Marie (Auguste Brizeux)/Bonheur domestique

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MarieAlphonse Lemerre, éditeur1 (p. 138-139).


Bonheur domestique


 
Tous les jours m’apportaient une lettre nouvelle.
On m’écrivait : « Ami, viens ! la saison est belle ;
Ma femme a fait pour toi décorer sa maison,
Et mon petit Arthur sait bégayer ton nom. »
Je partis, et deux jours d’une route poudreuse
M’amenèrent enfin à la maison heureuse,
A la blanche maison de mes heureux amis.
J’entrai, l’heure sonnait ; autour d’un couvert mis,
Dès le seuil j’aperçus, en rond sous la charmille,
Pour le repas du soir la riante famille.
« C’est lui ! c’est lui ! » — Soudain, et sièges et repas,
On quitte tout, on court, on me presse en ses bras ;
Et puis les questions, les pleurs mêlés de rire ;
Et ces mots que toujours on se reprend à dire :
« C’est donc lui ! le voilà ! le voilà près de nous ! »
Moi, je serrais les mains à ces tendres époux,
Et j’appelais Arthur, qui, le doigt dans sa bouche,
De loin me regardait d’un œil noir et farouche.
Enfin on se rassied. Rougissante à demi,
La jeune femme alors : « Vraiment de ton ami
Tant de fois tu parlas que, moi, sans le connaître,
Je le jugeais ainsi, mais moins pâle peut-être.
— Et toi, de mon Emma que dis-tu ? Sans façon !
Le paresseux pourtant de demeurer garçon !

— Non, non ! laissez-moi faire ; en ce bourg j’en sais une,
Comme il les sait aimer, douce, élégante et brune,
Presque une autre Marie. — Ah ! poète, tes vers
Nous ont souvent distraits de l’ennui des hivers :
Oh ! La jolie enfant ! Mais les fraîches couronnes
Que tu cueilles pour elle et dont tu l’environnes ! »

Dans le calme, la paix, les bienveillants discours,
Huit jours chez ces amis ont passé, mais si courts,
Si légers, que mon âme alors rassérénée
Comme ailleurs un instant eût vu fuir une année.
Là nul vide rongeur, mais les soins du foyer,
L’ordre, pour chaque jour un travail régulier,
Une table modeste et pourtant bien remplie,
Cette gaîté du cœur qui se livre et s’oublie
Autour de soi l’aisance, un parfum de santé,
Et toujours et partout la belle propreté ;
Le soir, le long des blés cheminer dans la plaine,
Ou dans la carriole une course lointaine ;
Enfin, la nuit tombée, un pur et long sommeil,
Et les joyeux bonjours à l’heure du réveil.

Ami, comme un tissu jadis imprégné d’ambre,
Ici, ton souvenir, sous les bois, dans ma chambre,
Partout, à moi s’attache, et tes félicités,
Mirage gracieux, flottent à mes côtés ;
Et voilà que, cédant à cette fantaisie,
J’évoque dans mon cœur la chaste poésie
Qui dans un vers limpide a soudain reflété
Ta jeune et douce Emma, sa candeur, sa gaîté,
Entre sa mère et toi ton enfant qui se penche,
Et ta charmille en fleur près de ta maison blanche.