Amymone (J.-B. Rousseau)

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Amymone (J.-B. Rousseau)
Œuvres de J. B. RousseauChez Lefèbvre, LibraireTome I (p. 419-422).
CANTATE V.
AMYMONE.[1]


Sur les rives d’Argos, près de ces bords arides
Où la mer vient briser ses flots impérieux,
La plus jeune des Danaïdes,
Amymone, imploroit l’assistance des Dieux :
Un Faune poursuivoit cette belle craintive ;[2]
Et levant ses mains vers les cieux,
Neptune, disoit-elle, entends ma voix plaintive,
Sauve-moi des transports d’un amant furieux :

À l’innocence poursuivie, [3]
Grand Dieu, daigne offrir ton secours ;
Protége ma gloire et ma vie
Contre de coupables amours.

Hélas ! ma prière inutile
Se perdra-t-elle dans les airs ?
Ne me reste-t-il plus d’asile
Que le vaste abîme des mers ?

À l’innocence poursuivie,
Grand Dieu, daigne offrir ton secours ;
Protége ma gloire et ma vie
Contre de coupables amours.

La Danaïde, en pleurs, faisoit ainsi sa plainte,
Lorsque le Dieu des eaux vint dissiper sa crainte ;
Il s’avance, entouré d’une superbe cour :
Tel, jadis, il parut aux regards d’Amphitrite,[4]
Quand il fit marcher à sa suite
L’Hyménée et le Dieu d’amour.
Le Faune, à son aspect, s’éloigne du rivage  ;
Et Neptune, enchanté, surpris,
L’amour peint dans les yeux, adresse ce langage
À l’objet dont il est épris :


Triomphez, belle princesse,
Des amants audacieux :
Ne cédez qu’à la tendresse
De qui sait aimer le mieux.

Heureux le cœur qui vous aime,[5]
S’il étoit aimé de vous !
Dans les bras de Vénus même,
Mars en deviendroit jaloux.

Triomphez, belle princesse,
Des amants audacieux :
Ne cédez qu’à la tendresse
De qui sait aimer le mieux.

Qu’il est facile aux Dieux de séduire une belle ![6]
Tout parloit en faveur de Neptune amoureux ;
L’éclat d’une cour immortelle,
Le mérite récent d’un secours généreux.
Dieux ! quel secours ! Amour, ce sont là de tes jeux.[7]
Quel Satyre eût été plus à craindre pour elle ?

Thétis, en rougissant, détourna ses regards ;
Doris se replongea dans ses grottes humides,
Et, par cette leçon, apprit aux Néréides
À fuir de semblables hasards.

Tous les amants savent feindre ;[8]
Nymphes, craignez leurs appas :
Le péril le plus à craindre
Est celui qu’on ne craint pas.

L’audace d’un téméraire
Est aisée à surmonter :
C’est l’amant qui sait nous plaire
Que nous devons redouter.

Tous les amants savent feindre ;
Nymphes, craignez leurs appas :
Le péril le plus à craindre
Est celui qu’on ne craint pas.

  1. Aussi coupable que ses sœurs, et souillée, comme elles, du sang de son jeune époux, Amymone eut du moins le mérite du repentir ; et les Dieux la jugeant assez punie par ses propres remords, l’exemptèrent seule du supplice auquel les autres Danaïdes furent condamnées dans les Enfers.
  2. Un Faune poursuivoit, etc. Elle l’avoit, dit-on, blessé d’une flèche, en voulant tirer sur un cerf ; ce qui motive la poursuite et la vengeance du Faune.
  3. À l’innocence poursuivie, etc. Ces vers sont d’une mélodie si douce et si pure ; la plaintive Amymone y soupire si délicieusement sa peine, que l’on ne conçoit guère ce que pourroit ajouter ici le talent du musicien au génie du poète.
  4. Tel, jadis, il parut, etc. L’éclat et la majesté du Dieu, la pompe brillante de sa cour, respirent dans ces beaux vers.
  5. Heureux le cœur qui vous aime, etc. Il y a, dans ces petits couplets, autant de grâce et d’esprit que de sentiment ; et tout cela est exprimé avec cette naïve simplicité qui devoit porter la conviction dans le cœur de la jeune Nymphe.
  6. Qu’il est facile aux Dieux de séduire une belle ! Neptune la séduisit
    en effet, et eut d’elle un fils, Nauplius, qui fut roi d’Eubée, et
    père du fameux Palamèdes, si injustement sacrifié, pendant le
    siége de Troie, au ressentiment du vindicatif Ulysse.
  7. Dieux ! quel secours ! etc. Il faut savoir gré au peintre de la délicatesse
    avec laquelle il voile le reste du tableau.
  8. Tous les amants savent feindre, etc. Cette petite leçon de morale, qui sort naturellement du sujet, ne pouvoit être plus convenablement placée que dans la bouche même de Thétis.