Biographie, discours, conférences, etc. de l’Hon. Honoré Mercier/Question des Écoles du Nouveau-Brunswick

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QUESTION DES ÉCOLES DU NOUVEAU BRUNSWICK.


Discours prononcé le 14 mai 1873, à la Chambre des Communes, par M. Honoré Mercier, Député du Comté de Rouville.

M. l’Orateur,


La question qui est soumise à cette Chambre par la motion de l’honorable député de Victoria, M. Costigan, est de la première importance ; je le félicite de l’avoir soulevée. Il s’agit de la liberté de l’enseignement, qui est garantie à toutes les croyances religieuses, par l’acte d’Union ; il s’agit de savoir si cet acte a été une duperie, ou un traité sacré, et s’il sanctionne et légalise l’injuste oppression, l’oppression tyrannique, qui écrase nos co-religionnaires du Nouveau-Brunswick depuis deux ans.

Pour nous, catholiques, c’est une question de principes religieux ; pour la majorité de cette Chambre, c’est une simple question de justice. Les catholiques veulent savoir s’ils peuvent obtenir la protection à laquelle ils ont droit ; et la majorité dira tout à l’heure si elle est prête à assumer la grave responsabilité de refuser cette protection au faible qui l’implore.

Les immenses intérêts qui sont en jeu ne regardent pas seulement les catholiques du Nouveau-Brunswick, mais encore ceux de toute la Puissance ; et la cause sacrée de nos frères de la province-sœur devient universelle comme les droits qu’ils réclament.

Dans les quelques observations que j’aurai l’honneur de faire devant cette Chambre, je serai respectueux pour la majorité, mais ferme pour la minorité que je défends. J’éviterai de blesser les susceptibilités de mes collègues qui ne partagent pas mes convictions religieuses ; mais je réclamerai hautement et énergiquement, sans provocation, mais aussi sans faiblesse, les privilèges que la loi reconnaît aux minorités.

Nous sommes ici cinquante Canadiens-français, qui professons la religion catholique et qui sommes unis aux pauvres persécutés du Nouveau-Brunswick par des liens de foi et même de sang. J’ai la conviction que si justice n’était pas rendue à nos frères de là-bas, ce serait parce que ces cinquante députés de Québec failliraient à leur devoir et refuseraient d’oublier dans un moment solennel comme celui-ci, les haines qui les ont divisés jusqu’à ce jour. La responsabilité qui pèse sur mes compatriotes est immense ; l’opposition d’Ontario nous tend la main et offre de nous faire rendre justice avec une libéralité qui l’honore et lui assure notre reconnaissance ; et si demain, lorsque le vote sera donné, le télégraphe annonce aux catholiques indignés que leur cause a été sacrifiée de nouveau dans le Parlement de la Puissance, l’histoire jettera l’épithète odieuse de traître à la députation française de Québec, et inscrira dans ses annales, en caractères indélébiles, que l’amour du pouvoir et l’esprit de parti ont perdu la plus sainte des causes.

A la dernière session, la législature du Nouveau-Brunswick a passé différentes lois : l'une pour amender l’acte des écoles de 1871, et les autres pour légaliser des rôles de cotisation faits en vertu de cette loi de 1871.

L’acte de 1871 avait privé les catholiques des droits et privilèges dont ils jouissaient à l’époque de l’Union et leur avait enlevé du coup l’enseignement religieux qu’ils donnaient librement et légalement à leurs enfants depuis de longues années. Par une résolution passée le 30 mai dernier, cette Chambre des Communes du Canada avait exprimé les regrets que lui faisait éprouver la passation de cette loi de 1871 et l’espérance que la législature du Nouveau-Brunswick s’empresserait, à sa prochaine session, de rappeler un statut qui troublait l’harmonie générale qu’il était si important de conserver parmi toutes les croyances religieuses. La résolution allait plus loin ; elle exprimait le désir d’avoir l’opinion des officiers en loi de la couronne en Angleterre et du comité judiciaire du conseil privé, s’il était possible, sur la constitutionnalité de cette loi du Nouveau-Brunswick.

Depuis cette époque, l’opinion des officiers en loi de la couronne a été obtenue favorablement à la loi ; et la Cour Supérieure du Nouveau-Brunswick a rendu un jugement dans le même sens dans la cause ex-parte Renaud. Le comité judiciaire du conseil privé a refusé de faire connaître ses vues, sur le principe qu’il ne pouvait avoir juridiction qu’en autant que la question lui serait soumise judiciairement, par un appel régulier d’un jugement d’une cour provinciale. La cause des catholiques est ou sera ainsi soumise au plus haut tribunal de l’empire dans la cause ex-parte Renaud.

Tandis que tous ces procédés se faisaient, au lieu de respecter les vœux de la Chambre des Communes, tels qu’exprimés dans la résolution du 30 mai, la législature du Nouveau-Brunswick a amendé l’acte de 1871 et l’a rendu plus injuste pour la minorité ; il y a plus, les cours locales ayant rejeté comme illégaux certains rôles de cotisations faits en vertu de l’acte 1871, la législature a décrété des lois, ayant un effet rétroactif pour couvrir toutes les illégalités contenues dans ces rôles et leur donner une valeur qu’ils n’avaient point.

En sorte que la minorité du Nouveau-Brunswick est enfermée comme dans un cercle de fer ; il lui faut payer les taxes scolaires malgré la loi qui devrait la protéger, et elle est virtuellement privée de son droit d’appel devant le conseil privé, parce que l’exécution du jugement qui devrait être suspendue, par le cours ordinaire des choses, est poussée avec une rage vigoureuse et effective, grâce à ces lois que je viens de mentionner.

Aujourd’hui, les catholiques du Nouveau-Brunswick demandent par la motion de l’honorable député de Victoria, que ces lois, passées à la dernière session, soient désavouées par Son Excellence ; ils ne vous demandent pas de décider que l’acte de 1871 est inconstitutionnel et de les remettre dans la même position qu’ils occupaient avant la passation de cette loi ; ils ne vous demandent pas de leur permettre de disposer, en faveur de leurs écoles, et suivant leurs convictions religieuses, des deniers prélevés sur eux pour les fins de l’instruction ; mais ils vous prient et vous supplient de demander à Son Excellence le gouverneur-général, qui représente ici la Souveraine, de désavouer les lois de la dernière session, afin qu’ils puissent aller se jeter aux pieds de cette Souveraine en Angleterre et lui demander justice et protection.

