Astronomie populaire (Arago)/XXXIV/08

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 778-787).

CHAPITRE VIII

des observatoires — des observations astronomiques et des circonstances qui les favorisent


On ne peut guère espérer faire désormais des découvertes astronomiques d’une grande importance que dans des établissements spéciaux construits avec une solidité à toute épreuve et à l’aide d’instruments délicats. Comme le dit Bailly, il faut, pour l’observation des astres, un lieu qui réunisse et la sérénité du ciel et le silence de la retraite.

Guillaume IV, landgrave de Hesse, fit bâtir, en 1561, un observatoire sur le château de Cassel et y plaça les instruments qui lui servirent pour la formation du catalogue de neuf cents étoiles dont la science lui est redevable.

C’est dans l’île d’Hwen que se trouvait l’observatoire d’Uranibourg où Tycho-Brahé fit, de 1580 à 1597, les innombrables et belles observations qui ont servi de fondement à l’astronomie moderne.

Les sollicitations de Longomontanus déterminèrent plus tard le Danemark à fonder l’observatoire de Copenhague qui, commencé en 1632, fut achevé en 1656.

Hévélius fit bâtir à Danzig, sur sa propre maison, en 1641, un observatoire qui a été le théâtre de tous ses travaux.

L’Observatoire de Paris a été construit sous le règne de Louis XIV, d’après les dessins du célèbre architecte de la colonnade du Louvre, Claude Perrault. Les 20 et 21 juin 1667, les premiers membres de l’Académie des sciences de France déterminèrent, par des observations astronomiques, l’orientation des murs principaux, mais on ne commença à y travailler sérieusement qu’en 1668. L’édifice fut achevé en septembre 1671 ; il avait coûté deux millions de francs.

D’après un premier projet, le local de l’Observatoire aurait renfermé non-seulement tous les moyens de suivre le cours des astres, mais encore les modèles des diverses machines qui paraîtraient susceptibles d’applications utiles, et même des laboratoires de chimie. L’Académie des sciences devait y tenir ses séances. Ce projet ayant été modifié pendant la durée des travaux, le bâtiment fut exclusivement destiné à l’astronomie. Malheureusement l’architecte, quoique peu au fait des besoins des observateurs, les consulta rarement ou refusa de suivre leurs avis. Dans son opinion, un observatoire devait indispensablement être très-élevé. Il construisit donc un immense édifice d’où l’on ne pouvait apercevoir toutes les régions du ciel qu’en se plaçant en plein air sur la plate-forme supérieure. Partout ailleurs la masse du bâtiment devenait le plus fâcheux obstacle.

Perrault crut que les astronomes modernes ne pourraient pas se passer d’un gnomon ; il disposa dès lors dans le centre de son édifice une immense salle très-élevée, dirigée du sud au nord. S’il a commencé par cet instrument primitif, l’Observatoire de Paris a reçu du moins successivement les appareils les plus parfaits que les astronomes et les physiciens ont successivement inventés et que les meilleurs constructeurs ont exécutés.

L’observatoire de Greenwich a été construit sous Charles II ; il fut achevé au mois d’août 1676, époque à laquelle Flamsteed y est entré pour y faire les nombreuses observations qui forment la base du catalogue britannique.

Bientôt d’autres observatoires s’élevèrent à Leyde en 1690, à Nuremberg en 1692, à Bologne en 1709, à Berlin en 1710, à Altorf en 1713, à Lisbonne en 1722, à Pétersbourg en 1725, et à Utrecht en 1727.

Tous les gouvernements de l’Europe, au xixe siècle, semblent s’être concertés pour améliorer les anciens observatoires ou pour en créer de nouveaux. Dans la Grande-Bretagne, outre l’observatoire de Greenwich, illustré par Flamsteed, Halley, Bradley, Maskelyne, Pound, Airy, ont été construits les observatoires d’Edinburgh, de Glasgow, de Cambridge, de Durham, d’Oxford, de Dublin, d’Armagh, de Parsonstown, de Markree, de Liverpool, d’Aberdeen, d’Ashurt, de Bedford, de Birr castle, de Blenheim, de Bushey-Heath, de Kensington, de Makerstoun, d’Ormskirk, de Portsmouth, de Regent’s Park, de Richmond, de South Kilworth, de Starfield, enfin celui de Slough, célèbre par les travaux de William Herschel.

Le Danemark, outre celui de Copenhague, possède à Altona un observatoire modèle. La Suède a formé de beaux établissements astronomiques à Stockholm, à Upsal et à Christiania.

La Russie, non contente d’avoir fondé de très-utiles observatoires à Dorpat, à Abo, à Helsingfors, à Kiev, à Mitau, à Kasan, à Moscou, à Vilna, à Varsovie, à Nicolaïew sur la mer Noire, a voulu que Pétersbourg eût un véritable monument astronomique, et elle a érigé l’observatoire placé sur la colline de Poulkova.

