Analyse de la religion chrétienne

La bibliothèque libre.
Analyse de la religion chrétienne
Œuvres de Du MarsaisPougin7 (p. 3-56).
ANALYSE
DE LA
RELIGION
CHRÉTIENNE.




De l’ancien Testament.

Je parcours d’abord les livres attribués à Moïse. Je commence par l’histoire de la création ; je trouve qu’elle n’est qu’un tissu de faits, qui choque toutes les lumières de ma raison. On n’a qu’à consulter le père Calmet et M. de Sacy ; l’on verra une partie des objections qui ont été faites par les divers critiques ; mais ce qui sans doute causera le plus d’étonnement, c’est la foiblesse des réponses qui ont été faites à ces objections ; je n’en parlerai cependant point, et je ne veux m’arrêter qu’à quelques-unes de ces fautes grossières et de ces contradictions auxquelles il n’y a point de réponse ; et même je ne ferai que les indiquer ou en parler très-succinctement, laissant à ceux qui trouveront que je ne dis pas assez, le soin de les rechercher dans l’original et de les examiner par eux-mêmes. Après que Dieu, pour punir la désobéissance d’Adam et d’Eve, les a chassés du paradis terrestre, Caïn tue son frère, et par conséquent reste seul dans le monde avec Adam et Eve ; et tout au plus avec quelques-uns de ses frères et sœurs dont l’Ecriture ne parle pas ; cependant malgré cela, il craint que les hommes ne le tuent, et Dieu lui-même, pour le rassurer, le marque d’un signe, le met à couvert de ce danger. Étrange précaution pour sauver un homme parricide, d’un péril imaginaire, tandis qu’il venoit de condamner à la damnation éternelle, ce même homme et tous ses descendans pour une faute que son père avoit commise avant qu’il fût au monde. Caïn banni et réprouvé, bâtit une ville, quoiqu’il n’y ait eu que lui pour l’habiter : mais ce seroit perdre du temps que de relever toutes les fautes de cette espèce, qui se rencontrent à chaque page de ces premiers chapitres de la Genèse.

Je ne m’arrêterai pas non plus à la description du déluge, ni de l'arche de Noé, dont les dimensions font voir l’impossibilité qu’il y avoit d’y placer et d’y nourrir la dixième partie des animaux qui devoient y être. Passons à des temps moins reculés ; nous verrons que Jacob avoit quatre-vingt-quatre ans, lorsque Lia lui fut donnée en mariage ; que Dina n’avoit que sept ans au plus, lorsqu’elle fut violée par Sichem ; que Siméon et Lévi avoient à peine onze à douze ans, lorsqu’ils passèrent eux deux seuls tous les habitans de Salem au fil de l’épée ; que Ruben, âgé à peine de treize ans, conjointement avec ses autres frères, tous au-dessous de dix ans, viennent ensuite piller la même ville et ses environs, dont ils emmènent captifs toutes les femmes et les enfans.

L’histoire de Juda et de Thamar mérite assurément qu’on y fasse attention ; on y verra que pendant l’espace de vingt-deux ans, Juda eut trois enfans l’un après l’autre d’une même femme ; que l’aîné fut marié à Thamar, qu’il mourut. Thamar épousa le second, qui mourut aussi ; que dans la suite Juda eut de sa bru Thamar deux jumeaux, l’un desquels fut aussi marié et eut des enfans : on voit quelle vraisemblance il y a que cela se soit passé dans l’espace de vingt-deux ans.

Les autres livres ne fourniront pas moins d’exemples de pareilles fautes. Il est dit au livre des rois[1], que Salomon édifia le temple quatre cents quatre-vingt ans après la sortie d’Egypte ; qu’on en fasse le calcul soi-même, suivant la durée de la vie et du gouvernement des juges et des rois, on trouvera plus de six cents ans.

Les richesses de Salomon, si l’on en croit le même livre, montoient à vingt milliards, après la mort de David : il y en ajouta encore deux depuis. Qui pourra jamais croire que le souverain d’un aussi petit état ait pu rassembler des sommes si immenses ? L’on dit que de compte fait, tout l’argent de l’Europe ne va pas à quatre milliards.

Qu’on tâche, s’il est possible, de concilier le quatrième livre des rois avec lui-même. Il est dit dans un endroit[2] que Joram, fils d’Achab, commença à régner la deuxième année du règne de Joram, fils de Josaphat ; et dans l’autre[3], que Joram, fils de Josaphat, commença à régner la cinquième année du règne de Joram, fils d’Achab. La simple exposition de ces deux passages suffit pour en faire sentir la contrariété.

Suivant le même livre[4], Ochosias étoit âgé de vingt-deux ans, lorsqu’il commença à régner ; et suivant le deuxième livre[5] des Paralipomènes, il avoit quarante-deux ans, lorsqu’il monta sur le trône.

Au premier livre d’Esdras, il y a une erreur de calcul qui saute aux yeux, dans le total des Israélites revenus de captivité ; il les fait monter à quarante-deux mille trois cens soixante, et en additionnant chaque somme en particulier, il ne s’en trouve que vingt-neuf mille huit cents dix-neuf.

Quelque peu importantes que paroissent ces remarques, elles prouvent invinciblement que les livres sacrés sont sujets à des fautes grossières qui se rencontrent rarement dans les autres historiens, et que par conséquent leurs auteurs n’étoient point inspirés de Dieu, ou qu’ils ont été altérés depuis ; ce que l’on ne doit point croire, puisque, s’ils sont véritablement émanés de Dieu, et qu’ils doivent faire la règle de notre croyance, Dieu ne peut pas avoir permis qu’il y soit arrivé aucune altération.

Mais du moins, dira-t-on, regardons les auteurs sacrés comme des historiens de bonne foi qui ont fait des fautes, parce que c’est le caractère de l’humanité ; les fautes ne doivent point empêcher qu’on ajoute foi aux principaux faits qu’ils rapportent et dont ils ont été témoins oculaires. J’y consens ; mais alors ils seront soumis à la même critique que les autres écrivains ; ne les regardant plus comme dictés par l'esprit de Dieu, je demanderai les mêmes preuves pour les croire, que je demande à tous les autres, et je commencerai par examiner quels sont ces écrivains, et s’ils sont assez connus, assez éclairés et assez désintéressés pour que j’aye une confiance aveugle à tout ce qu’ils me diront.

Commençons par l’ancien Testament ; nous en trouverons deux exemplaires, qui jusqu’au concile de Trente, ont été également respectés dans l’église. L’un est rédigé et traduit par S. Jérôme, et se nomme la Vulgate : c’est à cette traduction que le concile a donné la préférence. L’autre est la version des Septante. S. Justin nous raconte avec une confiance admirable que les interprètes enfermés chacun séparément, traduisirent miraculeusement la Bible mot à mot de la même manière ; je le veux : ces deux versions doivent donc avoir une entière conformité entre elles : il s’en faut bien cependant, elles se contredisent en mille endroits et sur les points les plus essentiels. La Vulgate ne compte depuis Adam jusqu'au déluge, que mille six cents cinquante-six ans ; les Septante en comptent deux mille deux cents soixante-deux ; ils donnent cent ans de vie plus que la Vulgate, à chacun des ancêtres d’Abraham, et mettent une génération de plus en introduisant un certain Caïnam dont la Vulgate ne parle pas.

Si l’on examine sans prévention, quelle est la cause de cette grande différence, on trouvera que ce ne fut point une erreur d’inadvertance, mais une fraude nécessaire, sans laquelle la religion juive étoit à deux doigts de sa perte. Ptolomée voulut faire traduire la Bible en grec ; ce livre alloit paroître aux yeux d’une nation éclairée, il fallut donc en concilier la chronologie autant qu’on pouvoit avec celle des Grecs ; et l’on fut obligé de reculer considérablement le déluge, parce que les histoires grecques remontant plus haut que le temps auquel il étoit fixé dans l’hébreu, la fausseté en auroit été démontrée sur le champ. C’est la même raison qui fait qu’encore aujourd’hui les missionnaires qui vont à la Chine, sont obligés de se servir de la traduction des Septante, malgré la décision du concile de Trente, parce que les histoires chinoises sont beaucoup plus anciennes que le temps auquel nous fixons le déluge suivant la Vulgate.

Disons encore un mot d’un autre exemplaire des livres de Moïse, qui est connu sous le nom de Pentateuque Samaritain ; il contient à peu près les mêmes faits que les cinq premiers livres des Septante et de la Vulgate ; mais il nous fournit de nouvelles preuves de l’infidélité répandue dans tous ces ouvrages. On y trouve des contradictions sans nombre avec la Vulgate et avec les Septante.

Pour n’en rapporter qu’un seul exemple, nous venons de voir que la Vulgate ne compte que 1656 ans depuis la création jusqu’au déluge, et que suivant les Septante, il y en a 2262. Le Pentateuque Samaritain va encore plus loin et en compte 2309. Ainsi l’on voit le peu de fonds qu’il y a à faire sur des ouvrages où il se rencontre si peu d’exactitude.

Examinons maintenant quels sont les auteurs de ces écrits si respectables ; nous verrons qu’il n’en est presque aucun qu’on puisse assurer être l’ouvrage de celui dont il porte le nom ; la plupart même de ces livres ont été successivement approuvés ou rejetés par différentes églises, et par la même en différens temps ; tel a été le sort de Judith, de l’Ecclésiaste, du livre de la Sagesse, de Daniel, d’Esdras. Plusieurs livres du nouveau Testament ont été dans le même cas, comme l’évangile de S. Jean, l’épître de S. Jude, celle de S. Paul aux Hébreux, l’Apocalypse et plusieurs autres. Aucun concile avant celui de Trente, n’a fixé le canon des livres sacrés. S. Jérôme dit que l’église grecque doutoit de la catholicité de l’Apocalypse. S. Bazile et S. Grégoire de Nice la rejettèrent. Denis d’Alexandrie l’attribua à un autre auteur. Jusqu’à Trajan, les apocryphes étoient confondus avec les autres évangiles. S. Irenée est le premier qui ait parlé de quatre évangélistes seulement. On voit dans le premier tome des conciles du père Labbe, page 84, une preuve de l’embarras où se trouvèrent les pères du concile de Nicée, pour démêler les apocryphes : il rapporte l’extrait du petit livre synodique, qui est à la fin des actes du concile, et on y voit qu’y ayant plusieurs livres apocryphes confondus avec les livres sacrés, les pères du concile proposèrent de mettre tant les uns que les autres sur l’autel, et de prier Dieu que ceux qui ne seroient pas authentiques tombassent dessous : ce qui fut fait. Il y a apparence néanmoins que cet expédient ne décida pas absolument la question ; car ce ne fut qu’en 380, que le concile de Laodicée rejeta entièrement les apocryphes. Les Alogiens, qui étoient une secte du christianisme naissant, soutenoient que l’évangile de S. Jean étoit supposé. Le troisième et quatrième livre d’Esdras, qui avoient toujours été au nombre des livres canoniques, ont été rejetés par le concile de Trente. Parmi tant de différentes opinions et d’incertitudes, pouvons-nous vraisemblablement penser que tous les livres compris dans le canon qui est reçu aujourd’hui, soient authentiques, et que ceux qui sont maintenant rejetés soient faux ou supposés ? Non, sans doute ; il faut les examiner nous-mêmes, et proportionner la confiance que nous devons avoir, au degré d’autorité dont ils sont revêtus.

