Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Amédée Pommier

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 223-225).



AMÉDÉE POMMIER


1804 – 1877




Pommier (Victor-Louis-Amédée), né à Lyon, assista au double suicide de son père et de sa mère. Il donna lui-même l’exemple d’une vie attristée, laborieuse et digne.

Plusieurs fois lauréat de l’Académie française, il aborda successivement tous les genres, odes, épitres, satires, et bien que lentement élaborées, ces tentatives furent souvent heureuses. Ses deux poèmes les plus originaux sont assurément Paris et L’Enfer , où, disait Théophile Gautier, « il semble avoir introduit les diableries de Callot dans les Cercles de Dante. »

Son Ode à la Rime est surtout célèbre comme un vrai jeu d’équilibriste littéraire et peut être rapprochée de celle de Sainte-Beuve à titre de curiosité bibliographique.

Ses œuvres se trouvent chez MM. Garnier frères.

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MON UTOPIE




Jai rêvé maintes fois de faire une élégie
Digne de trouver place en quelque anthologie,
Un de ces morceaux fins, longuement travaillés.
Polis, damasquinés, incrustés, émaillés ;

Non point un monument ambitieux et vaste,
Pyramide, ou colonne, ou palais plein de faste,
Mais un rien, un atome, une création
Sublime seulement par sa perfection,
Œuvre de patience, œuvre humble, œuvre petite,
Formée avec lenteur comme la stalactite,
Valant un gros poème en sa ténuité,
Et faite pour durer toute une éternité.
Oh ! montrer ce que peut la constance ou l’étude !
Créer avec amour, avec sollicitude !
Laisser un médaillon, réplique dont le prix
Dans deux ou trois mille ans puisse être encor compris !

Vieux lapidaires grecs, dont la main délicate
Installait des Vénus, des Hébés sur l’agate,
Sculpteurs minutieux, artistes qui joutiez
À qui de vous seraient les plus fins bijoutiers !
Que n’ai-je aussi l’outil et la main qui burine
Quelque divin profil ou quelque figurine !
J’eusse fait un cachet richement ouvragé,
Grand comme l’ongle, fruit d’un labeur enragé.
Sur une pierre dure, ou sur un peu d’ivoire,
J’eusse mis tout mon art et mes chances de gloire,
Léguant aux temps futurs un immortel joyau,
Quand je n’aurais sculpté qu’un pépin, qu’un noyau.
Nous mourons par l’excès et par la redondance.
En flacon d’elixir heureux qui se condense !
J’aimerais recueillir cette perle, ce pleur
Filtrant d’un cœur souffrant qu’a fêlé la douleur ;
Puis, comme un moucheron dont chaque frêle membre,
Saisi, momifié dans une goutte d’ambre,
— Sépulcre transparent — se peut voir au travers,
J’embaumerais ce pleur dans l’ambre de mon vers.

Mais on n’a pas toujours de ces bonnes fortunes,
Comme Horace et Pétrarque en ont eu quelques-unes.
Le parfait, l’absolu, même en petit, n’est pas
Chose facilement accessible ici-bas.
Ce modèle idéal, qui dans notre esprit flotté,
De l’art qu’il décourage intangible asymptote,
On veut en vain l’atteindre et le réaliser.
Quand même notre cœur viendrait à se briser,
Nous ne pleurons pas tous de ces larmes divines
Que le temps cristallise et change en perles fines !


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BIEN PERDU




Entre quinze et vingt ans, le cœur tout neuf, qui sort
De sa torpeur première et qui commence à vivre,
S’enflamme quelquefois tout de bon, et s’enivre,
Dans un profond secret, d’un amour grand et fort.

Honteux de laisser voir cette ardeur qui le mord,
C’est sous un dehors calme et serein qu’il s’y livre ;
Et l’on se dit, craignant les troubles qui vont suivre :
N’éveillons pas trop tôt le cœur d’enfant qui dort.

Grâce aux cachets, fermoirs et scellés qu’on y pose,
Homme et femme, à cet âge, ont l’âme si bien close,
Qu’on n’en peut soupçonner les intimes combats.

On serait bien surpris, si l’on pouvait y lire : —
Combien, dans leur jeunesse, ont aimé sans le dire !
Combien furent aimés, qui ne le sauront pas !


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