La Cithare (Gille)/Alcime et Bacchylis

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La Cithare, Texte établi par Georges Barral Voir et modifier les données sur WikidataLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 59-63).

ALCIME ET BACCHYLIS


 
BACCHYLIS

À l’hiver, aux frimas, aux sévères couleurs
Succède le printemps, la saison souriante ;
Les Zéphirs de leur souffle ont réveillé les fleurs,
La forêt berce au vent sa cime verdoyante.

ALCIME

Que m’importent les fleurs ! la blonde Mélissa
M’a fui. J’ai suspendu vainement sous son porche
Des roses. La cruelle ! elle me délaissa ;
Dans mes larmes, Éros, éteins enfin ta torche.


BACCHYLIS

La rosée irisée abreuve les coteaux,
La mer voluptueuse argente sa volute,
Le pâtre, en regardant bondir ses blancs troupeaux,
Se plaît dans la bruyère à jouer de la flûte.

ALCIME

Quant à moi, rien ne peut me charmer désormais,
Ni le ruisseau joyeux, ni les fraîches corolles ;
L’enfant aux yeux mutins, l’ingrate que j’aimais
Ne répond plus, hélas ! à mes tendres paroles.

BACCHYLIS

Sur le golfe d’azur déjà le matelot
Ouvre sa voile au souffle embaumé de la brise,
Sa barque glisse, fuit et se berce, et le flot
Autour d’elle palpite, étincelle et s’irise.

ALCIME

Puissé-je te franchir, ô toi, stérile mer,
Et dans la nuit voguer vers la rive d’Asie ;
Plus que tes flots, l’amour de mon cœur est amer,
Plus que tes ouragans, je crains la jalousie.


BACCHYLIS

Au roi des bois feuillus, à Pan, dieu des chasseurs,
Le chevrier heureux consacre sa houlette,
Sa besace, ses rets et son chapeau de fleurs,
Où la mélisse alterne avec la violette.

ALCIME

Éros, charmant Éros, divin adolescent,
Ô le premier des dieux, tu domines le monde !
À toi tout est soumis ; c’est ton souffle puissant
Qui règle l’univers, l’anime et le féconde.

BACCHYLIS

Déjà, dans les vergers brillants, les vignerons
Fêtent Dionysos, et couronnés de lierre,
Mêlant aux iris d’or les frêles liserons,
Foulent d’un pied léger la terre hospitalière.

ALCIME

J’oublie et ma cabane et le vieux potager.
Pour qui sarcler encor le chiendent et la ronce ?
Aujourd’hui la ciguë envahit mon verger,
La terre se ravine et partout se défonce.


BACCHYLIS
Autour des arbousiers, sur les roses en feu,
L’abeille industrieuse en butinant voltige,
Les essaims chatoyants bourdonnent dans l’air bleu,
Et font les lis d’argent se courber sur leur tige.

ALCIME

Mélissa, chère abeille, ivre de ton baiser
Quand je m’abandonnais aux amoureuses fièvres,
Tu cachais l’aiguillon et prête à me blesser
Tu distillais un miel suave sur mes lèvres.

BACCHYLIS

Les cailles tendrement chantent dans les sillons,
Au bois, les rossignols, les merles, dans les vignes,
L’hirondelle gazouille et les doux alcyons
Mêlent leurs voix d’amour aux cantiques des cygnes.

ALCIME

Quand brillait dans la nuit la lune aux cornes d’or,
Ô cruelle ! ta voix seule me semblait douce ;
Pouvais-je, en t’écoutant au loin, trouver encor
Un charme aux gazouillis des oiseaux dans la mousse ?


BACCHYLIS
Si les dieux, les marins, la forêt, les oiseaux
Célèbrent le printemps et la beauté des choses,
Ne faut-il pas aussi qu’ajustant les roseaux
Je chante la saison aux couronnes de roses ?

ALCIME

Moi, je veux, Bacchylis, consacrer tous mes chants
À celle dont la bouche est un rose calice,
À celle dont les yeux sont de purs diamants,
Et dont le sein est fait du marbre le plus lisse.