Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome IV/Rapport sur les travaux de la société géologique en 1832 et 1833

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RAPPORT


SUR LES TRAVAUX


DE LA


SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE,


PENDANT LES ANNÉES 1832 ET 1833,


par M. PUILLON-BOBLAYE.


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Messieurs, lorsque vous décidâtes qu’il vous serait fait un rapport annuel sur les travaux de la société, je crus voir dans cette mesure une utilité réelle pour les progrès de la science, et, bientôt après, le rapport de M. Desnoyers vint fortifier mon opinion et vous la faire partager. L’auteur sut, en effet, résumer toutes les questions dans un ordre méthodique, indiquer les progrès de chacune d’elles, et montrer après ce qui a été fait, ce qui reste à faire ; il sut, en outre, présenter toutes les opinions avec impartialité, et les ménager avec tact, tout en émettant les siennes. Bien éloigné de penser que votre choix dût se porter sur moi, je ne vis alors que les avantages d’un semblable rapport sans en mesurer les difficultés et par suite, je l’avoue, les inconvéniens. Il n’en est plus de même aujourd’hui, et ce n’est que par soumission à la volonté de la Société que j’ose me charger d’une tâche aussi difficile et aussi délicate. Rendre compte de plus de cent mémoires ou notices dont, la plupart ne m’étaient connus que paf l’extrait du Bulletin, est un travail immense qui eût exigé beaucoup plus de loisirs que je n’en puis consacrer à la géologie, et des connaissances plus étendues sur l’ensemble de la science. La nécessité aussi bien que le sentiment des convenances ne me permettront donc pas d’oublier mon rôle de rapporteur pour usurper celui de juge ou de censeur ; mais j’émettrai quelquefois mes propres opinions, et je crois pouvoir le faire avec d’autant plus de liberté, que je ne suis pas l’organe d’une commission, et à plus forte raison celui de la Société entière. Croire que la Société sanctionnât, même par son silence, les opinions toutes personnelles de son rapporteur, serait une erreur contre laquelle je dors protester d’avance.

Les succès de notre Société dépassent nos espérances, et nous pouvons déjà reconnaître toute son influence sur les progrès de la géognosie. Avant son établissement, les géologues français étaient sans lien commun ; leurs travaux épars dans différens recueils restaient souvent ignorés Loin de Paris, on ne pouvait suivre les progrès de la science, et il fallait attendre les traités qui réapparaissent qu’à de longs intervalles ; aujourd’hui, grâce à l’appel que vous avez fait et auquel on a répondu de toutes les parties de la France, on peut suivre en province comme à Paris toutes les idées et tous les faits nouveaux résumés dans vos publications.

Depuis long-temps les savans illustres dont notre Société s’honore, avaient fait apprécier la géognosie positive dans le sein de l’Académie ; mais ce n’est que depuis l’établissement de notre Société, que la géognosie a attiré l’attention générale ; elle la doit à l’intérêt toujours croissant des découvertes nouvelles, et, nous devons le dire, au puissant appui d’une voix habituée à exposer avec une clarté admirable toutes les vérités scientifiques. Du sein des académies et des sociétés savantes, l’intérêt s’est, propagé dans toutes les classes éclairées, et avant peu la géognosie deviendra aussi populaire en France qu’en Angleterre.

Ces succès de notre Société doivent nous encourager à redoubler d’efforts pour sa prospérité, et à maintenu dans son sein l’esprit social et l’esprit scientifique qui nous ont dirigés. Nous maintiendrons sans peine l’union qui nous est nécessaire : d’un côté, la recherche de la vérité, notre seul but, et l’observation des faits, moyen sur lequel toute la science repose ; de l’autre, l’indépendance individuelle, caractère de notre époque, ne permettent de craindre dans l’avenir ni scission, ni même longue divergence d’opinion. La direction scientifique nous parait également garantir nos succès ; les sciences naturelles demandent de temps a autre à se résumer en théories, qui classent les observations accumulées et dirigent dans les recherches ultérieures ; c’est à ce besoin de l’époque que nous attribuerons les théories palœontologique et géognostique qui ont un moment entraîné les esprits au delà des limites de l’observation, quoiqu’on n’ait jamais mieux senti la nécessité d’appuyer la géognosie sur ses bases essentielles, la chimie, la physique, la minéralogie, et les grandes lois de la physique du globe.

Ce qu’il y a peut-être de plus caractéristique dans la marche actuelle de le science, c’est moins la découverte de vérités nouvelles, que la destruction d’anciennes erreurs, que la guerre déclarée à des généralités trop légèrement admises. Nous aussi, nous détruisons chaque jour, mais pour reconstruire sur des bases plus solides. Cette marche n’a d’ailleurs rien qui doive nous surprendre : on groupe à la hâte tout ce qui se tient par quelque analogie, et on suppose un ensemble de rapports lorsqu’il n’y en avait que de partiels ; puis vient l’analyse qui divise péniblement ce que l’on s’était trop empressé de réunir. L’étude des dépôts tertiaires, la question du diluvium, celle de l’argile plastique, celle des cavernes, nous en donneront des preuves ; nous pourrions citer encore les nombreuses généralisations zoologiques, celles de M. de Buch, sur les porphyres pyroxéniques et sur les cratères de soulèvemens, généralisations qui toutes ont été détruites, ou du moins ramenés dans des limites plus resserrées.

L’inconvénient de ces généralisations préconçues, propagées presque toujours avec l’appui d’un haut talent, serait immense, si l’esprit de notre époque ne nous en défendait ; mais jamais il n’y eut moins de foi, et notre Société ne serait pas de son siècle si elle se montrait docile à suivre sans examen les voix qui, à plus juste titre, font autorité dans la science.

Vous aurez peut-être à regretter que quelques questions, malgré leur importance, aient trop exclusivement réclamé votre attention, et que l’étude des filons et des formations anciennes ait été négligé, relativement à celle des formations les plus récentes. C’est, en effet, de l’étude des terrains anciens que dérivent la plupart des applications, et par suite le considération de la géologie, du moins dans le public. À cet égard, la savante École des Mines nous garantir que le point de vue utile conservera son importance dans la science malgré tout l’intérêt des vues spéculatives. Nous croyons, en outre, que ce silence sur les formations anciennes, s’il nous laisse devancer par les géologues anglais, ne tient pas à l’absence d’observations, et nous attendons des recherches de M. Dufrénoy, sur les terrains primordiaux de l’ouest et du sud de la France, un de ces pas rapides qui ont marqué chacune des publications des deux savans géologues chargés de l’explorer.

Nous avons adopté pour la classification des faits la même méthode que M. Desnoyers ; mais la nature des matériaux nous a prescrit quelques divisions différentes.

Un certain nombre de mémoires essentiellement zoologiques ou botaniques, d’autres dans lesquels le point de vue géognostique est tout-à-fait secondaire, nous avaient d’abord engagés à former une division palœontologique ; nous l’avons supprimé par les motifs suivans : les êtres anciens peuvent être envisagés sous deux points de vue, ou dans leur rapport avec les couches terrestres qui les renferment, abstraction faite de la place qu’ils occupent dans la chaîne des êtres, c’est alors de la géognosie, ou dans leur rapport avec la création actuelle et les changemens survenus dans le monde organique ; c’est l’histoire de la vie sur le globe, c’est pour nous la palœontologie. Cette science du plus haut intérêt philosophique embrasse la zoologie et la botanique comparées, elle s’appuie, en outre, sur la géognosie, mais ne peut lui appartenir. Les changemens survenus dans le monde organique, et ceux que la géognosie nous révèle dans le monde inorganique, forment deux ordres de faits parallèles qui, s’éclairant mutuellement, n’en doivent pas rester moins distincts. La palœontologie ainsi conçue, nous devions nous efforcer de faire rentrer d’une manière aussi naturelle que possible dans le cadre géognostique les mémoires dont nous avions à vous rendre compte, quoique un petit nombre appartînt réellement à la palœontologie.

Les phénomènes de l’époque actuelle n’ont donné lieu à aucun ouvrage spécial dans le cours de ces deux années ; mais de nombreuses observations consignées dans les mémoires de géographie géognostique montrent que nous n’avons pas cessé de sentir l’importance théorique de la marche analytique ou du connu à l’inconnu, sans cependant vouloir, à l’exemple d’un ingénieux auteur de l’Angleterre, demander a ceux des phénomènes de notre époque qu’il nous est donné de connaître, plus qu’ils ne peuvent nous apprendre.

Nous réunissons dans un premier article, sous le titre de Phénomènes épigéiques, dix mémoires et un grand nombre de communications relatives aux phénomènes qui se sont passés sur la surface émergée de nos continens.

Quinze mémoires, un grand nombre de lettres et de communications écrites ou verbales, appartiennent à la division des terrains tertiaires.

Indépendamment des mémoires étendus relatifs au terrain secondaire qui se trouvent dans les descriptions du Liban, de la Barbarie et de la Morée, vous avez reçu dix notices ou mémoires et plusieurs communications sur des localités ou des fossiles de cette époque.

Les terrains primordiaux (intermédiaire et primitif) ont été plus négligés que jamais. Six mémoires, douze lettres ou communications se rattachent cependant à ce sujet.

Dans les formations ignées, en donnant à ce mot toute son extension, nous trouvons quatorze mémoires ou notices. Nous réunissons comme appendice à cette division, les mémoires qui concernent la formation des montagnes. Comme nous, vous verrez sans doute avec surprise que la grande question des soulèvemens des chaînes n’a donné lieu qu’à peu de nouveaux travaux, depuis que M. de Beaumont l’a développée d’une manière si brillante, tandis que la question particulière des soulèvemens cratériformes avait déjà été traitée dans neuf mémoires principaux et dans un grand nombre de communications à l’époque où s’arrête mon résumé. Sous le titre de Mémoires de géognosie géographique, nous comprenons seize descriptions géognostiques de régions, quelquefois très étendues.

Enfin, vingt-un mémoires ou notices, au premier rang desquels figurent les savans résumés de MM. Boué et Desnoyers sur les progrès de la science, formeront une division particulière des mémoires théoriques, mélanges et classifications. C’est donc de plus de cent mémoires que j’ai à vous présenter le tableau ; cette tâche effrayante par son étendue me prescrit un laconisme qui en rendra les difficultés encore plus grandes.


Observations relatives aux dépôts épigéiques.

Ce premier article comprendra toutes les observations relatives à ce que l’on appelait le diluvium, aux alluvions anciennes, aux dépôts des fentes et des cavernes, produits divers qui appartiennent ni à une même époque, ni à une même cause, et qui n’ont de commun que d’avoir été formés en grande partie sur la surface émergée de nos continents, ou d’être épigéiques.

Le mémoire de M. Boué sur le déluge, le diluvium et l’époque alluviale, est le développement de cette manière d’envisager les dépôts diluviens. L’auteur combat l’origine commune attribuée à tous les dépôts meubles dont on avait formé le diluvium, ainsi que la séparation qu’on avait voulu établir entre les phénomènes de notre époque et ceux des époques antérieures. Sur le premier point, l’auteur a eu complètement gain de cause, les défenseurs de l’opinion contraire ayant eux-mêmes abandonné la partie ; mais, suite inévitable d’une opinion préconçue, il faudra renouveler les observations, et surtout distinguer entre eux les dépôts clysmiens et les alluvions anciennes, dont les caractères sont d’ailleurs très différens. Quant à la continuité dans notre époque des mêmes phénomènes géologiques, M. Boué la déduit de la connexion intime entre les alluvions modernes et les alluvions anciennes, et entre celles ci et les dépôts plus anciens. En envisageant la question sous le point de vue théorique, il nous semble qu’on n’a jamais pu douter que les causes physiques fussent toujours identiques, quant à leur nature, et que si on s’est servi de cette expression un ordre de choses différent, on n’a sans doute voulu parler que de l’intensité des causes et des conditions variées suivant lesquelles elles opéraient. Aujourd’hui que l’on admet les dislocations répétées de l’écorce terrestre comme effets croissans ou décroissans l’état physique du globe, et, par suite de chacune de ces dislocations, des changemens et des produits nouveaux, on a l’explication la plus naturelle des différences que présentent les dépôts anciens et ceux de notre époque.

M. Boué s’appuyant ensuite sur l’autorité au savant critique M. Letronne, montre combien ces chronomètres basés sur de prétendues traditions historiques, sur la marche des alluvions et des attérissemens, sont de peu de valeur pour apprécier l’époque du dernier cataclysme. Il en est sans doute ainsi sous le point de vue historique ; mais aux yeux du géologue qui ne compte pas à quelques siècles près, des recherches telles que celles des Girard et des Prony, basées, non sur la marche des attérissemens littoraux, phénomènes rarement susceptibles de détermination rigoureuse, mais sur celle des alluvions, sont d’un haut intérêt et d’une rigueur suffisante pour remonter à l’origine de notre époque.

Il est probable que parmi ces dépôts variés dont on formait naguère le diluvium, les uns seront reconnus pour le produit des causes violentes qui suivirent immédiatement les divers soulèvemens de la période tertiaire, les autres pour les alluvions régulières des trois ou quatre époques dans lesquelles ou la divise.

M. Élie de Beaumont, dans son mêmoire sur les soulèvemens, avait déjà établi plusieurs synchronisme des dépôts terrestres et des dépôts marins, et constaté leur origine. M. Desnoyers, dans ses observations sur la distribution des mêmes espèces de mammifères, dans tout le cours du bassin de la Loire, depuis les faluns de la Touraine jusqu’aux alluvions anciennes de la Haute-Loire, a constaté que ces dépôts des lacs et des vallées du centre de la France sont contemporains de la seconde époque tertiaire. Sans doute il se présentera rarement une occasion d’établir, avec la même rigueur, la liaison entre des terrains entièrement marins, des dépôts d’embouchures ou d’attérissemens, et enfin des alluvions de haute vallée ou des sédimens lacustres ; et c’est probablement aux phénomènes volcaniques dont le centre de la France étant déjà le théâtre, que l’on doit cette accumulation de débris de quadrupèdes dont M. Desnoyers a su reconnaître la trace. Les conséquences ingénieuses qu’il en a tirées doivent être d’autant plus appréciées, qu’à l’époque où elles furent émises elles étaient en opposition avec les idées généralement adoptées.

L’Italie, dont toute la partie centrale existait déjà lors de la formation méditerranéenne ou subapennine, et dont le sol, comme celui de l’Auvergne, était agité par les phénomènes ignés, précurseurs des éruptions volcaniques, devait présenter les mêmes accumulations d’alluvion et d’ossements, et les mêmes moyens de constater leur synchronisme avec les dépôts marins de l’époque subapennine. M Bertrand Geslin atteint en partie ce but dans un mémoire sur le terrain de transport du val d’Arno supérieur ; il s’attache principalement à décrire avec la plus grande précision toutes les circonstances de ce gisement célèbre qui consiste en trois lacs étagés, dont les dépôts de marnes bleues, de sables et de cailloux ne représentent pas une succession accidentelle, mais l’ordre qui doit régner au centre de tous les bassins comblés, lacustres ou marins ; les ossemens sont dispersés dans ces trois dépôts, et l’auteur remarque que leur conservation au milieu des cailloux roulés annonce pour la formation de ces derniers une origine antérieure Il est à désirer que M. Bertrand Geslin puisse, dans ses travaux ultérieurs, nous indiquer la liaison de ces dépôts à ossemens, avec ceux qui se trouvent dans les collines subapennines de la Toscane ; le travail de M. Cortesi sur les osseumes du Plaisantin donnerait peut-être un moyen indirect d’arriver à ce résultat.

À cet ordre de phénomène devraient se rattacher les observations que nous a communiquées M. Boubée sur le terrain diluvien à blocs erratiques et le creusement de la vallée du Rhône. L’auteur signale des caractères nouveaux pour distinguer les terrains diluviens des terrains alluviens ; les premiers sont arides et infertiles les seconds riches et bien arrosés. Il est très probable en effet que les anciennes alluvions ont perdu, dans un grand nombre de cas, les couches meubles et superficielles qui eussent fait la richesse du sol ; quant à la rareté des eaux sur les terrains diluviens, nous ne pourrions l’adopter qu’autant que l’auteur ne comprendrait sous ce dernier nom que les terrains clysmiens ou de transport violent ; où il n’existe aucune ordre régulier et homogène susceptible de retenir ses eaux ; mais, nous l’avouons, nous ignorons encore le sens précis que l’auteur attache aux mots diluviens et postdiluviens.

Dans un mémoire sur les dépôts terrestres ou épigéiques à la surface de la Morée, nous avons essayé de distinguer les diverses époques alluviales sur ce sol émergé, en très grande partie, avant l’époque des dépôts subapennins. La disposition du sol en bassins fermés a conservé des alluvions de divers âges, mais les plus récentes sont seules apparentes. Nous recherchons les causes de cette singulière configuration du sol, qui appartient non seulement à la Grèce, mais à toute la bande des dépôts secondaires du Midi, depuis le Portugal jusqu’au fond de la Syrie. C’est un résultat de la dislocation et de la nature des roches ; par suite, les eaux n’ont point d’écoulement extérieur ; toute l’hydrographie est souterraine, chaque bassin à ses gouffres, et les eaux ne reparaissent qu’a de grandes distances, formant des rivières à la sortie du rocher. Dès notre arrivée dans la Grèce, nous vîmes dans ce phénomène l’explication la plus naturelle et la plus générale de la formation des cavernes et de leur remplissage par les brèches et les sédimens ossifères ; l’existence d’immenses cavernes dans l’intérieur des montagnes se démontre par la constance dans la température, le volume et e pureté des eaux des Képhalovrysi our source-mères.