Pour commencer par les cinq premiers livres de la Bible ; il est démontré qu’ils ne sont point de Moïse. Premièrement, on y trouve la fin de sa vie, et ce qui est arrivé en Israël depuis sa mort. Secondement, il est toujours parlé de Moïse à la troisième personne. Son éloge se trouve en plusieurs endroits. Enfin, il est dit dans la Genèse :[6] « ce sont ici les rois qui ont régné en Edom, avant qu’aucun roi régnât sur les enfans d’Israël » ; ce qui prouve clairement que ce livre a été écrit au temps des rois d’Israël. La brièveté m’empêche de rapporter un plus grand nombre de preuves qui font voir que cet ouvrage est beaucoup postérieur au temps de Moïse : si on en veut un détail plus circonstancié, on n’a qu’à parcourir les traités des cérémonies superstitieuses des Juifs, on y trouvera amplement de quoi se satisfaire.

Le livre de Josué est dans le même cas ; il a en lui les mêmes preuves de supposition ; celui des juges, les deux de Samuel, ou les quatre livres des rois, sont tout aussi peu des auteurs dont ils portent le nom ; les preuves de ce que j’avance, sont exposées trop clairement dans les livres que je viens de citer, pour que j’entre ici dans un plus grand détail. L’auteur qui étoit juif et qui connoissoit à fond la langue hébraïque, y éclaircit une infinité de difficultés qui sont hors de la portée de ceux qui n’en ont pas fait une étude particulière.

On est dans un doute beaucoup plus universellement reçu sur les livres des Juges, ceux des Rois, de Judith, de Tobie, de Ruth, de l’Ecclésiaste, de la Sagesse et de la plupart des prophètes. Nous ignorons absolument quels sont les auteurs de presque tous ces livres : et je n’en veux pour témoins que le père Simon, le père Calmet, M. le Clerc, et tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet avec le plus de succès et l’approbation la plus générale. D’où tenons-nous donc ces livres ? qui nous les a transmis ? qui les a attribués à ceux dont ils portent le nom ? qui est-ce qui les a assemblés et rangés dans l’ordre où ils sont aujourd’hui ? je ne veux pour répondre à toutes ces questions, que consulter les livres mêmes.

Esdras[7] nous apprend que dans la captivité, d’où le peuple d’Israël revint sous sa conduite, tous les livres de la Loi furent brûlés, et que ce fut lui qui, avec cinq autres personnes, les écrivit tous. A la vérité il ajoute que l’esprit de Dieu les lui dicta, et qu’il les refit précisément tels qu’ils étoient auparavant. Il est inconcevable qu’une aussi foible autorité soit l’unique fondement du respect qu’on exige de nous pour cet ouvrage merveilleux. Le livre que nous venons de citer, existe pourtant ; il est entre les mains de tout le monde ; il est au nombre des livres sacrés, et a été regardé comme canonique jusqu’au concile de Trente ; on en sentit alors la répugnante conséquence, et les deux derniers livres d’Esdras ne furent point insérés dans le canon publié par le concile : mais ils se trouvent dans toutes les Bibles, soit manuscrites, soit imprimées, avant le quinzième siècle ; et il est aisé d’imaginer les raisons qu’on a eu de les supprimer. Voilà donc les seuls fondemens et la seule autorité sur laquelle est établie l’autorité des livres de l’ancien Testament. Je sais qu’on répond à cela, que le Pentateuque Samaritain dont nous avons parlé, justifie Esdras, et fait voir que ces livres sacrés ne sont pas de son invention. Je le crois sans peine, et je ne doute pas qu’il ne les ait rétablis du mieux qu’il lui a été possible. Peut-on alors y avoir la même confiance qu’on auroit à des ouvrages originaux ? et les contradictions qui se trouvent entre la traduction des Septante, la Vulgate et le Pentateuque Samaritain, ne fournissent-elles pas les plus forts argumens contre l’exactitude tant des unes que des autres ?

Du nouveau Testament.

Voyons maintenant si l’autorité du nouveau Testament a quelque chose de plus réel et de moins incertain. Les faits dont il parle se sont passés dans un siècle moins reculé et plus instruit ; nous pouvons facilement nous éclaircir de la vérité. J’apprends dans ce livre que le Messie est né d’une vierge, sous le règne d’Auguste, au milieu de la Judée, qui étoit soumise à l’empereur romain ; je vois que sa vie n’est qu’un assemblage de miracles éclatans faits aux jeux d’une multitude et non-seulement d’un peuple en particulier, mais de l’univers entier ; puisque je vois une étoile quitter sa route ordinaire pour conduire les Mages, le soleil s’obscurcir, les morts ressusciter, etc.

La première idée qui se présente à moi, est d’aller chercher dans les historiens contemporains, de quelle manière ils rapportent des faits si surprenans, et quelle raison ils peuvent alléguer pour avoir persisté dans leur aveuglement, et s’être refusés à la vérité qui se présentoit à eux d’une manière si éclatante. Mais je suis bien surpris de voir que quoique ce siècle soit un des plus féconds en historiens et en auteurs de tout genre, aucun n’a parlé de ces miracles ; ils ignorent même jusqu’au nom de celui que nous disons en être l'auteur. Ces mêmes historiens[8], qui ne nous ont pas laissé ignorer qu’il avoit plu des pierres dans la Syrie, qu’on avoit vu des armées combattant dans les nuées ; enfin qui nous ont raconté cent prodiges ridicules qui n’existoient que dans l’imagination des peuples ; ces mêmes gens ne nous ont rien dit des miracles qui s’opéroient de leur temps aux yeux de toute la terre.

Hérode fait, dit-on[9], massacrer tous les enfans au-dessous de trois ans. Une pareille inhumanité n’est rapportée par personne. Un seul évangéliste en parle.

Saint Luc paroit même le contredire en disant[10], qu’aussitôt après la purification, Joseph et Marie retournèrent à Nazareth, d’où ils alloient tous les ans à Jérusalem, au lieu que S. Mathieu les fait demeurer trois ans en Egypte, pour se dérober à la persécution d’Hérode. Dira-t-on qu’une action si folle et si barbare pouvoit être ignorée, et qu’elle n’étoit pas assez importante, pour que les historiens daignassent la transmettre à la postérité ? Je doute qu’on puisse faire une pareille réponse de bonne foi, ni qu’on puisse regarder comme une preuve de ce fait le témoignage de Macrobe[11], qui n’écrivoit que quatre cents ans après, et lorsque le christianisme étoit connu de tout le monde.

Une piscine miraculeuse[12] existe au milieu de Jérusalem ; un ange vient de temps en temps troubler l’eau, et le premier malade qui s’y plonge, est guéri. Ce fait mérite quelque attention, et ce ne sera point charger un ouvrage de minuties que d’en faire mention ; cependant, il n’en est parlé que dans S. Jean, et il le raconte comme un fait tout simple, à l’occasion d’un miracle de Jésus-Christ.

Je veux bien supposer, contre toute vraisemblance, que des faits aussi publics ont été ignorés des historiens romains ; que pourra-t-on répondre au silence de Josephe, cet historien juif qui écrivoit cent ans après Jésus-Christ, et dans le lieu même où toutes ces merveilles avoient été opérées ? Cependant il n’en dit pas un mot, il ne parle pas même de Jésus ; si l’on excepte deux lignes qui ne disent rien, et qui se trouvent dans les exemplaires imprimés de Josephe, mais qui par l’aveu d’un grand nombre des plus zélés défenseurs de la religion, sont ajoutées au texte, et doivent être mises au rang de ces fraudes, que les premiers chrétiens se permettoient si facilement, et qu’on est contraint de désavouer tous les jours.

Mais, me dira-t-on, les évangélistes auraient-ils osé avancer des faits sur lesquels il étoit si facile de les convaincre de mensonge, et n’auroient-ils pas craint de ruiner leur cause, en affirmant des choses dont on pouvoit démontrer la fausseté ? Il y a deux réponses à cette objection : 1°. Il ne faut pas croire que les relations de la vie de Jésus-Christ, fussent alors aussi publiques qu’elles le sont devenues depuis, lorsqu’elles ont commencé à former la base de la religion chrétienne ; c’étoit des mémoires qui se lisoient dans les assemblées des premiers sectateurs ; on les copioit, on les réformoit, on y changeoit, on y retouchoit même en entier ceux qui s’éloignoient trop grossièrement des autres ; en sorte que ce n’est qu’après bien des corrections, que les évangiles sont parvenus dans l’état où ils sont ; il sembleroit du moins que nous représentant toute la vie d’un même homme, ils doivent être entièrement conformes les uns aux autres ; bien loin de cela, ces différentes relations ont si peu d’exactitude, que dans les faits les plus positifs, elles ne s’accordent point. Nous verrons dans la suite plusieurs exemples très-singuliers de ces sortes de contradictions.

La seconde réponse est que sitôt que ces ouvrages commencèrent à être connus, plusieurs savans les combattirent. L’ardeur industrieuse des chrétiens ne négligea rien pour supprimer les écrits de leurs adversaires ; et à peine savons-nous aujourd’hui les noms de ceux qui se sont opposés à l’établissement du christianisme ; nous ne les connoissons presque que par les écrits des chrétiens qui avoient entrepris de leur répondre, et qui ne nous ont conservé quelques-unes de leurs objections, que parce qu’ils ont prétendu y avoir parfaitement répondu. Je crois cependant que si nous avions les écrits de Celse, de Porphire, de Jamblique, d’Eunape, de Julien et d’une infinité d’autres, dont les noms sont parvenus jusqu’à nous, nous trouverions les réponses des pères bien foibles, du moins si l’on en juge par celles qui nous restent, et qu’ils ne nous ont laissées, que parce qu’ils ont cru qu’elles étoient sans réplique.

