Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/22

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XXI.


Je ne fais ici que constater des faits ; je les prends et je les signale tels qu’ils m’apparaissent. En ce qui touche le commentaire, je me bornerai à répéter ce que j’ai dit ailleurs : Je ne crois point à l’efficacité des révolutions armées et, cela, pour une raison bien simple, c’est que je ne crois point à l’efficacité des gouvernements armés.

Un gouvernement armé est un fait brutal, car il n’a pour principe que la force.

Une révolution armée est aussi un fait brutal, car elle n’a d’autre principe que la force.

Mais quand on est régi par l’arbitraire de la barbarie, il faut bien regimber à la façon des barbares ; et, aux armes que l’on croise sur leur poitrine, il faut bien que les partis opposent des armes.

Tant qu’un gouvernement, au lieu d’améliorer la condition des choses, n’améliorera que la condition de quelques personnes, une révolution, terme inévitable de ce gouvernement, ne sera qu’une substitution de personnes au lieu d’être une conversion de choses.

Les gouvernements armés sont des autorités de secte, des administrations de parti.

Les révolutions armées sont des guerres de secte, des campagnes de parti.

La nation est aussi étrangère au gouvernement armé qu’à la révolution armée ; mais s’il arrive à un parti révolutionnaire d’être plus immédiatement inquiété que la nation par le parti gouvernemental, il arrive aussi qu’à un jour donné, la nation inquiétée à son tour murmure contre le gouvernement, et c’est dans cet instant précis où l’appui moral du peuple lui est acquis, que le parti révolutionnaire livre bataille.

De là cette sorte de consécration publique donnée à des jongleries sanglantes qui, sous le titre pompeux de révolutions, dissimulent l’impertinence de quelques valets pressés de devenir les maîtres.

Quand le peuple aura bien compris la position qui lui est réservée dans ces saturnales qu’il paie, quand il se sera rendu compte du rôle ignoble et stupide qu’on lui fait jouer, il saura que la révolution armée est une hérésie au point de vue des principes ; il saura que la violence est l’antipode du droit ; et, une fois fixé sur la moralité et les tendances des partis violents, qu’ils soient d’ailleurs gouvernementaux ou révolutionnaires, il fera sa révolution à lui, par la force unique du droit : la force d’inertie, le refus de concours. Dans le refus de concours se trouve l’abrogation des lois sur l’assassinat légal et la proclamation de l’équité.

Cet acte suprême de souveraineté nationale que je vois venir d’ici, non pas comme le résultat d’un calcul, mais comme l’expression d’une loi de la nécessité, comme un produit inévitable de l’avidité administrative, de l’extinction du crédit et de l’avènement morne de la misère. Cette révolution qui sera française et non pas seulement parisienne, arrachera la France à Paris pour la ramener dans la municipalité ; alors, et seulement alors, la souveraineté nationale sera un fait, car, elle sera fondée sur la souveraineté de la commune.

À ces mots de souveraineté de la commune, tous ces grands génies qui ont traîné le patriotisme à la barre du vocabulaire pour faire de la République une question de mots, se récrient au nom trois fois saint de l’unité.

L’unité ! Le moment est opportun pour en parler. Au milieu des divisions qui déchirent le pays, je demanderais ce qu’ont fait de l’unité nationale les paradeurs boiteux qui parlent en son nom !

L’unité ! Je ne connais qu’une manière de la détruire ; c’est de vouloir la constituer de force. Si quelqu’un avait la puissance d’agir sur les planètes et si, sous le prétexte de constituer l’unité du système solaire, il tentait de les faire adhérer de force au centre, il romprait l’équilibre et rétablirait le chaos !

Il y a quelqu’un ici qui est plus unitaire que les unitaires ; ce quelqu’un c’est le peuple Français ; et si la France ne comprend pas qu’elle doit promptement sortir de l’estomac de l’administration, sous peine d’y être dissoute, ce ne sera ni ma faute, ni la faute des péritoines grossiers qui en élaborent la digestion.