Les Moines (Recueil)/Aux moines
Moines venus vers nous des horizons gothiques,
Mais dont l’âme, mais dont l’esprit meurt de demain,
Qui retrempez l’amour dans ses sources mystiques
Et le purifiez de tout l’orgueil humain,
Vous marchez beaux et forts par les routes des hommes,
L’esprit encor fixé sur les feux de l’enfer,
Depuis les temps lointains jusqu’au jour où nous sommes,
Dans les âges d’argent et les siècles de fer,
Toujours du même pas sacerdotal et large.
Seuls vous survivez grands au monde chrétien mort,
Seuls sans ployer le dos vous en portez la charge
Comme un royal cadavre au fond d’un cercueil d’or.
Moines — oh ! les chercheurs de chimères sublimes —
Vos rêves, ils s’en vont par delà les tombeaux,
Vos yeux sont aimantés par la lueur des cimes,
Vous êtes les porteurs de croix et de flambeaux
Autour de l’idéal divin que l’on enterre.
Oh ! les moines vaincus, altiers, silencieux,
Oh ! les géants debout sur les bruits de la terre,
Faces d’astres, brûlés par les astres des cieux,
Qui regardez crier autour de vous les foules
Sans que la peur ne fasse un pli sur votre front
Ni que le vent d’effroi n’en fasse un dans vos coules ;
Oh ! les moines que les siècles contempleront,
Moines grandis, parmi l’exil et les défaites,
Moines chassés, mais dont les vêtements vermeils
Illuminent la nuit du monde, et dont les têtes
Passent dans la clarté des suprêmes soleils,
Nous vous magnifions, nous les poètes calmes,
Et puisque rien de fier n’est aujourd’hui vainqueur,
Puisqu’on a déchiré les lauriers et les palmes,
Moines, grands isolés de pensée et de cœur,
Avant que la dernière âme ne soit tuée,
Mes vers vous bâtiront de mystiques autels
Sous le velum errant d’une chaste nuée,
Afin qu’un jour cette âme aux désirs éternels,
Pensive et seule et triste, au fond de la nuit blême,
De votre gloire éteinte allume encor le feu,
Et songe à vous encor quand le dernier blasphème
Comme une épée immense aura transpercé Dieu !