Il est vrai cependant, que ces objections ont fait disparoître et regarder comme apocryphes un grand nombre d’écrits, qui dans les premiers siècles étoient au même rang que ceux qui nous sont demeurés. On comptoit dans les premiers siècles du christianisme jusqu’à trente neuf évangiles. On voit bien par le premier et le second verset du chap. 1er. de S.Luc, que beaucoup de gens se mêloient d’écrire la vie de Jésus-Christ. Les choses demeurèrent assez long-temps dans cet état, et S. Irenée[13], est le premier qui ait parlé de quatre Evangélistes seulement. Il y avoit pareillement plusieurs recueils des actes des apôtres, et plus de soixante apocalypses. Il nous reste plusieurs fragmens de différens écrits qu’on peut voir dans le recueil des Fabricius. Mais revenons à l’examen des miracles de l’évangile.

Nous venons de voir que les plus grands ne sont confirmés par le témoignage d’aucun historien contemporain. Mais supposons qu’ils les ayent ignorés, peut-on croire que les Juifs qui ont dû en être témoins oculaires, ne se soient pas rendus à l’évidence même, et ayent pu traiter Jésus avec ignominie comme un séducteur et un perturbateur du repos public ? On me répond que cette ignominie même prouve la divinité de Jésus, puisqu’elle est prédite par les prophètes ; et on ajoute que la vie de Jésus-Christ n’est qu’un tissu d’événemens dont chacun est l’accomplissement des prophéties de l’ancienne loi. Je nie formellement que les Juifs ayent jamais pu penser que le Messie dût être traité ignominieusement et mis à mort ; au contraire ils l’attendoient comme un héros qui devoit conquérir toute la terre et lui faire porter le joug de la Judée. C’est de cette sorte que tous les prophètes l’annonçoient ; et cette idée s’accorde parfaitement avec les biens temporels qui doivent être la seule récompense des Juifs, dans la loi de Moïse. Je conviens qu’il y a des passages où il est dit que le Messie sera méconnu et méprisé par son peuple ; mais il y a ici une équivoque, qu’il faut éclaircir. Le nom de Messie que les chrétiens ont si hardiment appliqué à Jésus seul, étoit un nom général, qui se donnoit à tous ceux qui passoient pour être envoyés de dieu. Il ne signifie autre chose qu’envoyé ; et dans ce sens il s’applique à tous les prophètes qui exhortoient les Juifs à quitter l’idolâtrie et à rentrer dans la loi de Moïse. Ces prophètes souvent éprouvèrent la fureur du peuple, et c’est l’exemple qu’ils en voyent qui leur a fait dire en quelques endroits que l’envoyé de dieu seroit en opprobre, afin que si pareil malheur leur arrivoit à eux-mêmes cela pût être regardé comme un accomplissement de ce qu’ils avoient prédit. Mais le véritable Messie qu’ils attendoient, qui devoit les affranchir pour jamais de toutes leurs captivités, devoit selon eux être le vainqueur de toutes les nations et faire respecter le nom juif par toute la terre.

Il est si vrai que telle étoit l’opinion des Juifs, qu’environ cent ans après, un nommé Barkokebas, voulant passer pour le Messie, ne manqua pas de se conformer à cette idée ; il se mit à la tête d’une armée, se révolta contre les Romains, et s’il n’avoit pas été vaincu par l’armée d’Adrien, il auroit sans peine été reconnu pour le Messie, d’autant plus qu’il paroissoit en avoir tous les caractères. Il prophétisoit, il faisoit des miracles, et faisoit quadrer quelques prophéties avec le temps de sa venue. Les premiers chrétiens, pour soutenir leur cause, firent plusieurs écrits contre ce nouveau Messie ; ils voulurent le faire passer pour l’Anté-Christ ; il est visible que l’apocalypse de S. Jean n’a pas d’autre objet : si cet ouvrage méritoit d’être examiné avec attention, on en trouveroit plusieurs preuves ; comme lorsqu’on reproche à l’Anté-Christ[14] qu’il mutile ses frères et qu’il les marque au front ; parce qu’effectivement Barkokebas en usoit de la sorte, afin que ceux qui avoient suivi son parti, ne fussent plus en état de l’abandonner sans être connus. Nous venons de voir que le nom de Messie n’a aucune application qui soit particulière à Jésus ; disons la même chose du nom de Christ ; ce mot fait illusion à bien des gens ; mais il est une nouvelle preuve que les Juifs attendoient le Messie libérateur comme un roi ; car il ne signifie autre chose que Oint, qui est le caractère distinctif de la royauté ou du commandement. C’est en ce sens que Cyrus est appelé dans l’écriture le Christ du seigneur et que Jonathas Machabée est véritablement désigné sous le nom de Christ, dû au conducteur du peuple. Abraham et Isaac sont appelés du même nom en plusieurs endroits de la Genèse. Ainsi donc on ne peut pas dire, que ce soit Jésus que les prophètes ont eu en vue, lorsqu’ils se sont servis des termes de Christ et de Messie, et je crois qu’on peut regarder ce fait comme une vérité incontestable.

Voyons maintenant si ces écrits sont du moins revêtus de quelque autorité qui puisse les faire regarder comme des histoires exactes. Servons-nous dans cet examen des mêmes moyens que nous employerions pour découvrir la vérité d’une histoire ordinaire. Comparons les évangélistes entre eux et avec les autres contemporains ; enfin faisons le plus brièvement qu’il nous sera possible, à l’égard du nouveau testament, ce que nous avons fait à l’égard de l’ancien. Nous n’irons pas loin, sans trouver des faussetés prouvées, des impossibilités physiques et des contradictions formelles, qui détruisent également l’autorité des uns et des autres de ces écrivains. La généalogie de Jésus, qui est certainement un des points fondamentaux de le religion, nous en fournit un exemple bien singulier, et si extraordinaire, qu’on auroit peine à le croire, s’il n’étoit pas aussi facile de le vérifier. S. Mathieu et S. Luc en donnent chacun une différente ; et pour qu’on ne croye pas que ce sont de ces différences légères, qu’on peut attribuer à méprise ou inadvertance, il est aisé de s’en convaincre par ses yeux en lisant Mathieu, au chapitre premier, et Luc, au chapitre troisième. On verra qu’il y a quinze générations de plus dans l’une que dans l’autre ; que depuis David elles se séparent absolument ; qu’elles se réunissent à Salathiel ; mais qu’après son fils elles se séparent de nouveau et ne se réunissent plus qu’à Joseph.

Dans la même généalogie, S. Mathieu tombe encore dans une contradiction manifeste ; car il dit qu’Osias étoit père de Jonatan ; et dans les Paralipomènes, liv. Ier, chap. III , vers. 11 et 12, on trouve trois générations entre eux, savoir : Joas, Amasias, Azarias, desquels Luc ne parle pas plus que Mathieu. De plus, cette généalogie ne fait rien à celle de Jésus, puisque, selon notre loi, Joseph n’avoit eu aucun commerce avec Marie.

Mais, me dira-t-on, est-ce qu’on ne répond rien à ces difficultés ? Etes-vous le premier qui les ait faites ? Non sans doute, elles ont été faites plus d’une fois ; et voici quelques-unes des réponses : les uns ont dit que l’un des deux évangélistes avoit apparemment donné la généalogie de la Vierge sous le nom de Joseph ; d’autres, que les deux généalogies étoient sans doute, non par filiation, mais par adoption ; plusieurs ont dit que S.Mathieu avoit à dessein supprimé quelques rois à cause de leur impiété. Oléarias, savant critique, prétend que Saint Mathieu n’a voulu donner qu’un abrégé de la généalogie de Jésus-Christ, et qu’il l’a réduite ainsi pour la rendre plus facile à apprendre par cœur. On a peine à croire que de pareilles réponses aient été faites sérieusement ; ce sont là cependant les meilleures et presque les seules. S. Luc dit[15] que Cirénius avoit le gouvernement de Syrie, lorsque Auguste fit faire le dénombrement de tout l’empire. On va voir combien il se rencontre de faussetés évidentes dans ce peu de mots. 1°. Tacite et Suétone, les plus exacts de tous les historiens, ne disent pas un mot du dénombrement, qui assurément eût été un événement bien singulier, puisqu’il n’y en eut jamais dans tout l’empire ; du moins aucun auteur ne rapporte qu’il y en ait eu. 2°. Cirénius ne vint dans la Syrie que dix ans après le temps marqué par Luc ; elle étoit alors gouvernée par Quintilius Varus, comme Tertulien le rapporte, et comme il est confirmé par les médailles.

S. Mathieu[16] cite quelquefois à faux des passages de l’ancien testament, témoin celui d’une prophétie qu’il rapporte pour être de Jérémie, et qui ne s’y trouve point, mais dans Zacharie[17] ; ce qui prouve une altération dans le prophète ou dans l’évangéliste. Rien n’est si incertain que la naissance de Jésus-Christ ; on compte plus de quarante opinions différentes sur cette époque. La plus commune est qu’il naquit l’an de Rome 748 ; ce qui ne peut s’accorder avec S. Luc, qui dit qu’il avoit trente ans, lors de la treizième année du règne de Tibère. Cette difficulté a tellement embarrassé les commentateurs, qu’il y en a qui comptent les années de son adoption pour celles de son règne ; ce qui, cependant, ne s’accorde pas mieux avec l’époque ordinaire. L’heure, le mois, la saison de cette naissance, sont aussi peu connues que l’année ; et c’est sur cette tradition sans fondement qu’on l’a placée la nuit du 25 décembre.

L’année de la mort de Jésus-Christ est encore une source de disputes parmi les chronologistes ; et il est bon de faire voir à cette occasion la fausseté d’un fait avancé par quelques défenseurs de la religion chrétienne ; ils disent que les ténèbres arrivés à la mort de Jésus, suivant les écrivains évangélistes, furent aperçues de toute la terre, et que Phlégon en parle dans ses chroniques ; comme ce point est assez important, il est bon de l’éclaircir le plus exactement qu’il nous sera possible.