Nous rechercherons l’origine de cette terre ocreuse que l’on rencontre à la surface des plus hautes montagnes calcaires de la Grèce, comme dans les fentes de nos plateaux jurassiques et dans le ciment de la brèche osseuse, et nous croyons la trouver dans la destruction lente des calcaires secondaires par l’action combinée des agens atmosphériques et de l’aura marina, action à laquelle est due la corrosion en sillons de plus grande pente qui se remarque sur toutes les arêtes des roches calcaires. Nous montrerons que ce phénomène se produit sur toute l’enceinte de la Méditerranée, mais seulement dans certaines limites de distance et d’élévation à partir des rivages.

Les cavernes à ossemens ont été le sujet de mémoires, notices et communications nombreuses, quelques unes relatives aux théories sur leur formation, le plus grand nombre aux ossemens qu’elles renferment. C’est un de ces points vers lequel l’attention des géologues s’est particulièrement arrêtée.

Une notice de M. Virlet sur l’île de Thermia est suivie d’une nouvelle théorie de la formation des casernes. L’auteur ayant observé dans le centre de l’ile de Thermia une immense caverne entièrement creusée dans les schistes argileux et les micaschistes, et présentant d’ailleurs tous les caractères des cavernes des montagnes calcaires, ne peut admettre pour sa formation aucune des causes par lesquelles on a cherché à expliquer les phénomènes analogues ; il a recours à une nouvelle hypothèse, et suppose que la plupart des cavernes n’ont été, dans le principe, que des fissures par lesquelles se dégageaient les gaz produits par l’action des volcans. De là, destruction des roches, quelle que fût leur nature ; et lorsque des soulèvemens venaient à avoir lieu, quelques unes de ces fissures à surfaces corrodées, devenues à peu près horizontales, ont pu servir d’écoulement aux eaux continentales, et se convertir en une succession de cavernes. Ce que l’auteur ajoute sur la fragilité des couches calcaires qui se fracturent au moindre soulèvement, tandis que les couches schisteuses, plus flexibles et plus tenaces, se compriment sans donner lieu à des solutions de continuité, nous semble expliquer d’une manière beaucoup plus probable la prédominance des cavernes dans le terrain calcaire. Nous croyons que, dans le cas le plus général, l’existence des cavernes résulte des dislocations du sol et de l’écoulement des eaux atmosphériques, sans qu’il sont nécessaire de recourir à un autre agent. Dans les terrains schisteux de Bretagne et des Ardennes, plusieurs vallées étroites de fracture ou les eaux peuvent à peine se frayer un passage, ne sont pour nous que des lignes d’anciennes cavernes dont la voûte a disparu.

La notice de M. Schmerling sur les cavernes à ossemens de la provrince de Liége, vient directement a l’appui de cette théorie. Ces cavernes qui appartiennent aux vallées de la Meuse, de la Vesdre et de l’Ourthe sont creusées dans le groupe récent du terrain de transition que M. d’Omalius nomme anthraxifère. La plupart pénètrent dans des couches calcaires ; quelques unes, cependant, traversent des alternances des couches calcaires et schisteuses, et toutes se montrent dans des localités où les couches sont brisées et reployées sur elles-mêmes. Le mélange confus des ossemens de mammifères, d’oiseaux, de poissons, l’absence d’excrémens, la présence de sables et de cailloux roulés, engagèrent l’auteur à regarder leur accumulation comme le produit des eaux courantes. Des ossemens humains et divers débris grossiers d’industrie sont mêlés dans plusieurs de ces cavernes, aux débris d’espèces perdues, sans que l’auteur en ait conclu leur contemporanéité. La lecture de cette notice a donné lieu à une discussion sur le mode de dépôt des ossemens dans les cavernes, entre les partisans de l’opinion, peut-être trop généralisée de M. Buckland, et M. Constant Prevost qui regarde l’action des eaux courantes comme la cause la plus générale M. Virlet a cité à l’appui de cette dernière opinion la perte des torrens dans les gouffres de la Morée. Nous avons démontré la coïncidence de ces deux modes d’actions : dans tout le midi de l’Europe, la saison pluvieuse et la saison sèche sont nettement séparées comme elles l’étaient, avant notre époque, dans l’Europe entière ; les gouffres qui pendant l’été sont la demeure des carnassiers, deviennent plus tard le passage des eaux torrentielles et des ossemens qu’elles entraînent, en sorte qu’il y a alternative des traces de séjour et de traces de transports.

M. Desnoyers, dans un mémoires sur les ossemens humains du midi de la France, envisage la question sous un point de vue nouveau ; s’appuyant sur des témoignages historiques et archéologiques, il confirme l’opinion de M. Tessier sur la non-contemporanéité des ossemens humains et des ossemens d’espèces perdues dans les cavernes de Bize et de Mialet. Déjà, le rapport des travaux de la société en 1831 contenant le résumé des vues ingénieuses de l’auteur ; mais nous avons dû les revendiquer comme appartenant aux travaux de 1830. On sait qu’une opinion contraire à celle de MM. Tessier et Desnoyers a été soutenue par M. Tournal, de Christol, Marcel de Serres, Farines et Dumas, qui tous ont visité les lieux ; depuis cette époque, MM. Chesnel et Boubée se sont joints à l’opinion de M. Desnoyers, et M. Tournal dans une notice en réponse au mémoire de ce savant a persisté à maintenir que les poteries et les ossemens humains de la caverne de Bize sont contemporains des ossemens d’espèces éteintes qu’on y rencontre. Sans doute, la présence de poteries et de débris humains ne peut, à priori, témoigner de l’époque postérieure au dernier cataclysme européen ; mais il s’agit d’un fait particulier dans lequel, parmi les objets d’industrie, les uns ont les caractères d’une époque historique, bien déterminée ; et les autres ne différent en rien des produits de notre première industrie gauloise trouvés partout à la surface du sol. C’est cependant sur ce dernier fait que M. Marcel de Serres se fonde, pour établir deux époques géologiques dans les dépôts des ossemens humains. Il pense, d’ailleurs, que pour expliquer la disparition des espèces perdues, contemporaines de l’homme, il n’est nécessaire de recourir à aucune cause violente, et qu’un excès de mortalité sur les naissances a pu suffire ; opinion qui nous semble difficile à concilier avec les faits.

L’auteur ne s’arrête pas là ; dans un mémoire sur les animaux découverts dans les dernières couches des dépôts quaternaires, il appuie sur le fait de la contemporanéité, dans les cavernes du midi, des ossemens d’hommes et des espèces perdues, et, réunissant dans une seule époque des formations d’âges très différens, suivant nous, dépôts alluviens et lacustres, brèches osseuses, dépôts des cavernes, il arrive naturellement à conclure que l’homme est contemporain de l’Elephans primigenus, de l’Ursus spelœus, et même des palæothères et des chéropotames.

Quelle que soit la valeur qu’on attache à ces déductions hardies sur l’antiquité de notre espèce, elles ne seront pas sans utilité pour la science ; elles font naître le doute sur ce fait admis trop légèrement de la présence de l’homme à une seule époque, et surtout elles font sentir la nécessité, pour l’avenir, d’obervations plus précises sur les dépôts des cavernes.

Lorsqu’en effet une semblable divergence d’opinion se manifeste entre des observateurs habiles qui ont visité les mêmes lieux, que ces opinions n’ont, d’ailleurs, rien d’absolument improbable, on ne doit chercher ni à compter, ni même à peser les suffrages, on doit encore moins supposer que l’amour-propre défends seul une opinion que sa nouveauté aurait fait embrasser, mais attendre que de nouvelles observations faites avec la rigueur qu’y porta M. Buckland éclaircissent, une question que la précipitation dans les fouilles a peut-être seule obscurcie.

M. Tessier vous a montré par la description anatomique des crânes des cavernes du midi, qu’ils appartenaient à la race caucasique si que avec quelques caractères particuliers que M. Clément-Mullet croit reconnaître dans les squelettes d’une haute antiquité de Nogent-les-Vierges. N’oublions pas que si les plus anciens débris humains trouvés jusqu’à ce jour en France et en Belgique, signalent déjà la présence de la race caucasique, les ossemens du Lehm de l’Àutriche annoncent l’existence d’une race qui, dans ses formes étranges, ne peut se comparer qu’à la peuplade du Haut-Pérou, dont M. Pentland a découvert les tombeaux.

M. Jaeger de Stuttgard a annoncé la découverte d’un nouveau gite d’ossemens humains près de Cannstadt, mais il paraît que là comme en Alsace, où la découverte importante de M. Boué n’a pas été suivie avec l’intérêt qu’elle méritait, ni le gisement, ni les caractères, si essentiels de races et de variétés, n’ont pu être reconnus avec certitude. Quels faits, cependant méritent des recherches plus attentives que ceux auxquels nous devrions la connaissance des caractères primitifs de notre espèce, du premier séjour des races, et des premiéres migrations des peuples ?

Vous avez entendu avec un vif intérêt la notice de M. Héricart de Thury sur les cavernes calcaires de Cusy, et sur les sables aurifères du Chéran. Ce n’était pas seulement le sujet qui attirait votre attention, c’était encore les noms illustres des observateurs. Les systèmes passent, les théories elles-mêmes vieillissent ; mais les observations des Saussure, Dolomieu, Fourrier, conserveront toute leur importance. Vous avez vu que les prévisions de ces savans, comme celles de Leibnitz, qui posaient, il y a bientôt deux siècles, les véritables bases de la science, ont eu le privilège de devancer sa marche lente et méthodique.

Nous devons reconnaître des progrès réels dans la théorie des divers phénomènes dont nous venons de vous entretenir ; et ces progrès sont, en partie, des causes ou des faits trop généralisés ramenés à une appréciation plus exacte. Les alluvions anciennes ne constituent plus une seule époque ou une seule formation. Il n’y a plus d’époque alluviale ; les caractères qui différencient les dépôts marins, sont appliqués avec succès aux produits terrestres, et les sédimens mixtes formés à l’embouchure des grands fleuves servent de lien entre les séries parallèles des dépôts pélagiques et des dépôts épigéiques.

Le creusement des cavernes et leur remplissage ne sont plus attribués à des causes uniques, toutes insuffisantes pour rendre compte de la généralité des phénomènes. Nous reconnaissons la formation et l’existence à diverses époques de cavernes littorales à caractères bien distincts. Les terrains à couches redressées et fracturées, tels que la bande secondaire du midi et une partie de la Belgique, ont montré des cavernes produit de la dislocation du sol et de l’écoulement des eaux souterraines, pendant que les terrains horizontaux montrent le même phénomène, dû à l’écoulement souterrain des eaux à travers des couches meubles. D’autres causes encore, telles que les agens ignés, pourront être reconnues comme concourant à produire des phénomènes analogues.

La présence des ossemens dans les cavernes ne peut plus être attribuée à une cause unique, soit l’habitation, soit le transport violent, soit même le transport régulier ou périodique, mais à l’action de ces diverses causes, suivant les temps et les localités. La question n’est pas de discuter sur leur importance relative, mais de bien constater, dans chaque cas, l’action de chacune d’elles, par ses effets.

Ces diverses questions nous semblent donc avoir fait de véritables progrès par l’abandon d’opinions exclusives. Reconnaissons qu’il est peu de phénomènes dans la nature qui ne soit le résultat de la combinaison de diverses causes ; et qu’en outre, des causes différentes produisent souvent des effets analogues. Quelles sont les plus influentes dans le premier cas, les plus générales dans le second ? il est encore peu de questions dans lesquelles nous puissions le dire, et nous devons, comme l’illustre auteur des Protogées, en remettre la décision aux géologues à venir : Sed quid privatis aut publicis causis imputandum sit, facilius aliquando statuet posteritas, explorata melius humani generis sede.


Terrains tertiaires.

Pendant ces deux dernières années, la science s’est enrichie de nombreux travaux sur les terrains tertiaires ; les uns sont théoriques, les autres descriptifs. Nom nous occuperons d’abord des premiers, non par prédilection, mais parce qu’ils présentent l’état de la science, et que les seconds ne sont que les élémens de ses progrès futurs.

Les géologues qui se livrent à l’étude approfondie d’une localité ou d’un ordre de faits particuliers sont entraînés malgré eux à généraliser, à théoriser, si l’on peut s’exprimer ainsi, et nous en savons plus d’un qui perdirent en voyage les théories conçues ou admises dans le cabinet. Le géologue au contraire, qui a soumis l’Europe entière à des recherches plus ou moins rapides, est conduit naturellement au scepticisme. Chez lui, une objection attend toute idée théorique et vient jeter l’incertitude sur les classemens où, dans la marche rapide de la science, l’esprit aimerait la se reposer : ces observations s’appliqueront d’elles-mêmes aux divers mémoires théoriques dont j’ai à vous rendre compte.

Dans un mémoire sur le sol tertiaire, tel qu’il est conçu par M. Brongniart, M. Boué expose des objections nombreuses, puisées dans ce trésor de documens et d’observations sur l’Europe entière que lui seul possède, contre la classification du terrain parisien, plus fréquemment contre le parallélisme établi entre divers dépôts européens ; enfin, contre la théorie en elle-même des bassins tertiaires. L’auteur vous a rendu compte de ce travail dans son savant résumé pour 1833, et nous nous contenterons de vous le rappeler.

L’étude des dépôts tertiaires du midi de la France a donné lieu la deux nouveaux mémoires de M. Reboul. Le premier tend à établir le synchronisme des terrains tertiaires inférieures métalymnéens et prolymnéens. Tout le talent de l’auteur n’aura sans doute pu ébranler votre foi dans un ordre chronologique, fondé dans un grand nombre de cas sur l’accord ou la coïncidence des groupes géognostiques superposés, et des groupes zoologiques distincts ; groupes fondés sur les caractères spécifique et l’ensemble des fossiles. Si on ne trouve pas un caractère suffisant d’évidence dans la déduction de l’âge relatif des groupes par le nombre croissant des espèces perdues, comment se refuser à croire aux superpositions ? Sans doute, dans un grand nombre de lieux, l’uniformité dans la stratification des groupes tertiaires est une cause d’erreur, mais dans beaucoup d’autres, notamment dans la Grèce, la discordance est tout aussi frappante que celle qui existe entre le terrain secondaire et le terrain tertiaire : comment d’ailleurs attribuer l’existence de ces groupes zoologiques à des influences climatériques, lorsque les petits dépôts de le Bretagne et ceux plus étendus du Bordelais se présentent deux, et le nord de l’Italie jusqu’à trois toujours placés dans un ordre constant,

Nous pouvons ajouter que le théorie des dislocations apporte de nouvelles preuves de l’existence d’une série chronologique dans les dépôts tertiaires ; sans aucun doute, c’est au contraire, à l’âge des dépôts tertiaires que nous devons demander l’époque des soulèvemens mais ces deux phénomènes sont tellement liés, que les derniers étant constatés pendant la période tertiaire, entraînent l’existence de formations successives, et de groupes zoologiques distincts ; tellement que s’ils n’étaient pas constatés par l’observation, il serait permis de les établir à priori, ou de les inventer.

Dans un ouvrage intitulé Géologie de la période quaternaire, et introduction à l’histoire ancienne, M, Reboul continue à combattre la plupart des idées théoriques que l’on admet généralement. Cette indépendance de vue, cette allure libre de l’influence de toute autorité scientifique, ont souvent été utiles à la science. Elles le seront encore dans ce cas, lors même qu’elles n’auraient d’autres résultats que de nous montrer dans les théories généralement admises, l’absence d’un caractère suffisant d’évidence. Le traité de M. Lyell, qui paraît avoir été inconnu à notre savent collègue, et dans lequel les mêmes idées se trouvent développées avec un talent si remarquable, vous aura sans doute inspiré la même pensée et le regret de n’avoir pas vu ses idées théoriques soumises à une critique raisonnée.

Le mémoire de M. Reboul est précédé d’un tableau de géologie chronologique, divisé en 4 périodes et subdivisé en 10 époques. L’époque quaternaire ou néomastonienne y est définie d’une manière plus précises qu’elle ne l’avait été jusqu’à présent. Elle est caractérisé par les espèces animales et végétales, semblables aux êtres qui vivent dans les mêmes lieux. Elle se divise en temps historiques et ante-historiques, et 40,000 ans sont la limite inférieure de sa durée.

L’abaissement successif de la mer paraît à l’auteur confirmé plus que jamais par la théorie et l’observation ; l’émersion par exhaussement ne lui semble pas applicable aux grands plateaux tertiaires. Comme M. Lyell, il croit à la continuation, dans la période quaternaire, de tous les phénomènes antérieurs ; et à la diminution graduelle de leur intensité.

Les évulsions du sol terrestre qui ont produit la grandes chaînes se seraient affaiblies graduellement, en se prolongeant dans les temps quaternaires ; réduites à des tremblemens de terre, elles sembleraient avoir atteint leur dernier terme.

Les abaissemens du niveau de la mer ont suivi la même marche décroissante.

