre ; Aristophane ; Anacreon plus vieux ;
Ovide avec Lucain ; Seneque avec Horace ;
Et Tibule ; et Catule ; et Martial ; et Stace ;
Et Terence ; et Lucresse ; et Plaute ; et mille autheurs,
De qui tous les sçavans sont les adorateurs.
Ceux-cy tiennent encore une memoire vive ;
C’est l’antique Herodote, et le grand Tite-Live :
Thucidide le Grec ; Tacite le Romain ;
Polybe ; Xenophon ce vaillant escrivain ;
Quinte-Curse ; Cezar ; le sçavant Diodore ;
Saluste ; Suetone ; et mille autres encore ;
Fameux historiens des grands siecles passez,
Se trouvent en ce lieu d’un long ordre placez.
Ces livres immortels aprennent aux grands princes,
A regir leurs estats ; à dompter des provinces ;
Et par ce grand exemple, offert à ces grands cœurs,
Ils forment de bons roys, et d’illustres vainqueurs.
Voicy l’ame des loix, les grands jurisconsultes,
La cause du repos, et la fin des tumultes ;
Les oracles du droit ; l’appuy des innocens ;
Qui jugent sans faveur, et foibles, et puissans ;
La lumiere de Dieu, comme Platon les nomme ;
Ou plutost de vrais dieux qui peuvent juger l’homme ;

Qui tiennent en leurs mains son bon ou mauvais sort ;
Les peines et les prix ; et la vie et la mort.
Aristote les louë en termes magnifiques :
Il apelle ces loix, l’ame des republiques :
Parce que comme un corps sans ame ne vit pas,
Lors qu’on les voit sans loix, tombent tous les estats.
L’ingenieuse envie alors est medisante ;
Du mesdire provient la haine mal-faisante ;
D’elle apres la colere ; et de ce fier courroux,
Le discord enflâmé que l’on voit entre nous.
De luy naist aussi-tost la dure repugnance ;
D’elle un souslevement dans les peuples commence ;
De ce souslevement, la guerre et son éclat ;
Oüy, l’escole des roys se trouve en ces volumes :
Leurs sceptres affermis par de sçavantes plumes :
Le repos du public solidement fondé :
Et le bras de ces roys fortement secondé.
Voicy les grands traitez des mouvemens celestes,
Ou les evenemens propices et funestes,
Par un art excellent sont marquez et preveus,
Avant que l’univers les ayt sentis ny veus.
La haute astrologie, ô prince magnanime,
Alors qu’elle est bien sceuë, est bien digne d’estime :
Puis que d’un vol hardy qui devance les yeux,
On voit qu’elle s’esleve, et penestre les cieux.
Par elle nous voyons les mouvemens des spheres ;
Les astres ; leurs chemins ; leurs aspects necessaires ;

Les poles affermis ; les cercles ; les climats ;
Et le cours du soleil, tantost haut, tantost bas.
L’esclipse du grand astre, et celle de la lune ;
L’estoile errante ou fixe, en cette voûte brune ;
Et le cours retrograde, et ses justes raisons,
Qui changent reglement la face des saisons.
Par elle nous voyons les fortes influences,
Dans le sein de la terre animer les semences :
Le sujet naturel du foudre et de l’esclair,
Et de ces corps si froids qui nous tombent de l’air.
Enfin durant la nuit, la claire astronomie,
Esveille utilement la raison endormie :
Et des globes mouvans nous monstrant la hauteur,
Elle fait concevoir quel en est le moteur.
Aupres de ces autheurs, ceux de la medecine,
Offrent à nostre esprit leur science divine :
Hipocrate à leur teste, admirable en sçavoir,
Nous aprend ce grand art, et quel est son pouvoir.
Icy vous trouverez ceux qui sont methodiques ;
Et ces autres encor qu’on apelle chymiques :
L’anatomiste adroit, qui de tout nostre corps,
Descouvre l’artifice, et monstre les ressorts.
Qui connoist les tumeurs ; qui connoist les blessures ;
Et les medicaments de diverses natures.
Icy la pharmacie estale aux curieux,
Tout ce que le soleil fait croistre en mille lieux :
En dit les qualitez, ou bonnes, ou nuisibles ;
Prouve ce qu’elle dit par des effets visibles ;
Et tire adroitement des corps universels,
Par le grand art du feu, l’eau, les sucs, et les sels.
Icy l’on