L’ouvrage de Phlégon ne subsiste plus ; le plus ancien auteur qui en parle est Julius Africain, qui vivoit quatre-vingt-six ans après lui : il dit simplement que Phlégon rapporte qu’il y eut une éclipse totale sous le règne de Tibère. Origène en parle un peu plus au long dans son commentaire sur Saint Mathieu ; mais il n’en désigne point l’année, et il ne paroît pas convaincu que cette éclipse ait aucun rapport avec les ténèbres de la mort de Jésus. Il est vrai que, dans son traité contre Celse, il change d’opinion, et croit que c’étoit le même phénomène, mais il n’en rapporte aucune preuve. Eusèbe va plus loin, dans sa chronique sur la quatrième année de la 202e olympiade ; il rapporte le passage de Phlégon que voici : « La quatrième année de la 202e olympiade, il y eut la plus grande éclipse de soleil qu’on eût jamais vue ; il faisoit nuit à la sixième heure, et on voyoit les étoiles. Un grand tremblement de terre dans la Bithinie renversa presque toute la ville de Nicée. » Voilà ce que nous avons de plus précis sur ce passage, et l’on voit que Phlégon regardoit ces ténèbres comme une véritable éclipse.

Philoponius cite aussi le passage, et en parle de la même manière ; mais en deux endroits, il la place à la deuxième année de la 202e olympiade, et en deux autres, à la cinquième, au lieu que nous venons de voir qu’Eusèbe dit que c’est à la quatrième. On ne peut donc assurer, par le témoignage des auteurs qui parlent de cette éclipse, quelle année elle arriva, et il importe peu de le savoir, puisque Phlégon n’en parle que comme d’une éclipse naturelle ; ce qui ne peut avoir aucun rapport avec les ténèbres qu’on dit être arrivées à la mort de Jésus-Christ : car, selon tous les évangélistes, elle arriva au temps de la pleine lune ; ce qui ne peut se concilier avec une éclipse de soleil.

Comme ce fait est un de ceux qui ont été le plus débattus, on ne s’en est pas tenu aux éclaircissemens qu’on pouvoit tirer des discussions chronologiques, on a eu recours à l’astronomie ; et suivant les calculs de Kepler, de MM. Hogoson et Haley, et de plusieurs autres, il y a eu, la première année de la 202e olympiade, une éclipse de soleil à Jérusalem et au grand Caire, et le soleil fut entièrement dans l’ombre à l’heure marquée par Phlégon, c’est-à-dire, à midi et quelques minutes ; ce qui ne laisse aucun doute que ce ne soit de celle-là qu’il parle ; et pour éclaircir entièrement cette difficulté, il ne faut que supposer que dans la supputation d’Eusèbe, ou dans le texte de Phlégon, il s’est glissé un delta pour un alpha ; ce qui fait la quatrième année au lieu de la première. Si l’on vouloit examiner l’heure à laquelle arrivèrent les ténèbres, on trouveroit encore de nouvelles difficultés pour les contradictions qui se trouvent dans les évangélistes. S. Jean[18] dit que Jésus-Christ fut condamné à la sixième heure, et S. Marc[19] dit qu’il fut mis à la croix à la troisième. Les pères se sont donné bien de la peine pour concilier ces deux passages. S. Augustin répond à cette difficulté, en disant que Jésus fut crucifié à la troisième heure, mais que ce fut par les langues des Juifs qui demandoient sa mort, quoiqu’il ne le fut réellement qu’à la sixième. Voyez le P. Calmet sur S. Mathieu ; on y trouve un recueil de toutes les extravagances qui ont été dites à ce sujet.

Je me suis borné au petit nombre d’exemples qui suffisent pour faire voir que les écrits évangéliques ne sont point émanés de Dieu, puisqu’ils sont remplis d’erreurs, de contradictions et de faussetés manifestes, et qu’on ne doit les mettre qu’au rang des histoires ordinaires ; encore ne les doit-on croire que lorsqu’elles nous racontent des choses vraisemblables et qui ne sont point contredites par les auteurs contemporains ; c’est là tout ce que nous accordons aux historiens les plus dignes de foi, et c’est en effet tout ce qu’on peut exiger de nous en faveur de l’historien le plus accrédité.

Voyons si les auteurs de l’évangile méritent que nous ayons cet égard pour eux, et si nous devons avoir aussi pour eux le même degré de confiance que nous avons pour Tite-Live, Tacite, César, et d’autres auteurs contemporains.

Nous avons quatre histoires de la vie de Jésus-Christ , attribuées à quatre différens écrivains dont elles portent le nom. Mais si l’on examine la chose avec attention, on y va trouver bien des difficultés et des incertitudes. On ignore absolument qui étoit Marc, et les gens un peu versés le regardent comme un compilateur et un abréviateur de Mathieu, dont il a le plus souvent les phrases et les expressions. On croit que Luc dont il est parlé dans les actes des apôtres, est auteur de l’évangile qui porte son nom, mais on n’en a pas la moindre preuve. Une partie des chrétiens du premier siècle ont soutenu que l’évangile de Jean étoit supposé. L’original de l’évangile de Mathieu n’existe plus depuis long-temps ; nous n’en avons qu’une traduction faite par Saint Jérôme, et il paroît par un passage de cet évangile, que l’auteur n’a écrit que long-temps après la mort de Jésus-Christ ; car il dit[20] que le sang innocent sera imposé aux Juifs, depuis celui d’Abel jusqu’à celui de Zacharie, fils de Barachias, qui a été tué entre le parvis et l’autel. Qu’on lise le père Calmet sur ce passage, il prouve qu’il ne peut s’appliquer à aucun Zacharie mort avant Jésus-Christ, mais à un Zacharie fils de Barachie, qui fut effectivement tué entre le parvis et l’autel, au rapport de Josephe ; et pour sauver la difficulté qui en résulte, il prétend que Jésus dit cela par esprit prophétique, et qu’il parle d’un certain Zacharie qui doit périr de la sorte. Mais s’il avoit déjà été tué réellement, que doit-on penser d’une telle réponse ? et les gens sensés ne croiront-ils pas que l’auteur de cet évangile est postérieur à la mort de Zacharie ? Nous avons déjà dit qu’il y avoit autrefois un plus grand nombre d’évangiles qui sont mis aujourd’hui au rang des apocryphes. Pourquoi ont-ils été pendant plusieurs siècles en aussi grande vénération que les autres ? et pourquoi ont-ils été rejetés dans la suite ? la morale en étoit-elle différente ? non. Voici ce qui les a fait retrancher du canon.

Après la mort de Jésus-Christ, ses sectateurs ou ses disciples, publièrent un grand nombre de relations de sa vie ou de ses miracles. Le mot d’évangile ne signifie autre chose que bonne nouvelle ; ce qui ne veut pas dire nouvelle agréable ou heureuse, mais ' nouvelle véritable ou histoire véritable. Chaque écrivain paroit sa relation de ce titre, pour s’attirer la confiance des lecteurs. Ces relations se contredisoient néanmoins en une infinité d’endroits. Les plus sages d’entre les premiers chrétiens sentirent que cette diversité de témoignages fournissoit contre eux un argument invincible ; ils s’assemblèrent[21] et choisirent entre toutes ces histoires, celles qui avoient le plus de rapport entre elles, ou se contredisoient le moins ; ils les adoptèrent et déclarèrent les autres apocryphes. On trouve dans plusieurs de ces apocryphes qui sont parvenus jusqu’à nous, des passages qui sont cités par les anciens pères, parce qu’ils étoient alors au même rang que les autres, et que leur zèle aveugle leur faisoit adopter tout ce qui avoit rapport à l’histoire de Jésus.

Quelques-uns même[22] n’ont pas fait de difficulté de s’appuyer de l’autorité des Sibylles, qui sont, de l’aveu de tout le monde, un ouvrage postérieur à Jésus, et fabriqué dans un temps d’ignorance par quelques-uns des premiers chrétiens. S. Jude[23] parle d’un combat de l’archange Michel avec le diable, pour le corps de Moïse, ce qui est tiré des apocryphes. S. Augustin et S. Epiphane rapportent le défi que Simon fit à S. Pierre, et qui ne se trouve néanmoins dans aucun des livres réputés aujourd’hui canoniques, avant qu’on eût rejeté les premiers, à cause du peu de fondement et de leur peu de conformités avec ceux qu’on a conservés comme les meilleurs, et qu’on a qualifiés de canoniques. Une autre raison contribue encore à faire rejeter ces écrits par les gens sensés ; c’est qu’ils contiennent une infinité de prodiges ridicules et puérils. L’évangile de l’enfance par exemple, nous raconte que[24] Jésus punit de mort des enfans de son âge qui se moquoient de lui, parce qu’il faisoit moins bien qu’eux des petits oiseaux d’argile ; il anime ensuite les mômes oiseaux et les fait envoler. Il rend à un homme le pouvoir de consommer son mariage, qui lui avoit été ôté par maléfice. Il rend[25] la première forme à un jeune homme qu’une magicienne avoit changé en mulet. Il allonge, en tirant par les deux bouts, un marchepied du trône d’Hérode, que Joseph avoit fait trop court. Il dessèche la main d’une femme qui veut vérifier la main de Marie. J’ai honte de rapporter tant de misères : elles étoient cependant aussi respectées dans les premiers siècles que les miracles qu’on veut nous obliger de croire ; et si les premiers chrétiens, plus raisonnables que nous, n’en eussent pas senti le ridicule, nous croirions ces extravagances aussi fermement que les prodiges rapportés dans les autres évangiles. Mais du moins les évangiles que l’on nous donne aujourd’hui pour véritables, sont-ils parvenus jusqu’à nous sans variations et sans altérations ? Il n’y a rien de moins sûr, si l’on s’en rapporte aux anciens auteurs. Celse reprochoit à Origène que les chrétiens varioient continuellement dans leurs écrits ; qu’ils changeoient le texte de l’évangile suivant leurs besoins ; qu’ils se servoient de cet artifice pour nier ce qu’on leur objectoit, et pour rétracter ce qu’ils avoient dit. Faustus le manichéen, leur fait aussi le même reproche. Que répond Origène à une accusation si positive ? Il dit qu’il est vrai que quelques disciples de Marcien, de Valentin et d’autres chrétiens, ont osé changer et refondre le texte de l’évangile, mais que cela n’est jamais arrivé aux véritables orthodoxes, c’est-à-dire, à ceux qui étoient de son opinion ; car le christianisme étoit dès lors partagé en une infinité de sectes, dont chacune se disoit seule orthodoxe, et qualifioit les autres d’hérétiques. S. Epiphane compte l’hérésie de Simon le magicien, pour la vingt-et-unième. Tertullien en rapporte vingt-sept différentes, de son temps : ce qui prouve le peu d’uniformité qui régnoit dans les premiers écrits des chrétiens. Mais ne nous appuyons pas du témoignage des ennemis du christianisme, pour prouver les changemens faits dans les écrits évangéliques. Ecoutons S. Jérôme lui-même, qui dit[26] que, de son temps, il y avoit autant de différens exemplaires de l’écriture sainte, qu’il y en avoit de copies, parce que chacun y ajoutoit ou retranchoit à sa fantaisie. Peut-on voir un témoignage plus formel des variations qu’ont essuyés ces écrits, avant de parvenir jusqu’à nous?