Pendant que les phénomènes du monde inorganique perdaient de leur intensité, la développement des êtres allait toujours croissant en individus, en espèces, et en complication d’organisation.

Le dernier terme de cette création, l’apparition de l’homme et des mammifères d’espèces vivantes, commence la série des siècles quaternaires, à laquelle l’auteur assigne ; d’après les monumens géologiques, une durée de 40,000 ans.

Telles sont les principales idées théoriques développées dans ce premier mémoire, qui n’est qu’une introduction à la Géologie chronologique ; nous retrouvons leur savant auteur sur le domaine des faits, dans le Résumé explicatif de la coupe du bassin Gébenno-Pyrénéen. Des circonstances analogues à celles du bassin parisien y ont produit, à peu près, la succession des mêmes phénomènes. C’est un golfe ou un bassin marin, à peu près isolé ; il fut d’abord on partie comblé par une formation marine ; puis des dépôts mixtes, confinés d’abord dans quelques anses et à l’embouchure des fleuves, s’étendirent progressivement à sa surface ; et, enfin, à une époque que l’auteur regarde comme bien distincte de la période précédente, ce bassin marin fut converti en un lac dont les dépôts recouvrent la série des produits marins. M. Reboul reconnaît, en outre, une époque postérieure aux deux précédentes, dans le comblement des cavités du sol lacustre, par un dépôt de limon et de graviers, époque déjà antérieure au creusement des vallées actuelles.

Les idées théoriques de M. Reboul se retrouvent en partie dans les nombreuses communications que vous avez reçues de M. Tournal. Il maintient la synchronicité des terrains tertiaires du midi et du nord, en s’appuyant des mêmes argument, notamment de l’identité des coquilles fossiles et des mammifères, lophiodons, palæothères : nous savons déjà que les coquilles sont presque en totalité, spécifiquement différentes ; n’est-il pas possible qu’il en soit ainsi des mammifères ? Quant aux rapports que présente la succession des dépôts, dans les trois bassins de Paris, Pézenas et Narbonne, rapports que l’on pourrait étendre à beaucoup d’autres bassins de comblement, ne doit-on pas les trouver partout où l’on aura soin de ne comparer dans l’étendue des divers bassins que des positions analogues, telles que le centre, les embouchures ou les directions des cours d’eau, et les parties des mers situées en avant de rivages de même nature, tels que plages, falaises, et côtes açores à mer profonde ? Le même ordre de succession, dépôts marins, dépôts mixtes (marins et fluviatiles) dépôts lacustres et alluviens, s’établit encore de nos jours dans tous nos golfes fluviatiles à ouvertures étroites, et, dans plusieurs cas, ces analogies doivent s’étendre aux détails mêmes ; ainsi, pour nous, l’association au centre des bassins, des gypses ou d’autres substances cristallines avec des ossemens, débris de corps susceptibles de flotter, l’absence de galets et de sables est aussi naturelle que l’accumulation des lignites terrestres, avec les argiles ou les molasses dans les enfoncemens du littoral.

Une note de M. le marquis Pareto, insérée dans le second volume de vos mémoires, vient entièrement l’appui de cette opinion. Il démontre que les gypses du Tortonais, attribués au terrain secondaire, appartiennent l’époque tertiaire subapennine, et différent, par conséquent, dans leur gisement et dans leur origine, du moins immédiate, des gypses d’origine ignée qu’il nous a signalés dans les montagnes du Piémont. Les gisemens d’Alosio, de la Stradella, célèbre par ses empreintes de feuilles, sont ceux où l’origine du gypse se montre de la manière la plus instructive : des couches nombreuses ou grenues, ou laminaires, alternent avec des argiles et des marnes, et ne contiennent d’autres fossiles que des empreintes de feuilles ; le sol, exhaussé par ces dépôts épais, reçut des calcaires, puis des sables, puis des alternances de sables et de poudingues ; ordre naturel et constant dans la partie centrale des bassins comblés. Une observation topographique de l’auteur trouve ici sa place, c’est que tous ces dépôts gypseux ne forment point une couche continue, mais plutôt une suite d’amas alongés tous à peu près à la même distance du pied des montagnes secondaires.

La présence de nodules de soufre, de pyrites, des dégagemens d’hydrogène sulfuré dans les marnes subapennines, sont encore des circonstances importantes à signaler.

M. Pareto fait ressortir l’analogie de gisement qui existe entre ces gypses subapennins et ceux d’Aix, également remarquables par leurs empreintes végétales, et placés entre des marnes bleues et des calcaires à coquilles fluviatiles et marines.

En Morée, au contraire, où il n’existe, au lieu de ces golfes ou bassins comblés, que de minces dépôts littoraux, appuyés sur les rivages escarpés d’une mer ouverte, nous ne trouvons que des marnes subapennines impures, et les gypses se réduisent à quelques cristaux associés à des lignites et à des pyrites, et bientôt recouverts par la masse des molasses et des poudingues.

Les gypses du Tortonais, ceux du midi de la France et du bassin de Paris, nous semblent le produit de solfatares, quelquefois placés sous les eaux même du bassin, mais plus généralement en communication avec ses affluens. S’il n’en était pas ainsi, nous trouverions des poudingues, des brèches, et des grès à ciment gypseux ; car il n’y aurait pas de raison pour que ces solfatares ne se trouvassent aussi bien au pied des rivages escarpés ou sur le bord des grèves, qu’au centre du bassin ; tandis, qu’au contraire l’association exclusive des matières de dissolution, chimique ou des troubles les plus fins, des feuilles, des ossemens non roulés, et par conséquent précipités par suite de la destruction des corps, ou de l’accroissement de leur pesanteur, et enfin des coquilles terrestres et fluviatiles, annoncent la cessation du mouvement des eaux dans les parties centrales du bassin et le point de convergence des eaux continentales.

S’il reste encore de l’incertitude sur le nombre et le classement des formations tertiaires du midi de la France, il semble que nous pouvons regarder la question comme résolue pour le Bordelais. Une lettre de M. Boué, dans laquelle il émettait quelques doutes sur la classification zoologique admise par M. Deshayes, pour cette localité, nous a valu de la part de M. Desmoulins une communication ayant ce caractère de précision qu’exigent aujourd’hui les progrès de la géologie.

M. Desmoulins, d’après ses observations zoologiques et les communications de M. Dufrénoy, qui depuis long-temps avait résolu la question, reconnaît comme parfaitement justes les conclusions auxquelles M. Deshayes était arrivé parle seul examen des fossiles. À cette occasion, M. Desnoyers vous a fait remarquer que les phénomènes du bassin Bordelais se répétaient dans tout l’ouest et le sud-ouest de la France, où les faluns de la Touraine, les tufs du Cotentin et de la Bretagne recouvrent des terrains parisiens et quelquefois même leur calcaire d’eau douce supérieur. Enfin, M. Dufrénoy a confirmé la séparation des deux étages du bassin Bordelais, et fait connaître une analogie remarquable avec des faits rappelés par M. Desnoyers, en annonçant que la grande formation lacustre du Lot-et-Garonne s’interpose, depuis Marmande jusqu’à Blaye, entre les deux dépôts marins. Ainsi l’existence de ce second groupe tertiaire, qui se place par son âge et en partie par sa position géographique entre les dépôts du nord de la France, de la Belgique, de l’Angleterre, et probablement du nord de l’Allemagne, et ceux de l’immense formation méditerranéenne, est anjourd’hui constatée dans tout le sud-ouest de la France, dans le bassin de Dax, dans ceux de l’Hérault, de l’Aude, des Bouches-du-Rhône, de la Suisse, de l’Autriche, de la Hongrie, et d’après un travail récent de M. Deshayes, dans le plateau Volhynie-Podolien ou la Pologne méridionale.

Si vers le nord de l’Europe il semble exister une liaison entre les divers étages tertiaires, il n’en est pas ainsi vers le midi ; dans le bassin de Vienne, dans la Styrie, et surtout dans la Grèce, les gompholithes du terrain tertiaire inférieur étaient soulevées à une hauteur de plus de 1000 mètres, en certaines localités, lorsque le terrain subapennin se déposa sur les nouveaux rivages.

Un voyage rapide de M. Boué dans le midi de la France nous a valu une communication remplie de faits intéressans au sujet des dépôts tertiaires de Narbonne, de Pézenas et de Béziers. Dans le nombre de ces faits, je citerai les relations des basaltes avec les dépôts tertiaires ; là, comme dans l’Auvergne, les basaltes paraissent s’être fait jour au milieu de lacs et de dépôts lacustres de l’époque tertiaire moyenne. Au-dessus des agglomérats basaltiques on voit en divers lieux, notamment entre Alignan et Pézenas, des marnes et des agglomérats à ossemens de mammouths qui, par leur âge et leur nature, paraissent à l’auteur identiques aux ossemens du Val-d’Arno, et par conséquent représentant des débris de la population subapennine.

Pour d’habiles observateurs, il n’est point encore en géologie de sujet épuisé. Les recherches de MM. Desnoyers et Élie de Beaumont, sur le bassin de Paris, vous un ont offert des preuves bien remarquables ; le premier, dans son Mémoire sur les terrains tertiaires du nord-ouest de la France, autres que la formation des faluns de la Loire, double l’étendue que l’on assignait au bassin de Paris ; il établit son existence sur plus de 200 lieues carrées, depuis les pentes du plateau central de la France, jusqu’aux rivages de la Manche. On reconnait dans les dépôts qui forment cet immense appendice, des groupes distincts d’argiles, des sables, des calcaires d’eau douce, et enfin, mais avec doute, et seulement dans les parties inférieures et aux extrémités du bassin, des couches marines et fluviatiles ; suivant M. Desnoyers, ces divers dépôts seraient à peu près contemporains, et ne varieraient de nature que par suite de causes locales. L’auteur a reconnue, outre, un grand nombre de petits lacs à contours bien limités, comblés aujourd’hui par des calcaires et des silex d’eau douce, en sorte que la grande cavité lacustre du bassin parisien présentait alors une disposition analogue à celle de la Caspienne ou de la mer Noire, bordée des lacs nombreux de la Russie méridionale et de la grande cavité asiatique ; suivant M. Desnoyers, ces dépôts meubles ou lacustres se lieraient d’une manière plus probable au dernier étage du bassin parisien, qu’au système des faluns. Cette opinion a été appuyé par MM. dufrénoy et Élie de Beaumont ; mais ces deux géologues regardant les calcaires d’eau douce de l’Auvergne comme liés intimement à ceux de la partie méridionale du bassin de Paris, rangent un même groupe géologique tout cet immense ensemble de dépôts supérieurs au gypse, qui commence pour eux le système moyen des dépôts tertiaires. Il reste donc ici une question à résoudre ; le bassin de Paris constituent-il dans sa totalité une période zoologique et géologique, comme le croit M. Deshayes, ou doit-il être divisé, pour classer sa partie supérieure, dans le système tertiaire moyen, comme le croient MM. Élie de Beaumont et Dufrénoy ? M. Desnoyers regardant les dépôts fluviatiles et lacustres des bords du bassin comme liés, d’un côté au dépôt d’eau douce de la formation parisienne, et de l’autre comme recouverts en gisemens transgressifs par les faluns de la Loire, semble se prononcer pour l’opinion de notre habile classificateur zoologiste.

C’est à l’aide des dépôts les plus superficiels que M. Desnoyers a recherché les limites du grand lac qui succéda au golfe parisien ? M. de Beaumont, dans ses Observations sur l’étendue du système tertiaire inférieur dans le nord de la France, et sur les dépôts de lignite qui s’y trouvent, s’attache principalement à démontrer la grande extension des dépôts marins inférieurs au-delà des limites que la dénudation de la craie semble aujourd’hui leur assigner. M. de Beaumont en signale de nombreux lambeaux, tout-à-fait excentriques aujourd’hui à la grande masse du terrain parisien. Nous citerons la montagne de Cassel, les environs de Cambrai, d’Arras, de Douai, de Condé et de Valenciennes, ou des buttes tertiaires démantelées fournissent les grès à paver du nord de la France. M. de Beaumont les suit jusqu’à surface du terrain de transition des Ardennes, et nous n’hésitons pas à y classer tous ces blocs erratiques de grès lustré que nous avons décrits dans la vallée de la Meuse, près de Stenay et de Montmédy, blocs que nous jugeâmes facilement n’avoir jamais pu appartenir au terrain de transition des Ardennes, et n’être que le résultat d’une dénudation du sol, par des courans venus dans la direction des Vosges.

L’action de ces courans se démontre d’une manière rigoureuse par l’examen des galets de la vallée de la Meuse, depuis la partie supérieure de son cours jusqu’à Stenay ; et l’ancienne liaison du bassin de ce fleuve et du bassin de Paris se reconnaît encore, au grand abaissement des points de partage entre l’Aisne et la Meuse. La seconde partie du mémoire de M. de Beaumont est consacrée à la question de l’âge des lignites du Soissonnais, dont nous allons vous rappeler les progrès. Mais avant je ne dois pas omettre de mentionner la petite carte qui accompagne ce mémoire. M. de Beaumont a fait l’application aux considérations géologiques d’un mode de projection peu usité, et que ses propriétés doivent nous faire adopter dans nos recherches sur les soulèvemens. La direction prolongée d’une chaîne de montagnes, appartenant à un grand cercle de la sphère, coupe les divers méridiens sous des angles variés, depuis un angle donné jusqu’à son supplément ; ainsi la direction des Alpes centrales qui au Mont-Blanc fait 75 degrés avec la ligne nord, est déjà perpendiculaire au méridien de Constantinople, et dans le Caucase, coupe le méridien sous un angle de 108 degrés ; il était impossible, d’après cela, de suivre sur les cartes ordinaires la direction d’une chaîne et de voir les relations des Alpes, des Balkans et du Caucase, à moins de construire par points chacune des directions types de M. de Beaumont, travail fort long et fort difficile. La projection stéréographique dans laquelle tous les grands cercles du centre de la carte se développent en ligne droite permet au contraire de juger de suite les questions de continuité et de parallélisme. M. de Beaumont ayant adopté pour horizon le Mont-Blanc, centre du système orographique de l’Europe, tous les axes de soulèvement servant de types se développent en ligne droite, et l’on voit depuis les îles Canaries jusqu’au centre de l’Asie les directions qui peuvent leur être assimilées. Cette heureuse innovation devra être imitée, et toute carte, non de topographie, mais de géographie géognostique, devra être construite d’après ce système, sur l’horizon du principal entrecroisement des chaînes d’une contrée étendue.

La discussion, si prolongée, sur la position des lignites du Soissonnais semble toucher à sa fin ; autant qu’il nous est permis d’en juger, la divergence d’opinion repose moins sur l’ensemble du phénomène, que sur des faits ou des gisemens particuliers. M. de Beaumont a constaté l’existence des lignites, subordonnés à la partie inférieure du calcaire grossier, entre Péronne et Saint-Quentin ; mais ces lignites, suivant M. Deshayes, se distinguent de la plupart de ceux du Soissonnais, par l’absence des fossiles, notamment des espèces analogues qui caractérisent ces derniers. M. de Beaumont admet la possibilité de l’existence des lignites dans les assises supérieures du calcaire grossier, tout en maintenant que ceux du Soissonnais et de la frontière de la Champagne qu’il a observés ne sont pas dans cette position.

D’un autre côté, M. Constant Prévost admet dans le Soissonnais, comme dans les environs de Paris et dans l’île de Wight, un système argileux à lignites, presque toujours dépourvu de fossiles, constituant la formation d’argile plastique de M. Brongniart, et en outre plusieurs autres dépôts de même nature, mais avec fossiles marins et fluviatiles, subordonnés au calcaire grossier et même au gypse. C’est à ces derniers que se rapporteraient, suivant M. Prévost, la majeure partie des lignites exploités dans les vallées du Soissonnais, tandis que ceux observés par M. de Beaumont appartiendraient aux premiers. Tout se réduit donc aujourd’hui à la vérification de quelques gisemens, vérification qui nous semble d’ailleurs très difficile, tant que l’on considèrera comme contemporains tous les dépôts de même nature mais éloignés, tels que ceux de calcaires grossiers qui se rencontrent dans l’étendue d’un même bassin. Ces dépôts de lignites ont dû, à raison de leur nature, être constamment rejetés vers les rivages, et se former jadis, comme de nos jours, dans les anfractuosités où la mer était profonde et calme, pendant que les sables et les calcaires grossiers s’entassaient sur les plages et dans la direction des courans, et les galets au pied des falaises. Les lignites peuvent donc occuper des positions analogues sur les bords successifs du bassin comblé, et se raccorder avec les divers étages du bassin parisien.

