Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Charles Canivet

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 390-393).




CHARLES CANIVET

1839


Canivet (Charles) est né à Valognes en 1839. Fils d’un professeur de rhétorique, il entra d’abord dans l’Université et devint plus tard secrétaire d’Amédée Thierry. Attaché au Journal de Paris depuis 1873, il passa ensuite à la rédaction du Soleil, où, en dehors de ses Chroniques quotidiennes paraissant sous le pseudonyme de Jean de Nivelle, il publie sous son nom des Variétés littéraires.

Il a dit lui-même en parlant de ses vers : « Écrits et composés de temps à autre, entre deux articles de journal, ils ne sont guère qu’une distraction, ou plutôt une récréation littéraire, prise et reprise à de rares intervalles. Il ne faudrait pas leur attribuer d’autre prétention que de peindre sincèrement quelques paysages maritimes et champêtres des côtes normandes, quelques souvenirs et quelques impressions du pays natal. »

Comme romancier, il a publié Jean Dagoury, La Nièce de l’organiste et Les Hautemanière.

Charles Canivet appartient à cette Anthologie par deux volumes de poésies : Croquis et Paysages (1878), Le long de la Côte (1883), qui ont été publiés par A. Lemerre.

A. L.



RENOUVEAU


Avril vient de finir. La sève monte aux branches,
Les oiseaux ont déjà leurs nids aménagés ;
Et l’on entend, sous bois, dans les soirs prolongés,
Le doux roucoulement des tourterelles blanches.

Le soleil, s’allumant dans les cieux dégagés,
Ouvre, dans les gazons, les yeux bleus des pervenches,
Et les champs, jusqu’ici par l’hiver ravagés,
Endossent, à l’envi, leurs habits des dimanches.

Le rossignol, amant des fourrés recueillis,
Cherche un endroit propice, et, dans les frais taillis,
Les bourgeons, en travail, s’ouvrent comme des baies ;

Et, le long des chemins bordés d’arbres tremblants,
L’aubépine précoce étend ses rameaux blancs,
Parfums de mai, tombant en neige sur les haies.

(Croquis et Paysages)



LE LONG DE LA CÔTE


Juillet étincelant, chaud comme une fournaise,
Allume son soleil dans les cieux aveuglants.
Et quand sonne midi, sous ses rayons ardents,
le sol incandescent fume comme une braise.


C’est alors, quand on est prisonnier des cités,
Qu’on songe aux bois chargés de senteurs amoureuses,
À la calme fraîcheur de leurs sentes ombreuses,
Aux longs soirs pleins de charme et de tranquillités.

On rêve une maison à l’ombre des futaies,
Simple à l’intérieur, mais ayant pour décor
Des champs riches d’épis, des prés émaillés d’or,
Si gaiement encadrés dans la verdeur des haies.

On entend, répondant aux chants des moissonneurs,
Les bêlements lassés d’un troupeau qui sommeille,
À l’heure fraîche où, dans l’atmosphère vermeille,
Le soleil couché met ses dernières rougeurs.

C’est l’heure désirée où la brise tardive
Se lève et vient troubler le calme lourd des eaux,
Et, passant sur la mer, ainsi qu’un vol d’oiseaux,
Se rapproche et fait signe à la barque attentive.

Les pêcheurs, ennemis des soleils trop brûlants,
Dont les feux endormants alourdissent leur voile,
Mettent le cap au large, en se chargeant de toile,
Et traînent leurs filets dans les flots somnolents.

Et l’on entend alors, dans la nuit transparente,
Mille bruits répétés par les échos naissants ;
Le flot calmé roulant sur les varechs glissants,
Les pas des promeneurs sur la grève odorante ;

Les mugissements sourds, venant des profondeurs
Des pacages lointains où le bétail s’allonge
Dans l’herbe, et le clapot d’un goëland qui plonge.
Au large, énervé par les nocturnes tiédeurs ;


Le grondement du flux, dont les assauts vivaces
Rongent les rocs, témoins des siècles éloignés,
Lavés par la bourrasque, et toujours imprégnés
De l’eau de mer qui roule, à flots, dans leurs crevasses.

Et plus le tard se fait sur le rivage clair,
Plus l’air est saturé de senteurs infinies,
Plus on s’enivre aussi des larges harmonies
De cet incomparable orchestre de la mer.

Des hiboux, dans les trous d’un vieux mur qui s’écroule,
Jettent leur cri de chasse aux échos alarmés,
À l’heure plus sombre où les phares allumés
Lancent leurs grands fuseaux de flamme sur la houle.

Ainsi, tout se remplit de rumeurs et d’accents,
Dans la chaude clarté des soirs caniculaires,
Quand la mer, assoupie et veuve de colères,
Se brise indolemment, en longs flots languissants.

Alors, sous la splendeur des ciels d’été sans voiles,
Du crépuscule à l’aube éclairés, grands ouverts,
On écoute, on admire, on rêve… on fait des vers,
Sous l’œil inspirateur des divines étoiles.