Ils voudraient que les chaînes que l’acte de 1871 leur a imposées, ne soient pas augmentées en nombre et en poids ; que la persécution qu’ils subissent depuis deux ans, cesse pour un instant, afin qu’ils puissent librement porter leur cause en Angleterre ; et que la main cruelle et impitoyable de la justice ne jette pas leurs familles sur le pavé et ne complète point leur ruine, tandis qu’ils iront tenter un dernier et suprême effort pour obtenir la justice qu’ils réclament.

Nous ne pouvons pas repousser cette demande ; la population qui la fait, est digne à tous égards d’être écoutée, et la loi, au nom de laquelle cette population sollicite notre intervention, nous fait un devoir impérieux de ne pas la lui refuser.

La population entière de la Puissance, d’après le recensement de 1871, est de 8,485,762 habitants, et sur ce nombre il y a 1,492,029 catholiques, laissant 1,993,733 habitants pour représenter toutes les autres dénominations religieuses. Dans ce dernier chiffre il y en a 17,055 qui n’ont pas voulu dire à quelle croyance ils appartiennent ; 5,146 qui ont déclaré n’en avoir aucune ; 409 qui se sont crus déistes ; 20 qui se sont infligé gratuitement l’épithète odieuse d’athée ; 1,886 qui ont admis être encore dans les ténèbres du paganisme ; 534 qui se sont rangés chevaleresquement dans les rangs des mormons et enfin 1,115 qui se sont proclamés les adhérents à la doctrine judaïque.

La population entière du Nouveau-Brunswick est de 285,594 individus, parmi lesquels il y a 90,016 catholiques ; c’est-à-dire que ces derniers forment plus d’un tiers de la population de cette province. Cette importante minorité est aujourd’hui privée des droits et privilèges dont jouissent les minorités des autres provinces, et ne peut donner à la jeunesse le même enseignement que reçoit celle des autres minorités. Ainsi il y a dans la province de Québec 1,191,516. habitants et dans ce nombre 1,019,850 catholiques, ce qui ne laisse que 171,666 particuliers pour représenter toutes les autres dénominations. D’un autre côté il y a dans Ontario 1,630,851 habitants, parmi lesquels on trouve 274,162 catholiques : de sorte que la minorité de Québec ne forme qu’un septième, et celle d’Ontario, un sixième de la population entière de ces provinces respectives, tandis que la minorité du Nouveau-Brunswick forme plus d’un tiers de la population totale.

Je cite ces chiffres, qui ont leur place logique dans ce débat, afin de démontrer quelle est l’injustice criante qui est faite à nos co-religionnaires dans le Nouveau-Brunswick, en face d’une loi persécutrice qui privée cruellement un tiers de la population d’une province des droits et privilèges qui sont généreusement accordés à un sixième et à un septième des populations respectives des deux autres provinces.

Maintenant, Monsieur, je dirai à la majorité de cette Chambre, surtout à la majorité qui représente ici la province du Nouveau-Brunswick, que la cause des cent mille catholiques de notre province-sœur est la cause de 1,500,000 catholiques de toute la Puissance qui sont représentés par nous dans cette Chambre ; les catholiques de tous les pays sont unis comme un seul homme sur cette question, et si la majorité de ce parlement rejette la prière des catholiques du Nouveau-Brunswick, elle blesse au cœur les catholiques de toute la Puissance qui devront protester, solennellement, contre un tel déni de justice et prendront en face de toute la nation l’engagement sacré de se venger à la première occasion que les circonstances fourniront. Et qu’il me soit permis de rappeler que cette occasion n’est peut-être pas aussi éloignée qu’on pourrait le croire. Il n’y a, d’après les chiffres que je viens de citer, que 500,000 protestants de plus que de catholiques dans la Puissance entière ; or nous avons, nous Canadiens, 600,000 compatriotes qui mangent à l’étranger le pain amer de l’exil et soupirent ardemment, de l’autre côté de la frontière américaine, après le jour heureux où il leur sera permis de revenir prendre au sein de la patrie toujours regrettée, la place que le malheur les a forcés de quitter. Si cet heureux événement se réalisait, et j’ai assez confiance en l’avenir pour croire qu’il se réalisera, alors les protestants ne seraient plus en majorité et l’heure de la rétribution aurait sonné. Ceux qui, oubliant la foi jurée, la parole sacrée, auraient abusé de leurs forces et de leur pouvoir de majorité, pour écraser une minorité impuissante, seraient à leur tour à la merci de leurs victimes de la veille ; et les persécutés d’aujourd’hui deviendraient peut-être, malheureusement, les persécuteurs du lendemain.

Ce n’est pas une menace que je fais, Monsieur, c’est un danger que je révèle, un abîme que j’indique à la majorité du jour, avec l’espérance qu’elle se souviendra, dans les débats actuels, que la minorité accepterait un refus, dans la circonstance grave et solennelle dans laquelle elle se trouve, comme une provocation faite à ses sentiments religieux, comme une atteinte portée à ses droits constitutionnels et politiques.

Voilà une raison, basée sur nos droits comme minorité considérable de cette Puissance, qui doit engager cette Chambre à accéder à la demande des catholiques du Nouveau-Brunswick. Qu’il me soit permis maintenant d’aller plus loin et d’examiner quelle est la position que nos co-religionnaires des provinces occupent, aux yeux de la loi et de la constitution, sur cette importante question des écoles.

Tout ce qui est en droit nul et illégal ab initio, ne peut produire d’effets légaux, et si l’acte des écoles passé par la législature du Nouveau-Brunswick, en 1871, est inconstitutionnel, toutes les lois qui en ont été la conséquence ou le résultat, soit pour l’amender ou lui donner plus de force, sont inconstitutionnelles et doivent être désavouées.

Pour arriver à une opinion exacte sur ce point, il faut examiner :

1°. L’acte constitutionnel qui nous régit, et chercher à en comprendre le sens en comparant son texte avec les déclarations faites par les pères de la confédération ; 2°. Rechercher quels étaient, le 1er juillet 1867, les droits et privilèges que la minorité du Nouveau-Brunswick possédait à l’égard de l’éducation ; et 3°. enfin qu’elle est la position faite à cette minorité par l’acte de 1871.