Il nous semble que la plupart des difficultés de cette nature tiennent à la manière dont on n’a cessé jusqu’à présent d’envisager l’accumulation des dépôts tertiaires. On a supposé que les choses se passaient comme lorsque des matières tenues en suspension ou en dissolution dans un vase clos se précipitent successivement en raison de leur pesanteur spécifique et de leur indissolubilité relative ; par suite on a cru devoir trouver dans chaque bassin tertiaire une succession de couches de même nature et synchronique dans toute leur étendue horizontale. Suivant nous, le remplissage ne se fait pas seulement de bas en haut, mais, bien plus, des bords vers le centre, les dépôts de même nature se juxta-posant de manière à produire ces fausses stratifications si souvent observées. Il en résulte qu’un même dépôt à peu près horizontal, montrant la même composition, les mêmes fossiles, peut représenter toute l’étendue d’une même période de repos, et non pas seulement une époque dans cette période. Il ont avoir des argiles à lignites fluvio-marines vers les barres des affluens, ou marines, dans les anfractuosités du rivage, des calcaires grossiers à cérites, des sables et des grès et même des calcaires lacustres supérieurs de tout âge dans la même période de comblement. Pour en citer un seul exemple, nous suivrons la formation des dépôts lacustres comme nous l’avons vue s’opérer en Grèce. Des sables s’accumulent sur ses plages, réunissent les ilots, les bas-fonds, et forment des dunes qui isolent des bassins lacustres, disposés en lignes parallèles au rivage. Plus tard, les sables réunissent à nouveau des îles et des bas-fonds plus éloignés du rivage ; les dunes s’avancent progressivement, et avec elles les dépôts lacustres, qui finissent par atteindre la partie centrale du bassin ; ainsi s’établissent des zones juxta-posées de calcaires lacustres, qui représentent de la circonférence au centre toute la durée de la période. Sans doute sur une même verticale les dépôts sont d’autant plus anciens qu’ils sont plus profonds ; sans doute aussi les dépôts se sont succédé dans un ordre à peu près constant, relatif à leur composition et abstraction faite de toute cause particulière ; mais sur deux verticales éloignées il n’y a pas nécessairement correspondance de temps dans les dépôts de même nature, et l’âge d’une roche dépend à la fois de sa profondeur dans la série, et de sa distance à la circonférence du bassin.

On voit souvent dans les ouvrages de géologie, notamment dans le Manuel de M. de La Bêche, attribuer chaque changement dans la nature des sédimens littoraux à des perturbations survenues dans le sol du bassin, tandis que ces changemens ne sont que le résultat d’un ordre de succession nécessaire dans chaque position donnée ; c’est l’effet des conditions d’équilibre entre masse des matières transportées et la force du courant ou l’agitation des flots : ainsi les sédimens les plus fins et les substances cristallines se précipitent seuls dans les parties les plus calmes ou les plus éloignées du rivage ; plus tard s’y accumulent successivement les marnes grossières, puis les sables, les graviers et les cailloux roulés, puis enfin les véritables galets alternant avec des sables ; les dépôts lacustres viennent terminer la série en comblant les cavités du sol marin. Si une nouvelle série recommence, c’est la preuve d’une perturbation, et l’on est en droit d établir deux formations distinctes ou du moins une division d’un ordre inférieur.


Terrains secondaires.

Dans cette partie de mon Rapport je comprends les travaux relatifs aux divers groupes que la plupart des géologues réunissent sous le nom de terrains secondaires.

L’Europe se divise en deux grandes zones où les dépôts secondaires montrent des caractères très distincts : les montagnes du centre de la France, les Alpes et leur prolongement au nord du Danube, forment à peu près leur limite. Indépendamment des différences originaires qui tiennent à la séparation plus ou moins complète des deux mers, où les dépôts se sont formés, la zone du midi porte presque partout les traces de modifications très remarquables ; les couches sont brisées, soulevées à de grandes hauteurs, souvent contournées sur elles-mêmes ; les roches sont devenues compactes ou cristallines, souvent magnésiennes, et les fossiles ont presque entièrement disparu. Vous savez quelles liaisons intimes existent dans toute la région du nord, entre la nature du sol et ses caractères topographiques et pittoresques ; il en est ainsi dans la zone du midi, depuis l’Espagne jusqu’au Liban. Mais rien de plus contrastant que l’aspect de nos riches plateaux secondaires, à formes ondulées, comparées aux massifs arides et à formes escarpées anguleuses de la craie et des séries oolithiques du midi.

Les deux grands instruments de classification, les fossiles et les superpositions, donnaient, dans le midi, si peu de lumières directes ou de moyens de comparaison, que la connaissance des groupes secondaires n’y avait fait encore aucun progrès, lorsqu’elle était déjà presque entièrement terminée dans la région du nord, Avant de retracer tout ce que nous avons appris dans ces deux dernières années, je crois devoir vous rappeler que, dans cette question, comme dans presque toutes les découvertes géologiques de notre époque, M. Brongniart nous a ouvert la voie, et que le mémoire de M. Dufrénoy sur les Caractères de la craie du Midi, lui a fait faire les pas les plus importans. Nous allons suivre ses progrès ; des difficultés à vaincre, des découvertes à tenter ont stimulé le zèle des géologues ; ils ont abandonné les régions connues du nord, et presque toutes leurs recherches, dans ces deux dernières années, se sont portées sur la région du midi.

Le champ parcouru a été vaste ; vous avez reconnu l’existence des dépôts secondaires et l’uniformité si remarquable de leurs caractères généraux dans presque toute l’enceinte du bassin de la Méditerranée, depuis les Pyrénées jusqu’au Liban, et depuis les Alpes jusqu’à l’Atlas.

Nous suivrons cet ordre géographique dans le classement des matériaux, dont un grand nombre, nous devons le dire, ne nous est connu que par l’extrait du Bulletin.

Dans cet ordre, les Observations de M. Tournal sur les montagnes des Corbières et sur les Pyrénées orientales se présentent d’abord : le grès vert et la craie compacte y sont les roches dominantes, et les Rudistes, ces fossiles étrangers jusqu’à présent à la zone du nord, et caractéristiques de celle du midi, se montrent dans plusieurs localités, où ils sont également remarquables par leur abondance et leur belle conservation.

MM. Bertrand-Geslin et de Montalembert ont parcouru les diverses localités des Alpes du Dauphiné, qui leur avaient été indiquées par M. Élie de Beaumont, et ont confirmé par de nouvelles observations la superposition si remarquable du granite sur le lias.

M. Boué, dans une série de notes presque entièrement relatives à la question des terrains secondaires, a ajouté une foule de faits nouveaux à ceux qu’il avait depuis long-temps consignés dans ses mémoires sur les Alpes autrichiennes.

La route de la Corniche, de Nice à Gènes, et de Gènes à la Spezzia, lui donne occasion de faire ressortir l’analogie des grès macigno de l’Apennin, et des grès des Carpathes, ainsi que l’identité les modifications éprouvées par les roches secondaires de ces deux régions éloignées. Dans une note sur le mont Spitz, il résume la coupe complète de toutes les masses secondaires du Vicentin, où le lias seul paraît manquer. Continuant à s’avancer vers l’est, il nous fait suivre la formation des calcaires à hippurites, depuis le lac de Côme jusqu’à l’Istrie et à la Dalmatie.

M. Pareto reconnaît dans les Alpes de la Ligurie plusieurs groupes secondaires, présentant les mêmes caractères que ceux des bords de la Méditerranée ; il cite, près des sources du Var et du col de Tende, à une hauteur de 8,000 pieds, un calcaire granulaire, quelquefois dolomitique, analogue à celui de Carrare, et surmonté de schistes argileux à fucoïdes, de macigno, et enfin de calcaire compacte, série qui appartient à la craie inférieure du midi. Les gypses de la vallée de la Stura et de la Tinca sont accompagnés de calcaire caverneux, et ne sont que des modifications du calcaire secondaire, au contact des gneiss et des talcschistes.

Un grand système arénacé, qui forme l’enceinte d’un bassin s’étendant des montagnes du Var aux Alpes, s’appuie sur un axe primordial, dirigé du N.-O. au S.-E. L’auteur l’assimile, avec doute, au grès rouge, et place, au-dessus, toute la série des formations jurassiques, puis le grès vert, et la craie inférieure à nummulites, succession de roches que nous allons retrouver plus à l’est, dans les montagnes de Carrare.

L’auteur descend ensuite sur le revers septentrional de l’Apennin ; il signale dans le Tortonais des agglomérats granitiques au-dessous du calcaire à fucoïdes, et d’après l’absence du granite dans toute la contrée environnante, il les attribue à la sortie de roches serpentineuses. Nous rappelons, à cet égard, qu’en Morée, de semblables agglomérats existent dans une même position géologique, quoique les gneiss et les micaschistes dont ils sont formés ne se voient aujourd’hui que dans les îles de l’Archipel. Ces agglomérats forment la partie inférieure de la série du grès vert ; ils sont représentés, dans le nord de l’Europe, par des grès siliceux et ferrugineux, et nous pensons comme M. Pareto qu’ils sont dus à la sortie des serpentines ; la nature du grès vert supérieur et les agglomérats de sable et galets serpentineux remplis de dicérates et autres fossiles du grès vert prouvent d’une manière incontestable que la première éruption serpentineuse est antérieure au grès vert.

Un fait sur lequel M. Boué et les géologues allemands avaient fixé l’attention de la société, l’association des orthocères avec les ammonites dans le calcaire salifère de Salzburg, nous a valu, de la part d’un auteur dont les travaux sont devenus classiques en France, de M. de La Bêche, une description complète des environs de la Spezzia, insérée dans les Mémoires de la Société. L’auteur a cru reconnaître une semblable association de bélemnites et d’orthocères dans un système de couches, composées de calcaires compactes, dont plusieurs sont exploitées comme marbres à Porto-Venere, d’argiles schisteuses endurcies et de dolomies. MM. de La Bêche et Guidoni ont trouvé ces prétendus orthocères associés à des bélemnites, au milieu d’un gisement de fossiles des plus riches, mais dont la détermination laisse encore beaucoup à désirer. Cependant M. de La Bêche croît reconnaître dans les uns des fossiles du lias, dans les autres les fossiles du coral-rag, et n’hésite pas à placer le système de couches auxquelles ils appartiennent dans la série oolithique.

Les observations de gisement conduisent au même résultat. Ce système de couches est placé en effet au-dessous du macigno ou grès vert, et au-dessus d’un autre grand système arénacé ; qui se distingué du précédent en ce qu’il est exclusivement quarzeux et micacé. Ce dernier grès repose sur une grande association de calcaire grenu et micacé, de micaschistes, de talcschistes et autres roches modifiées, à laquelle appartiendrait sans doute le marbre de Carrare.

M, Hoffmann achève de lever tous les doutes à cet égard : le marbre blanc commence par alterner avec les schistes cristallins, avant que l’on atteigne le système des couches grenues qui sont séparées des gneiss et schistes inférieurs par une masse de dolomie. Le marbre de Carrare appartiendrait donc aux séries oolithiques ; mais en même temps M. hoffman nie la présence des orthocères unies aux bêlemnites ; il annonce comme un fait positif que M. de La Bêche a pris des alvéoles de bélemnites pour des orthocères. Il serait donc permis de croire jusqu’à présent que les conditions nécessaires à l’existence des orthocères avaient cessé avant l’apparition des bélemnites ; et l’époque du muschelkalk, si remarquable par les changemens qui s’y manifestent dans l’organisation, séparerait aussi les périodes d’existence de ces deux familles, qui viennent, l’une s’y éteindre, l’autre y naître.

Pour compléter le tableau des progrès dans l’étude de la formation secondaire du midi, je ne dois pas émettre les travaux importans de MM. Pasini et Savi, quoique M. Boué en ait déjà rendu compte : en nous transportant à l’autre extrémité du bassin du Pô, au pied des Alpes du Vicentin, ils nous donnent un anneau de plus dans cette chaîne d’observations qui va se prolonger jusqu’au Liban. La série établie par M. Pasini, dans ses Observations sur le calcaire ammonifère est la suivante : muschelkalk, calcaire compacté et dolomies, formation jurassique inférieure et supérieure (brèches lumachelles) ; le grès vert représenté par des calcaires à particules vertes, des grès, des marnes avec nummulites, polypiers et plantes fossiles ; enfin la formation de la craie, divisée en trois étages, 1° calcaire rouge ammonitifère ; 2° biancone ; 3" scaglia, étages qui répondent aux trois divisions de la craie du nord.

Ce mémoire de M. Pasini constate des progrès remarquables, en fixant la position du calcaire ammonitifère et la distinction précise d’un grand nombre de groupes secondaires.

Les observations de M. Savi en Toscane continuent à nous porter vers l’ouest, et confirment un fait important, c’est la distinction précise des doux, étages arénacés, dont l’inférieur paraît manquer dans plusieurs localités, notamment dans le Vicentin. M. Savi reconnaît, dans l’Appenin de la Toscanne : 1° l’arenaria macigno, grès à fucoïdes et à nummulites, partie supérieure du système ; 2° des calcaires compactes, des marnes, des schistes calcaires avec orthocères et ammonites. 3° Le verrucano ou grès siliceux inférieur, associé à des ardoises talqueuses, et enfin des gneiss, formant la base de tout le système. L’île d’Elbe lui présente la même succession de roches.

Les travaux de M. Boué et des géologues italiens nous conduisent ainsi jusqu’aux limites de l’Italie. M. Boué nous a fait en outre connaître l’Istrie et la Dalmatie ; ces contrées montueuses prolongement de notre système olympique, appartienne déjà à la Grèce ; par la nature et la configuration du sol, et nous amènent à rappeler nos recherches sur la Morée.

M. Virlet a résumé, dans une note lue à la Société, le résultat de nos observations communes sur la formation de la craie.

Le rapport si développé que M. Boué a bien voulu faire de notre travail nous dispense d’entrer dans aucun détail. Nous énumèrerons seulement la série des groupes secondaires.

Au-dessus du groupe des schistes argileux repose en gisement non concordant, et dans le Taygète seulement, un système de roches secondaires modifiées, remarquable par l’absence complète des fossiles et la cristallinéité de toutes les roches. Nous désignons sous le nom de groupes des calcaires talqueux le système le plus ancien, formé de stéaschistes, d’anagénites et de marbres verts blancs, lie-de-vin et rouges ; le second système est formé de roches modifiées, siliceuses ou argileuses, alternant avec une série de marbres à texture globuleuse, dont les couleurs, souvent tigrées, varient dans toutes les teintes, du gris au noir et au rouge-brun.

Une formation de calcaire bleu, en général grenu et très siliceux, recouvre les séries précédentes au sommet du Taygyète et, est changé, au pied, de l’immense faille qui a produit le Taygète, en un calcaire dolomitique très dur et sans traces de stratification. Nous présumons que ces roches, comme ces couches du sommet, ne sont autre chose que des modifications locales, quoique très étendues, des séries suivantes.

Ici commencent à paraitre les couches à nummulites et à radiolites bleu foncé, alternant avec des argiles de même couleur ; au-dessus, règne un premier système de roches arénacées et siliceuses, puis un grand système de couches de calcaire compacte et lithographique, puis le second grès vert, le véritable macigno, auquel appartiennent, près de Nauplie, des couches de sables et de galets serpentineux, remplies de dicérates et autres fossiles du grès vert ; un énorme système de calcaire compacte, dont les couches supérieures ont tous les caractères de la scaglia des Italiens, couvre les trois quarts de la Morée et, termine la série.

M. Botta, dans ses Observations sur le Liban et l’Anti-Liban, nous montre la constance des caractères topographiques et géologiques dans la formation secondaire du midi. Sous le premier rapport, nous voyons ici des montagnes abruptes, à formes anguleuses, terminées par des parties planes, des vallées sans eaux, des bassins sans issue, des cavernes et de puissans képhalovrisy, ou sources-mères, tels que celui qui donne naissance au fleuve du Chien ; caractères que nous retrouvons dans toute l’étendue de la zone méridionale.

Le rapporteur qui m’a précédé vous ayant donné un extrait de ce Mémoire, qui depuis a été inséré dans le recueil des Mémoires de la Société, je me borne à rappeler que la formation jurassique supérieure, le grès vert et la craie du midi forment les montagnes du Liban et probablement aussi le sol aride et pierreux de la Judée.

Il est assez remarquable que ces dépôts secondaires, craie et calcaire jurassique supérieur, qui occupent, avec une énorme puissance, toute la partie septentrionale et orientale de la Méditerranée, une partie de la Sicile, l’île de Crète, Malte, une partie des iles Baléares et de l’Espagne méridionale, ne se prolongent pas sur le continent africain. Rien n’annonce, du moins dans les travaux de M. Rozet sur la colonie d’Alger, l’existence de terrains secondaires plus récens que le lias.

Dans la zone septentrionale, nous ne trouvons que peu de nouvelles recherches à vous signaler. M. E. Robert vous a lu une suite d’observations détachées sur des fossiles ou des phénomènes géognostiques des côtes de la Normandie. M. Leymerie observe dans la craie de Montgueux (Aube) un fait auquel les expériences de M. Becquerel donnent un nouvel intérêt. C’est la présence d’un rognon de fer hydrate, enveloppant un amas de soufre pulvérulent, mêlé de paillettes et de cristaux ébauchés de sélénite.

Il est probable que les arkoses, qui se montrent si fréquemment en Bourgogne, entre les massifs granitiques et les dépôts secondaires, devaient aussi se rencontrer autour du massif granitique de l’Auvergne. M. Péghoux a montré que par la stratification seule les arkoses de l’Auvergne devaient être secondaires et non tertiaires ; les couches tertiaires ne sont en effet jamais disloquées qu’à une petite distance des dykes basaltiques, tandis que les arkoses sont constamment en couches très inclinées, et se relevant de toutes parts vers le centre du massif granitique.


