Analyse de Tristan et Isolde (Albert Lavignac)
Analyse du poème
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TRISTAN ET ISEULT | |||||||||||||||
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selon l’ordre de leur première entrée en scène. |
1er ACTE | 2me ACTE | 3me ACTE | ||||||||||||
SCÈNES : | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 2 | 3 | 1 | 2 | 3 | ||||
Un Jeune Matelot (ténor). Personnage épisodique. |
invis. | ||||||||||||||
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Iseult (soprano). Princesse, quelque peu magicienne, fille des souverains d’Irlande ; fut fiancée à Morold, que tua Tristan ; devient l’épouse du roi Marke. Aime Tristan, d’abord en secret. |
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Brangaine (soprano). Suivante et confidente dévouée d’Iseult. |
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Kurwenal (basse). Écuyer ; serviteur vieux et fidèle, passionnément attaché à Tristan. |
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Tristan (ténor). Chevalier d’origine bretonne ; neveu du roi Marke, défenseur du trône de Cornouailles. Aime Iseult, d’abord en secret. |
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Les Matelots (chœur : ténors, basses). |
(invisibles.) | ||||||||||||||
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Chevaliers, Écuyers, Hommes d’armes (chœur : ténors, basses). |
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Mélot (ténor). L’un des chevaliers du roi Marke. Traître à l’amitié de Tristan. Aime Iseult secrètement et se venge d’elle. |
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Le Roi Marke (basse). Prince géuéreux, roi de Cornouailles, oncle de Tristan. Épouse Iseult. |
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Un Berger (ténor). Personnage épisodique. |
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Un Pilote (basse). Personnage épisodique. |
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TRISTAN ET ISEULT
Iseult, princesse d’Irlande, a été autrefois fiancée à Sire Morold, chevalier irlandais, qui, allant guerroyer en Cornouailles, a trouvé la mort dans un combat avec Tristan, le neveu du roi Marke. L’adversaire peu généreux a eu la cruelle ironie d’envoyer la tête de sa victime à la princesse, qui a découvert dans la plaie profonde un éclat d’acier provenant de l’arme du meurtrier.
Mais Tristan, au cours de la lutte, a été lui-même atteint par la lame empoisonnée de Sire Morold, et sa blessure ne veut pas se fermer ; alors il se souvient que la jeune souveraine d’Irlande a le secret de baumes précieux, seuls capables de guérir son mal, et il décide d’aller lui demander le secours de sa science.
Il se fait conduire en barque, mourant, jusqu’en Irlande, et, se présentant comme un inconnu à Iseult, sous le nom de Tantris, il implore son assistance. La jeune princesse, émue des souffrances du moribond, le soigne avec dévouement ; mais un événement imprévu lui fait un jour découvrir la vérité : l’épée de Tantris est celle qui a donné la mort à son fiancé, car à sa lame est une brèche se rapportant exactement au fragment d’acier trouvé dans la blessure de Morold.
Indignée, Iseult brandit l’arme sur la tête de l’imposteur ; elle va lui porter le coup fatal, lorsque leurs yeux se rencontrent : le regard de Tristan supplie, et Iseult lui fait grâce. Elle tait à tous le secret qu’elle a découvert ; Tristan retournera sain et sauf dans son pays et délivrera la princesse de sa vue odieuse. Le chevalier part, après avoir protesté de sa reconnaissance et de son dévouement ; mais, ô trahison ! il revient bientôt, sous son vrai nom de Tristan et entouré d’un luxueux appareil, demander la main de la jeune fille pour son oncle le roi Marke. Les parents d’Iseult acceptent l’alliance pour leur fille, qui par obéissance doit partir sous la conduite du chevalier pour les États de son futur époux.
Mais son âme est secrètement rongée par la douleur : car ce héros qu’elle a sauvé et qui la trahit si indignement, elle s’en croyait aimée, et l’aime sans se l’avouer, en dépit du passé sanglant qui se dresse entre eux.
Tel est l’état des choses quand le rideau s’ouvre pour le premier acte.
Nous l’esquisserons, ainsi que les deux autres, à très
grands traits et brièvement. Les situations sont simples,
et les péripéties peu nombreuses dans le poème de
Tristan. Tout l’intérêt du drame réside dans les états d’âme
des héros. Comment les expliquer sans atténuer la
poignante émotion qui en résultera à l’audition ? Ne vaut-il
pas mieux laisser chacun la percevoir et la sentir selon
sa propre nature, que la déflorer en insistant inutilement
sur des détails d’ordre purement psychologique ?
Scène i. — Iseult est sur le navire qui la mène en Cornouailles ; une tente formée de riches tapisseries est dressée sur le pont et complètement fermée au fond. La princesse est étendue sur un lit de repos ; la mélancolique chanson qu’un matelot fait entendre dans la hune la blesse et l’irrite, et elle laisse éclater son désespoir en apprenant de sa suivante, Brangaine, que la terre est proche et que le voyage touche à son terme.