La Prusse, outre un nouvel observatoire à Berlin, possède des établissements astronomiques à Bonn, à Bilk, près de Düsseldorf, à Breslau et à Kœnigsberg.

La Bavière peut se glorifier de l’établissement fondé à Munich ; le Hanovre de celui de Gœttingue ; le grand duché de Bade, de celui de Manheim ; les villes de Hambourg et de Brême, de ceux qu’elles ont construits ; la Suisse, de ceux de Genève, de Berne et de Zurich ; l’Autriche, après celui de Vienne, des observatoires de Kremsmünster, de Prague, de Senftenberg, de Bude ; la Belgique, de celui de Bruxelles ; l’Espagne, de celui de Cadix.

En France, outre l’Observatoire de Paris, on a les établissements de Marseille et de Toulouse.

En Italie, on nomme les observatoires d’Avulli, de Bologne, de Vérone, de Palerme, de Capo di Monte, de Florence, de Milan, de Padoue, de Turin, de Parme, de Rome.

Le nouveau monde a pris à son tour un grand intérêt aux recherches astronomiques. Les États-Unis d’Amérique possèdent de magnifiques observatoires placés à Cincinnati, à Washington, à Toronto et à Cambridge. Aux Antilles, il y a un observatoire dans l’île Sainte-Croix. Dans l’Amérique du sud, il existe un observatoire à Santiago du Chili.

Dans les colonies anglaises, on cite les beaux observatoires de Malte, du cap de Bonne-Espérance, de Sainte-Hélène, de Sidney dans la Nouvelle-Hollande, de Madras et de Bénarès. Enfin, il faut nommer aussi l’observatoire remarquable construit aux frais du rajah de Trévandrum, près du cap Comorin, et en Chine, l’observatoire impérial de Pékin.

Tout compte fait, il existe au moins 90 observatoires au milieu du xixe siècle.

Le public manifeste incessamment le désir de visiter les observatoires ; la nature des travaux qu’on exécute dans ces établissements s’oppose à ce qu’on puisse satisfaire sa curiosité. C’est dans la plus grande tranquillité, loin de toute distraction, qu’il est possible de donner aux observations toute la précision que les progrès de la science exigent désormais.

Les astronomes praticiens les plus habiles ont souvent lieu d’être étonnés que par un ciel dont la pureté semblerait devoir être très-favorable à l’étude de la constitution physique des astres, les grands instruments fonctionnent imparfaitement. Les circonstances qui rendent les images télescopiques diffuses, mal terminées, ondulantes, ne sont encore ni complétement connues, ni surtout exactement définies.

Je réunirai ici diverses remarques que les amateurs d’astronomie liront peut-être avec plaisir ; elles se trouvent pour la plupart disséminées dans les nombreux mémoires de William Herschel.

Aucune observation délicate, c’est-à-dire aucune observation exigeant une force amplilicative un peu grande, ne réussira, si l’on tente de la faire en regardant par la fenêtre d’un appartement, ou à travers la trappe du toit d’un observatoire.

Il est bon d’éviter les lieux abrités, même quand le télescope est placé en plein air.

S’il fait du vent, les images télescopiques ne sont pas, en général, très-distinctes. Le vent doit produire ce mauvais effet en mêlant entre elles des couches atmosphériques de différentes températures[1].

Les aurores boréales nuisent quelquefois aux observations astronomiques, elles semblent rendre tous les objets ondulants. Le plus ordinairement elles sont sans effet.

S’il était vrai, comme Herschel l’admet avec plusieurs météorologistes, que les aurores boréales fussent l’indice (cause ou effet) de grands changements de température dans les différentes régions de l’atmosphère, leur influence pourrait être assimilée à celle du vent.

Un astre ne paraît jamais bien terminé quand les rayons qui nous le font voir ont passé à une petite hauteur au-dessus du toit d’un édifice. Au-dessus d’un toit il y a toujours, en effet, un mouvement atmosphérique provenant du mélange de couches inégalement échauffées.

Quand l’atmosphère est sèche, les télescopes fonctionnent mal.

Quand, au contraire, l’atmosphère est très-chargée d’humidité, les images des astres ont une netteté remarquable.

Cette netteté existe aussi par un ciel brumeux, et, particulièrement, par un temps de brouillard. Le brouillard laisse aux images télescopiques toute la pureté de leurs contours, jusqu’au moment où, par voie d’obscurcissement, il les fait totalement disparaître.