Groupes carbonfères.

M. de Beaumont vous a communiqué une observation de M. Murchison sur des tiges d’équisetum enfouies verticalement et perpendiculairement aux strates, dans les couches carbonifères de la série oolithique du Yorkshire. Ce fait vient à l’appui de celui décrit depuis long-temps par M. Brongniart, dans le terrain houiller de Saint-Étienne. M. Underwood rappelle également à cette occasion que les cycadées de l’ile de Portland reposent verticalement à la surface du Portlandstone, dans un limon semblable à de la terre végétale.

Des faits de même nature se passent sous nos yeux ; le changement du lit des torrens dans les plaines marécageuses enterre le pied des arbres souvent à une grande hauteur, en même temps qu’il recouvre de sable les dépôts tourbeux et le sol végétal. Mais quelque partisan qu’on soit des actual causes, on doit reconnaître que ces anciens sols terrestres, recouverts de dépôts marins aujourd’hui émergés, démontrent eux-mêmes des abaissemens et soulèvemens successifs.


Terrains primordiaux.

Nous venons de mentionner des houilles récentes dans les séries oolithiques du Yorkshire ; M. Virlet, dans une Note sur le terrain houiller de Saint-Georges-Châtelaison et Concourson, nous montre, au contraire, des houilles anciennes de l’époque du terrain de transition.

Les preuves les plus convaincantes données par l’auteur dérivent de la superposition en gisement transgressif de la formation houillère de Doué et Concourson sur les systèmes des couches schisteuses qui renferment la houille de Saint-Georges-Châtelaison. Dans le bassin supérieur, on reconnaît tous les caractères des dépôts de Valenciennes et de Saint-Étienne ; dans le système inférieur, au contraire, on reconnait les débris d’une végétation différente de la précédente et analogue à celle des formations houillères du duché de Bade, reconnues par M. Voltz pour appartenir au terrain de transition. M. DuFrénoy avait adopté depuis plusieurs années l’opinion émise par M. Virlet, du moins pour Saint-Georges-Châtelaison, et M. Cordier, des 1808 avait annoncé que ce groupe devrait être séparé de la formation houillère, et reporté dans le terrain de transition.

Des observations de même nature, et d’une extrême précision ; ont été faites par un membre de notre Société, M. Triger, sur plusieurs des nombreux dépôts carbonifères qu’il a reconnus dans les départemens de la Sarthe et de la Mayenne.

La houille bitumineuse n’appartient pas exclusivement au plus ancien des groupes secondaires ; elle peut se trouver dans les diverses séries secondaires, et dans le terrain de transition lui-même. Ainsi se trouve détruite une de ces généralisations préconçues, qui tous les jours disparaissent devant la masse des observations nouvelles.

M. de Bonnard a mis sous les yeux de la Société une coupe et un plan du terrain houiller d’Hardinghen dans le Bas-Boulonnais ; il démontre que les couches de houilles alternent avec un marbre nommée steinkal, qui, à en juger par ses spirifères et ses productus, serait le mountain-limestone des Anglais ; M. Rozet regarde le terrain houiller comme postérieur au calcaire, quoiqu’il y ait alternances au contact.

Nous voudrions n’avoir à vous signaler que d’aussi faibles divergences d’opinions relativement aux dépôts houillers du midi, une note de M. Boué sur les houillères de Neffier, nous fait voir quelle incertitude règne encore sur l’âge des dépôts carbonifères de cette localité et de la plupart des bassins houillers du midi. Rappelons à cet égard que M. Tournal voit dans les Corbières trois groupes carbonifères, dont le plus ancien serait le groupe houiller proprement dit, et le plus récent appartient au grès vert. M. Busnel, dans un mémoire lu à la réunion de Caen, a divisé les sédimens intermédiaires du Calvados en deux séries : l’une composée de grès quarzeux de conglomérats de calcaire marbre, de schistes communément rougeâtres, renferme des fossiles ; et ses couches, en général dirigées du sud est au nord-ouest plongent de 45° au nord-est. L’autre, qui parait d’une époque antérieure, est à peu près exclusivement composée de schistes argileux et de grauwackes ; elle ne contient peut-être jamais mais de débris de corps organisés ; ses couches sont verticales dirigées de l’ouest 15° sud, à l’est 15° nord.

L’auteur appuie sur la nécessité de déterminer rigoureusement la direction et l’inclinaison des couches, et de les indiquer sur les cartes géologiques. Depuis la publication de ce mémoire, la théorie de M. de Beaumont sur les soulèvemens nous a fait sentir encore davantage la nécessité de l’observatoire rigoureuse, non seulement de la stratification, mais encore de la direction des lignes de faîtes.

À l’égard des observations de l’auteur sur la direction des roches de ces deux groupes ; sans prétendre en contester la justesse, nous remarquerons qu’elles contrastent avec celle que nous avons observées en Bretagne, dans les groupes correspondans : les schistes, grauwackes et grès à trilobites, productus et spirifères, affectent ou la direction ouest 15° nord et est, 15° sud, qui est la plus générale entre Rennes et Nantes, ou la direction ouest 5 à 6° sud et est, 5° ou 60 nord, comme dans les montagnes noires de la Bretagne, l’Avranchin et une petite partie du Cotentin. Leur direction est évidemment liée, d’un côté à celle de la chaîne de granite qui s’étend ouest et est de Brest à Alençon, et de l’autre à la chaîne également granitique, qui traverse la Loire et forme la côte méridionale de la Bretagne ; tandis que les schistes sans Fossiles, liés intimement aux micaschistes, aux roches maclifères cristallines, aux talcschistes des Côtes-du-Nord, et du plateau au sud d’Avranches, suivent la direction du nord-est au sud-ouest. Partout on les voit coupés à leur extrémité, par la direction est-ouest de la chaîne granitique ; ce qui annonce un redressement antérieur au soulèvement de cette dernière chaîne.

Le mémoire de M. Rozet sur la région feldspathique des Vosges est un de ceux qui devaient fixer d’avantage votre attention par le nombre et la variété des observations, et la nouveauté des déductions théoriques. J’aurais aimé à vous en rendre compte, mais je m’aperçois que l’époque à laquelle il nous a été en grande partie communiqué le fait sortir de mon domaine.

Nous devons à M. Domnando la traduction des Observations sur les fossiles de l’Eifel, par M. Steininger. Les publications de MM. Goldfuss et Schlottheim, sur le même sujet ne vous ont pas paru diminuer l’importance de ce travail qui doit enrichir le premier volume de vos Mémoires.

Le mémoire de M. Péghoux, sur les Terrains cristallisés de l’Auvergne, a rendu un service essentiel à la géologie en faisant connaître le sol primitif sur lequel s’étaient ouverts les volcans et entassés les ossemens fossiles qui jusqu’à présent avaient attiré presque exclusivement l’attention des naturalistes de l’Auvergne.

Selon M. Péghoux, les gneiss, micaschistes et tachistes formaient jadis une enveloppe continue à la surface du centre de la France ; aujourd’hui ces mêmes roches sont redressées et repliées autour des grands massifs montagneux de la Lozère, du Forez et du plateau granitique du Puy-de-Dôme.

À partir de cette première rupture de l’écorce terrestre, l’introduction successive des protogines, des porphyres entre le granite et le gneiss a produit de nouvelles modifications dans la même contrée ; les trachytes et les basaltes se sont élevés plus tard en suivant la direction des fissures, et enfin les actions volcaniques modernes agissant sur cette salbande ont produit de distance en distance des phénomènes identiques à ceux des volcans aujourd’hui brûlans. L’auteur distingue, comme la plupart des géologues, plusieurs épanchemens granitiques ; ainsi, à Pontgibaut il y en aurait deux, et à Ménat jusqu’à trois ; à Clermont ou distingue deux granites d’âges différens dont l’apparition a morcelé et en quelque sorte éparpillé les derniers lambeaux du gneiss.

Le professeur Studer de Berne avait visité, en 1825, avec M. de Buch, les bords du lac de Lugano, et avait adopté, non sans qu’il lui restât quelques doutes, les opinions de ce savant sur la postériorité des porphyres pyroxéniques au porphyre quarzifère ; il a voulu revoir cette même contrée avec plus d’attention, et il paraît aujourd’hui convaincu que ce sont les porphyres quarzifères qui ont traversé le grand épanchement pyroxénique. L’auteur réunit, dans une seule formation, avec le porphyre quarzifère, les granites de Baveno, du mont Mulatto, et du mont Salvatore.

Si le mémoire de M. Hoffmann sur le même sujet n’était pas en dehors de la période dont j’ai à vous rendre compte, je montrerais l’accord de ses observations avec celles de M. Studer. Suivant M. Hoffmann, le granite, le porphyre quarzifère et le mélaphyre, appartiendraient à une seule époque géologique, antérieure même à la formation des calcaires dolomitiques.

D’après ces faits et quelques communications de M. Bertrand-Geslin, les idées théoriques de M. de Buch seraient-elles encore exposées à de nouvelles et plus importantes modifications ?

Plus nous avançons dans l’étude des roches cristallines dites primitives, plus nous acquérons de preuves de leur origine peu ancienne. Est-il aujourd’hui un massif granitique ou même un lambeau de la formation du gneiss que l’on puisse considérer avec quelque certitude comme appartenant à l’écorce primitive du globe, et comme n’étant pas le résultat d’épanchemens à sa surface ou de modifications de roches antérieures ?

Il en est, à plus forte raison, ainsi des porphyres, des trachytes, des eurites, des amygdaloïdes et des basaltes, qui ne sont partout que des roches évidemment injectées ou épanchées.

Tout ce que l’on pourrait faire serait de regarder chacune d’elles comme le représentant d’une des enveloppes successivement refroidies à l’intérieur, sans qu’on pût d’ailleurs admettre aucun rapport de structure, ni même de composition entre des roches cristallisées dans des circonstances de température et de pression aussi différentes.

Un géologue de la Polynésie, parcourant les mille pitons volcaniques disséminés sur une surface immense, relativement à notre Europe, arriverait dans ses idées théoriques à reconnaître l’écorce primitive du globe, dans quelque épanchement basaltique ou trachytique ; quelques coulées volcaniques, des ponces, etc., seraient les représentans à la surface des enveloppes intérieures du noyau fluide ; les fossiles de quelques bancs de coraux ou de terrains tertiaires récens seraient les habitans primitifs du globe, et il pourrait parcourir des milliers de lieues sans voir peut-être un fait contraire à sa théorie.

Placés à la surface des protubérances produites par les divers épanchemens granitoïdes, portant sans doute notre vue un peu plus loin, ne sommes-nous pas, d’ailleurs, exposés à tomber dans la même erreur que le géologue polynésien ?.


Phénomènes ignés et modifications des roches.

La distinction précise du caractères des roches modifiées par les agens ignés nous parait une des questions les plus importantes dont les géologues puissent s’occuper, et nous voudrions avoir à vous rendre compte de quelque ouvrage spécial sur ce sujet ; le moment n’en est peut-être pas venu, mais vos travaux montrent que les matériaux se rassemblent.

M. Lehmann a offert à la Société des échantillons de grès des Carpathes, altérés et prismatisés par la chaleur des hauts-fournaux. Ce fait semble prouver que l’adoption de la forme prismatique dans les masses ignées n’exige ni une aussi haute température, ni un refroidissement aussi lent qu’on l’avait cru.

Le Mémoire de M. Dufrénoy, sur la Relation des ophites, des gypses et des sources salées des Pyrénées, est en partie consacré à l’illustration des effets produits par l’épanchement des porphyres amphiboleux, nommés ophites par Palassou. Cette roche serait venue au jour à l’état de fluidité, ou se serait épanché à une époque postérieure à la formation subapennine, et par des fractures dirigées de l’est 10° nord à l’ouest, 10° sud ; fait qui concorde avec la théorie de M. de Beaumont sur le soulèvement des Alpes. L’ophite est accompagnée de gypse non stratifié, et fréquemment de sel gemme. Les calcaires compactes sont converties par le contact ou le voisinage de l’ophite en calcaire celluleux et dolomitiques, effet produit exclusivement, comme nous le verrons plus tard, par l’épanchement des roches abondantes en silicate de magnésie.

M. Dufrénoy est conduit par des considérations purement géologique à regarder la lherzolite, roche pyroxénique, comme une variété de l’ophite, opinion rendue très probable par les travaux de M. Gustave Rose.

M. Tournal, dans son Mémoire sur les roches volcaniques des Corbières, ajoute de nouveaux faits aux observations précédentes : ici, les roches ignées qui sont à base de pyroxène produisent sur le terrain secondaire les mêmes altérations que l’ophite, en se rapprochant davantage des véritables produits volcaniques par leurs caractères extérieurs. M. Boubée observe, en outre, que ces roches passent par des nuances insensibles aux ophites les mieux caractérisés. Il résulte de cet ensemble d’observations que l’épanchement ophitique s’est étendu sur toute la longueur de la chaîne.

M. dufrénoy ne se borne pas à décrire les diverses circonstances du gîte de Rancié ; il appuie les conséquences théoriques qu’il doit déduire, par le gisement d’un grand nombre d’amas métallifère des Pyrénées ; il prouve que ces amas ferrugineux sont indépendans des formations qui les renferme, puisqu’ils appartiennent indifféremment au terrain de transition, au lias, au terrain crétacé, ou enfin au granit qui est en contact avec ces différens terrains. Partout, ils se montre à la jonction même des terrains granitoïdes et des roches superposées ou à une très petite distance. Le calcaire saccaroïde, mais non dolomitique, qui les renferme, doit sa texture au contact du granite, et cette texture, ainsi que la formation des minerais ferrugineux, serait la conséquence du principal soulèvement des Pyrénées.

M. Boubée, au contraire, regarde ces différens gites métallifères comme le résultat d’infiltrations ou de concrétions produites au contact par les sources thermales et remplissant des cavités préexistantes.

En Bretagne, un gisement de fer hydroxide qui se prolonge sur deux lieues de longueur a contact des granites et des killas de la montagne du Menez, nous a paru rentrer dans la théorie de M.Boubée. Mais il n’existe pas ainsi des amas de fer oligiste, de fer hyfroxidé-résinoïde, de fer hématite, que nous avons rencontré si souvent en Morée, au contact des schistes cristallin et calcaires, et pénétrant souvent dans la roche supérieure. Ici, les sublimations sont nécessaires pour expliquer leur position et leur nature.

Dans l’île de Mycone, le fer hydraté coupe par de nombreux filons une montagne d’arkose qu’il recouvre en outre d’une croûte concentrique. Ce gisement si singulier a fait penser à M. Virlet qu’il ne serait pas impossible que le fer eût coulé à l’aide de quelques fondans, tels que la baryte qui lui est associée, et n’eût été converti que plus tard en hydroxyde. Cette présence constante de la baryte dans l’arkose, et sa fréquence dans la plupart des agrégats secondaires anciens, est un fait bien remarquable dans l’étude des sublimations.

Nulle part la baryte ne nous a paru plus abondante que dans les divers agglomérats secondaires des Vosges ; dans le grès vosgien et dans le grès bagarre, elle forme des amas ou des filons ; mais, dans les arkoses granitoïdes qui forment les sommets culminans du Mulkren, à l’ouest de Sultz, elle est disséminée dans toute la roche dont elles constitue un des élémens. Cette roche est tellement cristalline, qu’elle a pu être facilement confondue avec des granites, dont elle se distingue d’ailleurs par sa stratification et sa pesanteur.

À la formation des filons ferrugineux paraît se lier celle de l’émeri de Naxos dont M. Virlet a fait le premier connaître le gisement avec précision. Cette substance se trouve en filons-couches dans le calcaire grenu, et disséminée en outre dans les granites et les gneiss qui la supportent ; le fer oligiste et le fer oxidulé l’accompagnent presque constamment. Nous devons encore à M. Virlet, la découverte d’une roche nouvelle, le disthène massif, qui est associé dans l’ile de Syra à des éclogites et des roches de diallage au milieu de la formation du gneiss et du calcaire grenu.

Une communication de M. de La flèche nous donne quelques renseignemens sur les effets produits par l’apparition des granites. Cette roche, dans le Devonshire ; est postérieure à la grauwacke qu’elle convertit au contact en roches analogues au gneiss. Ces granites nous paraissent de même époque que les granites porphyroïdes du nord de la Bretagne, qui ont en général produit peu de modifications sur les schistes soulevés. Les seules remarques que nous ayons faites à ce sujet sont le changement en quelques lieux des grès en quarzite, et la transformation plus fréquente de schistes argileux en des schistes maclifères. Au surplus, il est à remarquer que les petites collines de la Bretagne se prêtent peu à ce genre d’observations : les altérations des roches nous ont paru beaucoup moins prononcées dans les lambeaux soulevés que dans les couches reposant à certaines profondeurs sur les flancs des masses ignées, et, pour les observer, il faut que de grandes vallées de fractures permettent d’y pénétrer.

M. Léonhard a reconnu trois époques distinctes dans les granites près d’Heidelberg, et annonce en même temps que, dans certaines circonstances, le calcaire a coulé à la manière des laves ; opinion que M. Rozet avait avancée l’année précédente à l’occasion des dolomies d’Oran. Les caractères imprimés par le mouvement des masses dans l’acte de leur cristallisation sont si positifs, et ont été exposés par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont d’une manière si claire, que nous devons espérer savoir bientôt si cette opinion sur la fluidité des dolomies est ou n’est pas une hypothèse fondée.