La section 93 de l’acte d’Union se lit comme suit : 93. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement décréter des lois relativement à l’éducation, sujettes et conformes aux dispositions suivantes :

1°. Rien dans ces lois ne devra préjudicier à aucun droit ou privilège conféré, lors de l’Union, par la loi à aucune classe particulière de personnes dans la province, relativement aux écoles confessionnelles (denominational) ;

2°. Tous les pouvoirs, privilèges et devoirs conférés et imposés par la loi dans le Haut-Canada, lors de l’Union, aux écoles séparées et aux syndics d’écoles des sujets catholiques de Sa Majesté, seront et sont par le présent étendus aux écoles dissidentes des sujets protestants et catholiques romains de la Reine dans la Province de Québec ;

3°. Dans toute province où un système d’écoles séparées ou dissidentes existera par la loi, lors de l’union, où sera subséquemment établi par la législature de la province, il pourra être interjeté appel au gouverneur-général en conseil de tout acte ou décision d’aucune autorité provinciale affectant aucun des droits ou privilèges de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de Sa Majesté relativement à l’éducation ;

4° Dans le cas où il ne serait pas décrété telle loi provinciale, que de temps à autre, le gouverneur-général en conseil jugera nécessaire pour donner suite et exécution aux dispositions de la présente section, ou dans le cas où quelque décision du gouverneur-général en conseil, sur appel interjeté en vertu de cette section, ne serait pas mise à exécution par l’autorité provinciale compétente, alors et en tout tel cas, et en tant seulement que les circonstances de chaque cas l’exigeront, le parlement du Canada pourra décréter des lois propres à y remédier pour donner suite et exécution aux dispositions de la présente section, ainsi qu’à toute décision rendue par le gouverneur-général en conseil sous l’autorité de cette même section.»

Pour bien comprendre la portée de ce texte, il faut en rechercher l’origine historique et voir comment et pourquoi il est arrivé dans nos statuts, Comme la Chambre le sait, une conférence de délégués du Canada et des Provinces Maritimes, fut tenue à Québec en 1864 ; et le dix octobre un projet de la loi fut arrêté entre les parties contractantes.

Voici ce que l’on trouve dans ce projet relativement à l’éducation :

« Section 43. Les législatures locales auront le pouvoir de faire des lois sur les sujets suivants....

6. L’éducation, sauf les droits et privilèges que les minorités catholiques ou protestantes dans les deux Canadas posséderont par rapport à leurs écoles séparées, au moment de l’Union.»

Comme on le voit, cette disposition ne s’appliquait qu’aux deux provinces de Québec et d’Ontario, alors le Haut et le Bas-Canada, et ne parlait en aucune manière des minorités des Provinces Maritimes. Toutefois, on trouve dans les débats sur la Confédération que les auteurs de la constitution nouvelle voulaient protéger toutes les minorités, même ces dernières. Et, chose étrange, en face d’un texte aussi clair, ils trouvaient moyen, plus que cela, ils poussaient l’audace, jusqu’à dire qu’ils avaient prévu le cas où la majorité des provinces inférieures chercherait à gêner les libertés des minorités pour l’éducation de la jeunesse.

Vous avez entendu tout à l’heure, Monsieur, et cette Chambre a entendu avec une surprise facile à expliquer, les prétentions extraordinaires de l’hon. Ministre des Travaux Publics, sur le sens et la portée de la section 93 que je viens de lire. L’hon. membre nous a dit, sans rougir, que cette clause était impuissante à protéger ses co-religionnaires du Nouveau-Brunswick. Et pourtant ce premier paragraphe de cette section ne peut se rapporter qu’aux minorités des Provinces Maritimes ; car il parle d’écoles confessionnelles (denominational), tandis que le second paragraphe se rapporte aux écoles séparées et dissidentes. Or, tout le monde sait que les protestants du Bas-Canada avaient à cette époque des écoles dissidentes, et que les catholiques du Haut-Canada avaient par la loi passée en 1863 et due à l’administration McDonald-Sicotte, les écoles séparées. Quand ce premier paragraphe parle des écoles confessionnelles, il ne peut donc être question du Haut et du Bas-Canada qui n’avaient pas de telles écoles, mais bien des autres provinces à qui seules ce terme peut s’appliquer. Nous verrons tout à l’heure si la minorité du Nouveau-Brunswick avait de telles écoles confessionnelles ; je me contente dans le moment de faire pour l’intelligence de ce que je vais lire, la distinction que la loi fait entre ces trois différentes espèces d’écoles : séparées, dissidentes et confessionnelles ; cette distinction est absolument nécessaire à l’intelligence de la section 93.

Je l’ai dit et je le répète, il y a une énorme différence entre le texte actuel de la loi et celui que l’on trouve dans le projet de Québec ; celui-là protège évidemment toutes les minorités et celui-ci ne protégeait que les minorités des deux vieilles provinces.

Et cependant, quel était en 1865 le langage des auteurs de la confédération, alors qu’ils voulaient dissiper toutes les craintes, faire disparaître toutes les appréhensions, afin de faire entrer le plus de conjoints possibles dans le malheureux mariage politique qu’ils avaient en vue ? Ce langage est bien explicite, bien ponctué, et ne peut laisser de députe sur les intentions des ministres canadiens.

Le 7 février 1865, Sir George Etienne Cartier disait. «La difficulté se trouve dans la manière de rendre justice aux minorités. Dans le Haut-Canada, les catholiques se trouvent en minorité ; dans le Bas-Canada, les protestants sont en minorité, pendant que les Provinces Maritimes sont divisées. Sous de telles circonstances, quelqu’un pourra-t-il prétendre que le gouvernement général ou les gouvernements locaux, pourraient se rendre coupables d’actes arbitraires ? Quelle en serait la conséquence, même en supposant qu’un des gouvernements locaux le tenterait ? des mesures de ce genre seraient, à coup sûr, censurées par la masse du peuple. Il n’y a donc pas à craindre que l’on cherche Jamais à priver la minorité de ses droits.»

Voilà l’engagement solennel pris en 1865 par le chef des conservateurs, au nom du Bas-Canada ; cet engagement, les conservateurs de Québec sont obligés de le remplir, s’ils ne veulent pas faire mentir la parole donnée par celui qui n’est plus ici, mais qui liait alors le parti entier par ses promesses. Sir Narcisse Belleau, de son côté, le 14 février 1865, répondant à l’honorable M. Letellier, disait :

«S’il avait voulu réfléchir un peu, il aurait appris que le sort des minorités sera réglé par la loi, que leur religion est garantie par les traités et qu’elles seront protégées par la surveillance du gouvernement fédéral qui ne permettra jamais que la minorité d’une partie de la Confédération soit inquiétée par la majorité.» De son côté le premier ministre du temps, Sir Etienne Taché, disait le 20 février 1865 ;

«Ces minorités sont à l’heure qu’il est en possession de certains droits qui, suivant mon interprétation du projet actuel, resteraient les mêmes et seraient respectés sous les gouvernements locaux, quand même nous ne passerions pas de loi à cet effet ; mais il a été résolu qu’en cas de nécessité on leur donnerait plus de protection. Et alors, j’affirme sans hésiter, que ce qui sera fait pour une partie du pays, sera également fait pour les autres parties, et que la justice sera égale.»