Le sens de ces livres a été encore plus sujet aux variations que le texte. Les pères de l’église et les premiers conciles l’ont déterminé diversement, et on ont condamné successivement les opinions qui avoient été les plus accréditées. Origène, qui croyoit si fermement l’orthodoxie attachée à ses sentimens, est tombé dans plusieurs hérésies, suivant ce qu’on nous oblige de croire aujourd’hui. Clément d’Alexandrie soutenoit la transmigration des ames, et croyoit la matière éternelle, ainsi que plusieurs autres pères. Jusqu’au concile de Nicée, le christianisme n’étoit qu’un mélange de la religion juive, avec la philosophie platonicienne ; c’est dans cette secte que les chrétiens ont puisé le dogme de la Trinité ; celui de la présence réelle n’étoit point connu avant le septième siècle.

Un hermite alors l’imagina, mais sans aucun succès ; ce ne fut que dans le neuvième siècle, que Paschase le soutint. On peut voir dans la dispute d’Arnaud et de Claude, l’histoire de l’établissement de ce dogme, aujourd’hui si révéré parmi les papistes. C’est ainsi que de siècle en siècle, de nouvelles variations se sont introduites, et qu’elles se sont étendues tant sur les livres, que sur la façon de les interpréter, et que divers conciles ont déterminé ce qui devoit en résulter.

Mais examinons sérieusement ce que c’étoit que ces assemblées qualifiées du titre imposant de conciles, qui décidoient des contestations formées entre les différentes sectes, et qui fixoient les articles de notre foi. On ne pourra, sans horreur, en achever l’histoire telle qu’on la trouve dans nos auteurs mêmes. Ce n’est qu’un tissu de mauvaise foi, de cabales, de perfidies, de crimes les plus atroces. L’église latine est condamnée dans un concile de trois cent quatre-vingts évêques, que les Orientaux appellent le huitième concile universel ; les Latins font ensuite condamner l’église grecque par un concile de cent deux évêques, qu’ils appellent pareillement le huitième concile universel. Dans celui de Constantinople, Photius est déposé, et sa condamnation signée avec une plume trempée dans le calice[27]. Dix ans après, un nouveau concile annulle ce qu’a fait le premier, et rétablit Photius. C’est l’empereur Bazile qui dicte les décrets de ce concile.

Constantin s’étoit fait l’arbitre des démêlés des évêques dans le concile de Nicée. Il fixe la signification du terme de consubstantialité. Théodose décide les plus importantes questions sur la Trinité ; il juge les deux factions qui partageoient le concile d’Ephèse. Les démêlés de S. Cirille avec Nestorius ne peuvent se lire sans indignation ; c’est toujours le parti le plus fort ou celui de l’empereur qui décide. Enfin le détail des premiers conciles est plus odieux cent fois et plus scandaleux que celui des conciles des derniers temps, dont on découvre à la vérité les mobiles et les pratiques artificieuses, mais qui sont souillés de moins de noirceurs et d’indignités.

Je n’en dirai pas davantage sur ces conciles, dont on peut voir le détail dans l’ouvrage du père Labbe ; mais je puis assurer que l’homme le plus prévenu en faveur de la sainteté de ces assemblées, ne le sauroit lire sans trouver à chaque instant de nouvelles occasions de scandale.

Les évêques de Rome, qualifiés du titre de souverain pontife, fourniroient une ample matière à mes réflexions. On voit le pape Formose[28] déclaré hérétique par son successeur ; les trois suivans rétablissent sa mémoire ; le quatrième le fait exhumer et traiter son cadavre avec la dernière indignité ; mais ces faits particuliers ne font rien à la cause présente, non plus que les désordres effroyables dans lesquels se sont plongés, presque dans tous les temps, les chefs de l’église romaine ; parce que le dérèglement des mœurs, dit-on, n’influe point sur la bonté de la doctrine. Cependant on ne peut s’empêcher de considérer que c’est l’autorité de ces hommes abominables, réunie à celle de ces assemblées que nous venons de dépeindre qui est la règle de notre foi. Ce sont là les organes par lesquels Dieu est supposé nous expliquer sa volonté. C’est en vérité trop humilier la raison, trop abaisser l’humanité, et trop avilir la divinité que d’avoir de pareils sentimens. C’est pourtant cet assemblage monstrueux qu’on a revêtu du nom imposant d’église universelle, et c’est cette église qui nous a assujettis à un joug odieux auquel on veut nous faire croire que c’est un crime de résister. Si nous joignons à ces réflexions les preuves qui ont été rapportées plus haut du peu de confiance qu’on doit avoir aux écrits, tant de l’ancien que du nouveau Testament, nous verrons que ce superbe édifice n’est que l’ouvrage de quelques hommes fourbes et ignorans, qui, de même que les fondateurs de toutes les religions de la terre, ont abusé de la crédulité du peuple pour le plonger dans la plus honteuse superstition.

Loin de nous ce respect aveugle qui captivoit notre raison, qui étouffoit la vérité. Faisons un portrait de ces amas d’opinions bizarres, qualifiées du nom de religion catholique. Peignons le créateur de ce vaste univers qui fait sortir le premier homme du néant[29], pour le rendre éternellement malheureux. Il place cette créature[30], l’objet de son amour, dans un jardin délicieux, dont il lui permet l’usage[31], à l’exception d’un seul fruit. Sans doute, lui qui a formé le cœur de l’homme et ses pensées, n’a pas manqué de lui donner la force de résister à la tentation de goûter ce fruit ; au contraire, il lui en a donné un si violent désir, qu’il y succombe[32] malgré tous ses efforts ; mais du moins une peine légère suffira pour expier une faute si pardonnable ; point du tout, la mort ne suffit pas ; un châtiment éternel n’est point encore assez ; tous ses descendans, sa postérité entière, tous les hommes qui naîtront dans la suite des siècles, en porteront la peine, et la vengeance d’un dieu si bon, si juste, si miséricordieux, veut qu’une damnation éternelle de tous ceux qui sont nés de lui, en soit la punition. Mais ne leur reste-t-il aucun moyen de se garantir d’un supplice aussi affreux et si peu mérité ? Non, jusqu’au temps de Noé, ils ne peuvent espérer aucune réconciliation. Que font-ils donc alors pour mériter cette réconciliation ? A quelle pénitence se sont-ils soumis pour fléchir un dieu irrité ? Ils se livrent aux plus grands excès, aux crimes les plus abominables ; enfin ils les portent au point que Dieu se repent[33] d’avoir fait l’homme, et qu’il se détermine à les faire tous périr par un déluge universel[34] : alors la vengeance de Dieu[35] est assouvie et contente. Il va faire une alliance éternelle[36] avec les hommes ; il pose dans les nuées pour toujours, l’arc[37] dont il se servoit contre eux, et donne à Noé, qu’il a sauvé du déluge avec sa famille, le moyen de contracter cette alliance. Ce moyen est aussi puéril, que le premier sujet de colère étoit léger ; il ne s’agit que de circoncire les enfans mâles ; cela efface tout d’un coup le crime[38] de leur premier père ; mais malheur à celui dont les parens ont négligé cette cérémonie ; malheur à celui qui n’est pas né dans le coin de l’univers où cet usage est connu ; son arrêt est prononcé, il est condamné au feu éternel, pour n’avoir point suivi une loi dont il n’a jamais eu ni pu avoir aucune connoissance.

Dieu ayant établi une union aussi solide et aussi respectable entre lui et l’homme, se repent de sa cruauté passée ; il promet[39] qu’il n’exterminera point une seconde fois le genre humain, parce qu’il reconnoît qu’il a un penchant invincible pour le mal ; il accorde[40] au peuple juif une protection particulière : cependant le malheureux peuple tombe[41] sous la domination des Egyptiens, et pendant plusieurs siècles, il subit le joug le plus accablant. Un[42] d’entre eux que le hasard a fait élever à la cour du roi d’Egypte, entreprend de tirer sa nation de l’esclavage ; il étonne l’Egypte par les miracles[43] les plus étranges pour déterminer Pharaon à laisser sortir les Israélites ; mais Dieu a soin d’endurcir[44] le cœur de Pharaon, en sorte qu’il y résiste. Moïse les emmène[45] cependant, leur fait traverser la mer rouge[46] à pied sec, engloutit les ennemis[47] qui les poursuivoient, et les nourrit miraculeusement dans le désert, fait sortir l’eau des rochers[48] ; enfin chaque jour est marqué par un prodige nouveau, qui prouve invinciblement que Moïse n’opère que par l’ordre de Dieu. Les Juifs sont sans doute dans une admiration continuelle : ils adorent le dieu qui leur est annoncé par un homme dont la mission est autorisée par des miracles si frappans. Rien moins que cela, ils murmurent[49] continuellement contre lui ; ils se plaignent, ils regrettent leur esclavage, ils lui demandent des dieux[50] visibles et palpables ; ils fondent un veau d’or, et aussitôt que Moïse est éloigné d’eux pour quelques jours, ils se plongent dans la plus affreuse idolâtrie.

Tel est le caractère de ce peuple chéri de Dieu. Peut-on entendre de pareilles extravagances ? Et ne vient-il pas dans l’esprit de l’homme le moins soupçonneux, de demander si des faits aussi incroyables sont revêtus d’une autorité suffisante pour nous obliger à les croire aveuglément. Quoi ! sur la seule parole de l’auteur de ces prétendus miracles, que dis-je ? Sur celle d’Esdras[51] qui nous a transmis tous les livres de la loi, nous devons croire des histoires si peu vraisemblables ; et quoiqu’aucun auteur n’en parle, quoique la terre garde un profond silence, nous étoufferons toutes les lumières de notre raison pour nous soumettre à des fables aussi ridicules ! C’est en vérité trop présumer de la crédulité et de l’imbécillité des hommes.

Suivons ce peuple ; nous le verrons à chaque instant renoncer à cette religion authentique, pour prendre les dieux de ses voisins ; il ira sacrifier sur les hauts lieux, il maltraitera les prophètes, il résistera à tous ces miracles, quelque frappans qu’on nous les dépeigne, aux prophéties qu’on nous assure être si positivement accomplies ; enfin il se plongera dans les plus horribles excès de débauches et dans toutes sortes de crimes.

