Baptême (Herpin)

La bibliothèque libre.


Le Collectionneur de timbres-poste du 15 novembre 1864no 5 (p. 4-9).

BAPTÊME.



N’est-il pas étrange que depuis six ou sept ans que l’on s’occupe de l’étude et de la recherche des timbres-poste, on n’ait pas encore songé à donner un nom à cette attrayante occupation qui fait le bonheur des uns et la fortune des autres ? Il est impossible de regarder comme une dénomination acceptable le mot : timbromanie. Ce n’est en effet qu’un terme légèrement injurieux que certaines gens, en croyant faire un mot, articulent avec une intention sarcastique d’un effet d’ailleurs assez innocent. C’est donc faute de mieux qu’on l’a employé jusqu’ici ; mais il est temps de la bannir ignominieusement de notre vocabulaire ; bien plus, lecteurs et écrivains de ce recueil, nous devons nous efforcer d’oublier cette odieuse expression et de douter même de son existence. Maintenant, en admettant que la bête soit morte et le venin aussi, il faut lui trouver un successeur qui n’ait rien de commun avec elle et qui même compte autant de qualités qu’elle avait de défauts. Mais où trouver cet oiseau rare ? Chacun pouvant donner son avis sur cette grave question, et la fortune favorisant les audacieux, nous nous hasardons à formuler ici notre opinion.

Tout le monde a pu remarquer que la plupart des mots nouveaux avaient pour racine des mots anciens, sans doute à cause de l’affinité que les extrêmes ont les uns pour les autres ; or, les néologismes empruntant leurs éléments aux Latins et aux Grecs, nous allons tenter aussi une incursion dans l’un de ces idiomes. Nous entendons déjà les cents voix de la critique nous crier :

Qui nous délivrera des Grecs et des Romains !

Nous bravons ces vaines clameurs, nous poursuivons notre carrière, selon l’expression de M. Baour-Lormian, et nous nous disons que puisque la numismatique a tiré son nom du latin numisma, médaille, et la sphragistique (étude des sceaux, sans jeu de mots) du grec σφραγιζω[1], je scelle, nous pouvions aussi, vu sa richesse, faire quelque emprunt à cette langue généreuse et proposer aux amateurs le mot : Philatélie, comme exprimant l’idée que le terme odieux stigmatisé plus haut s’efforçait de ridiculiser.

Philatélie est formé de deux mots grecs : φιλος[2] ami, amateur, et ατελης[3] (en parlant d’un objet) franc, libre de toute charge ou impôt, affranchi : substantif : ατελεια[4]. Philatélie signifierait donc : amour de l’étude de tout ce qui se rapporte à l’affranchissement.

Maintenant, puisque le mot est lâché et que le nouveau-né a vu le jour, en vue d’augmenter ses chances de bonheur et de prospérité, nous prions instamment nos jeunes et charmantes lectrices d’en être les marraines. Eh quoi ! dira-t-on, vous parlez grec aux jeunes filles ? C’est choisir un singulier moyen pour leur plaire et demander leur patronage. Le moyen n’est peut-être pas si mauvais que vous le supposez. Qui sait si l’étrangeté même de la requête ne sera pas sa meilleure recommandation. À qui donc, d’ailleurs, une chose nouvelle, un mot nouveau, peuvent-ils demander aide et protection, si ce n’est à la jeunesse amie des nouveautés en toute chose, et dont les faibles implorent bien rarement en vain la générosité ? Du reste, au nom du grec, nous n’affichons aucune des folles prétentions du Vadius de notre Molière. C’est donc sans témérité, mais aussi sans embarras, que nous sollicitons l’approbation de la plus belle moitié du genre humain, sûrs que nous sommes, si nous l’obtenons, de celle de l’autre moitié.

En définitive, nous n’imposons rien ; seulement la lice étant ouverte, nous attendons, nous sollicitons même les communications qui auraient trait à cette question, nous déclarant d’avance tout prêts à nous ranger à l’avis d’un Philatèle mieux inspiré.


  1. sphragizô (note de Wikisource)
  2. philos (note de Wikisource)
  3. atelês ou atelhs (note de Wikisource)
  4. ateleia (note de Wikisource)