Ce langage, Monsieur, est aussi clair que possible et contient des engagements formels qui ont pu passer inaperçus dans le temps, mais qui ont une portée considérable aujourd’hui.

J’arrive maintenant à l’honorable Ministre des travaux Publics (M. Langevin). Vous l’avez entendu tout à l’heure vous avouer que la loi dont il était un des auteurs, ne pouvait venir au secours de la minorité du Nouveau-Brunswick. Tenait-il le même langage en 1865 ? Ecoutez ce qu’il disait le 21 février : «Cette mesure, comme je le disais il y a un instant, ne saurait durer que si elle protège les intérêts de tous. Or, nous avons des intérêts différents dans le Bas-Canada, où vivent deux populations de races différentes, de religions différentes et parlant des langues différentes. D’un autre côté, le Haut-Canada a une population homogène mais professant différentes religions, et il en est ainsi pour les diverses provinces maritimes. Nous avons aussi dans ces provinces, plus de cent mille compatriotes d’origine française. Eh ! bien, M. l’Orateur, ces intérêts différents, nous avons eu le soin de les protéger et de sauvegarder les droits de cette population en l’unissant dans la Confédération à un peuple comptant un million d’habitants de la même race qu’elle." Voilà, Monsieur, ce que promettait alors l’illustre homme d’état qui représente avec tant d’éclat les Canadiens-français dans le ministère fédéral ; qui joue sur les banquettes ministérielles un rôle si important et déploie dans les conseils de la nation une éloquence si brillante que la Province de Québec est souvent portée à oublier qu’elle est représentée dans le gouvernement de la Puissance. Comparons ce langage de 1865 avec celui de 1873. Alors l’honorable ministre avait tout prévu, aujourd’hui il a tout oublié, dans ce fameux acte de confédération ; alors tous les intérêts étaient protégés, aujourd’hui ils sont tous sacrifiés ; alors l’acte d’Union était un remède infaillible à tous les maux de la religion et de la patrie, et aujourd’hui cet acte admirable devient le tombeau des espérances de l’une et de l’autre. Qu’il me soit permis de le dire, M. l’Orateur, de le dire hautement, en présence de cette assemblée des députés de toutes les provinces : en 1865 l’honorable ministre trahissait son pays, en 1872 il trahissait sa religion ; et ce soir il fait l’aveu de son crime. Qu’a-t-il fait de ces cent mille catholiques des provinces-sœurs dont, avec tant de générosité, il se proclamait alors le sauveur. Il les a vendus pour conserver le pouvoir ! et aujourd’hui il les livre, faibles et sans protection, au fanatisme de la majorité protestante dans le Nouveau-Brunswick, afin que cette majorité maintienne à la tête du pays un gouvernement repoussé par l’opinion publique.

En jetant nos regards en arrière, nous trouvons que les honorables députés de Napierville et de Lotbinière exprimant, dans l’ancien parlement du Canada, les craintes bien justes et bien fondées qu’ils entretenaient sur le sort des minorités dans cette Confédération que les ministres d’alors étaient si empressés à imposer au pays, étaient dénoncés comme des prophètes de malheur par l’Hon. Ministre des Travaux Publics. Ce dernier prétendait que leurs appréhensions étaient chimériques et ridicules il allait jusqu’à leur nier le droit d’intervenir dans une pareille question, jusqu’à leur refuser le privilège de défendre les intérêts de la religion et de la nationalité. «Nous n’avons pas eu besoin disait alors l’Hon. Ministre, des honorables députés d’Hochelaga (M. Dorion) et Lotbinière (M. Joly) pour protéger les minorités dans la Confédération ; nous avons été les premiers à réclamer justice pour les catholiques du Haut-Canada et les protestants du Bas-Canada parce que nous avons voulu faire une œuvre solide et non pas bâtir sur le sable un édifice qui s’écroulerait dès le lendemain.»

Ainsi, la tactique d’alors était la même qu’aujourd’hui ; les députés de l’opposition n’avaient pas le droit de s’appeler catholiques et ne pouvaient prétendre à une place dans le paradis qui était, comme il est aujourd’hui, le partage exclusif des ministériels. L’Honorable Ministre avait sans doute pris une patente pour les choses de la religion qu’il voulait exploiter pour lui seul et son parti. Il faut avouer qu’il n’a pas trop mal réussi et qu’il n’a pas manqué de faire des dupes ; heureusement que la lumière s’est faite et que le pays connaît maintenant la mesure du dévouement de ce personnage aux intérêts religieux. Après l’avoir entendu, dans le discours tristement célèbre qu’il a prononcé ce soir, les plus incrédules, devront s’avouer que la trahison est complète, et que les intérêts religieux comme les intérêts nationaux sont odieusement sacrifiés par nos ministres de la Province de Québec.

J’ai dit, M. l’Orateur, que cette clause 93, qu’on trouve aujourd’hui dans l’acte constitutionnel, y avait été ajoutée en Angleterre ; tout le monde sait, en effet, que le projet, tel que préparé par la conférence de Québec, fut forcément accepté par l’ancienne Chambre de la Province du Canada. C’était un traité et un traité solennel, signé par toutes les parties contractantes et pas un iota n’en pouvait être retranché ; c’était une arche sainte à laquelle il était défendu de toucher sous peine de mort ; c’était un article de foi en lequel il fallait croire aveuglement, sous peine de damnation éternelle. Et, avec cette charité toute évangélique qui distingue les chefs du parti conservateur, ils ne manquèrent pas de menacer des foudres célestes, dont ils paraissaient disposer à leur guise, ceux qui oseraient mettre en doute l’orthodoxie du projet ministériel, d’invention presque divine.

Comme on le sait aussi, des délégués furent envoyés en 1866 auprès du gouvernement impérial afin de s’entendre avec lui sur certains détails qui divisaient les différentes provinces ; et je trouve que les résolutions telles que soumises au bureau colonial contenaient la clause 43, si incolore et si insignifiante, que je lisais tout à l’heure à cette Chambre. J’ignore comment cette clause a disparu du projet originaire, mais je sais qu’après de nombreuses entrevues, entre le secrétaire colonial. Lord Carnarvon, et les délégués canadiens comme ceux des autres provinces, un bill fut présenté, le 12 février 1867, à la Chambre des Lords, par le noble Lord que je viens de nommer ; je trouve la clause 93 dans ce bill qui peut être vu dans le vol. 37, p. 358, des papiers parlementaires des colonies ; la clause en question est textuellement la même que celle qui se trouve dans nos statuts, et le bill, sous ce rapport, ne fut amendé ni à la Chambre des Lords, ni dans celle des Communes, où il fut présenté par M. Adderley, le 11 mars de la même année.

