André Theuriet (Verlaine)

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Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 470-477).


ANDRÉ THEURIET


André Theuriet, poète et romancier français, né en 1833, à Marly-le-Roi.

Prose, que nous veux-tu ? Roman, tout particulièrement, roman moderne, forcément terne, ennuyeux, « bourgeois », avec ces mœurs et ces ignorances ! qu’as-tu donc à nous enlever ou du moins à détourner ainsi nos poètes ? Car si de tout temps la plupart des sonneurs de vers ne dédaignèrent pas de descendre aux phrases non ordonnées selon le Rythme et même excellèrent dans cet art subsidiaire, jamais, je crois, ils ne furent, pour ces œuvres relativement basses, aussi nombreux qu’en nos jours de fourmillantes, d’essaimantes chroniques, de grands récits sans grand lien ni fin bien délimitée, de tout petits contes en vertigineuse quantité, bref, en nos jours de Prose, pour nommer le fléau par son nom (fléau relatif bien entendu).

Et, après tout, est-ce un bien grand mal, quand on considère le talent énorme là employé, du moins fructueusement — il faut manger et autant que possible bien manger, — par ces fils moins imprévoyants de la Muse ? Comme c’est le cas par exemple dans l’excellent poète qui nous occupe. Et Silvestre, le grand platonique-nostalgique, malgré toute clameur de haro, nous a révélé, par le journalisme bien à lui qu’il mène triomphalement depuis des années, tout un poète énorme en prose, énorme et léger, oui, léger ! sans compter l’écrivain cursif, élégant, lumineux à qui nous devons le Dessus du Panier et tant d’autres livres de claire rêverie et de fine gaîté, alternant avec le bouffon bienfaisant que pour ma part je trouve très ragoûtant et bien délectable à mes heures pour rire et me délasser. Il serait déplorable que Mendès, l’impeccable enchanteur de Philomela, d’Hespérus, du Soleil de Minuit, l’auteur de ces admirables poèmes théogoniques et hymniques. Pagodes, n’eût pas écrit tant de nouvelles terriblement charmantes, de cruelles études félines et tigresques, de puissants romans d’une si audacieuse moralité, — et Banville prosateur continue le glorieux Banville écrivain de vers. Mais, encore le roman nous a pris trop de poètes. M. Alphonse Daudet, par exemple, mérite certes son prodigieux succès, mais qui sait si l’aigre cigale bien soi des Amoureuses (rappelez-vous les Prunes, les Rossignols du cimetière, particulièrement) n’eût pas donné quelque très étrange et très piquant concert plus savoureusement méridional encore que ses Mœurs parisiennes, et ce, dans un français alerte. vif, comme découpé, comme dentelé d’ombres nettes par cet endiablé soleil de sa Provence. Et pour illustrer et conclure par un gros exemple cette déjà trop longue introduction, croyez-vous que Victor Hugo eut moult perdu à restreindre un tantinet ces interminables Misérables et à nous priver des quelques grandes beautés éparses dans ses derniers et avant-derniers romans s’il eût consacré le temps dépensé à ces amusettes de sa plume d’oie et d’aigle, à faire Dieu, à finir et polir la Fin de Satan, et à nous gratifier ainsi, avec les Légendes des Siècles complètes, elles, de l’Épopée française, que seuls ses qualités et ses défauts pouvaient trouver en cet instant des temps.


Ô prose, tu nous dois encor bien des poètes !


A presque dit Gautier, une grande et lamentable victime, lui, de la copie à jet continu.

C’est, encore un coup, vrai que Theuriet a su d’emblée et délicieusement, facilement, non sans originalité après l’incomparable George Sand, ni sans audace en face du Naturalisme, lors de ses primes débuts, dans toute la force et le prestige brutal de la balourde dictature qui a abouti où l’on sait, pornographie commerciale, grossièreté gratuite et nulle philosophie, Theuriet sut aborder le roman « idéaliste », comme l’appelle, l’admirable d’ailleurs, Zola lui-même, voulant flétrir par ce mot renouvelé de « l’idéalogue » de Bonaparte, cette forme dernière de la grâce discrète et du bon goût proprement dit dans notre littérature d’imagination.

Parbleu, ce sont exquises choses que :


« Nous descendions vers les bois de Maigrefontaine à l’heure où le paysage a encore son charme virginal. La fraîcheur de la nuit l’a pénétré d’une vapeur argentée qui est pour les feuillées comme cet humide velouté déposé à l’aurore sur les grappes mûrissantes. Les sentiers sont noyés dans une ombre moite et les gouttes de rosées irisent l’extrémité des branches. La forêt à l’air d’une nymphe qui sort du bain et qui roule dans une gaze transparente son beau corps nu et ruisselant. »


et je goûte fort et surtout :