Scène ii. — Elle envoie sa compagne ordonner à Tristan de paraître devant elle ; depuis le commencement de la traversée il l’évite avec persistance, oubliant ainsi tous les égards qu’il doit à sa souveraine. Brangaine porte l’ordre de sa maîtresse au chevalier, qui, profondément troublé en entendant prononcer le nom d’Iseult, se remet cependant, mais refuse, avec respect et fermeté, de quitter le gouvernail du navire confié à sa garde.
Scène iii. — Brangaine vient rapporter à sa maîtresse la réponse du chevalier, et Iseult, se laissant alors aller à toute son amertume, révèle à sa compagne une partie de son secret, lui raconte les soins empressés qu’elle donna jadis à Tristan, qui l’a si mal récompensée de sa pitié envers lui. Cachant la vraie cause de sa douleur, elle se révolte à l’idée de devenir l’épouse du prince de Cornouailles, qu’elle juge indigne de sa gloire, à elle dont la couronne d’Irlande a ceint le front. Brangaine cherche en vain à la calmer et à justifier la conduite de Tristan, qui a, selon elle, brillamment payé sa dette de reconnaissance en lui faisant don d’un royaume aussi beau que celui de Cornouailles. Iseult reste pensive et, se parlant à elle-même, déplore d’être condamnée au supplice de vivre toujours près d’un être accompli auquel elle ne saurait inspirer d’amour. C’est à Tristan qu’elle pense ; mais Brangaine, se méprenant sur le sens de ses paroles, l’engage, si elle craint de n’être pas assez aimée du roi Marke, à avoir recours aux philtres merveilleux que sa mère, la reine d’Irlande, lui a remis à son départ. Il en est un qui soumet infailliblement ceux qui le boivent à la puissance de l’amour. Iseult accueille avec une sombre résolution le conseil de sa suivante et se fait apporter par elle le précieux coffret contenant les breuvages magiques. Mais ce n’est pas le philtre amoureux qu’elle choisit ; il lui en faut un plus puissant encore, et elle s’empare du flacon rempli de la liqueur de mort : c’est celle-là qu’elle fera prendre à Tristan.
Scène iv. — Il faut se hâter, car la terre est proche : déjà l’on aperçoit le pavillon d’allégresse qui flotte au faîte du château royal. Kurwenal, l’écuyer fidèle du chevalier, vient annoncer l’entrée au port. Iseult alors fait demander à Tristan un moment d’entretien et ordonne à Brangaine épouvantée de verser dans une coupe le breuvage fatal ; en vain la suivante éperdue essaye-t-elle de la détourner de son fatal dessein, Iseult commande, impérieuse ; elle fait un violent effort pour paraître calme à l’arrivée de Tristan, qui se présente respectueusement devant elle.
Scène v. — Ils se considèrent longuement en silence ; enfin Iseult, après lui avoir reproché l’éloignement dans lequel il s’est tenu pendant le voyage, lui rappelle la dette de sang qui est entre eux et qu’elle n’a pas oubliée : elle n’a pas pardonné le meurtre de son fiancé ; et puisque nul homme ne s’est présenté pour venger le mort, c’est à elle de frapper le coupable. Tristan l’a écoutée, pâle et sombre ; il lui présente le glaive et est prêt à mourir.
Mais non, lui dit Iseult, elle ne doit pas priver le roi de son plus fidèle soutien, celui auquel il doit titre et couronne ; et si une fois déjà elle a épargné le meurtrier de Morold, elle doit lui pardonner encore. Qu’il boive donc à la coupe de réconciliation et d’oubli. Pendant que les matelots poussent des cris d’allégresse à l’approche de la terre, Brangaine a été, chancelante, préparer le philtre fatal. Iseult lui arrache la coupe des mains et la présente à Tristan.
Tristan, qui a pénétré les sombres desseins d’Iseult, s’empare résolument du breuvage qui le délivrera des maux dont son cœur aussi est accablé ; il le porte à ses lèvres et boit ; mais Iseult lui arrache alors la coupe et achève de la vider, puis la jette au loin.
Tous deux, en proie à une émotion intense, se
regardent avec extase ; dans l’attente du moment suprême,
leurs yeux ne cherchent plus à celer le secret qui dévore
leurs âmes ; enfin ils tombent dans les bras l’un de l’autre
et restent longuement enlacés, tandis que Brangaine, se
détournant avec accablement, commence à mesurer la
portée de son erreur volontaire : au philtre de mort elle a
substitué le breuvage d’amour !… Les deux amants,
perdant le sentiment de la réalité, sont tout à leur mutuelle
contemplation ; ils s’aperçoivent à peine du mouvement
que produit autour d’eux l’arrivée au port. Iseult revêt
machinalement le manteau royal ; Brangaine, pour la
rappeler à elle, lui révèle alors avec désespoir la fatale
substitution qu’elle a osé opérer. Tristan et Iseult se regardent
éperdus ; Iseult tombe évanouie dans les bras de sa
suivante, tandis que l’équipage acclame joyeusement l’arrivée
du roi sur le navire.
Scène i. — Le seuil de la demeure d’Iseult, accédant par des degrés à un parc planté de grands arbres et sur lequel il règne une nuit d’été claire et radieuse. Une torche allumée est placée près de la porte.