En présentant ce bill, Lord Carnarvon, qui devait parfaitement connaître le sens et la valeur de cette clause, puisqu’elle avait été rédigée sous ses yeux, pour ainsi dire, après de longues discussions, si nous devons en croire ce qu’il nous dit lui-même, fit un discours remarquable, dans lequel il expliqua les principales sections du projet de loi. Je vais citer à cette Chambre les paroles du noble Lord, sur cette section 93, afin de démontrer comment il comprenait à cette époque les droits et privilèges que les diverses provinces auraient sur cette question de l’éducation en vertu de cette section. Voici les paroles que l’on trouve dans Hansard, vol. 185, pp. 565 et 566 :

«En dernier lieu, dans la 93e clause qui contient les dispositions particulières auxquelles j’ai déjà référé, vos Honneurs remarqueront les arrangements quelque peu compliqués à l’égard de l’éducation. Je n’ai guère besoin de dire que cette grande question a donné lieu à presque autant de passions et de divisions d’opinion, de ce côté-là que de côté-ci de l’Atlantique. Cette clause a été rédigée après une discussion longue et anxieuse, dans laquelle toutes les parties furent représentées, et toutes ont donné leur assentiment aux conditions que cette clause contient. C’est une entente que ce Parlement ne doit pas changer, vu qu’elle ne regarde que les intérêts locaux qui sont en jeu, même si dans l’opinion de cette Chambre la clause était susceptible d’amendement. Je dois de plus ajouter, comme l’expression de mon opinion personnelle, que les termes de cet arrangement me paraissent aussi équitables que judicieux. En effet, l’objet de cette clause est d’assurer à la minorité religieuse d’une province les mêmes droits et privilèges, et la même protection dont jouit la minorité d’une autre province. La minorité catholique romaine du Haut-Canada, la minorité protestante du Bas-Canada et la minorité catholique des Provinces Maritimes seront ainsi placées sur un pied de complète égalité. Mais dans le cas de quelque injustice commise par la majorité d’une législature locale, la minorité aura un droit d’appel au gouverneur-général en conseil, et pourra réclamer du gouvernement central l’application des lois correctives qui pourraient être nécessaires.»

Voilà, M. l’Orateur, le sens large et libéral que Lord Carnarvon donnait en 1867 à cette clause 98 ; et, en parlant ainsi, il devait être l’interprète fidèle, non seulement de sa pensée et de ses sentiments, mais même, mais surtout de ceux des délégués des diverses provinces qui l’entouraient. Cette unanimité de vues sur cette question, chez nos hommes d’Etat canadiens, dans le Parlement colonial, et chez les hommes d’Etat anglais, dans le Parlement impérial, était-elle le résultat d’une conviction honnête et sincère, ou celui d’une entente faite et calculée dans le but de tromper les minorités et de leur tendre un piège ?

Je ne puis soupçonner une telle infamie chez Lord Carnarvon, car je dois le croire aujourd’hui encore de la même opinion qu’en 1867 ; en Angleterre, les hommes publics se respectent assez pour ne pas modifier leurs vues suivant les besoins du moment et l’intérêt d’un parti. Mais quant à l’honorable Ministre des Travaux Publics, je n’ai aucune objection à penser, — et son langage de ce soir m’autorise à penser, — qu’il voulait surprendre la bonne foi des minorités dont il s’était fait officieusement le défenseur, et qu’il a réussi à tromper d’une manière aussi grossière. Quelle différence, quelle triste différence entre les paroles du noble lord anglais qui ne craint pas de défendre dans un Parlement protestant les intérêts des catholiques, et celles du ministre des Travaux Publics, qui dans un Parlement ou soixante députés catholiques l’entourent, n’a pas eu le courage de défendre ses co-religionnaires, mais à cédé lâchement devant la majorité. Je me sens blessé ce soir, Monsieur, dans mes sentiments religieux et humilié dans mes susceptibilités nationales ; j’ai honte pour la Province de Québec du triste spectacle que l’honorable ministre des Travaux Publics a donné ce soir dans cette enceinte aux nationalités étrangères qui composent la majorité de cette Chambre. Les co-religionnaires du Nouveau-Brunswick ont trouvé une voix éloquente pour défendre leurs droits dans le Parlement anglais, et ils n’ont pu entendre ce soir tomber des lèvres d’un ministre canadien-français et catholique que des paroles de trahison.

L’honorable ministre n’a pas eu le courage de résister aux séductions de son collègue, le premier ministre ; et, pour un sourire de son chef, il a vendu les cent mille catholiques qu’il invitaiten 1865 à entrer dans le giron protecteur de la Confédération. Il ne s’est pas contenté de sa propre trahison ; mais il a voulu encore associer ses compatriotes à sa honte et leur faire partager son déshonneur ; les murs de cette Chambre retentissent encore des paroles qu’il prononçait, il n’y a qu’un instant ; et la députation de toute la Puissance n’a pas entendu sans frémir d’indignation l’appel chaleureux qu’il faisait aux représentants de Québec, qu’il aurait voulu rendre ses complices ; après avoir déserté le poste que ses amis avaient confié à ce qu’ils croyaient être son honneur, il les invitait à passer avec lui dans les rangs ennemis, afin qu’ils pussent joindre leurs efforts aux siens et perdre plus sûrement la sainte et noble cause qu’il avait juré de défendre, en face de tout le pays.

Mes paroles sont sévères, M. l’Orateur, mais j’ai peur que le pays ne dise demain qu’elles sont justes et méritées. J’ai cherché dans les remarques que je viens de faire, à expliquer la section 93e par la pensée de ceux qui l’avaient écrite. Je veux maintenant l’expliquer d’après le texte même et suivant les règles ordinaires de l’interprétation des statuts. J’ai déjà eu l’honneur de dire que cette clause reconnaissait trois sortes d’écoles : — séparées, dissidentes et confessionnelles. Je traduis le mot denominational par celui de confessionnel, car je crois que c’est le seul qui puisse rendre, dans notre langue, le mot tout-à-fait moderne de denominational. Webster donne le vrai sens de ce mot par la périphrase suivante : pertaining to a dénomination ; et il dit que to pertain signifie : to he the property, right or duty. Worcester, de son côté, rend le sens de ce mot par les expressions suivantes : relating to denominations or sects. En sorte que les expressions : denominational schools se rendraient assez exactement par celle-ci : écoles confessionnelles. Littré donne le sens de ce mot confessionnel dans son nouveau dictionnaire, par la phrase que voici : qui a rapport à une confession de foi.

