Au duc de Nevers, en 1680 (1803)

La bibliothèque libre.
Poésies de Chaulieu et du marquis de La Fare
(p. 33-34).


AU DUC DE NEVERS,
en 1680.


Excuse, grand Nevers, la lenteur de ma veine.
L’hiver a glacé l’Hippocrène :
Pégase ne peut plus marcher,
Et la divine Melpomène
En Lipare s’en va chercher
Brontes pour le ferrer à glace ;
Car tu croiras facilement
Qu’on ne trouve que rarement
Un maréchal sur le Parnasse,
Où jamais d’artisan grossier
De grimper n’auroit eu l’audace,
Si, pour te plaire, près d’Horace,
Apollon n’avoit donné place
À Maître Adam ton menuisier.
Grâce à cet heureux sacrifice
Que d’un coq à propos tu fis,
Nous avons toujours eu propice
Le docte fils de Coronis :
Cette peste, malgré sa rage,
A respecté notre Adonis :
Tu trouveras même embellis
Tous les traits de son beau visage ;

Car la nature, bonne et sage,
A mêlé quelque rosé à des fagots de lis,
Et par un si prudent mélange
A fait, sans le secours du fard,
D’un Vendôme un peu trop blafard,
Un Vendôme plus beau qu’un ange.
Sa santé revient à grands pas ;
Et si la faim qui la devance
Augmente ainsi qu’elle commence,
Les halles n’y suffiront pas ;
Et bien que chez toi l’abondance,
Si familière en tes repas,
Y fournisse cinquante plats
Des mets les plus exquis de France,
Tu verras ce prince glouton
Rendre facilement croyable
Tout ce que nous conte la fable
Du famélique Érésichthon.
Avec combien d’impatience
Attendons-nous ce jour heureux
Où de cet appétit fameux
Tu souffriras l’expérience !
Et pour rendre encor plus pompeux
L’éclat de si belle journée,
Si tu veux qu’il ne manque rien,
Et que ta cave soit ornée
De Saint-Laurent et de Verdée,
De Falerne et de Formien,
Immole au Père Bromien
De ton pauvre baron la victime empestée.