On entend au loin des fanfares de chasse qui s’affaiblissent peu à peu et auxquelles Brangaine, debout sur les marches, prête une oreille attentive. Iseult, en proie à une grande agitation, sort de ses appartements et interroge sa suivante. Elle attend impatiemment que la chasse royale se soit éloignée du palais pour donner le signal qui amènera Tristan à ses pieds ; mais Brangaine la supplie d’être prudente : elle soupçonne des pièges tendus autour des deux amants et suspecte surtout Mélot, qui, dès la première heure, alors que le roi venait sur le pont du navire recevoir sa fiancée, scrutait l’attitude agitée de Tristan et d’Iseult et a dû découvrir la cause du trouble qui régnait dans leurs âmes. Depuis, il les épie constamment ; et cette chasse nocturne organisée à son instigation doit cacher un piège, celer quelque perfidie. Malgré les protestations de la reine, qui a une foi aveugle en la fidélité de Mélot, le confident, l’ami de Tristan, Brangaine se désole de la désobéissance qui lui a fait substituer le philtre d’amour au breuvage fatal ; mieux eût valu le sombre et bref dénouement que ces cruelles angoisses. Elle s’accuse amèrement de tous les maux qui peuvent fondre sur sa maîtresse.
— Non, lui dit celle-ci, Brangaine n’est pas coupable ; dame Minne[1] a tout fait : c’est elle, à qui la vie et la mort sont soumises, qui a transformé la haine en amour ; Iseult est désormais sa vassale et subira aveuglément ses arrêts.
Malgré Brangaine qui l’exhorte à la prudence, elle arrache la torche et l’éteint sur le sol : c’est le signal convenu avec Tristan. Brangaine se détourne consternée et monte lentement l’escalier qui conduit à la plate-forme de la maison.
Iseult alors fouille du regard l’avenue, cherchant à voir dans la nuit ; enfin ses gestes indiquent qu’elle a aperçu le bien-aimé ; son émotion est à son comble.
Scène ii. — Tristan entre impétueusement ; ils se précipitent dans les bras l’un de l’autre d’un élan passionné. Leurs cœurs débordent d’amour et de ravissement ; ils maudissent la lumière du jour, si hostile à leur bonheur ; n’est-ce pas le jour qui amena Tristan en Irlande afin de solliciter Iseult pour le roi Marke ? le jour encore qui, baignant le chevalier d’une fausse lueur, l’avait fait paraître digne de haine à celle qui déjà le chérissait du fond du cœur ?… Ah ! que n’ont-ils pu, les deux amants, s’ensevelir à tout jamais dans le doux crépuscule de la nuit et de la mort, qui eût indissolublement uni leurs âmes, leurs destinées !… Ils s’asseyent sur un banc de fleurs et se tiennent longuement enlacés, appelant le trépas si ardemment désiré par eux.
Tandis qu’absorbés dans leur extase ils laissent s’envoler les heures et perdent la notion du temps, Brangaine, qui veille en haut de la plate-forme, les avertit que le jour redouté se lève et ramène avec lui le danger. Par deux fois elle les arrache à leur mutuelle contemplation ; puis on l’entend pousser un cri d’alarme, et en même temps le brave et dévoué Kurwenal entre précipitamment le dos tourné et jouant de son épée.
Scène iii. — Derrière lui se pressent tumultueusement, suivis de quelques courtisans, Mélot et le roi Marke, qui s’arrêtent en face du couple et le considèrent attentivement avec des expressions diverses. Brangaine est accourue auprès de sa maîtresse, qui s’est détournée et devant laquelle Tristan, d’un mouvement instinctif, a étendu son manteau pour la dérober aux yeux des arrivants.
Mélot se vante au roi, qui est resté frappé d’une
douloureuse stupeur, du service signalé qu’il vient de lui rendre et dont le prince n’a pas le triste courage de le remercier. Il est tout à la profonde douleur que lui cause l’affreuse découverte qu’il vient de faire. Ce Tristan, qu’il regardait comme l’honneur et la vertu mêmes, en qui il avait mis l’espoir de ses vieux ans, refusant jusqu’alors,
pour lui laisser un jour intact son héritage, de prendre une nouvelle épouse après que la mort lui eut ravi la première ; c’est lui, ce neveu perfide qui lui amena la beauté
merveilleuse que, dans son adoration, le généreux roi a
respectée comme l’eût fait un père ; c’est lui encore qui,
après avoir rendu, par la possession de ce trésor, son cœur
plus sensible à la douleur, vient lui faire cette cuisante
blessure, et verse en son âme le cruel poison du doute
envers ce qu’il aimait le plus au monde. Pourquoi l’avoir
précipité dans cet enfer dont rien ne pourra l’arracher
désormais ? Tristan, qui a écouté les reproches du noble
prince avec une tristesse croissante, lève sur lui un
regard plein de pitié ; son secret, il ne peut le dire ; nul ne
le saura jamais. Se tournant ensuite vers Iseult, qui le
contemple avec des yeux suppliants, il lui annonce son
départ pour la sombre contrée où sa mère autrefois
l’enfanta dans la douleur et la mort. C’est là qu’il offre un
asile à la bien-aimée, si elle veut le suivre dans sa triste
retraite. Iseult lui répond que rien ne l’empêchera de
s’attacher à ses pas, il n’a qu’à lui montrer la route ; son
amant la baise doucement au front ; mais alors Mélot,
bondissant de rage, tire son épée et provoque Tristan, qui se
met vivement en garde. Leurs armes se croisent, et
Tristan s’affaisse, blessé par son adversaire. Il tombe dans
les bras de Kurwenal, tandis quTseult, éplorée, se
précipite sur son sein.