J’ai été obligé de faire ces quelques recherches, car ceux qui ont traduit l’acte constitutionnel de 1867, ont cru pouvoir traduire ce mot denominational par celui de séparé ; ce qui n’est certainement pas correct. Il importait, ce me semble, pour les fins de la présente discussion, de corriger cette erreur, car en acceptant le mot séparé comme celui de la loi, nous n’aurions pu en faire l’application au Nouveau-Brunswick.

Les catholiques constituent au Nouveau-Brunswick, comme dans le monde entier, une dénomination religieuse ; or, la législature de cette province ne pouvait, d’après la première sous-section suscitée, faire sur l’éducation aucune loi qui aurait été de nature à affecter d’une manière préjudiciable, nuisible, aucun droit ou privilège dont les catholiques étaient légalement en possession, à l’époque de l’Union, relativement aux écoles confessionnelles. C’est-à-dire que les catholiques avaient le droit de rester dans la position que la loi leur faisait en 1867 ; et que tout ce qui pouvait affecter cette position était inconstitutionnel.

Il y avait dans le Nouveau-Brunswick, le 1er juillet 1867, une loi des écoles ; quelle position cette loi faisait-elle aux catholiques ?

Cette loi, qui était en force le 1er juillet, était l’acte de 1858, ou le chapitre 9 de la 21e Victoria.

La première question à se poser en ouvrant cette loi est celle-ci : défend-t-elle les écoles confessionnelles et empêche-t-elle les catholiques d’avoir des écoles dans lesquelles leur doctrine soit enseignée ? J’ai adressé une question à chaque section de la loi et lui ai demandé une réponse ; et la réponse que j’ai invariablement trouvée est celle-ci : les catholiques pourront avoir leurs écoles et y donner l’enseignement qu’ils jugeront convenable partout où ils seront en majorité. Plus que cela, la loi vous dit formellement que là où ils seront en minorité, leurs enfants ne seront pas tenus à se joindre à aucune pratique religieuse, et à lire aucun livre auquel les parents s’objecteraient. Ceux-ci ont même le droit d’exiger que le maître fasse lire la bible catholique. Voici le texte même de la section 8 de cet acte : «Tout maître devra prendre un soin particulier et employer les meilleurs moyens, pour imprimer dans l’esprit des enfants, confiés à sa garde, les principes du christianisme, la moralité, etc. ; mais aucun élève ne sera forcé de lire ou étudier aucun livre religieux ou de prendre part à aucun acte de dévotion auquel les parents ou gardiens pourraient avoir objection : et le Bureau d’éducation devra, par règlements, assurer à tout enfant, dont les parents ne s’y opposeront pas, la lecture de la Bible dans les écoles paroissiales ; et quand la Bible y sera lue par des enfants catholiques romains, ce sera la version de Douai, sans notes ou commentaires, si les parents le veulent.»

Ainsi, c’est bien clair, bien précis : 1° pas de livres ou d’actes religieux auxquels les catholiques objecteront ; 2° Bible catholique quand les parents le voudront. Je le demande à tout homme raisonnable, à tout député consciencieux, n’y a-t-il pas là, dans cette loi, un droit ou au moins un privilège en faveur des catholiques ? Evidemment oui, et le nier, c’est nier l’existence du soleil ; c’est nier une vérité palpable. Si cette section 8 n’accordait pas de droits et de privilèges aux catholiques, que leur accorderait-elle donc ? Si elle n’avait pas le sens que nous lui donnons, lequel aurait-elle ?

Mais je vais aller plus loin et vais faire pour cette clause ce que j’ai fait pour la section 93 ; rechercher la pensée des auteurs. Je crois que c’est un excellent moyen de connaître la vérité ; les paroles des auteurs d’une loi et surtout leurs actes, au moment de sa confection, sont des témoins précieux qu’il ne faut jamais manquer d’interroger dans de semblables circonstances.

En référant aux journaux de l’assemblée législative du Nouveau-Brunswick, je trouve des faits précieux.

Cet acte des écoles qui nous occupe avait été présenté autrement qu’il fut adopté, et, d’après ce que je puis voir, mettait en danger les droits des catholiques ; car je trouve que ces derniers envoyaient pétitions sur pétitions pour demander protection, pour sollicitions des droits et des privilèges ; les membres du clergé signaient ces requêtes en très grand nombre, et je vois parmi ces derniers Mgr Sweeney, évêque de St. Jean, qui est actuellement dans cette capitale et qui a entrepris un voyage lointain et pénible afin de demander justice et protection au Parlement du Canada. Je n’ai pas le texte de ces pétitions, mais le journal donne, lors de leur réception, le résumé de leurs conclusions. Ces requêtes produisirent leur effet, car nous trouvons à le page 202 que le comité général de la Chambre ajoute au projet de loi la section 8 que je viens de lire, moins ce qui regarde la lecture de la Bible.

Nous voyons de plus qu’un autre amendement fut proposé pour obliger le maître à lire aux élèves, au commencement des classes, quelques passages de la Bible, mais que cet amendement fut perdu. Une autre motion fut faite (p. 203) dans les termes suivants : «Le Bureau d’Education devra assurer, par règlements, à tous les enfants dont les parents n’objecteront pas, la lecture de la Bible dans les écoles de paroisses.» Cette motion qui contient quelques-uns des termes même de la section 8, fut adoptée. Il y a plus encore : une autre motion fut proposée dans les termes que voici :

«La Bible, quand elle sera lue dans les écoles de paroisses par des enfants catholiques romains, sera la version Douai, sans notes ou commentaires.» Cette motion fut aussi adoptée par une forte majorité et on en trouve le texte dans la section 8. Parmi ceux qui s’opposèrent à cette motion, se rencontre un M. Wilmot, qui doit être le Lieutenant-Gouverneur actuel du Nouveau-Brunswick, qui ne paraît guère avoir modifié ses vues et être devenu plus tolérant pour les catholiques.

Je ne sais pas si je m’abuse, mais je trouve une grande force dans ces faits ; ils prouvent, suivant moi, que les législateurs du temps se rendirent aux demandes réitérées et pressantes des catholiques, et modifièrent la loi proposée de manière à confier certains droits et privilèges à la minorité ; ils prouvent à tout événement, que le clergé catholique fit dès 1858, des efforts pour obtenir protection, et si plus tard, dans le fonctionnement de la loi, on découvre tout un système d’écoles catholiques, parfaitement organisé, il faudra bien avouer, ce me semble, que la loi de 1858 constituait ou permettait, si l’on veut, un état de choses exceptionnel et qui a dû engendrer des privilèges en faveur des catholiques.

Mais avant d’arriver à cet état de choses, allons plus loin dans l’examen du texte, afin d’y trouver la raison logique du fait que nous serons appelés à constater dans un instant.