Ces abominations ne suffisent cependant pas pour armer la colère de Dieu ; il se contente de damner éternellement tous ceux qui sont incirconcis, à cause qu’ils descendent d’Adam. Il fait périr par la peste[52] la plus grande partie des Israélites, parce que David en avoit fait faire le dénombrement, sans penser que cela pût déplaire à Dieu ; mais il se garde bien de punir un peuple rebelle, qui au mépris de sa bonté et de sa patience, ne cesse point de l’offenser ; bien loin de là, voici un de ces miracles sublimes qui sont au-dessus de la raison humaine. Ce dieu avoit de toute éternité un fils ; depuis quatre à cinq mille ans que le monde étoit créé, personne ne savoit que ce fils existât ; il paroît aujourd’hui ; son père qui le destine à racheter par sa mort, le salut des hommes, veut qu’il expie toutes leurs fautes et qu’il en porte la peine ; il le fait descendre du ciel, pour le revêtir de la nature humaine. Ce fils émané de Dieu, égal à son père, Dieu lui-même, doit naître d’un sang exempt de toutes taches ; c’est le sang de David qui est choisi ; David commet un adultère avec Betzabé[53], dont il fait tuer le mari. C’est de cette source abominable, selon S. Mathieu, que le fils de Dieu, prend naissance. Il est vrai que Joseph, descendant de David par Salomon, selon les uns, par Nathan, selon les autres, n’est que le mari de la mère de Dieu ; mais pour faire croire que Dieu a voulu réellement participer au sang de David, on suppose gratuitement que Marie pouvoit être parente de Joseph, et par conséquent descendre aussi de David. Car on assure que Joseph n’eut aucune part à la naissance de Jésus, et que ce fut une troisième portion de Dieu, inconnue jusqu’alors, qui par ordre de la première, forma la seconde dans le corps de Marie[54].

Celse raconte cette histoire d’une manière qui s’accorde un peu mieux avec la vraisemblance et la bonne physique ; il prétend que Marie eut affaire avec un soldat nommé Panther, que Joseph, courroucé de la grossesse de sa femme à laquelle il étoit sûr, par de bonnes raisons, de n’avoir pas contribué, la chassa de chez lui , qu’elle se sauva en Egypte avec son fils ; que ce fils y apprit l’art fort connu des Egyptiens, de faire des prestiges qui en imposoient au peuple, et qui passèrent facilement pour des miracles parmi les Juifs, dont le caractère dominant étoit la crédulité et la superstition. Il faut avouer qu’il paroît y avoir bien du naturel dans ce trait historique, qu’Origène n’a pas pu nous cacher, parce que c’étoit un reproche que de son temps on faisoit communément aux chrétiens.

Enfin donc, de quelque manière que ce soit, le fils de Dieu, co-éternel à son père, se fait homme ; il meurt du dernier supplice, pour satisfaire à la vengeance que son père vouloit exercer sur le genre humain. Quel effet produit le sang d’une victime si chère ? Voilà sans doute tous les hommes réconciliés pour toujours avec leur créateur. La damnation éternelle est révoquée ? Nullement ; le péché d’Adam subsiste toujours, et continue d’être imputé à sa postérité : on[55] substitue seulement le baptême à la circoncision ; on change le culte établi et suivi jusqu’alors, et on forme un assemblage de dogmes les plus contraires à la raison ; on emprunte des payens[56] les principaux mystères ; ce n’est plus un Dieu seul ni invisible qu’il faut adorer. Trois personnes égales en puissance et en tous leurs attributs, composent la nouvelle divinité ; et c’est une de ces personnes qui s’est revêtue d’un corps mortel pour expier le crime d’Adam, sans quoi la colère divine n’auroit plus connu de bornes ; mais qu’auroit donc pu faire ce Dieu irrité pour porter la vengeance plus loin ? Il auroit exterminé tous les hommes, me dira-t-on ; mais cela peut-il se comparer au feu éternel auquel il les a condamnés en naissant  ? Eh bien, il les auroit tous damnés irrévocablement ; c’étoit donc là, du moins, ce que sa colère pouvoit imaginer de plus terrible ; que l’on y réfléchisse un moment, et l’on verra combien il s’en faut peu qu’il ne soit exécuté. On avouera que dans les principes de l’évangile, c’est beaucoup si de mille chrétiens il y en a un de sauvé ; supposons-le néanmoins, et joignons ce calcul à celui que nous avons fait plus haut du petit nombre des chrétiens, nous verrons que sur cent mille hommes à peine y en a-t-il un de sauvé. Voilà donc à quoi se réduit cette grande bonté du créateur, et c’est pour nous obtenir une grace si singulière, qu’une portion de lui-même s’est fait chair et est venue périr du dernier supplice. Quelle sublimité de raison ! quelle profondeur de sagesse !

Une si auguste victime ne suffit pas encore pour mériter un tel excès de bonté, il faut que le même sacrifice se répète à chaque instant. Il est vrai qu’il devient aux hommes d’une utilité infinie. Le plus chétif des humains veut-il guérir d’un mal léger ? Veut-il retrouver une chose perdue ? Il a recours au même sacrifice ; l’appareil est bien plus considérable ; un prêtre, le plus souvent noyé de crimes, change, par le moyen de quelques paroles mystérieuses, un morceau de pain en cette même portion de la divinité, et l’offre de nouveau à son père en sacrifice. On croira peut-être que ce sacrifice est seulement typique et figuré ; non, il est réel ; ce pain est effectivement Dieu, et ce Dieu meurt réellement pour obtenir de son père, qui est la même chose que lui, la guérison d’une misérable créature. Que devient ensuite ce corps divin ? Le même prêtre le mange, et il se fait par jour un million de pareils sacrifices.

La raison se révolte quand on examine de sang froid de telles impiétés. Jamais la plus grossière idolâtrie n’a rien imaginé de si indigne de la divinité ; leurs simulacres n’étoient du moins que les images d’un Dieu qu’ils adoroient dans le ciel ; mais chez les chrétiens, le morceau de pain est Dieu lui-même ; et ce n’est que par le fer et le feu qu’on doit en convaincre ceux qui ont la témérité d’en douter.

Voilà un portrait naïf et fidèle de la religion chrétienne. Mais on a beau en sentir le ridicule, l’homme, industrieux à se tromper, met tout en usage pour résister à la raison, et ne lui point sacrifier des préjugés et une opinion à laquelle il est accoutumé dès l’enfance ; il se dit à lui-même que ces mystères inconcevables sont annoncés par des prophéties claires et sensibles ; que l’on trouve dans ces prophéties le plan de la religion, et que c’est là une preuve incontestable de la divinité, qui ne permet plus de raisonner sur le ridicule que nous croyons trouver dans les dogmes et dans les mystères. Eh bien, forçons le dernier retranchement de la crédulité ; détruisons jusqu’à la dernière pierre de ce bâtiment fantastique ; portons le flambeau de la vérité dans ces ténèbres, que la fraude et l’ignorance ont rendu plus épaisses encore que l’éloignement des temps ; examinons en détail les plus fameuses prophéties, et attachons-nous particulièrement à celles qui portent les caractères les plus marqués d’évidence et de divinité.

Des Prophéties.

Commençons par ce principe de doute et d’incertitude qui s’élève sur tous les livres de l’ancien testament, et que personne ne peut contester. La langue hébraïque s’écrivoit autrefois sans voyelles, il n’y avoit que les seules consonnes, et c’étoit la tradition et l’usage qui apprenoit comment il falloit placer les voyelles pour la lire et la prononcer. Cela est si vrai, que les anciens manuscrits de la Bible sont écrits sans points ; c’est-à-dire, sans voyelles, et que plusieurs exemplaires imprimés sont dans le même cas ; témoins ceux dont les juifs se servent aujourd’hui dans les synagogues. On connoît facilement combien cela peut produire de différences et de variations entre le sens dans lequel les livres ont été écrits et celui dans lequel nous les lisons. Les Juifs, différant de nous à cet égard dans plusieurs passages, nous accusent hautement d’en avoir changé et corrompu le sens ; mais je ne ferai point usage de cet argument, qui demande une parfaite connoissance de la langue hébraïque. D’ailleurs on n’a pas besoin d’y recourir pour découvrir la fausseté et la supposition de ces prophéties dont on nous veut faire accroire que la religion chrétienne tire de si grands avantages.

Commençons par éclaircir l’opinion attachée à ce mot de prophète ; la vraie signification est prédicateur ou exhortateur ; c’étoit en effet la fonction des prophètes ; ils exhortoient le peuple à retourner au culte du vrai Dieu, le menaçoient de châtiment, s’il persistoit dans son infidélité, lui promettoient des récompenses s’il rentroit dans son devoir. Ce sont ces promesses et ces menaces faites au hasard, et toujours démontrées par l’événement, qui passoient pour des prédictions, et dont les chrétiens ont imaginé d’en appliquer quelques-unes à Jésus-Christ. Il est si vrai que ces promesses et ces menaces étoient souvent sans effet, qu’on voit dans Jonas[57] qu’il prédit que dans quarante jours Ninive sera détruite ; mais comme cela n’arrive point, il dit que Dieu, touché du repentir des Ninivites, révoqua son décret ; il ajoute ensuite que lui Jonas, en murmura contre Dieu[58], et que prévoyant le retour de miséricorde, il s’étoit sauvé à Tarsis pour éviter ce reproche de mensonge.

Jérémie[59] promet formellement de la part de Dieu, à Sédécias, qu’il mourra en paix ; cependant on lui crève[60] les deux yeux, après avoir égorgé ses deux fils en sa présence. Veut-on une preuve que les prophètes ayant éprouvé plusieurs fois cette contradiction entre l’événement et ce qu’ils avoient annoncé, se ménageoient des excuses au cas qu’ils se trompassent ; Ezéchiel dit : S’il advient que les prophètes soient séduits, c’est moi l’éternel, qui l’aurai séduit. Peut-il y avoir une preuve plus positive de la méfiance où ils étoient eux-mêmes, de ce qu’ils osoient avancer ; mais venons aux prophéties, qui désignent, à ce qu’on prétend, d’une manière si précise et si claire, le temps et les circonstances de la naissance et de la mort de Jésus-Christ.