Scène i. — La scène représente les jardins incultes et désolés du vieux manoir de Tristan, Karéol, situé en Bretagne, sur une hauteur au bord de la mer. Au loin, on aperçoit la ligne d’horizon par-dessus les murs à moitié en ruine et envahis par la végétation. Au fond, une porte de château féodal avec des meurtrières. Au milieu de la scène, à l’ombre d’un grand tilleul, la litière sur laquelle repose Tristan.
L’infortuné se meurt de la blessure que lui a faite le traître Mélot ; son fidèle Kurwenal l’a amené dans une barque, expirant, jusqu’au domaine de ses ancêtres et le dispute au trépas, attendant avec une impatience désespérée l’arrivée d’Iseult, qu’il a envoyé chercher en Cornouailles par un serviteur dévoué. Un pâtre, qui a été placé en vigie au haut de la falaise pour signaler l’arrivée du navire portant Iseult dès qu’il poindra à l’horizon, fait entendre sur son chalumeau une mélodie triste et plaintive, à laquelle il substituera des accents joyeux si la voile tant désirée se montre au large.
Au lever du rideau, il a quitté pour un instant son poste d’observation, et vient s’enquérir des nouvelles de son seigneur ; quelle mystérieuse et sombre aventure l’a réduit en si triste état ? Kurwenal refuse de répondre et l’envoie de nouveau guetter l’horizon désert, où nul vaisseau ne paraît. Le berger reprend la mélancolique mélopée, dont le rythme tire l’agonisant de sa mortelle torpeur. Il ne reconnaît tout d’abord pas les lieux qui l’entourent ; le bon Kurwenal l’aide à rassembler ses souvenirs ; mais la seule pensée qui se présente nette à son esprit est celle d’Iseult. Son amour le reprend tout entier, il appelle éperdument la bien-aimée, et une factice lueur de vie le ranime lorsque son fidèle serviteur lui promet la prochaine venue de l’adorée. Dans sa fièvre, il voit défiler devant ses yeux toute sa triste vie, sa jeunesse malheureuse, son voyage néfaste vers la terre d’Irlande et le breuvage terrible, cause apparente de tous ses malheurs ; son exaltation va grandissant, mais ses forces le trahissent, et il tombe évanoui. Kurwenal épouvanté le ranime avec peine. Que n’arrive-t-il pas, le navire qui apportera la joie et la guérison ?
Scène ii. — Soudain une mélodie joyeuse se fait entendre ; c’est le signal convenu pour annoncer la bonne nouvelle. Déjà Kurwenal, qui, sur les instances de Tristan, est monté en haut de la tour, voit flotter parmi les voiles le pavillon d’allégresse. C’est Iseult qui arrive ; le navire a passé le cap redouté et entre au port. La bien-aimée fait des signes, elle s’élance sur le rivage, et Kurwenal va la recevoir, laissant Tristan en proie à la plus grande agitation. Le blessé, croyant désormais pouvoir défier le trépas, se précipite au-devant de son amie ; mais il a trop présumé de ses forces : elles l’abandonnent, et il tombe en expirant dans les bras de l’adorée.
La mort, appelée autrefois avec tant d’ardeur, l’a enfin exaucé ; la nuit, bienheureuse adversaire du jour hostile, l’enveloppe de ses voiles. S’agenouillant près de lui, Iseult l’enlace doucement et le supplie de la laisser guérir sa profonde blessure, de vivre encore, ne fût-ce qu’une heure ; mais, le voyant à jamais sourd à sa voix, elle tombe mourante sur le corps de celui qu’elle a tant aimé.
Scène iii. — Kurwenal a assisté, muet de douleur, à cette scène navrante ; ses regards ne peuvent se détacher de Tristan. On entend à ce moment un cliquetis d’armes : le berger accourt pour annoncer qu’un second navire vient d’entrer dans le port. Une grande confusion se produit alors. Kurwenal, croyant à une incursion hostile de la part du roi Marke, se précipite sur Mélot, qui entre un des premiers, et le tue. Il est lui-même blessé mortellement dans la lutte et vient expirer auprès du corps de son maître bien-aimé. Cependant, quelle méprise était la sienne ! Le noble et magnanime roi, instruit trop tardivement, hélas ! par Brangaine, des désastreux effets du philtre et enfin convaincu que la fatalité seule a rendu traîtres les deux êtres qu’il a tant chéris, venait leur apporter son pardon et les unir à tout jamais. Il reproche doucement à Iseult de n’avoir pas su tout lui avouer ; il eût été si heureux de découvrir l’innocence de son ami le plus cher ! L’infortunée ne le comprend pas : d’un œil hagard, elle contemple la dépouille mortelle de Tristan, mais déjà son âme s’est envolée auprès de celle de son amant, et elle expire, transfigurée par la mort bienheureuse, dans les bras de sa fidèle Brangaine.