La section de l’acte que nous étudions pourvoit à l’élection des syndics d’écoles par les paroisses, et à la division de ces dernières, par les syndics, en districts d’école convenables, into convenient school districts. Quand les habitants de ce district auront bâti une maison d’école suffisante, les syndics seront tenus de fournir le maître, qui devra être diplômé ; de garantir à ce maître un salaire suffisant ; mais le maître ne pourra être engagé que s’il est accepté par la majorité des habitants du district. Les syndics ont le droit de suspendre ou déplacer tout maître pour mauvaise conduite, improper conduct, et doivent faire rapport au bureau d’éducation des causes de telle destitution. Les syndics sont en outre tenus de faire une assemblée des contribuables du district pour procéder à l’élection d’un comité scolaire, school committee. Enfin la section 6 autorise les syndics à ouvrir dans les villes ou autres centres populeux «tel nombre d’écoles que les besoins de la population peuvent requérir.»

Voilà les principaux rouages de ce système que la Confédération trouva en opération dans le Nouveau Brunswick. La loi, ne défendant pas l’école .sectaire et l’enseignement religieux, l’école sectaire s’établit et l’enseignement religieux se donna partout où les habitants le voulurent. De plus l’élection des syndics du comité d’écoles, étant entre les mains des habitants, partout où la majorité était catholique, elle se donnait des syndics catholiques, des comités scolaires catholiques, un maître catholique et des livres catholiques. Enfin cette majorité, au moyen de la loi, sous ses yeux et avec sa protection, se faisait une école catholique, fréquentée par des enfants catholiques. De sorte que, de par la loi, les catholiques avaient, au Nouveau-Brunswick, le droit et le privilège, ajoutons le pouvoir, de créer partout où ils étaient en majorité, des écoles confessionnelles, ou, si vous l’aimez mieux, denominational schools.

Quand les catholiques étaient est minorité, dans une paroisse ou même dans un district scolaire, ils ne pouvaient plus faire une école complètement confessionnelle ; mais ils avaient le droit et le privilège d’exiger telle école pour une partie et de réclamer la lecture de la bible catholique ; ils avaient même le droit et le privilège d’objecter à l’usage de certains livres et de certains exercices religieux. Quel état de chose cette loi a-t-elle créé ?

En 1870, trois ans après la Confédération, vous trouviez sur 825,250 écoles catholiques au Nouveau-Brunswick, dans lesquelles le maître était catholique, et dans lesquelles on faisait usage des mêmes livres que nous trouvons dans nos écoles de la province de Québec. De fait, elles étaient conduites comme les écoles séparées d’Ontario. elles recevaient les allocations de la législature comme on le voit dans les comptes publics de cette province ; et mention en était faite dans les rapports des inspecteurs.

L’enseignement catholique était tellement en usage et le droit à cet enseignement était si peu contesté, que l’on trouve un cas, où les syndics destituèrent un maître qui avait refusé d’enseigner le catéchisme dans son école ; rapport de cette destitution ayant été fait au Bureau d’éducation et expliqué pour raison de mauvaise conduite, improper conduct, le bureau maintint la destitution.

Ces faits s’accomplissaient et ce système fonctionnait en 1871 quand la fameuse loi dont nous attaquons la constitutionnalité fut passée. Je dois déclarer ici, avant d’aller plus loin, que la plupart de ces faits que je viens de citer, sont consignés dans l’habile factum préparé par MM. Dutf et Weldon, avocats de St-Jean ; ce factum fut transmis par Mgr Sweeney en Angleterre. C’est un beau travail. Je l’ai lu et relu avec plaisir ; c’est un plaidoyer éloquent et concluant en faveur de la cause que nous défendons ce soir.

J’arrive maintenant à la loi de 1871 que nous sommes appelés à déclarer constitutionnelle ou inconstitutionnelle. Cette loi rappelle l’acte de 1858 et décrète qu’à l’avenir les écoles, dans le Nouveau-Brunswick, seront non-sectaires, c’est-à-dire non confessionnelles. Dorénavant aucun maître ne pourra donner l’enseignement catholique, dorénavant aucun parent ne pourra exiger, pour ses enfants, la lecture des Saintes Ecritures, dorénavant aucun enfant ne puisera à ces écoles les doctrines de la religion qui seules peuvent en faire un bon chrétien et un catholique.

Quand les catholiques seront en majorité dans une paroisse ou dans un district, ils seront impuissants à continuer le système d’enseignement qu’ils y avaient établi sous la tutelle protectrice de la religion de leurs pères ; et à l’avenir ils devront subir, en silence, sous peine de désobéir à la loi, l’humiliation d’entendre la foi de leurs ancêtres condamnée et vilipendée par un maître ignorant et fanatique, ils devront souffrir l’injustice odieuse d’être condamnés à payer des taxes pour soutenir des doctrines contraires à leurs convictions et injurieuses à leurs sentiments de catholiques.

À l’avenir, la majorité dans une paroisse catholique ne pourra se protéger, car la loi la frappe d’impuissance : et, dans les paroisses où les catholiques sont en minorité, ils seront livrés faibles et sans défense à une majorité hostile et qui a reçu le mot d’ordre d’étouffer, le plus tôt possible, dans le cœur de la jeunesse, les sentiments nobles et élevés, puisés au sein de la famille, sur les genoux d’une bonne mère. Celle-ci ignorera si son enfant qu’elle embrasse au moment du départ pour l’école, ne reviendra pas, le soir, ennemi de la religion de ses pères et indigne du baiser maternel.

Du moment que les catholiques voudront avoir une école dans laquelle l’éducation de la famille et du prêtre se continuera, ils auront violé la loi et seront privés de leur juste part dans la distribution des deniers publics ; les taxes que les catholiques paieront et qui représentent le prix du travail et des sueurs de chaque jour, iront grossir la caisse publique et contribueront à l’expansion d’une doctrine opposée ; ce travail sera donné et ses sueurs seront versées par le chef de la famille catholique pour enseigner une religion qu’il ne peut reconnaître sans se rendre coupable d’une apostasie. Cette conséquence terrible pour les catholiques est rendue inévitable par la section 58 § 12 qui déclare qu’aucun argent ne sera donné en faveur de toute école qui ne sera pas conduite suivant les dispositions ci-dessus, c’est-à-dire à une école qui sera catholique.