Nous avons déjà mentionné la découverte faite par M. de Beaumont de dolomies dans la craie supérieure près de Grignon ; ce savant géologue rattache ce fait, unique encore dans le bassin de Paris, ainsi que le relèvement concentrique des couches du calcaire grossier, à ces soulèvemens avec évaporation magnésienne, auxquels seraient dues les masses de dolomies alpines.

Les calcaires magnésiens, et surtout les vraies dolomies, sont très rares en Morée, et nous ne pourrons pas en citer un seul exemple au milieu des terrains de l’Argolide bouleversés par les éruptions serpentineuses ; de même rien ne prouve que les dolomies de la Ligurie ou des Alpes soient le résultat de l’action des serpentines. Les seules dolomies de la Morée bordent le pied de la chaîne schisteuse du Taygète, loin de tout amas serpentineux ; et dans la Grèce en général, l’action des serpentines paraît limitée la formation des marbres cipolins par l’introduction ou la cristallisation des silicates magnésiens.

Nous avons déjà remarqué que l’action du granite parait aussi s’être bornée à la cristallisation des calcaires ; les trachytes donnent déjà lieu à quelques calcaires magnésiens, et nous arriverions peut-être ainsi, par la méthode d’exclusion, à chercher dans les seuls porphyres pyroxéniques et amphiboliques l’agent de la dolomitisation, comme M. de Buch y est arrivé à priori.

M. Léonhard, en vous annonçant l’ouvrage qu’il se propose de publier sur les calcaires grenus, vous a adressé une série de questions sur les faits relatifs à ce phénomène que vous pourriez avoir observés ; elles montrent que l’auteur l’envisage dans toute sa généralité ; mais puisse-t il s’en remettre à ses propres observations ! il serait exposé, sans cela, à voir les mêmes faits présentés sous trop d’aspects différens, selon les idées systématiques des correspondans, et nous aurions un livre fort savant, mais probablement sans conclusions.

Nous n’avons acquis encore aucune donnée positive sur l’âge des serpentines de l’Apennin. La question des porphyres pyroxéniques est loin de s’éclaircir. La théorie de la dolomitisation, faiblement attaquée d’abord par quelques considérations théoriques et des observations locales, est menacée aujourd’hui et poursuivie jusque sur le sol classique où elle avait pris naissance. Nous ne craignons pas qu’elle succombe ; dans une question aussi obscure (et combien la géologie n’en présente-t-elle pas de semblables !), il faut savoir s’attacher au maximum de probabilités, ne négliger sans doute aucune objection, car elles sont destinées, une fois résolues, à fournir une probabilité de plus ; mais en même temps savoir apprécier à sa juste valeur ce que vaut une objection contre une masse de probabilités, et passer outre.

Nous devons à M. Rozet et aux communications de M. le lieutenant de vaisseau Bérard la connaissance d’une chaîne trachytique, en partie sous-marine, qui existerait parallèlement à la côte depuis Alger jusqu’à Bone, et probablement jusqu’au cap Bon, à l’est de Tunis. C’est à l’apparition de ces trachytes que M. Rozet attribue le soulèvement du calcaire subapennin de la côte d’Alger.

Cette opinion n’a rien de contraire à celle que nous avons émise sur l’âge des trachytes de la Grèce. Dans une seule localité, les argiles subapennines qui entourent les massifs trachytiques nous ont montré des débris de cette roche : partout ailleurs elles en sont dépouillées. En outre, les grands agglomérats trachytiques appartiennent exclusivement à la partie supérieure du terrain subapennin, qui, je crois, devrait former une subdivision correspondante à l’époque du principal soulèvement des trachytes.

Il serait à désirer que l’on pût constater si cette chaîne trachytique de la régence d’Alger est en connexion avec les nombreuses sources thermales que nous savons y exister,

M. Lyell pense que la plupart des roches volcaniques de la Campagne de Rome appartiennent également à l’époque subapennine. Sans s’expliquer d’une manière positive à oct égard, M. Texier à développé quelques considérations sur la géologie des sept collines [col-]lines de Rome. Toute la côte d’Italie, depuis le mont Gircello jusqu’à Piombino, doit sa formation aux actions des phénomènes volcaniques et des atterrissemens. Indépendamment des cratères des monts Albains, tels que ceux des lacs de Nemi et d’Albano, et des lacs de Bruccciano et de Bolsena au nord de Rome ; l’auteur croit en reconnaître dans les petites vallées qui séparent les sept collines de Rome. Le gouffre de Curtius ne serait pour lui qu’un affaissement survenu sur la bouche d’un ancien volcan, l’emplacement du Colysée serait encore pour lui un autre cratère. Il distingue deux époques : celle des basaltes probablement sous-marins du grand volcan du monte Gazo, et celle des pépérinos.

Le Travertin qui, s’étendant sans cesse, menace de couvrir la Campagne entière de Rome, nous montre dans notre époque un exemple de la formation des grands dépôts lacustres des époques antérieures. Il n’est guère possible de douter que des causes analogues ne produisent également dans les mers qui avoisinent l’Italie d’immenses dépôts de calcaires marins.

Devons-nous vous rendre compte des observations consignées dans les Procès-verbaux des séances de l’Auvergne ? On objecte que ce ne sont que des faits déjà connus mis sous les yeux des géologues étrangers ; mais ces faits prennent souvent de l’importance par la discussion établie sur les lieux mêmes ; ainsi, les divergences d’opinion que nous voyons si souvent dans la Société, non pas seulement sur des théories, mais sur des superpositions, des inclinaisons de couches dans un même gisement, disparaitraient sans aucun doute si les observateurs avaient voyagé de concert

Désirons donc voir se répéter les voyages géologiques, non par des péripatéticiens à la suite de leur maître et de ses théories ; mais par des observateurs à opinions libres et dégagées de toute influence d’école.

Gergovia fut le premier lieu visité. On constata la présence des coulées basaltiques de Gravenoire à la surface d’un plateau de calcaire d’eau douce, dans son horizontalité primitive, partout où les filons basaltiques n’altèrent pas la stratification. Une seconde excursion, dirigée vers Volvic, fournit à M. G. Prévost l’occasion de faire remarquer la parfaite analogie qui existe entre les coulées des volcans éteints et celle du Vésuve et de l’Etna. À la suite du voyage au Mont-Dore, M. Lecoq fit un résumé de observations de la journée, et il n’y eut pas un fait de contesté dans la discussion qui suivit. Les coulées basaltiques ont-elles été formées dans leurs positions actuelles ? tel fut le fond théorique de la discussion.

Le voyage à la roche Sanadoire conduit M. C. Prévost à regarder les masses phonolitiques qui composent les roches Maelviale, Thuilière et Sanadoire, comme n’étant autre chose que la lave trachytique refroidie dans les cheminées d’éruption, et sur les bords d’un cratère démantelé.

M. Lecoq pense, ainsi que M. Constant Prévost, que les phonolithes sont antérieures aux basaltes. Les observations faites au Mont-dore, par M. Lecoq, par M. Bertand-Geslin et d’autres géologues, montrent qu’il y existe des nappes basaltiques très inclinées Mais a-t-on constaté quelle était cette inclinaison ? si elle n’était pas le résultat de glissement par suite de la destruction des conglomérats, si elle était à peu près uniforme dans la circonférence du Mont-Dore, ou plus grande dans une certaine direction, auquel cas elle pourrait devenir, aux yeux des adversaires, des soulèvemens coniques, la manifestation, dans le centre de la France, des effets d’un soulèvement rectiligne, tel que celui des Grandes-Alpes, par exemple ? Ce ne sont pas à ces observatipns recueillies dans des promenades contrariées par la mauvaise saison que se sont bornés les travaux de la Société réunie à Clermont ; MM. Lecoq, Bouillet, Peghoux et autres savans géologues de l’Auvergne, qui avaient bien voulu diriger la Société dans ses courses, en ont rempli l’intervalle par la lecture des Mémoires suivans :

M. Peghoux, dans une mémoire que nous avons déjà mentionné, établit l’existence d’une quatrième ligne d’éruption volcanique, parallèle aux trois lignes à cônes et à cratères encore intacts, elle ne se reconnait qu’aux lambeau de basaltes, wackes et pépérites qui ont traversé sur une ligne de 12 lieues les dépôts du grand lac de la Limagne. L’auteur pense que, malgré l’absence de formes éruptives bien prononcées, elle pourrait être aussi nouvelle que les lignes précédentes. M. C. Prévost appuie cette opinion, et développe les effets produits par les éruptions sous-marines, absence de cônes, et enchevêtrement de produits aqueux et volcaniques qui se retrouvent dans le monticule même, sur lequel est construit Clermont. Il en est sans doute ainsi de toutes les fois qu’un volcan sous-marin ne produit pas de coulées ; mais dans le cas contraire, il ne doit pas tarder à surgir d’une manière durable au-dessus des eaux.

Le mémoire de M. Lecoq sur le Mont Dore paraît le résultat de longues et savantes études. Après l’examen topographique de la contrée, l’auteur décrit les trachytes ; les uns en couches auxquelles sont liés des conglomérats contemporains, et très rarement produits par le mouvement des eaux ; les autres en filons. L’auteur cite, comme étant très inclinées, certaines nappes de trachytes qui ont une pente d’un décimètre par mètre, inclinaison qui cependant est au-dessous de six degrés.

Les phonolithes sont plus récens que le trachytes et plus anciens que les basaltes ; les basaltes, en couches moins inclinées que les trachytes, s’étendent sur les pentes extérieures de la montagne.

Les volcans modernes se sont ouverts à une certaine distance du Mont-Dore, et alignés principalement vers le nord et vers le sud.

M. Lecoq signale un long dyke d’amphibole, parallèle à la ligne des volcans modernes du Mont-Dore et du Cantal ; dyke auquel il attribue, comme M. Peghoux, le soulèvement du sol primordial avant toutes les éruptions volcaniques. Nous renvoyons à l’article suivant les considérations théoriques par lesquelles M. Lecoq appuie l’opinion de MM. Dufrênoy et Élie de Beaumont sur la disposition par soulèvement des masses feldspathiques des Mont-Dômes et du Mont-Dore ; opinion que cet habile géologue publia en 1827 dans les Mémoires de l’Académie de Clermont.


Itinéraires et descriptions de régions.

Les travaux compris dans cette section ne sont en quelque sorte que de la géographie géognostique ; et s’ils embrassent une grande surface, il est difficile d’en attendre autre chose que la connaissance de l’étendue et de la disposition topographique des formations admises et telles que le voyageur croit les reconnaître. Mais leur utilité n’en est pas moins grande, et elle le sera davantage encore lorsque la statistique s’appuiera sur sa véritable base, la connaissance du sol. Cependant, parmi les mémoires que avons à vous signaler, il en est quelques uns remarquables en outre par la précision, et quelquefois par la nouveauté des observations. Nous devons placer au premier rang la géologie du département de la Seine-Inférieure par M. Passy, dont mon collègue, M. Boué, vous a déjà rendu compte. La notice du même auteur sur la géologie du département de l’Eure nous annonce une description aussi précise et plus intéressante encore, à raison des formations plus variées qui composent le sol du département de l’Eure. La géologie est aujourd’hui si répandue et si bien appréciée, que nous devons espérer, dans l’intérêt de l’administration comme dans celui de la science, de voir l’exemple de ce savant administrateur suivi dans d’autres départemens.

La notice géognostique sur l’ile de Noirmoutier, par M. Bertrand-Geslin, insérée dans le premier volume de vos Mémoires, est une description complète d’une région peu étendue, il est vrai, mais très variée dans sa constitution géognostique. La craie inférieure redressée sur des roches cristallines analogues à celles de la Loire-Inférieure, et un lambeau de calcaire tertiaire du second groupe, montrent en s’abaissant graduellement depuis l’intérieur de la France, et en s’enfonçant sous l’Océan, que ces sédimens, d’une époque relativement récente, forment une ceinture sous-marine autour de l’ancienne ile primordiale de la Bretagne et de la Normandie.

Nous devons à M. le comte Razoumowski une des monographies les plus complètes dont notre Bulletin ait été enrichi, dans l’Essai géologique sur la vallée de Carlsbad en Bohême, et sur les contrées adjacentes. C’est un de ces points du globe soumis à toutes les époques à l’action des phénomènes ignés, action qui s’est manifestée successivement par l’épanchement des granites, des syénites, des porphyres, des phonolithes, des amygdaloïdes, et enfin des basaltes en coulées, et qui se révèle encore aujourd’hui par les sources thermales. L’auteur étudie leur action destructive sur les roches cristallines, et signale les cavernes qui en sont le résultat. Le mémoire est terminé par des observations sur les blocs erratiques, phénomène sur lequel M. le comte Razoumowski appela le premier, je crois, l’attention des savans. On voit ces blocs diverger, à partir d’un centre, aux environs de Sedlitz, et ils paraissent à l’auteur avoir été rejetés par les forces volcaniques avant l’apparition des basaltes ; il les distingue des blocs erratiques roulés et charriés par d’immenses courants dans la plaine du nord : preuve, s’il en était nécessaire, que c’est faute d’observations suffisantes que l’on avait attribué ce phénomène à une seule époque.

Nous devons à M. Pissis la Géologie du canton de Brioude, petit canton du massif central de la France, pays d’antique émersion où l’on trouve des coulées basaltiques, des dépôts lacustres et diluviens, mais absence complète de dépôts secondaires et tertiaires marins.

La description géognostique de la Morée et des iles de l’Archipel dont on vous a rendu compte, embrasse une surface très étendue, mais parcourue, dans certaines parties, avec rapidité. C’est à la géologie de détails ce qu’une reconnaissance militaire est à la topographie.

L’Afrique, si souvent funeste à ses explorateurs ; n’entre que lentement dans le domaine de la science. Le littoral même de la régence nous serait peut-être encore inconnu sous le rapport de la géognosie, si les fonctions d’officier d’état-major à l’armée expéditionnaire n’y avaient appelé un de nos savans collègues. Nous rappellerons quelques unes des observations les plus remarquables de M. Rozet. Les dépôts tertiaires récens, que l’on devrait appeler méditerranéens d’après leur disposition autour du bassin de notre mer intérieure, s’étendent, en s’élevant à une grande hauteur, jusqu’au pied du petit Atlas ; ils paraissent même former le sol du désert, et continuer à s’élever en berceau depuis la Méditerranée jusqu’au pied du grand Atlas. Les formations qui séparent ces dépôts si récens de la formation du lias, et celle-ci des schistes et calcaires de transition, manquent sur le littoral africain, en sorte que toute la série géologique n’est représentée que par trois termes éloignés.

Oran a offert au capitaine Rozet les mêmes formations, mais en outre des dolomies qui se sont tellement modelées sur les anfractuosités des couches schisteuses en prenant les apparences des trapps, qu’elles paraissent avoir coulé à la manière des laves. Nous exposerons plus tard les idées théoriques de l’auteur à ce sujet.

La notice de M. Jean Reynaud sur la Géologie de la Corse m’a paru, malgré sa concision, un modèle de monographie géognostique. Votre bureau a sans doute pensé ainsi lorsqu’il l’a choisie pour ouvrir le premier volume de vos Mémoires. L’auteur expose en peu de mots et avec clarté la configuration générale du sol et ses relations avec la Sardaigne et les petites îles voisines ; il sait rectifier par ses observations les idées inexactes que la carte de la Corse, malgré son mérite, pourrait donner sur l’orographie de cette contrée. La direction nord-sud qui domine sur la côte orientale, et fait aujourd’hui le trait le plus saillant de la Corse comme de la Sardaigne, parait liée à l’apparition des trachytes, phénomènes antérieur aux dépôts tertiaires de la Corse. Cette direction coupe et interrompt un système de grandes rides parallèles dirigées de l’E.-N.-E. à l’O.-S.-O., qui règne dans toute la partie occidentale et n’affecte que le sol granitoïde. Les calcaires à nummulites, les deux grès de la formation crétacée du midi, et probablement aussi les calcaires jurassiques supérieurs, constituant le sol montueux de la région orientale, comme les côtes opposées de la Ligurie et de la Toscane. Quelques lambeaux tertiaires du groupe subapennin bordant la côte.

M. J. Reynaud voit les causes des différences minéralogiques dans l’action inégale des serpentines que l’on voit percer dans toutes les vallées. On peut dire que là, comme dans l’Argolide, les dépôts secondaires ont nagé sur les masses serpentineuses en fusion, ce que nous, n’admettons d’ailleurs que pour les dépôts inférieurs au macigno, cet agrégat étant le résultat immédiat de l’apparition des serpentines.