Le roi Marke bénit les cadavres, au milieu de l’émotion profonde de tous les assistants.
Analyse musicale
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des principaux Leit-motifs de TRISTAN ET ISEULT dans l’ordre de leur première apparition intégrale. |
1er ACTE | 2me ACTE | 3me ACTE | |||||||||||
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SCÈNES : | P | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | P | 1 | 2 | 3 | P | 1 | 2 | 3 |
L’Aveu | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |||||||||
Le Désir | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |
Le Regard | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||
Le Breuvage d’amour | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |||||||||
Le Breuvage mortel | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||
Le Coffret magique | ■ | ■ | ■ | |||||||||||
La Délivrance par la mort | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
La Mer | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
La Colère | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||
La Mort | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |||||
Gloire de Tristan | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |||||||||
Tristan blessé | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |||||||||
Tristan héroïque | ■ | |||||||||||||
Le Jour | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
L’Impatience | ■ | ■ | ■ | |||||||||||
L’ Ardeur | ■ | ■ | ■ | ■ | ■ | |||||||||
L’Élan passionné | ■ | ■ | ■ | |||||||||||
Le Chant d’amour | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
Invocation à la Nuit | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
La Mort libératrice | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
La Félicité | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
Le Chant de mort | ■ | ■ | ■ | ■ | ||||||||||
Le Chagrin de Marke | ■ | ■ | ||||||||||||
La Consternation | ■ | ■ | ||||||||||||
La Solitude | ■ | ■ | ■ | |||||||||||
La Tristesse | ■ | |||||||||||||
L’ Allégresse de Kurwenal | ■ | ■ | ||||||||||||
Karéol | ■ | ■ | ||||||||||||
La Joie | ■ | ■ |
Le Prélude du 1er acte de Tristan et Iseult est presque entièrement construit au moyen de sept motifs des plus importants, faisant dès ce moment pressentir la prédominance du genre chromatique qui persistera dans la plus grande partie de cet ouvrage, et qui nous sont ainsi présentés dès le début. Tout d’abord L’Aveu,
[partition à transcrire]
[que l’on retrouvera à la scène v (au moment où Iseult boit à
Tristan) sous cette autre forme :]
mais qui dans le Prélude est constamment suivi de cet
autre motif, Le Désir [2]
[partition à transcrire]
[De fréquents emplois de ce motif ont lieu dans le cours de l’ouvrage sous les formes les plus variées.]
[partition à transcrire]
Aussitôt apparaît un nouveau thème exprimant avec éloquence que la passion de Tristan et Iseult a eu pour cause première, pour point de départ, la rencontre de leurs yeux, c’est Le Regard.
[partition à transcrire]
Continuant l’analyse du Prélude, dans lequel ce motif du Regard est l’objet de nombreux et importants développements, jusqu’au point de prendre en certains moments la prépondérance, nous rencontrons, dans l’espace de quatre mesures, deux phrases fortement expressives, caractérisant les deux philtres, celui d’amour et celui de mort, dont la substitution est comme le nœud de l’action : Le Breuvage d’amour et Le Breuvage de mort,
[partition à transcrire]
le premier plein de poésie et de passion, le deuxième
formant une opposition sinistre et lugubre, qu’accentue
encore l’instrumentation en le confiant tantôt aux gros
cuivres, tantôt à la clarinette-basse et aux hautbois.
[Ce dernier apparaîtra de nouveau à la fin de la scène III, au moment où Brangaine cherche les flacons dans le coffret.]
Voici maintenant le motif qu’on peut considérer comme dérivé de celui du Regard, auquel est attachée l’idée de ce précieux coffret de secours : Le Coffret magique.
[partition à transcrire]
[motif qui nécessairement trouvera son emploi lorsqu’on aura
recours au coffret (scène iii) ou lorsqu’il y sera fait allusion.]
[partition à transcrire]
Alors, préparé par un superbe crescendo dont le motif du Regard fait les frais, est introduit le thème de La Délivrance par la mort, le dernier de ceux que nous présente le Prélude, qui se termine ensuite par de nouvelles combinaisons des Leit-motifs déjà énoncés
[partition à transcrire]
[Au sujet du motif de La Délivrance, observons qu’il subit souvent des modifications profondes ; c’est ainsi que lorsque nous le retrouverons au début de la scène II du 3e acte, il aura revêtu la forme suivante :]
[partition à transcrire]
Scène i. — Le chant du jeune matelot, perché dans la mâture, n’est pas par lui-même un Leit-motif ; mais son troisième membre de phrase : La Mer,
[partition à transcrire]
en constitue un, dont l’emploi sera fréquent, et qui subira
les plus curieuses transformations. Ici, presque au début
de la scène I, c’est Iseult dépitée d’avoir à faire ce voyage
en Mer, dont le but ne lui est pas sympathique ;
quelques pages plus loin (quand arrive le ton de fa),
c’est bien le flegme et l’indifférence des matelots pendant
une longue et paisible traversée ; c’est le calme de La Mer ;
[à la scène iv, on approche de terre, on est joyeux, et c’est encore
le motif de La Mer qui est chargé de nous le dire :
Ailleurs, on le rencontrera sous bien d’autres formes, qui ne peuvent trouver leur place ici.]
