Amélioration et développement de l’éducation physique/Introduction

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Imp. de la Société suisse de Publicité (p. i-iii).
Mars 1915.

Monsieur le Ministre,

J’ai l’honneur de vous présenter le résumé des observations que j’ai pu faire au cours de la mission que vous aviez bien voulu me confier, ainsi que les propositions qui me paraissent de nature à assurer l’organisation définitive de l’éducation physique des jeunes Français.

L’heure est propice pour obtenir du pays qu’il prête à cette question l’attention voulue. On a pu se rendre compte de ce que valait, en temps de guerre, une bonne culture musculaire. L’exemple de l’Angleterre a montré que si de magnifiques armées peuvent parfois être improvisées, c’est à la condition que les volontaires en soient recrutés au sein d’une jeunesse vigoureusement sportive. Nos soldats ont éprouvé de leur côté que l’exercice physique avantage singulièrement ses adeptes non seulement en les rendant plus résistants à la fatigue et plus rebelles à la maladie, mais en les mettant à même bien souvent d’échapper, par l’adresse et le sang-froid, au péril qu’ils ont risqué plus volontiers.

L’opinion comprend de même à quel degré les qualités développées par l’éducation physique, seront nécessaires à la génération qui va avoir pour tâche d’utiliser l’héroïsme de ses devanciers.

Un dernier point de vue est à considérer. La nation sent fortement la nécessité d’en finir avec l’alcoolisme dont les ravages ont été, et sont encore, malgré d’utiles mesures protectrices, si menaçants. J’ai toujours déploré que les sociétés antialcooliques n’aperçoivent pas dans le sport le véritable antidote auquel il convient d’avoir recours dans la lutte contre le fléau. Vingt-huit années d’expérience personnelle à cet égard m’ont convaincu que le gymnase et le champ de jeu sont seuls à même de faire une concurrence efficace au cabaret parce que, seuls, ils le remplacent. Et d’autres pays que le nôtre ont reconnu cette heureuse action du sport qui supprime le mal en écartant la tentation.

Dans le choix des solutions préconisées, vous constaterez, Monsieur le Ministre, que je me suis inspiré du constant souci de ne pas subordonner les réformes ou les améliorations à l’ouverture de crédits trop considérables, ce qui risquerait d’en entraver ou d’en retarder la mise en vigueur. Aussi bien l’intervention de l’initiative privée s’impose-t-elle ici pour des raisons plus péremptoires que celles de l’économie. Il n’est pas exagéré de dire que, depuis de longues aimées, c’est à l’initiative privée qu’ont été dus la plupart des progrès réalisés, en matière d’exercices physiques, et cela dans tous les pays du monde. Les fédérations françaises, au premier rang desquelles il convient de citer l’Union des sociétés de gymnastique, ont mérité qu’on les associe à l’œuvre pédagogique qu’il s’agit d’activer et de compléter par le canal des Comités académiques.

Dans le même esprit pratique, j’ai tenu à ne pas faire état d’une modification possible des programmes d’enseignement. Cette question et celle de l’Éducation physique ne sont point connexes. Une telle connexité, souvent invoquée, n’a guère été bonne qu’à servir d’oreiller de paresse aux partisans de l’inaction. Avant de réclamer une augmentation du temps pouvant être consacré à la culture corporelle, il faut commencer par faire usage de celui dont on dispose. Et c’est là ce qui n’a pas toujours été réalisé.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, le nouvel hommage de mon entier dévouement.


Pierre de COUBERTIN.