Quelquefois il arrive que par un temps en apparence très-favorable, les astres ont des contours mal définis. Ceci, dit Herschel, peut tenir à la présence d’une atmosphère sèche qu’un vent d’est a apportée dans les hautes régions, ou dépendre du mélange de couches de différentes températures, résultat du conflit de vents supérieurs diversement orientés.

Quand une gelée subite vient de succéder à un temps doux ; quand un dégel vient tout à coup remplacer une longue gelée, les télescopes terminent mal les astres.

On ne doit pas non plus s’attendre à de bons résultats, au moment où un télescope vient d’être transporté d’une pièce chaude en plein air.

Pour généraliser, il faut dire que si le miroir de l’instrument n’est pas à la température de l’air qui l’entoure, la vision sera imparfaite ; alors on ne pourra pas employer utilement de forts grossissements.

Le fait se rattache d’ailleurs à une cause physique évidente. Tout le monde comprendra, en effet, qu’un miroir de télescope, pendant qu’il se réchauffe dans sa monture, ou pendant qu’il se refroidit, n’a pas la même température sur tous ses points ; que la suite nécessaire de cette inégale distribution de la chaleur doit être une déformation de la surface polie et réfléchissante du miroir et une imperfection dans l’image focale.

On rend compte de la même manière, de l’allongement de foyer qu’Herschel remarquait dans ses télescopes à miroirs métalliques[2], quand il les appliquait à l’observation du Soleil. Cette explication, le célèbre astronome l’a confirmée, en plaçant près du miroir, en avant ou en arrière, un petit boulet de fer chaud. Les rayons calorifiques partant du boulet, échauffaient inégalement le miroir de métal et le déformaient en allongeant son foyer.

Quand on veut comparer théoriquement, sous le rapport de la clarté, un télescope à une lunette ; en d’autres termes, quand on veut savoir si un instrument, où l’image destinée à l’amplification se forme par voie de réflexion sur un miroir courbe, donne plus ou moins de lumière qu’un autre instrument dans lequel cette même image s’engendre par réfraction à travers une lentille de verre, il faut soigneusement tenir compte des pertes qui s’opèrent dans la transmission à travers les verres et dans l’acte de la réflexion sur les miroirs. Celui qui ne se préoccuperait que des ouvertures réelles des deux instruments arriverait à des résultats très-erronés. Herschel a fait, d’après les méthodes photométriques de Bouguer, des expériences qui fournissent les éléments nécessaires pour réduire, à l’aide du calcul, le télescope à la lunette. Ces éléments, les voici :

Si 100 000 rayons tombent à peu près perpendiculairement sur un miroir plan, parfaitement poli et de l’espèce d’alliage qu’Herschel employait dans ses télescopes, il ne s’en réfléchira que 67 300.

Après une autre réflexion également rectangulaire sur un second miroir, si l’absorption s’opérait dans la même proportion, il ne resterait plus que 45 200 rayons, sur les 100 000 dont se composait le faisceau incident.

Les transmissions à travers des verres sont une cause de perte de lumière beaucoup moins forte. Herschel a trouvé, en opérant sur une lame de verre ordinaire à faces parallèles, parfaitement polie et d’une épaisseur à peu près égale à celle des oculaires d’un fort grossissement, que de 100 000 rayons qui tombent perpendiculairement sur un pareil verre, il en passe 94 800.

Je ferai suivre ces déterminations d’Herschel, d’une citation historique dont les physiciens seront étonnés. Je trouve dans le tome x, p. 505 des Mémoires de l’Académie des sciences, quelques remarques de Huygens sur le télescope à réflexion de Newton. Une d’elles est ainsi conçue : « Je compte pour un troisième avantage, que par la réflexion du miroir de métal il ne se perd point de rayons, comme aux verres qui en réfléchissent une quantité notable par chacune de leurs surfaces, et en interceptent encore une partie par l’obscurité de leur matière. » Huygens n’avait donc, en 1672, aucune idée de l’absorption qu’éprouve la lumière dans l’acte de la réflexion sur des miroirs métalliques !

  1. Lorsqu’il rédigeait cet aphorisme d’astronomie pratique sous l’influence d’un fait particulier, Herschel s’abandonnait peut-être un peu hâtivement à l’esprit de généralisation. Voici, en effet, ce que je trouve dans les Transactions de 1815, p. 322 : « Le vent ne nuit pas à la netteté des images télescopiques. Par des vents violents on peut se servir de pouvoirs amplificatifs très-considérables, pourvu que le pied de l’instrument ne soit pas ébranlé. » J’ignore si le grand observateur a jamais remarqué à quel point il s’est contredit touchant l’influence du vent sur les observations astronomiques.
  2. Le Soleil occasionne un effet inverse ; il produit un raccourcissement de la distance focale, quand le miroir du télescope est en verre. On ne sait pas encore la cause de cette anomalie.