Le motif de La Colère est facilement reconnaissable et expressif.
[partition à transcrire]
Scène ii. — Il en est de même de celui qui prédit d’une façon si lugubre La Mort de Tristan et les douleurs d’Iseult.
[partition à transcrire]
[S’il ne se répète pas toujours dans son entier, il est fréquemment représenté par l’une ou l’autre de ses moitiés, la première entraînant plus spécialement l’idée de Tristan, la deuxième celle d’Iseult, et de nombreuses allusions y sont faites au cours de l’ouvrage.]
Après divers retours, motivés par les épisodes scéniques, de plusieurs des thèmes importants qui nous sont déjà connus, notamment Le Regard, Le Désir, La, Mer sous la forme calme que j’ai signalée en troisième lieu, Le Breuvage d’amour, etc., la scène se termine par la narquoise chanson d’allure populaire de Kurwenal, dont le refrain, joyeux salut : Gloire à Tristan,
[partition à transcrire]
est repris en chœur par les matelots, mais une tierce plus
haut, par un amusant caprice de l’auteur.
Scène iii. — La scène iii ne fait connaître qu’un seul nouveau motif d’importance capitale, celui qui nous montre Tristan alors que, blessé, il fut soigné et sauvé par Iseult, Tristan blessé.
[partition à transcrire]
Ce motif, dont il sera fait un emploi considérable dans la suite du drame, subit en général peu de modifications dans sa forme mélodique, mais les dessins d’accompagnement avec lesquels il apparaît dans les diverses circonstances sont variés avec une admirable et inépuisable fécondité. En voici quelques exemples.
Le reste de la scène est tissé avec des motifs déjà connus, qui se présentent à peu près dans cet ordre : Gloire à Tristan, Le Désir, Le Regard, La Colère, Le Coffret magique, La Délivrance, Le Breuvage d’amour, Le Breuvage mortel, pendant qu’Iseult raconte à Brangaine la trahison de Tristan, et lui révèle ses sinistres projets.
Scène iv. — Après une apparition du motif de La Mer, sous sa forme gaie, reviennent successivement ceux de Tristan blessé, La Mort, Le Désir, Le Breuvage mortel, et enfin La Colère. Cette scène ne comporte pas de Leit-motif nouveau.
Scène v. — Les premiers accords de la scène v nous montrent Tristan héroïque venant saluer respectueusement sa souveraine.
[partition à transcrire]
Puis, pendant que se déroule l’action capitale de la
pièce, la substitution des philtres, vont défiler tous les
motifs du 1er acte, qui se termine par les acclamations du
peuple, avec une nouvelle forme du motif de La Mer.
Scène i. — Presque toute la 1re scène se développe
sur ce nouveau motif, d’une importance considérable, et
l’un de ceux que Wagner s’est complu à présenter sous
les aspects les plus variés et inattendus, après l’avoir
exposé dans sa forme la plus simple dès le début du
Prélude.
C’est Le Jour, ennemi des amours de Tristan et Iseult.
[Voici comment on le retrouvera à la scène ii, dans l’ensemble en la bémol, à trois temps :
et précédemment, dans le même duo, par diminution :
En voici une autre forme, très fréquente dans le même morceau,
et enfin le voici, cette fois par forte augmentation, tel qu’il est
présenté par Brangaine protégeant les amours de Tristan et Iseult :
Une chose à observer, c’est que les deux notes initiales de ce motif sont tantôt en rapport de 5te, tantôt en rapport de 4te ; dans le premier de ces deux cas, il a une ressemblance très marquée avec celui de Gloire à Tristan, dont il n’est, pour mieux dire, que la transposition en mineur.
Il subit encore beaucoup d’autres transformations, que je ne puis noter toutes ici, et qu’on aura plaisir à rechercher dans la partition.]
Dès la 9e mesure du Prélude se dessine le motif de L’Impatience, qui pourtant n’atteint sa forme définitive qu’à la 21e mesure :
[partition à transcrire]
[il trouvera son emploi principal lorsque Iseult, après avoir fait à
Tristan le signal convenu, l’attend anxieusement.]
À peine quelques mesures plus loin, ce motif, très légèrement modifié, se combine heureusement avec celui de L’Ardeur (qu’on nomme aussi l’Appel d’amour), d’une importance considérable dans tout cet acte ;
[partition à transcrire]
qui en change complètement le caractère. Il subit en
général peu de transformations, et il en est de même du
suivant, L’Élan passionné.