En vertu de la loi de 1858, rien n’empêchait les Sœurs Grises, ces anges de charité, ou toutes autres religieuses d’enseigner dans les écoles ; les Frères de la doctrine chrétienne pouvaient communiquer aux enfants la science qu’ils possèdent ; et le maître pouvait, sans violer la loi, apprendre aux élèves les prières que l’église met dans la bouche de ses enfants, ou placer sous leurs yeux l’image bénie de la Vierge. De fait, la chose se pratiquait tous les jours, aux yeux de tous et sous la protection de la loi. Aujourd’hui, rien de tel ne serait permis, car l’acte de 1871 autorise le bureau d’éducation à faire des règlements pour la gouverne des écoles communes qui reçoivent une part des deniers publics, et un des premiers règlements que ce corps s’est empressé de faire est le suivant : «20e Règlement, marques ou emblêmes dans la maison d’école. Des marques ou emblèmes distinctifs d’aucune société nationale ou autre, d’aucun parti politique ou organisation religieuse, ne seront exhibés ou déployés dans la maison d’école, ni dans aucun exercice qui s’y fait, ni sur la personne d’aucun maître ou élève.»

Ainsi, c’est bien entendu, on a voulu chasser la religieuse de l’école afin d’empêcher les enfants de s’habituer à aimer et à vénérer les pieuses institutions que la religion catholique a seule pu créer et animer de son souffle puissant.

Voilà quelques-unes des dispositions de cette loi de 1871 ; elles sécularisent l’enseignement et chassent la religion de l’école.

Après un témoignage aussi fort, je crois qu’il m’est permis de dire que cette loi change complètement la condition des catholiques dans le Nouveau-Brunswick et affecte d’une manière préjudiciable les droits et privilèges que leur accordait l’acte de 1858 et dont ils jouissaient le 1er juillet 1867, lors de l’établissement de la Confédération. À cette époque, ils avaient, de par la loi, des écoles sectaires ; aujourd’hui, de par la loi, ils n’en ont plus ; à cette époque ils avaient de par la loi leur juste part dans les. allocations et les taxes publiques, aujourd’hui ils sont privés de par la loi de tout contrôle dans la distribution des argents prélevés pour les fins scolaires ; alors ils avaient le privilège de choisir des maîtres qui avaient la même croyance qu’eux et aujourd’hui ils sont forcés d’accepter les maîtres que l’intolérance leur impose ; à cette époque ils avaient la certitude que leurs enfants se nourrissaient à l’école des principes de la foi catholique, aujourd’hui ils sont convaincus que leurs enfants n’y puiseraient que des doctrines qu’ils repoussent ; aloi-s enfin la sœur de la charité et le prêtre pouvaient franchir le seuil de l’école, la première pour y instruire, le second pour y bénir les enfants, aujourd’hui ils ne peuvent pénétrer qu’en se dépouillant de l’habit qui fait leur force et qu’après avoir promis de ne point y parler de Dieu.

Je conclus donc que les catholiques du Nouveau-Brunswick ont raison de se plaindre que l’acte qui les dépouille si injustement des droits et privilèges à eux conférés par la loi et acquis par un long usage, est inconstitutionnel et par conséquent nul et de nul effet. Or ce qui est nul légalement ab initio ne peut produire légalement que des nullités ; donc les actes passés durant la dernière session de la législature du Nouveau-Brunswick amendant celui de 1871, dans un sens plus hostile aux catholiques, et légalisant les rôles des cotisations à être prélevées sur leurs biens sont inconstitutionnels et doivent être désavoués.

Voilà la cause de nos co-religionnaires de la province-sœur, telle que les principes religieux, les faits et la loi nous la présentent ; permettez-moi de terminer en rappelant à la majorité protestante le souvenir de la conduite des catholiques de Québec à l’égard des protestants de cette province.

Nous avons, nous, députés catholiques de Québec, dans les Provinces Maritimes, des frères en religion et en nationalité qui ont su conserver, à travers les tempêtes de toutes sortes, soulevées par la persécution, le précieux héritage transmis par leurs ancêtres. Leur cause est la nôtre, leur prière est la nôtre ; et dans ce moment ce ne sont pas seulement les cent mille catholiques du Nouveau-Brunswick qui supplient la majorité. de cette Chambre ; mais c’est un million et demi de Canadiens, qui professent la même religion et qui ont leurs représentants dans cette Chambre. C’estsurtout la population de Québec qui unit sa voix à celle de la minorité du Nouveau-Brunswick. Cette population de Québec a droit d’espérer qu’elle sera écoutée par la majorité protestante, car elle a toujours été libérale et généreuse pour la minorité de sa province. Que la majorité de cette Chambre me permette de lui citer les paroles que l’honorable M. Rose prononçait en 1865 et dans lesquelles il proclamait hautement la généreuse libéralité du Bas-Canada.

« Je ne sache pas, disait-il le 21 février, je ne sache pas qu’on ait jamais fait aucune tentative dans le Bas-Canada pour priver la minorité de ses justes droits à l’égard de l’éducation de la jeunesse. Et ce n’est pas seulement mon opinion personnelle et le résultat des observations que j’ai pu faire. J’ai reçu des lettres de personnes bien au courant, depuis plusieurs années, du système d’éducation du Bas-Canada, et qui viennent corroborer cette opinion. Une observation à ce sujet est consignée dans le rapport des trois commissaires du gouvernement anglais qui vinrent ici en 1837, et ils avaient surtout été frappés de voir deux populations parlant des langues différentes et vivant paisiblement ensemble sans se quereller au sujet de l’instruction de leurs enfants. Nous, Anglais protestants, nous ne saurions oublier que, même avant l’union des provinces, alors que la majorité française avait tout le pouvoir, on nous a accordé sans restriction tous nos droits à l’éducation séparée. Nous ne saurions oublier que jamais on n’a essayé de nous empêcher d’élever et d’instruire nos enfants à notre guise, et que nous avons toujours eu notre juste part des subventions sous le contrôle de la majorité française et toute facilité d’établir des écoles séparées là où nous l’avons jugé convenable. Un simple particulier peut établir une école séparée et obtenir une part raisonnable des subventions, s’il peut prouver qu’il peut réunir quinze élèves. Nous ne saurions donc oublier la libéralité que nous a témoignée de bonne grâce la majorité française à l’égard de l’éducation. »

Eh bien ! Monsieur l’Orateur, la population catholique vient demander ce soir à la majorité protestante de cette Chambre de tenir la promesse de M. Rose et de se souvenir de ce que nous, habitants catholiques de Québec, avons fait pour la minorité protestante. Les députés protestants de Québec qui m’entendent devront ne pas oublier, lors du vote, que nous avons toujours rendu justice à ceux qu’ils représentent ici ; et la majorité d’Ontario, qui a cru devoir accorder à la minorité catholique les écoles séparées en 1863, ne sera pas moins libérale en 1873, et ne repoussera pas la prière que lui adressent leurs alliés et amis de la Province de Québec pour leurs co-religionnaires du Nouveau-Brunswick.