Si nous passons aux itinéraires géognostiques, nous trouvons d’abord les lettres de M. G. Prévost sur Malte et la Sicile, les questions intéressantes indiquées par l’auteur, telles que l’alternance des produits volcaniques et des dépôts tertiaires, et par suite les éruptions volcaniques d’époques différentes mises en rapport avec les sédimens marins contemporains. Le gisement du gypse et du soufre, la distinction de deux groupes secondaires, nous font regretter de n’avoir encore qu’à vous rendre compte de ce premier aperçu des travaux de l’auteur. Cette communication fut accompagnée d’une coupe qui se recommande par quelques innovations heureuses. À la précision ordinaire des coupes de l’auteur, elle joint l’avantage de présenter la projection des plans apparens successifs sur les plans de coupe différenciés à raison de leur distance ; procédé que nous avons suivi dans nos coupes générales de la Morée. Nous nous arrêtons avec intention sur le mérite des coupes dessinées avec exactitude, parce que beaucoup de géologues ne paraissent pas en apprécier toute l’importance. S’il n’existe aucun rapport entre les hauteurs et les distances, et par suite aucune vérité dans l’inclinaison des pentes, les coupes sont plus nuisibles qu’utiles, et nous on voyons tous les jours les preuves ; faites, au contraire, avec précision, elles peuvent avoir les avantages d’une pasigraphie ou d’une langue figurée, et, bien plus, ceux d’un tableau fidèle qui permet de juger d’un coup d’œil non seulement les rapports de grandeur, mais encore ceux de forme et de position.

Les limites de ce rapport ne me permettent que des mentionner les nombreux itinéraires de M. Boué, ceux de M. de la Marmora en Piémont, ceux de M. Boubée en Bretagne et en Normandie, et enfin ceux de M. Eugène Robert dans le nord de la France et de Genève à l’embouchure de la Gironde.


Mélanges.

Cette section se compose de communications ou notices relatives à des considérations théoriques, et à des points particuliers de géognosie ou des sciences qui s’y rattachent.

M. Boubée a présenté son Tableau de l’état du globe à ses différens âges, et de la relation de l’atmosphère terrestre avec les parties solides de notre globe. Ce tableau vous est connue. Je m’arrête de préférence aux observations suivantes. L’auteur remarque que les terrains antédiluviens ne présentent aucunes traces d’aérolithes, et il attribue leur chute observée si souvent depuis les temps historiques, à l’arrivée et au choc récent d’un astre. Cette opinion nous rappelle la prétendue tradition des Arcadiens, qui se disaient proseleni, ou antérieurs à l’arrivée de la lune dans notre système solaire.

Quant à la remarque en elle-même, elle perd bien de son importance, si l’on réfléchit que depuis le temps qu’on observe leur chute et qu’on étudie la surface du globe, on n’en a trouvé qu’en bien petit nombre, et que, pour y croire et constater leur origine, il a fallu qu’ils tombassent en quelque sorte sur nos têtes ; d’ailleurs, des aérolites d’une époque un peu ancienne seraient depuis long-temps confondus avec les amas de fer hydraté, et un grand nombre peuvent avoir passé dans les hauts fourneaux sans qu’on s’en soit douté.

L’auteur remarque, en second lieu, que rien de comparable aux blocs erratiques n’existe dans les poudingues des terrains anciens, et y voit la preuve d’un déluge unique et général. Nous avons déjà dit la distinction que l’on devrait établir, selon nous, entre les produits clysmiens ou diluviens et les produits alluviens. Les poudingues appartiennent ces derniers ; c’est un dépôt régulier, dont le volume des élémens est en rapport avec la force du cours d’eau qui les a déposés, et ce n’est pas dans leurs bancs réguliers qu’on doit chercher des blocs erratiques ; mais il n’en est pas ainsi des dépôts clysmiens, qui, au contraire, présentent les blocs les plus irréguliers dans leur forme et leur volume relatif.

Certains dépôts clysmiens du pied des Alpes et de l’époque du terrain tertiaire en renferment d’énormes. Le grès vert en Morée contient, au milieu de sables et de graviers, des fragmens de gneiss de plusieurs mètres cubes, roches étrangères au pays. Que ces dépôts viennent à former la surface du sol, et qu’ils soient lavés par de puissans courans, l’on aura des blocs erratiques de l’époque tertiaire et de celle du grès vert.

Le même géologue, dans des considérations sur le Parallélisme des terrains de transition, a émis l’opinion qu’aucun des groupes schisteux, quarzeux, fragmenteux, calcareux, houiller, rudimentaire et pénéen ne saurait, pris isolément, représenter une époque de la vie du globe, ou autrement être considéré comme un terrain dans l’acception propre de ce mot ; ce n’est que la réunion de ces groupes contemporains, suivant M. Boubée, qui constitue une époque géologique ou un terrain.

Nous admettons entièrement l’idée de l’auteur, sans adopter l’application qu’il en fait à deux grandes époques, au moins, bien, distinctes en Europe. Dans le dernier chapitre de l’ouvrage de Morée, nous avons exposé des idées analogues pour les dépôts récens ; nous avons fait voir d’après les phénomènes actuels comment s’opéraient de la circonférence au centre les dépôts littoraux et ceux des bassins de comblement, et nous répétons que tant qu’un considérera ces bassins, ainsi qu’on le fait encore aujourd’hui, comme des vases où des matières en suspension et en dissolution se déposent en couches successives, horizontales, synchroniques dans toute leur étendue, et analogues dans leurs diverses parties par leurs fossiles et leur nature minérale, on les étudiera sous un point de vue essentiellement faux.

Les promenades géologiques de M. Boubée en Normandie et en Bretagne lui ont donné lieu de faire l’application de ses idées théoriques sur le déluge universel aux vallées à plusieurs étages.

La physionomie des vallées à plusieurs étages n’a rien qui doive nous surprendre ; c’est le cas contraire d’un seul étage, qui est réellement exceptionnel ; on ne le trouve que dans quelques vallées transversales des pays de montagnes, et dans quelques vallons ou ravins d’origine géologiquement récente. En effet, pour qu’il puisse exister de telles vallées, il faut que depuis la cause qui leur donna naissance aucune grande masse d’eau n’ait attaqué, non pas le sol alluvial seulement, car il reviendrait à des conditions d’équilibre, mais le sol primitif, il faut de plus que le sol n’ait éprouvé aucun soulèvement, car l’effet de tout soulèvement est de donner naissance à un second lit inférieur au premier, et se raccordant comme lui avec l’horizon de la mer par une espèce de courbe hyperbolique.

Ainsi, dans le cas de la Bretagne, cité par M. Boubée, toutes les vallées élevées, telles que celles du Blavet, de l’Aout, de l’Evel, montrent sur leurs flancs et dans la partie moyenne de leur cours des lits de poudingues ferrugineux horizontaux, à 25 ou 30 mètres au-dessus du thalveg actuel. C’est à peu près la hauteur à laquelle ont été soulevés les dépôts matins tertiaires contemporains de ces dépôts fluviatiles, et il est évident pour nous que c’est à la même cause qu’est dû le soulèvement des premiers, et l’excavation des seconds. Nous reconnaissons neanmoins que l’écoulement rapide des eaux supérieures et de véritables phénomènes diluviens ont dû en même temps accroître et hâter les effets produits.

Retrouver les traces des anciens rivages aux diverses époques est une des découvertes les plus curieuses de la géologie. Nous ne croyons pas qu’on eût encore reconnu nulle part les bords du bassin où se déposa la craie, lorsque M. Deshayes nous signala un gisement de la Belgique où la craie inférieure recouvre le calcaire de transition percé par des coquilles lithophages de l’âge de la craie. Les fossiles du terrain de transition y sont, en outre, très remarquables par leur parfaire conservation, et par l’abondance des genres long-temps réputés tertiaires.


Applications.

Les applications de la géologie à l’agriculture seront, un jour très multipliées et très utiles ; dans l’état actuel des deux sciences, elles sont à peine praticables. M. Dufrénoy, dans un rapport sur diverses substances employées avec succès comme marnes, dans le département de l’Indre, a reconnu que les unes étaient presque entièrement argileuses, les autres presque entièrement calcaires, comme la plupart des marnes de la Normandie. Cela seul montre qu’il est impossible de décider à priori, si une substance donné est propre à l’amendement d’un sol qu’on ne connaît pas. L’étude de nos diverses terres végétales est à faire ; jusque là la géologie ne pourra donner que de légères présomptions, et l’expérience agricole devra seule prononcer.

La France s’enrichit peu à peu de nouvelles statistiques, telles que celle de la Seine-Inférieure où la géologie prend la place qu’elle y doit occuper. Mais nous regrettons de ne voir nulle part, essayer de présenter le tableau des divers élémens statistiques groupés suivant les diverses natures du sol. Il en résulterait, nous n’en doutons pas, les aperçus les plus curieux et les plus instructifs pour l’administration. Dans une contrée peu étendue, la configuration topographique du sol se lie ordinairement à sa nature, et tout se rattache à ces deux données.

M. Cauchy, dans un Mémoire étendu sur les gîtes métallifères des Ardennes, M. Benoit, dans la Description du gisement et de l’exploitation du minerai de plomb de Longwilly, province du Luxembourg, nous ramènent à ces applications immédiates et su utiles de la géognosie devenues rares, aujourd’hui que les grandes questions théoriques absorbent toute notre attention.

À la même classe appartient le mémoire intéressant de M. Riepl, sur les dépôts aurifères des Alpes autrichiennes.

L’or appartient à des filons limités aux roches les plus anciennes du sol primaire. On le rencontre encore dans les parties inférieures de la série des grauwackes. On sait, en outre, que dans l’Oural l’or a été reconnu dans des filons de serpentine et de diorite, et dans des filons de quarz, au milieu du granite. Si nous ajoutons à ses gisemens l’or des porphyres de la Hongrie, de la Transylvanie et du Mexique, il sera difficile de ne pas reconnaître que cette substance n’appartient pas plus à une époque éruptive déterminée qu’à une époque alluviale.

La géologie et la minéralogie peuvent rendre d’importans services pour la recherche des matériaux propres à la fabrication des chaux et des mortiers hydrauliques. M. Lefroy ; dans sa notice sur le mortier hydraulique de Pouilly, nous a fait voir que sa rapide solidification tenait à ce que la cuisson convertissait ce calcaire argileux en un silicate anhydre à base de chaux et d’alumine. Les calcaires d’où proviennent le ciment de Pouilly et celui d’Avallon appartiennent au lias ; tandis qu’en Angleterre le fameux ciment dit de Parker est fabriquë avec des septaria du London clay, dt que les galets de Boulogne ; renommés pour ce même usage, paraissent provenir du terrain de transition.

Ces exemples suffisent pour montrer qu’il est peu de localités en France où l’on ne puisse espérer trouver des calcaires susceptibles de donner des chaux hydrauliques.

Il est cependant des contrés étendues où l’on ne peut obtenir qu’artificiellement les mortiers hydrauliques, tels sont les trois départemens de l’extrémité de la Bretagne, qui ne possèdent que trois gisemens de calcaire, et tous les trois donnant de la chaux grasse.

Lorsqu’on entreprit les immenses travaux de la canalisation entre Nantes et Brest, on se trouva réduit à l’emploi de cette chaux grasse, provenant de marbres de transition ; et d’après l’indication du célèbre ingénieur, M. Vicat, on dut chercher des argiles propres à la convertir en ciment hydraulique, L’emploi des grauwackes était recommandé ; mais, consulté, nous reconnûmes, dans les échantillons envoyés, des diorites décomposées, et nous pûmes aussitôt en marquer de nombreux gisemens aux ingénieurs chargés de la canalisation. Une série d’expériences fut exécutée par M, Féburier, avec le plus grand soin et sur une très grande échelle, et nous reconnûmes avec surprise que parmi les diverses variétés de diorite une seule donnait des résultats satisfaisans, mais au plus haut degré : elle appartient à des dykes qui percent au milieu des schistes argilo-talqueux, à une distance assez grande des massifs granitiques ; elle est caractérisée minéralogiquement, comme la plupart des ophites de Palassou, par la présence de la stéatite ou du talc. Les décompositions des diorites cristallines de la zone des micaschistes ne donnaient aucun résultat favorable.

Nous devons encore regarder comme une heureuse application géologique l’idée de faire servir les forages des puits artésiens à l’épuisement des eaux superficielles. Nul doute que le géologue, en consultant la nature des couches inférieures et leur niveau par rapport aux vallées voisines, pourra diriger par d’utiles conseils les essais dans ce nouveau mode de dessèchement.

L’importance des cartes géologiques devient tous les jours plus grande. C’est sur elles que reposent presque toutes les nouvelles recherches théoriques, et nous ne devons pas nous étonner de voir plusieurs savans, M. de Buch entre autres, s’occuper de les améliorer.

C’est sur de bonnes cartes encore plus que sur le terrain que la théorie des montagnes doit s’étudier ; quelque habitude, en effet, que l’on ait de juger les formes du terrain, il est impossible d’en saisir l’ensemble autrement que par les cartes ; l’auteur de la théorie du soulèvement des montagnes partage, je n’en doute pas, notre opinion.

M. de Caumont, dans les réunions de Caen, a exposé ses idées au sujet de leur coloration, Il désire voir exprimer par des teintes et leurs modifications les passages des roches les unes aux autres. Nous serons tous, je le présume, disposés à adopter cette idée, que plusieurs de nous ont déjà mise en pratique. La difficulté n’est pas là, mais dans le moyen d’adopter un signe uniforme pour une même roche ou une même formation ; nous pensons que la chose est impossible si on ne commence pas par adopter deux séries de signes, l’une pour les roches, l’autre pour les formations. Cela fait, il sera encore bien difficile de s’y tenir rigoureusement à cause de la multiplicité des signes nécessaires dans les travaux de détail.

L’archéologie, cherchant à pénétrer jusqu’aux temps les plus anciens de l’histoire de l’homme, se trouve en contact avec la géologie, qui prend pour point de départ d’une partie de ses recherches les modifications arrivées à la surface du globe depuis que l’homme y domine. Ce sont l’une et l’autre des sciences historiques, et l’une et l’autre procèdent par des faits et des séries d’inductions plus ou moins probables. Nous ne devons donc pas être étonnés si plusieurs de nous se montrent disposés passer de l’étude de la nature à celle de l’antiquité.

L’on peut voir des applications de la géologie à l’archéologie dans la Notice que M. Virlet vous a lue sur l’île de Samothrace. L’auteur l’ayant visitée en partie pour s’assurer s’il y rencontrerait quelques traces du déluge mentionné par Diodore de Sicile, ne peut s’expliquer la tradition ancienne que comme le résultat de quelques phénomènes volcaniques, tels qu’un tremblement de terre sous-marin, avec affaissement d’une partie du rivage.

La notice dans laquelle, rappelant la découverte que j’avais faite des carrières antiques de porphyre vert, j’ai proposé pour cette roche le nom de prasophyre, et prouvé qu’elle n’était autre chose que le célèbre marbre lacédémonien, et l’un des ophites de Pline, a reçu l’assentiment des archéologues, et on peut regarder ce fait de minéralogie ancienne comme démontré.

M. Texier est arrivé à un résultat analogue ; il nous montre, dans son Mémoire sur la géologie des environs de Fréjus, un porphyre rouge antique exploité par les Romains dans les montagnes de l’Esterelle, et désigné aujourd’hui dans les monumens de Rome sous le nom de porphyre égyptien.

Il y a peu de temps encore que l’éloignement, par rapport à la mer, de quelques ports anciens de la Méditerranée, était regardé comme une preuve de son abaissement. M. Texier montre que le port de Fréjus, arsenal maritime des Romains, est aujourd’hui à 1050 m de la mer, et il attribue ce fait à la formation des atterrissemens, et regarde même l’entier comblement du golfe de Fréjus comme un fait probable dans l’avenir, il en sera sans doute ainsi de toutes les profondes anfractuosités de nos rivages, si notre période à une durée suffisante. Les parties saillantes se détruisent, les parties rentrantes sont comblées par les atterrissemens et les alluvions, et nos rivages tendent a former une ligne régulière. Déjà, telle qu’elle est, elle présente, dans la plus grande partie du monde, une régularité bien surprenante aux yeux de celui qui est habitué, comme nous, à dessiner des courbes horizontales à une hauteur quelconque de la surface irrégulière de nos continens.

Dans des considérations sur la géologie des sept Collines, dont nous avons déjà eu occasion de vous entretenir, M. Texier regarde le gouffre de Curtius comme nu grand affaissement survenu dans l’emplacement même d’un cratère, auquel succéda un lac que les Romains nommèrent le lac de Curtius. Suivant l’auteur, le marais comblé, appelé lac de Néron, sur lequel fut établi le Colysée, serait encore un ancien cratère. Ce serait donc sur les bouches de volcans récemment éteints qu’auraient été jetés les fondemens de la Ville Éternelle.

M. Texier voyage aujourd’hui dans l’Asie-Mineure, contrée qui offre de nombreux rapports avec l’Italie méridionale, et qu’il ne tardera sans doute pas à nous faire connaître.

Nous avons déjà eu l’occasion de mentionner beaucoup de travaux, tels que ceux de MM. Desnoyers et de Caumont, où la géologie éclaire l’archéologie plus encore qu’elle n’en reçoit de lumière ; espérons que nos savans collègues ne seront pas entièrement enlevés à la géologie par l’attrait des sciences archéologiques.

Quelques pénétrés que vous soyez du zèle de notre président vous ne serez pas moins surpris de l’énumération des travaux divers dont il a enrichi notre Bulletin. Je ne reviendrais points sur les nombreux points de géologie qu’il a traités ; je me borne ici aux principales communications qui se rapportent à l’ensemble de la science.