[partition à transcrire]
[que nous retrouverons pourtant, par augmentation et en partie
syncopé, à la scène ii, peu avant L’Invocation à la nuit :
Il reparaîtra encore, à la fin de l’ouvrage, pour servir d’accompagnement aux dernières paroles d’Iseult.]
Le Chant d’amour, qui forme la trame orchestrale de toute la partie de cette scène qui précède l’extinction de la torche, et dont l’allure tout italienne ne laisse pas de surprendre ceux qui n’ont pas encore remarqué combien elle est fréquente chez Wagner,
[partition à transcrire]
se représente ensuite très fréquemment dans le reste du
2me acte.
Parmi les thèmes déjà connus, ceux qui concourent spécialement à la structure musicale de cette 1re scène sont : Le Désir, Le Breuvage mortel, La Mort, L’Impatience, et ils se présentent à peu près dans l’ordre ci-dessus.
Scène ii. — Cette scène n’est qu’un long Duo d’amour (Brangaine dit bien quelques mots, mais elle est invisible, sur la tour) ; pendant le premier ensemble, la partie symphonique présente les plus beaux entrelacements des motifs de L’Élan passionné, de L’Ardeur ; plus loin reparaît le thème du Jour, celui de Gloire à Tristan, le Chant d’amour, le Breuvage mortel ; puis apparaît, d’abord sous cette forme provisoire, et fort peu après sous sa forme définitive, L’Invocation à la nuit, large et suave cantilène,
[partition à transcrire]
qui donne lieu à un deuxième et important ensemble, d’une
beauté saisissante.
Au cours de ce même ensemble, constamment soutenu
par un rythme syncopé plein de vie et de passion, où
transparaissent quelques notes du Jour, la phrase subit
de nombreuses et profondes modifications ; elle revêt
notamment cet aspect tout nouveau, résultant de
l’introduction de notes de passage, et d’une structure tout autre
de sa coupe harmonique, qu’on appelle quelquefois « La
nuit révélatrice ».
[Or, il faut noter que lorsque cette même phrase, avec ses notes de passage, mais par mouvement contraire, renversée, sera entendue au dernier acte, sa signification sera tout autre et entraînera l’idée du Soupçon.]
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]
Vers la fin apparaît le motif de La Mort libératrice, avec ses si curieuses dissonances. [qui réapparaîtra souvent dans le reste du drame, tantôt aux voix, tantôt à l’orchestre, rarement modifié en tant que contour mélodique, mais souvent avec des variantes harmoniques ou rythmiques.]
Aussitôt cet ensemble terminé, Brangaine, du haut de la tour, fait entendre le motif du Jour sous la forme indiquée page 320, puis arrive alors ce ravissant motif :
[partition à transcrire]
d’un charme pénétrant et
d’une suavité idéale,
exprimant si bien le bonheur
calme et La Félicité, [lequel ne sera jamais reproduit intégralement ; mais, outre les
répétitions partielles, de nombreuses allusions y seront faites, et il
sera fréquemment transformé ; je signale seulement ici l’une des
plus curieuses formes, à 5 temps et à la basse (3e acte, scène ii).]
Voici maintenant le superbe Chant de Mort sous les deux aspects qu’il revêt dans cette scène,
[partition à transcrire]
où il fournit un troisième et merveilleux ensemble.
[Dans la scène finale du drame, légèrement modifié, il servira de base au chant d’Iseult, jusqu’au moment où celle-ci, s’exaltant de plus en plus, trouvera son soutien dans le motif de L’Élan passionné.]
Après divers retours de La Félicité, de La Mort libératrice, du Breuvage mortel, du Jour,… la scène se termine par l’arrivée subite de Mélot et du roi Marke.
Scène iii. — Aussitôt apparaissent de nouveau les motifs de l’Impatience, du Chant de Mort, du Jour, puis deux autres thèmes, qui n’auront pas d’emploi ailleurs qu’en cette fin d’acte ; d’abord celui-ci, qui, très en dehors dans l’orchestre, souligne la peine profonde qu’éprouve le roi Marke en constatant la trahison de Tristan : c’est Le Chagrin de Marke,
[partition à transcrire]
(Le sentiment qui domine chez
l’excellent roi Marke, ce n’est pas
la colère, ce n’est pas la jalousie,
ce nest pas le désir de vengeance,
ni la haine : c’est une vive affliction, un profond chagrin : comme
c’est bien exprimé !)
puis, peu après, cet autre, qui caractérise sa
Consternation et peut-être aussi celle de Tristan :
[partition à transcrire]
La fin de cette scène est construite en grande partie à
l’aide de ces deux nouveaux motifs, avec de fréquents
rappels de La Colère, L’Aveu, Le Désir, La Félicité,
La Mort libératrice, et L’Invocation à la nuit.
Scène i. — Le Prélude nous transporte de suite au manoir de Tristan, au moyen d’un motif en exprimant admirablement La Solitude, qui ne sera employé qu’au début de ce dernier acte, mais dont les notes initiales ne sont pas sans une certaine analogie avec le motif déjà connu du Désir.