La première, et qui passe pour une des plus authentiques, est celle de Jacob, qui dit[61] que le sceptre ne sortira pas de Juda que le messie ne soit venu. Il ne faut, pour faire sentir la foiblesse de cette prophétie, que rapporter quelques-unes des différentes manières dont on a traduit ce passage. Les uns expliquent que l’autorité sera pour jamais dans Juda , lorsque le messie sera venu[62] ; d’autres, que le peuple sera dans l’affliction jusqu’à ce que l’envoyé du seigneur vienne la terminer ; d’autres, jusqu’à ce que la ville de Silho soit détruite ; d’autres, l’autorité ne sera plus dans Juda, ou lorsque l’arche ne sera plus dans Juda ; d’autres, jusqu’à ce que l’envoyé reçoive dans Silho la puissance souveraine. On voit par la diversité de ces traductions, combien il y a d’obscurité dans le texte : mais prenons-le dans le sens le plus favorable : cette prédiction, toute vague qu’elle est, se trouve visiblement fausse ; car les Juifs se sont trouvés plusieurs fois sans chef, sans roi pendant leurs divorses captivités, et Hérode, qui étoit leur roi lors de la naissance de Jésus, n’étoit pas de leur nation, mais Iduméen[63].

Une des plus fameuses ensuite, est celle d’Isaïe, qu’on oppose à chaque instant aux incrédules ; la voici : Une[64] vierge concevra et enfantera un fils qui sera nommé Emmanuel. On y voit clairement la naissance miraculeuse de Jésus. S. Mathieu[65] n’hésite pas à la citer comme une prédiction formelle qui regarde Jésus-Christ. On va être bien surpris, lorsqu’on ira chercher ce passage dans Isaïe, et qu’on y trouvera toute autre chose. Voici de quoi il s’agit : le prophète assure Achaz qu’il n’a rien à craindre des desseins des rois d’Israël et de Syrie, et lui dit, pour signe de la vérité de sa prédiction, que le seigneur lui est apparu, et lui a dit[66] que sa femme concevroit et enfanteroit un fils, qui seroit nommé Emmanuel, et qu’avant que cet enfant fût en âge de discerner le bien d’avec le mal, le pays d’Achaz seroit délivré des rois d’Israël et de Syrie. On voit combien ce passage a peu de rapport avec la naissance de Jésus-Christ. Plus d’un critique, et l’abbé Houteville lui-même, ont mieux aimé passer cette prophétie sous silence, que d’en faire mention, sentant que c’étoit abuser trop grossièrement de la crédulité des hommes. Peut-on assez admirer que Mathieu ait osé en faire une si ridicule application, et que des gens très-habiles d’ailleurs, aient assez de foiblesse pour suivre son exemple ?

Le même Isaïe[67] nous fournit encore une de ces prophéties victorieuses. On y voit, dit-on, clairement la mort et les souffrances de Jésus-Christ. Qu’on examine ce passage avec attention, on n’y trouvera que le récit de tous les tourmens que Jérémie a essuyés. Grotius[68], un des plus zélés défenseurs de sa secte, est obligé d’en convenir ; mais, pour conserver à ce récit un air de divinité, il ajoute que Jérémie est l’emblème et le type de Jésus-Christ, et que ce qui arriva à l’un étoit une figure de ce qui devoit arriver à l’autre. Voilà à quoi on est réduit quand on veut employer son esprit et ses lumières à soutenir des choses aussi folles et aussi odieuses.

La fameuse prophétie des soixante-dix semaines de Daniel, est encore du nombre de celles dont on a ébloui ceux qui craignent d’entreprendre une discussion trop pénible et qui aiment mieux croire tout aveuglément que d’entrer dans le moindre examen. Je me garderai bien de rapporter les différentes opinions des savans sur cette prophétie : c’est une chose singulière de voir comme ils se sont donné la torture pour la faire quadrer avec la naissance de Jésus. Il y a plus de cinquante opinions sur ce sujet, sans qu’aucune puisse satisfaire l’ esprit le moins difficile. Ce qu’on peut dire de plus vrai du passage qui contient cette prophétie, c’est qu’il a été visiblement ajouté au texte de Daniel, pour faire accroire aux Juifs que Jonathas étoit le Messie ou l’envoyé de Dieu, ou un conducteur qui devoit les faire triompher de tous leurs ennemis ; il n’y a qu’à lire ce qui précède et ce qui suit immédiatement cette prétendue prédiction, pour voir clairement qu’elle a été ajoutée ; et pour peu qu’on veuille examiner avec attention et bonne foi, la chronologie de ces temps, on trouvera que les soixante-dix semaines finissent précisément au temps de Jonathas Machabée, c’est-à-dire, environ cent trente ans avant Jésus-Christ.

Si l’on consulte sur ce point Abadie, ce zélé hérétique, on verra qu’il réduit toutes ces différentes opinions à sept seulement, qui roulent sur le temps auquel devoient commencer les soixante-dix semaines ; et il dit[69] que la providence l’a permis ainsi, afin que notre foi ne dépendît pas d’une supputation de chronologie. Veut-on de nouvelles preuves que cette prophétie n’a aucun rapport à Jésus-Christ, et que l’application qu’on en a faite est nouvelle ? C’est qu’aucun évangéliste n’a imaginé de s’en servir, quoiqu’ils connussent parfaitement Daniel, qu’ils ont cité. S. Mathieu, qui a été chercher les applications les plus détournées, n’a eu garde de parler de cette prophétie de Daniel, parce qu’il étoit trop manifeste alors, que le temps qu’il désignoit étoit expiré depuis plus d’un siècle. Par la même raison, les premiers pères de l’église n’en ont pas parlé, et ce n’est que depuis qu’un éloignement plus considérable a augmenté l’obscurité de ces temps reculés, qu’on a imaginé différens systèmes pour l’accommoder à la naissance de Jésus-Christ. Je n’ai voulu rapporter que les principales et les plus authentiques de toutes les prophéties ; car ce seroit un trop grand détail de les examiner chacune en particulier. Je puis néanmoins assurer avec vérité que j’ai cherché celles qui ont toujours été regardées comme les plus formelles et les plus précises. J’aurois eu cependant plus d’avantage à combattre les autres, comme lorsque S. Matthieu[70] prétend que la fuite en Égypte et le retour de Jésus-Christ sont prédits par Osée, lorsqu’il dit[71] que Dieu a rappelé son peuple d’Égypte, et plusieurs autres de la même force. Le même évangéliste va jusqu’à citer des prédictions qui ne se trouvent en aucun endroit de l’écriture. Il dit[72] par exemple : Jésus vint habiter à Nazareth, afin que cette prédiction fût accomplie : il sera appelé Nazaréen. Cependant cette prophétie ne se trouve nulle part. Que doit-on penser de pareilles autorités ? et ne faut-il pas avouer que ceux qui se sont si fort appuyés sur ces prophéties, l’ont fait par ignorance ou par infidélité ?

Barkokebas, long-temps après, se servit des mêmes prophéties, et prétendit que les péchés d’Israël avoient suspendu jusqu’à lui l’effet des promesses de Dieu ; mais ayant été défait, et son parti détruit, ainsi que l’avoit été celui des Machabées, les prophéties de Daniel tombèrent dans un mépris général, et elles ne reparurent avec une sorte d’éclat, que lorsque les chrétiens imaginèrent, long-temps après Jésus-Christ, d’appliquer au temps de sa venue les soixante-dix semaines de Daniel, et les quatre cent trente jours du sommeil d’Ézéchiel.

Je ne dirai rien de plus sur les prophéties ; mais s’il y en avoit quelques-unes, outre celles dont j’ai parlé, qui demandassent une explication particulière, j’offre de faire voir qu’elles sont aussi mal fondées que les autres, et que ce sont de ces prédictions vagues, qui ne manquent jamais d’avoir leur accomplissement tôt ou tard, comme lorsqu’on annonce la destruction d’une ville, ou la décadence d’un empire, la mort ou la guérison.


Réponses aux objections.


Il est temps maintenant de répondre à deux objections qu’on ne manquera pas de me faire encore. Ces dogmes si bizarres, me dira-t-on, ces mystères chimériques, si contraires à la raison, ces faits que vous jugez supposés, ont trouvé des sectateurs qui n’ont pas craint la mort pour en soutenir la vérité, qui ont scellé de leur sang la foi qu’ils professoient. Cela est vrai ; mais il ne faut pas croire qu’il y en ait une si prodigieuse quantité ; car Origène convient que le nombre des martyrs étoit beaucoup moindre qu’on le croyoit. Les anciens pères grecs parlent de la même manière ; et ce n’est que dans des temps d’obscurité et d’ignorance que des moines oisifs ont fabriqué des martyrologes ridicules, dont les savans découvrent tous les jours la fausseté et la supposition. J’accorde cependant qu’il y a eu beaucoup de martyrs ; que doit-on en conclure ? Quelle est la religion qui n’a pas eu ses martyrs ? Qu’on lise les histoires, et l’on verra que chaque siècle en fournit mille exemples. Jusqu’où l’extravagance des hommes ne s’est-elle pas portée ? On a vu, presque de nos jours, des martyrs de l’athéisme, professer jusqu’au dernier soupir une doctrine qui leur ôtoit toute espérance d’une récompense en l’autre vie. Dira-t-on après cela que les martyrs prouvent quelque chose en matière de religion ?

Pour dernière ressource on m’objectera les miracles ; mais voyons quelle preuve on en peut tirer en faveur de la religion chrétienne. Premièrement, de quelle autorité sont-ils revêtus ? Esdras nous atteste la vérité de ceux de l’ancien Testament, puisqu’il nous assure que c’est Dieu lui-même qui lui a dicté les livres saints, tels qu’il nous les a transmis. Peut-on dire que ce témoignage soit suffisant ? Supposons néanmoins que ce prêtre de la loi ait su par cœur les livres saints, et que sa mémoire lui ait été fidèle ; enfin que tous ces livres soient des auteurs dont ils portent le nom, quoique le contraire ait été démontré plus haut, que peut-on en conclure ? C’est Moïse lui-même qui nous raconte les miracles qu’il a fait ; dois-je le croire aveuglément ? Mais, me dit-on, ils ont été faits aux yeux de tout le peuple. Qui nous le dit ? Ce même Moïse ; et je ne veux pour le convaincre d’imposture, que lui-même, et que le récit naïf qu’il nous fait des infidélités continuelles de ce même peuple, qui, sans doute, n’auroit pas été assez aveugle et assez obstiné pour résister à des signes aussi visibles de la volonté de Dieu. Mais, ajoute-t-on, Dieu endurcissoit leur cœur, et les rendoit sourds à sa voix. Peut-on, sans horreur, entendre un pareil discours ? Quoi ! Dieu choisit dans tout l’univers un peuple auquel il veut donner des marques particulières de sa bonté, il interrompt pour lui à chaque instant l’ordre de la nature, par les miracles les plus éclatans, et en même temps il le force à une ingratitude involontaire, en endurcissant son cœur, et éteignant jusqu’aux moindres lumières de son esprit ! C’est en vérité, donner à la divinité les sentimens du plus méchant et du plus extravagant de tous les hommes. Qui est-ce donc qui nous force à recourir à un si étrange paradoxe ? Un anonyme qui nous raconte des faits extravagans.