« Le chêne est la force de la forêt, le bouleau en est la grâce ; le sapin, la musique berceuse ; le tilleul, lui, en est la poésie intime. L’arbre tout entier a je ne sais quoi de tendre et d’attirant… En hiver, ses pousses sveltes s’empourprent comme le visage d’une jeune fille à qui le froid fait monter le sang aux joues ; en été, ses feuilles en forme de cœur ont un susurrement doux comme une caresse… Tout le reste de la forêt est assoupi et silencieux ; à peine entend-on au loin un roucoulement de ramiers ; la cime arrondie du tilleul, seule, bourdonne dans la lumière. Au long des branches les fleurs d’un jaune pâle s’ouvrent par milliers, et dans chaque fleur chante une abeille. C’est une musique aérienne, joyeuse, née en plein soleil, et qui filtre peu à peu jusque dans les dessous asombris où tout est paix et fraîcheur. »


Mais, mais, mais et cent fois mais, quel dommage que le ravissant romancier, que le tant aimable nouvelliste ait à ce point absorbé le poète en vers !

Ah, ce poète ! Tenez, laissez-moi vous raconter une anecdote symbolique, puisque le mot est encore à la mode.

Il y a de cela une bonne vingtaine d’années. Nous nous promenions, Léon Valade, Albert Méral, quelques autres et moi, dans un des bois des environs immédiats de Paris. Ils sont amusants ces bois ravinés, tourmentés, aux clairières un peu trop fréquentes sans doute, mais, somme toute, fleurant acre comme il sied, sonores à souhait et d’une belle venue feuillue et peuplée d’oiseaux très charmants. Nous devisions de matières peu transcendantales, je le crains, et je n’oserai pas affirmer qu’il n’y eût pas parmi nos compagnons quelques belles illettrées. Tout à coup, parut, au détour d’un sentier bien ombreux que piquaient çà et là des taches d’un soleil « clère et beau, » qui ? sinon Theuriet lui-même, correct, de noir vêtu, ganté, en haut de forme, dans la société de dames, l’une d’un certain, âge, l’autre beaucoup plus jeune, en toilettes sobres. Ils paraissaient versés dans un entretien familial, et nous saluâmes silencieusement, non sans un sourire amical au poète, alors poète pur et simple (dites donc, n’est-ce pas, voyons ! assez et tout ce qu’il faut ?) et ayant déjà fait ses preuves par la publication de son Chemin des Bois, cette rencontre produisit sur nous un effet comme surnaturel, à la lettre. Le charme était rompu, ou plutôt le charme commençait. De frivoles et folâtres, nos pensées, sans y penser, se firent doucement sérieuses et comme recueillies. Le site cessa d’être un décor et prit l’aspect du ton de nos pensées, se fonça, se cuba devint non pas très, ni même peut-être encore assez tout à fait sauvage mais non loin d’être suffisamment sévère bien. La tête un peu faunesque mais affable de notre ami, sa tenue « habillée », l’extrême respectabilité de sa compagnie, disaient dans le meilleur français du monde : « Sylvæ sint consuls dignæ. » Lisez, si ce n’est, à votre éloge, déjà fait, les vers de Theuriet, tâche très agréable, croyez-le bien, et vous sentirez tout le juste de ce récit en forme d’apologue, bien que des plus authentiques.

Les bois, tels que les voit, les sent et les rend Theuriet dans l’ensemble de ses vers et plus particulièrement dans son premier volume au titre si joli, le Chemin des Bois, les bois, dis-je, de Theuriet ne sont précisément ni « les bois jolis » du siècle dernier, ni les halliers visionnaires où Hugo fréquente dans ses moments dantesques, mais de belles et bonnes hautes futaies sentant aigre et âpre et bon pour finir. Toute une fauve y vit, moins fauve sauvagement que gentiment mais vraiment inapprivoisée ; lapins, écureuils gambadent, se tassent, tournent et crient ; l’araignée des bois tisse sa toile que la rosée et le soleil diamantent et dorent.


Et au fait et pour finir dignement, lisez-moi ceci :


Quand les nids en émoi
Tressaillent d’allégresse,
Savez-vous, dites-moi,
Pourquoi cette tristesse !
Pourquoi ce long soupir
Qui semble toujours fuir
Et qui revient sans cesse ?

Des saisons d’autrefois
Et des morts qu’on oublie,
Mes amis, c’est la voix
Dans l’ombre ensevelie ;
Au soleil, à l’air bleu
Elle envoie un adieu
Plein de mélancolie.



Elle dit : « rameaux verts,
Songez aux feuilles sèches,
Blondes filles aux chairs
Roses comme les pêches ;
Amoureux de vingt ans.
Enivrés de printemps,
Songez aux tombes fraîches ! »


La Revue des Deux-Mondes, qui a pour spécialité de faire des académiciens, pousse la bienveillance jusqu’à les nommer avant le vote de l’Académie.

Notre ami Theuriet, le charmant romancier, est en effet qualifié a membre de l’Académie française » dans le sommaire du numéro du 1er octobre 1888.

Il n’y a là, du reste, qu’une anticipation.


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