En l’analysant par fragments, on découvre dans ces premières notes le sentiment de la désespérance causée par la fatalité, auquel succède, dans la montée en tierces et quartes augmentées, l’image de la solitude, de l’infini de l’Océan ; un nouveau dessin exprime l’état de détresse et d’isolement où se trouve Tristan (voir p. 338) ; après un triple point d’orgue, les mêmes dessins se reproduisent, suivis, cette fois (au ff), des dernières notes de La Mort ;… puis la montée par tierces revient une troisième fois et forme le lien avec la 1re scène.
L’ensemble de ce Prélude, d’une profonde mélancolie, prédispose merveilleusement l’esprit au dénouement du drame.
[partition à transcrire]
Aussitôt le rideau levé, on entend, derrière la scène, un navrant solo de cor anglais sans aucun accompagnement, fort curieusement développé et expressif.
[partition à transcrire]
[Au début du 1er acte, un jeune matelot chantait dans les mâts du navire, et un fragment de sa chanson a fourni le motif de La Mer ; ici, c’est un pâtre qui joue sur son chalumeau un chant triste et plaintif, qui servira dans l’orchestre à accompagner une bonne partie du récit de Tristan en délire, après que le pâtre l’aura fait entendre une seconde fois.]
Cet autre motif est spécial au personnage de Kurwenal, dont il dépeint pittoresquement l’allégresse d’abord lorsque Tristan rouvre les yeux, comme plus tard lorsqu’il pense quiseult peut le guérir définitivement.
[partition à transcrire]
[Il apparaîtra encore au moment où Kurwenal s’élance sur la suite du roi Marke pour y trouver la mort, à la fin de la Scène iii.]
Le calme et paisible motif de Karéol, formant une opposition souriante à l’angoisse de l’action, n’apparaît que deux fois, et assez rapprochées, à l’orchestre, pour rappeler à Tristan le temps heureux de sa jeunesse.
[partition à transcrire]
À partir d’ici, tous les principaux Leit-motifs se pressent dans un tel enchevêtrement que leur énuraération deviendrait fastidieuse ; au surplus, on les a rencontrés déjà assez souvent pour les reconnaître facilement, soit à la lecture, soit à l’audition. Parmi les plus fréquents, on peut pourtant appeler l’attention sur : Gloire à Tristan, La Solitude, puis, après un retour de Karéol, L’invocation à la nuit, La Mort libératrice…
Un seul motif nouveau reste à signaler ; celui-ci aussi dépeint la Joie, mais il n’est pas, comme celui de L’Allégresse, spécialement attaché à un seul personnage ; il se rapporte aussi bien à la joie de Tristan qu’à celle de Kurwenal ; de Tristan lorsque, dans sa fièvre, il croit voir Iseult arriver, de Kurwenal lorsque celui-ci peut enfin, en frappant à mort le traître Mélot, venger son maître.
[partition à transcrire]
Les Scène ii et iii ne fournissent pas de motifs
nouveaux ; voici l’ordre dans lequel on retrouvera les
précédents, qui y fourmillent.
Scène ii. — L’Invocation à la nuit, Le Chant d’amour, La Délivrance, La Félicité, L’Ardeur, La Mort, Le Désir L’Aveu, Le Regard, La Mort libératrice, Le Chant de mort, Tristan blessé, Le Breuvage de mort…
Scène iii. — La Joie, Karéol, Le Chant de mort, L’Aveu,
Le Désir, L’Élan passionné,… et le rideau se referme sur
une dernière transformation du Désir.
En dehors de ces thèmes essentiels, il en est plusieurs d’une importance secondaire, mais pourtant d’un usage assez fréquent, tel le motif de L’Exaltation, apparaissant dès le 1er acte,
[partition à transcrire]
puis au 2e, au moment de l’arrivée de Tristan. Plusieurs
fois, il sert de développement au motif de La Colère.
Seulement à partir du 3e acte, mais dès le Prélude, on rencontre celui-ci, très expressif :
[partition à transcrire]
L’Anéantissement ne se présente que deux fois, sous des formes très distinctes, à la scène i, après la deuxième apparition de Karéol,
[partition à transcrire]
et tout à fait à la fin, presque aux derniers mots d’Iseult.
Celui-ci aussi, également à la scène i, arrivant fort peu après le précédent :
[partition à transcrire]
Cet autre, à la scène ii, devançant de quelques pages un charmant rappel de La Félicité :
[partition à transcrire]
Ce dernier enfin, aussitôt après la mort de Tristan.
[partition à transcrire]
On pourrait certainement en signaler beaucoup d’autres, mais ceux-ci me paraissent suffisants pour l’intelligence de l’œuvre ; d’ailleurs, en entrant dans cette voie, on ne saurait exactement où s’arrêter, et on arriverait finalement à trouver des Leit-motifs là où il n’y a que de la belle déclamation lyrique et des formes caractéristiques du langage musical de Wagner. L’essentiel, c’est que le lecteur sache qu’il lui en reste à découvrir qui, pour être secondaires, n’en sont pas moins intéressants.