Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/00-2
AVANT PROPOS.
’est aux villes aſſiégées
que nous ſommes redevables
des plus beaux ouvrages
que puiſſe enfanter l’esprit humain ;
Troïe a fourni la matiére
de l’Iliade & les ſuites de ce fameux
ſiége ont donné naiſſance
a l’Eneide. Le Tasse a
chanté la delivrance de Jeruſalem,
& c’eſt au ſiége de Paris
que nous devons la Henriade :
On auroit auſſi pu trouver le
ſujet d’un excellent poëme épique
dans Cythère aſſiégée, On
s’eſt contenté d’en faire un Opéra
comique. Un pareil ouvrage
ne doit être regardé tout au
plus que comme une mignature :
peut-être nous donnera-t’on
quelque jour un plus noble tableau.
En attendant qu’on
puiſſe employer les brillantes
couleurs de la poëſie j’aurai recours
à la ſimplicité de la proſe ;
Il m’eſt plus facile de parler le
langage des hommes que celui
des Dieux. Aulieu d’un poëme
je vais donc compoſer une histoire.
Tous les faits que j’avancerai
ſont inconteſtables ; Je ne
travaille point ſur des mémoires,
Tout ce que je vais raconter
s’eſt paſſé ſous mes yeux.
J’ai eu l’honneur de ſervir pendant
cette guerre, Et Militavi
non sine gloria. Je
ne ſuis pas de ces écrivains qui
ont paſſé leur vie dans l’obſcurité
d’un cabinet, & qui viennent
nous parler d’opérations
militaires dont ils n’ont que des
Idées trés imparfaites : Pour
bien traiter une matière, il faut
la connôitre à fond. Or dans
la profeſſion des armes, je ne
crois pas qu’on puiſſe me taxer
d’Ignorance. Aux lumières que
je puis avoir là deſſus, je joins
encore une qualité bien éſſentielle
à un Hiſtorien, c’eſt l’impartialité.
Ainſi ſi cet ouvrage
ne plait pas par la beauté du ſtile,
il ſera du gout de ceux qui
aiment mieux la Verité toute
nuë, que des Fables embellies.