voit encor ceux qui traitent des plantes :
Par eux nous aprenons leurs formes differentes :
Leurs climats ; leurs saisons ; l’art de les cultiver ;
Et l’agreable soin qui les peut eslever.
De cét autre costé, voicy, prince heroïque,
Ceux de qui l’art despend de la mathematique :
Architectes ; sculpteurs ; peintres ; musiciens ;
Geometres certains ; arithmeticiens ;
Les maistres de l’optique, avec les cosmographes ;
Ceux de la perspective, avec les geographes ;
Et l’on voit en ce lieu, qui sera mon tombeau,
Ce que la mecanique à de rare et de beau.
Des cinq ordres des Grecs, celuy-cy peut m’instruire ;
Aux mesures du corps, l’autre me peut conduire ;
Celuy-cy des couleurs l’effet me fera voir,
Par l’ombre et la lumiere, où gist tout son sçavoir.
L’autre des tons, du mode, et de leur harmonie,
Me fera concevoir la douceur infinie :
Celuy-cy d’une regle, et d’un compas certain,
Si je veux arpenter me conduira la main :
Cét autre en supputant ses nombres difficiles,
Convaincra mon esprit par des regles subtiles.
Celuy-cy plus subtil, comme plus curieux,
M’instruiront des rayons qui partent de nos yeux :
M’en fera voir la forme ; et de leur piramide,
Aprendra les raisons à ma raison timide :

Et luy descouvrira, mesme facilement,
Qu’un fantôme d’optique est sans enchantement.
L’autre me monstrera le globe de la terre ;
Les fleuves qu’on y voit ; et la mer qui l’enserre.
Celuy-cy par des corps, plus gros, ou plus menus,
M’aprendra de son art les secrets inconnus :
Me fera croire loin une chose prochaine ;
Et trompera mes yeux par sa regle certaine :
Et le dernier enfin, à ces yeux esbahis,
Dans un espace estroit mettra tout un païs.
Icy l’on voit, seigneur, et la geomancie ;
Et l’art d’Arthemidore ; et la chyromancie ;
L’une par son triangle à son cercle enlacé,
Pretend voir l’advenir comme on voit le passé :
L’autre du songe obscur tire une claire image,
Et sur ces visions fonde un juste presage :
Et l’autre s’attachant aux lignes de nos mains,
Croit en pouvoir tirer des indices certains,
Et du temperament ; et de nos avantures ;
Penetrant par cét art dans les choses futures.
Aupres de ces derniers sont encor ces autheurs,
Qui de tous ces devins sont veus les moins menteurs :
Ceux, dis-je, qui de l’air, et des traits du visage,
Par une longue estude, et par un long usage,
Tachent de descouvrir nos inclinations,
Et nos prosperitez, et nos afflictions.
Enfin pour achever, on voit en cette place,
Dans le nombre excellent des livres que

j’amasse,
La fable au sens caché ; l’emblesme industrieux ;
Les medalles encor des siecles les plus vieux ;
De longs traitez des vents, et de l’art du pilote ;
Et de livres divers j’ay remply cette grote.
Il n’est rien dans les arts que l’on n’y puisse voir :
Icy les plus sçavans trouveront à sçavoir :
Chacun y peut aprendre ; et d’une ame hardie,
Former le cercle entier de l’encyclopedie.
C’est-là mon seul plaisir, c’est-là mon seul thresor ;
C’est-là sans le flatter, ce qui vaut mieux que l’or.
Les princes et les roys n’ont rien qui les égale :
Ils adjoustent du lustre à la grandeur royale :
Ils soustiennent leur thrône aussi bien que leurs loix :
Et tous les roys sçavans sont au-dessus des roys.
Là l’hermite emporté d’un esprit prophetique,
De l’obscur advenir que Dieu luy communique,
Donne quelque lumiere à l’immortel heros,
Et finit son discours par ce dernier propos.
Un jour, un jour viendra, le ciel me le revelle,
Qu’une reyne des Goths, sçavante comme belle ;
Fera fleurir les arts ; aymera les beaux vers ;
Et portera sa gloire aux bouts de l’univers.
Mais il m’est deffendu d’en dire davantage :
Une autre mieux que moy vous fera son image :
Et vers Parthenopée, où l’honneur vous attend,
Sur ce sujet illustre on vous rendra content.
O reyne trop heureuse, et trop digne d’envie,
S’escria ce heros, venez-tost à la vie :
Et si

quelque aparence est en ces derniers mots,
Precipitez le temps pour la gloire des Goths.
Prince, luy dit le saint, retournez au rivage,
Et voyez vos vaisseaux eschapez de l’orage :
Voyez les garantis d’un naufrage aparent,
Et benissez tousjours celuy qui vous les rend.
A ces mots il luy monstre encor fort esloignée,
Sa flote de l’orage et des vents espargnée,
Qui vogue heureusement, et qui pour s’aprocher,
Tourne vers luy la proüe, et vient au grand rocher.
Comme l’on voit aux champs dans une vaste plaine,
Ces innocens troupeaux qui nous donnent la laine,
Blanchir tous les sillons ; marcher également ;
Et s’avancer tousjours d’un pareil mouvement.
Ainsi parmy les flots voit-on ces grands navires,
Avec leur blanche voile où soufflent les zephires,
S’avancer lentement, et d’un air mesuré,
Couvrir tous les sillons du grand champ azuré.
Alaric qui les voit en saute d’allegresse :
Il suit au mesme instant le desir qui le presse :
Il prend congé du saint ; et suivant son transport,
Il descend, ou plutost il vole vers le port.