Les miracles de Josué sont-ils plus dignes de foi ? Les murs de Jéricho[73] renversés par le son des trompettes, le soleil[74] arrêté au milieu de sa course, ce sont des événemens dignes de l’attention de tous les hommes ; mais si nous ne les apprenons que par l’auteur inconnu du livre de Josué, si même nous n’avons ce livre que par la copie qu’Esdras en a faite de mémoire, sera-t-il raisonnable de croire ces prodiges sur de pareils témoignages ? On sent assez que la même chose se peut dire de tous les miracles de l’ancien Testament.

Sommes-nous donc mieux fondés à croire ceux du nouveau Testament ? Des hommes ignorans, dont on connoît à peine les noms, sans qu’on sache même le temps auquel ils ont écrit, nous ont laissé la vie de Jésus. C’est sur leur parole que nous devons croire les prodiges qu’ils nous racontent ; le soleil obscurci miraculeusement, les sépulchres ouverts, les morts ressuscités, un astre brillant prenant dans le ciel une route nouvelle ; tous ces événemens arrivent dans le siècle le plus éclairé, le plus fécond en historiens, aucun, n’en dit un mot. Cependant, il les faut croire sur la foi de trois ou quatre juifs ignoré, qui en parlent très-diversement, et dont quelques-uns prétendent avoir été disciples de l’auteur de ces miracles.

Croyons donc aveuglément tous les miracles du paganisme ; ils ont un fondement plus réel ; les historiens nous les attestent, ils nous rapportent des miracles que l’événement a justifiés. Tite-Live et Valere Maxime nous racontent cent prodiges opérés à la vue de tout un peuple, pourquoi les révoquerions-nous en doute ? Vespasien guérit un aveugle et un boiteux en présence de tout le peuple d’Alexandrie. Apollonius de Thianes fait aux yeux des Romains, plus de miracles que Jésus-Christ. Il guérit les malades, il ressuscite les morts ; il remplit la Grèce, l’Italie, l’Egypte, la Judée de son nom ; il désigne à Ephèse le moment où Domitien est tué à Rome ; il ressuscite lui-même, non aux yeux de quelques disciples, mais en présence de toute l’armée ; il se montre à l’empereur Aurélien, et le force à lever le siège de Thianes. Maxime, Méragène et Damis, trois disciples, recueillent les preuves de ces prodiges, dont ils ont été témoins oculaires ; et Philostrale, par ordre de l’empereur, en fait l’histoire. Les miracles de Jésus-Christ sont-ils plus éclatans ? sont-ils revêtus de témoignages plus authentiques ? Cependant nous voulons admettre les uns et rejeter les autres. Nous traitons de prestiges et de superstitions les miracles des autres nations et des autres religions, et nous voulons que l’on croye véritables ceux de la nôtre ! N’est-il pas plus raisonnable et plus sûr de rejeter également les uns et les autres, puisque, sans aller fouiller dans l’antiquité la plus reculée, nous voyons tous les jours les exemples les plus humilians de la crédulité des hommes ? Combien trouvons-nous de gens, de la probité et de la bonne foi desquels on feroit scrupule de douter, qui nous attestent tous les jours des guérisons miraculeuses dont ils se persuadent avoir été les témoins ? Faisons l’application de ce que nous voyons aujourd’hui à ce qui est vraisemblablement arrivé dans toutes les religions, dans tous les pays, et dans tous les siècles ; et concluons que les martyrs et les miracles ne fournissent aucune preuve en faveur d’une religion.

Qu’a donc la religion chrétienne de plus que les autres, pour mériter qu’un homme raisonnable et dépouillé des préjugés de la naissance, lui donne la préférence sur les autres ? On ne peut plus dire qu’elle est prouvée par l’accomplissement des oracles, et appuyée sur des faits historiques dont la vérité est évidente. Nous avons examiné l’un et l’autre de ces fondemens avec assez de détail et de discussion pour être assurés que les prophéties sont fausses, soit par l’application qu’on en a faite, soit par le changement des termes, ou de la ponctuation de l’hébreu, soit enfin par la supposition des passages. On peut même s’étonner de ce qu’après avoir mis ces moyens en usage, on ne nous présente que des prophéties plus embarrassantes. Si on vouloit examiner tous les oracles du paganisme, qui se trouvent dans les auteurs profanes, on y trouveroit des prédictions bien plus singulières et bien plus positives, quoiqu’elles soient l’ouvrage de quelques prêtres imposteurs, ou l’effet du pur hasard, comme M. Van-Dale et M. de Fontenelle l’ont prouvé sans réplique dans les ouvrages qu’ils ont faits sur cette matière.

Pour ce qui est de l’histoire de la religion chrétienne, je crois en avoir démontré bien clairement la fausseté ou l’incertitude ; je dis l’incertitude, lorsqu’un auteur inconnu et intéressé à soutenir sa cause, nous avance des faits obscurs qui n’ont pu venir à la connoissance de personne ; je dis la fausseté, lorsqu’il nous raconte des faits publics et éclatans, qui sont formellement démentis par les historiens contemporains, ou passés sous silence par les auteurs les plus attentifs et les plus exacts à rapporter jusqu’aux moindres minuties, qui avoient quelques apparences de religion ou de prodige.

Eloignons donc pour jamais un respect servile qui nous feroit adorer cet assemblage de ridicules suppositions ; regardons la religion chrétienne du même œil que nous regardons tant d’autres impostures, qui ne sont tolérables que pour le peuple imbécille ; nous devons penser d’une manière plus élevée. Quoi ! l’homme raisonnable ne peut-il faire le bien, qu’en étant trompé ? Non, la nature humaine est capable de sentimens plus nobles. Nos idées plus épurées doivent nous faire trouver une douceur extrême à rendre à Dieu le culte le plus digne de lui et le plus digne de nous. Réglons notre conduite à l’égard des autres, sur ce que nous exigerions d’eux, s’ils étoient à notre place : cette loi est de tous les pays, elle suffit pour maintenir les liens de la société ; suivons-la le plus exactement qu’il nous sera possible pendant tout le cours de notre vie, et attendons-en tranquillement la fin, sans la désirer ni la craindre.




  1. Liv. I. chap. 6.
  2. Chap. 7. v. 17.
  3. Chap. 8. v. 16.
  4. Chap. 8. v. 26.
  5. Chap. 22. v. 2.
  6. Chap. 36. v. 31.
  7. Liv. 4. Chap. 14. v. 21. et suiv.
  8. Valère Maxime, Tite-Live, Joseph.
  9. Mathieu, ch. 2. v. 13 et suiv.
  10. Luc, ch. 2 v. 59 et 41.
  11. Le Père Calmet, suivant St. Mathieu.
  12. St. Jean, chap. 5. v. 2 et suiv.
  13. Le Père Calmet sur St. Mathieu, pag. 11.
  14. Apoc. chap. 5 v. 16 chap. 14 v. 9. chap. 20. v. 4.
  15. Chap. 2. v. 1 et 2.
  16. Chap. 27. v. 9.
  17. Chap. 11. v. 12.
  18. Chap. 19. v. 14.
  19. Chap. 15. v. 25.
  20. Chap. 23. v. 35.
  21. Le Concile de Laodicée, 38.
  22. Justin, Martyrologe, Arnob, Lactance.
  23. Epit. Cath. v. 9.
  24. Apocryphe, édition d’Hambourg.
  25. Le Père Calmet sur St. Mathieu.
  26. Préface de Josué.
  27. Voyez M. le Vasseur.
  28. Basnage, 1695. page 165.
  29. Genèse, ch. 1. v. 26, 27. ch. 2. v. 7.
  30. Ibid., ch. 2. v. 8.
  31. Ibid., ch. 2. v. 16 et 17.
  32. Ibid., ch. 3. v. 6.
  33. Genèse, ch. 6. v. 5. 11. 12. et 13.
  34. Ibid., ch. 6. v. 6. 7.
  35. Ibid., ch. 6. v. 17. ch. 7. v. 10. et suiv.
  36. Ibid., ch. 8. v. 12.
  37. Ibid., ch. 9. v. 9 et suiv.
  38. C’est le sentiment de plusieurs théologiens et en particulier de St. Augustin.
  39. Genèse, ch. 8. v. 21.
  40. Ibid., ch. 12. v. 2. 3.
  41. Ibid., ch. 15. v. 13. Exod. ch. 12. v. 40. 41.
  42. Exod. ch. 2. v. 2. et suiv.
  43. Ibid., ch. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 14. 15.
  44. Ibid., ch. 7. v. 3. 13. 14. ch. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 14. 15.
  45. Ibid., ch. 11. v. 34. 39.
  46. Exode, ch. 14. v. 22.
  47. Ibid., ch. 14. v. 22.
  48. Ibid., ch. 14. v. 24.
  49. Ibid., ch. 17. v. 5. 6.
  50. Ibid., ch. 15. v. 24. ch. 16. v. 23. et suiv. ch. 13. v. 3.
  51. Esdras, liv. 4. ch. 14. v. 21. et suiv.
  52. Rois, liv. 2. ch. 24.
  53. Rois, liv. 2. ch. 11.
  54. Origène, Contra Celsum.
  55. C’est le sentiment de plusieurs théologiens, en particulier de St. Augustin.
  56. Platon.
  57. Chap. 5. v. 1. et suiv. Basnage, 1693. pag. 225.
  58. Chap. 4. v. 1 et suiv.
  59. Chap. 3. v. 17. et suiv.
  60. Chap. 39. v. 6. 7.
  61. Genèse, ch. 40. v. 10.
  62. Houteville, p. 64.
  63. Josephe.
  64. Chap. 7. v. 14.
  65. Chap. 1. v. 25.
  66. Isaïe, chap. 9. v. 14.
  67. Chap. 50. v. 6 et suiv.
  68. Grotius, de la véritable Religion. Tom. V. n°. 19.
  69. p. 48.
  70. Chap. 2. v. 13. 14. 15.
  71. Chap. 11. v. 1.
  72. Chap. 2. v. 23.
  73. Josué, chap. 6. v. 2.
  74. Ibid., chap. 10. v. 12. 13.