Dans la séance du 19 novembre 1832, M. Boué rend compte de la grande réunion des savans allemands, qui avait eu lieu depuis deux mois auparavant. Des réunions semblables ont eu lieu depuis dix ans, sans doute dans un but d’unité scientifique pour toute la grande famille allemande. Leipzig, Hall, Wuzbourg, Francfort, Dresde, Munich, Berlin, Heidelberg et Hambourg, ont été successivement les points de réunion. Le nombre des savans qui s’y rendent s’accroit annuellement ; à Vienne il dépassa 500. Notre société ne pouvait y être plus dignement représenté que par le géologue qui, depuis sa fondation, est pour nous un lien entre l’Allemagne et la France. Je ne vous répèterai pas les détails curieux que M. Boué nous a donnés de cette réunion provoquée par le prince Metternich, qui prit part à ses travaux. Jamais la science ne reçut plus d’hommages ; on eût dit que le gouvernement autrichien voulait se laver des reproches que la presse ne cesse de lui adresser.

La France sans doute, n’a pas vu de fêtes et d’hommages si pompeux ; mais reconnaissons que depuis le jour où la science a pris au pouvoir la place qui lui appartient, les encouragemens sont journaliers, et la fête est de tous les jours.

M. Boué ne se borne pas à ce récit curieux ; l’utile n’est pas oublié ; il nous fait connaître l’état des sciences et leurs applications récentes, les vues du gouvernement pour leurs progrès, et enfin la situation de la presse scientifique.

Dans la séance du 17 décembre 1832, M. Boué vous rend compte des résultats géologiques de son voyage en Allemagne ; partout il met à contribution le savoir des géologues du pays qu’il parcourt, et confirme ses propres observations par les leurs. MM. Voltz, Pareto, de la Marmora, sont successivement interrogés. Le collection de ce dernier nous donne un premier aperçu de la constitution géognostique de la Sardaigne, qui paraît, phénomène bien rare dans le midi, offrir une succession peu interrompue de toutes les formations, depuis les schistes maclifères et les schistes à productus, jusqu’au terrain quaternaire.

Son séjour à Milan nous introduit dans la riche collection de M. Christophori, et nous apprenons à connaître la scaglia, les fossiles de Gosau, et les calcaires à hippurites de la région des lacs du pied des Alpes. Guidés par M. Pasini, nous parcourons ensuite une partie du Vicentin. Là M. Boué ajoute 40 espèces de fossiles à la liste de M. Brongniart, et les déterminations de M. Deshayes confirment l’identité annoncée par le savant professeur entre le Vicentin et le bassin de Paris. M. Boué visite ensuite les collections de fossiles du Vicentin et du Véronais, celles de M. Custellini, de M. Laier, de. M. Traunfeld, à Klagenfurth, en Illiyrie, ainsi que la collection de la direction des mines, qui renferme une suite de fossiles si remarquables de Radeboy en Carinthie. Dans cette province, le voyageur nous fait connaître notre savant confrère, M. de Rosthern, dont le zèle pour la science est secondé par la carrière industrielle qu’il a embrassée. Nous visitons ses usines, ses vastes collections dignes d’un établissement public, entre autres 6 séries de roches offrant autant de coupes à travers les Alpes. Pour compléter l’étude des Alpes, M. de Rosthern fait exécuter des nivellemens barométriques dans ces six directions, et peindre tous les sites remarquables ; en sorte qu’il a réuni la plus belle collection connue de profils et de panoramas des Alpes.

M. de Rosthern a exécuté une carte très étendue d’une partie du terrain qui embrasse ses recherches, et a dirigé en outre la partie géologique dans la description des Hautes-Alpes, de la Styrie, du Salzbourg et du Tyrol, grande entreprise scientifique due à l’archiduc Jean d’Autriche. Rappelons encore que ce prince ne se borne pas à protéger et à encourager les sciences naturelles ; possédant des connaissances variées, marcheur infatigable, il prend part à tous les travaux scientifiques qu’il fait exécuter. Heureux les princes qui ont de semblables goûts, et plus heureux encore le pays où ils peuvent s’y livrer !

Étudier les collections, consulter le savans, s’enrichir du fruit de leurs longues observations locales, et les rectifier quelquefois à l’aide de connaissances plus générales ; tel est l’esprit dans lequel notre collègue sait utiliser ses voyages, au profit de la science, quelque étendus et rapides qu’ils soient.

Dans la séance du 6 mai 1833, M. Boué développe le plan d’une bibliographie générale des sciences géologiques, minéralogiques et palœontologiques. Guidé par des vues toutes philosophiques, l’auteur veut nous offrir le tableau de la marche de l’esprit humain dans l’étude physique du globe. Cette tâche est sans doute immense ; mais l’auteur nous a prouvé qu’elle n’est au-dessus ni de son zèle ni de ses forces.

Le résumé des progrès de la géologie en 1832 a suivi cette communication. C’était pour la troisième fois que notre collègue préludait, par de semblables travaux, au grand monument scientifique dont je viens de parler.

Parmi les observations et les idées nouvelles dont abonde ce Résumé, je dois vous rappeler l’étude de l’Europe considérée comme formant géographiquement des groupes géologiques, au lieu d’un tout uniforme, aperçu qui promet d’être fécond en résultats.

M. Boué, n’acceptant qu’avec réserve la théorie des soulèvemens des chaînes, telle que l’a exposée M. de Beaumont, résume toutes les objections qui lui ont été opposées. Nous eussions désiré voir à la suite de ces nombreuses objections la série des faits qui viennent au contraire à l’appui, ou de la totalité, ou du moins des parties de cette théorie qui sont les plus incontestables ; mais cela n’a pas dépendu du rapporteur : on s’est plus occupé jusqu’à présent de la combattre que de l’appuyer.

Je dois m’arrêter au plus important des travaux récens de M. Boué, à son « Résumé des progrès de la géologie pendant l’année 1834. » Cet ouvrage, remarquable par l’ordre et l’abondance des matériaux, couronne dignement les travaux de notre savant confrère, et signale son zèle toujours croissant pour les intérêts de notre Société.


Cratères de soulèvement.

La théorie des cratères de soulèvement remonte à plus de douze ans, et c’est dans la description physique des Canaries, par M. de Buch, que nous la trouvons indiquée pour la première fois. La manière obscure et toute dogmatique dont les principes en sont exposés me ferait penser que déjà l’auteur avait développé dans ses cours les observations précises sur lesquelles il s’appuyait sans doute.

Les idées de M. de Buch furent assez long-temps sans être répandues en France ; les traductions du mémoire entier qui parurent en 1829, dans les Annales de la Société linnéenne de Normandie et dans les Annales des mines, étaient loin d’amener ce résultat, en dissipant l’obscurité du texte. C’est à l’extrait fait par M. de Beaumont, inséré dans la Revue française, et plus tard dans les Annales des sciences naturelles, que nous devons l’exposition claire et précise de la théorie de M. de Buch. Nous en citerons le passage suivant : « Il était réservé à M. de Buch de montrer que, même dans les contrées dont toutes les roches présentent d’une manière plus ou moins complète les caractères des produits volcaniques, beaucoup de ces cavités en forme de cratères n’ont jamais été des cratères d’éruption ; » passage qui résume bien les idées de l’auteur et de son habile commentateur.

Peu après, M. de Beaumont, dans une note insérée dans les Annales des sciences naturelles sur les rapports qui existent entre le relief du sol de l’île de Ceylan et celui de certaines masses de montagnes qu’on aperçoit sur la surface de la lune, chercha de nouvelles analogies à l’appui des idées émises par M. de Buch.

Dans le mémoire intitulé Faits pour servir à l’histoire des montagnes de l’Oisans, les localités se rapprochent de nous, et les faits commencent à se préciser et à remplacer les assertions théoriques, car c’est la marche qu’a suivie la question.

Le plus grand nombre des géologues parut disposé à admettre de confiance cette théorie, sans s’occuper ni de sa probabilité, ni des caractères précis que devait offrir un cratère de soulèvement. Pour nous, du moins, nous cherchions en Grèce les bords du cône de soulèvement que l’élévation du dôme de Methana avait dû produire dans les temps historiques ; nous cherchions si quelques uns des bassins sans issue de l’intérieur de l’Arcadie ne pourraient pas se rattacher à ce phénomène.

La choses en étaient là, lorsqu’un phénomène rare, l’apparition d’un nouveau volcan dans la Méditerranée, sur un point où les plus anciennes traditions historiques ne nous en révélaient pas l’existence, vint réveiller l’attention sur la théorie de M. de Buch, et faire penser à quelques uns de ses nombreux partisans, que la nature étant prise sur le fait dans la création des Erhebungscraters ; d’autres, et nous sommes du nombre, pensèrent que si l’écorce du globe ou seulement une faible épaisseur eût été soulevée et percée pour donner naissance au volcan éphémère de Julia, dans cette région dont nous ressentons jusqu’ici les tremblemens de terre, nous en eussions été prévenus autrement que par le courrier de Naples. M. C. Prévost, bientôt rendu sur les lieux, ne vit rien autour du petit cône d’éruption qui satisfît son esprit favorablement prévenu.

Dans le même temps, M. Hoffmann, tout en maintenant sa foi dans la théorie, émettait des doutes sur son application aux phénomènes de l’Etna, des îles Lipari et du Vésuve.

C’est, je crois, à l’occasion des lettres de M. C Prévost que les premières objections motivées, sur la théorie en question, ont été formulées par M. Cordier, dans le sein de l’Académie.

La discussion ne tarda pas à s’ouvrir à la Société de géologie, et c’est à notre confrère, M. de Montlosier, que nous en avons, quoi qu’on puisse dire du mot, l’obligation. C’est, en effet, à cette discussion, longue et animée, que nous devons les ouvrages les plus positifs et les plus riches de faits qui depuis long-temps aient éclairé la science des phénomènes volcaniques.

M. de Montlosier ne reconnaît que deux espèces de cratères ; les uns dus à des explosions, les autres dus à l’éjection de matières torréfiées, accompagnées assez généralement de courans de laves.

M. Cordier, dans la même séance, proteste contre la réalité des cratères de soulèvement ; il ne reconnaît que des cratères d’explosion, produits par la seule explosion des gaz ; des cratères dans lesquels l’action des gaz élève de la lave liquide, la projette en fragmens incohérens, et l’amoncelle en cônes, et enfin des cratères qui, formés comme les précédens, ont fini par dégorger de la lave liquide, qui a plus ou moins échancré leur contour.

L’auteur appuya sur la nécessité de bien distinguer les actions locales et de faible intensité, manifestées par les phénomènes volcaniques des causes plus générales auxquelles on doit rapporter les dislocations de l’écorce terrestre.

En réponse, M. de Beaumont présenta dans la même séance une courte analyse du mémoire que M. Dufrénoy et lui venaient de rédiger sur les groupes du Cantal et du Mont-Dore.

1° Le groupe du Cantal présente un cratère de soulèvement ;

2° Les phonolithes de la roche Sanadoire, de la roche Thuilière et de la Malviale forment un centre du relèvement sur lequel viennent s’appuyer les trachytes et les conglomérats ;

3° Le groupe du Mont-Dore présente un cratère de soulèvement ; ces cratères sont plus modernes que l’époque de l’épanchement des basaltes, et sont le résultat d’une commotion souterraine qui eût lieu entre cette époque et celles des volcans à cratère.

La théorie va donc enfin s’appuyer sur des localités bien connues, sur des observations bien précises.

M. Cordier se fondant sur ses souvenirs et ses longues études des montagnes volcaniques de la France centrale, n’admet pas la nécessité de recourir à l’hypothèse du soulèvement pour rendre compte de la forme actuelle du Cantal et du Mont-dore, et n’y voit que des cratères d’éruption démantelés.

M. de Buch n’avait considéré les cratères de soulèvement que dans leurs rapports avec les phénomènes volcaniques ; du moins dans les applications de sa théorie.

M. de Beaumont rechercha les preuves du même mode d’action dans des terrains d’autre origine ; nous avons déjà cité le cirque granitique de la Berarde et la cavité gigantesque, mais de forme irrégulière, des montagnes de Ceylan. Ces localités sont sans doute bien remarquables, mais elles n’offrent point les circonstances nécessaires pour produire la conviction. Pour arriver à ce résultat, il suffirait de trouver dans les terrains de sédiment une enceinte à peu près circulaire vers les bords de laquelle les couches se redresseraient de toutes parts sous un angle assez fort. Ce fait nous semble peu probable, mais il peut exister, et le soulèvement des Wealds de Sussex, et beaucoup d’autres en ellipses très alongées, il est vrai ; nous montrent néanmoins quelques chose d’analogue.

Ce phénomène une fois consiste dans les terrains secondaires ; toutes les objections que l’on élève à tort, suivant nous, contre la possibilité d’un soulèvement conique et cratériforme tomberaient d’elles-mêmes.

M. de Beaumont a cité un fait de cette nature à Beyne près de Grignon. La dolomie y indique un centre d’action ignée ; les couches tertiaires se relèvent vers le même point, et enfin, il y aurait quelques apparences cratériformes ; mais ces apparences doivent être peu distinctes sans doutes, puisque les grands phénomènes de dénudation et de remplissage auxquels est dû le relief actuel de toute cette contrée ont suivi, ou du moins accompagné le soulèvement auquel on rattache le phénomène de Grignon.

Revenons au mémoire de MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, première application rigoureuse d’une partie des vues spéculatives de M. de Buch. Je dis une partie, car cette idée principale, que les volcans n’ont pu s’établir sans la formation préaloble d’un cratère de soulèvement, n’est pas traité par nos deux savans confrères.

Après quelques considérations générales, ils comparent les volcans à coulées et les cônes volcaniques de soulèvement du Cantal et du Mont-Dore, les premiers à des montagnes recouvertes de filets d’eau glacés pendant leur écoulement, et les secondes à des cônes formés par l’étoilement et le redressemens des eaux glacées d’un lac. Cette comparaison ingénieuse, pour être parfaitement exacte, exigerait qu’il y eût plus de rapports entre la fluidité parfaite de l’eau et la fluidité pâteuse des matières ignés en fusion. Toute la question est là ; car, en admettant cette analogie, il devient impossible que les nappes basaltiques et trachytiques, remarquables par leur compacité et leur grande étendue, sinon leur continuité, aient revêtu le cône, et se soient formées sur des pentes aussi rapides.

Les questions principales sont donc de savoir sous quel angle la solidification des basaltes et des trachytes est possible, quelles sont leurs pentes au Mont-Dore et au Cantal, et ce qui n’est pas moins essentiel, si cette inclinaison se maintient à peu près uniforme dans toute la circonférence du cratère. Nom appuyons sur ce dernier point, parce qu’il laisserait aux partisans de l’opinion contraire, s’il n’était pas constaté, la possibilité d’expliquer le grand relèvement dans certaines directions par une dislocation rectiligne, telles que celle des Alpes par exemple. Peut-être même trouverait-on un argument en faveur de cette opinion dans le parallélisme des deux vallées de Mandanile et de Vic, au Cantal, vallée dont le massif intermédiaire divise en deux parties le cirque du Cantal.

Quant aux applications de calcul faites par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, aux formes qui devraient résulter du soulèvement, elles ont été utiles, en redressant les idées fausses que l’on avait sur l’importance des fendillemens du cône, de même que ceux de M. Virlet ont eu pour but, et en partie pour résultat, de montrer que la grande étendue citée comme argument dans les formes cratériques étaient une preuve contraire, plutôt que favorable, à la théorie du soulèvement ; d’ailleurs, du moment qu’il est reconnu que par suite de dénudations ou d’affaissemens les cratères de soulèvement, ou cités comme tels, sont devenus d’immenses cavités ayant, au lieu de quelques centaines de mètres, leur diamètre originaire, 5, 6 et 8 myriamètres de diamètre ; que les petites fissures de soulèvement s’élargissant vers l’intérieur sont devenues de grandes vallées s’élargissant, et s’approfondissant vers l’extérieur, on doit admettre que les calculs, quelque curieux qu’ils soient, ne peuvent éclairer la question. Si l’on se borne même à chercher les sommes des fissures sur les divers cônes attribués au soulèvement, et qu’on les trouve en rapport avec ce qui a lieu dans la nature, la puissance admise des dénudations et leurs effets différens suivant les lieux ne permettent de voir dans ces rapports qu’un effet du hasard.

Dans le mémoire de MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, Santorin avant encore été cité comme un exemple des cratères de soulèvement. M. Virlet s’attacha. À prouver dans la séance suivante que cette île n’en avait point les caractères, et présentait au contraire tous ceux d’un cratère d’éruption affaissé et dénudé par l’action de la mer. Ce nouvel adversaire de la théorie fait faire un pas à la question ; jusqu’alors on s’était principalement attaché à prouver l’inutilité de l’hypothèse. M. Virlet, dans son Examen de la théorie des cratères de soulèvement de M. de Buch, cherche à prouver qu’elle est inapplicable aux exemples cités ; il montre, par un calcul facile, quelle petite étendue devaient avoir les cratères primitifs dus à cette cause, au lieu des cirques immenses qu’ils présentent aujourd’hui. Les partisans de l’hypothèse contraire répondent qu’on ne peut regarder les bords du cirque actuel comme représentant l’écartement primitif, et ils admettent l’action des affaissemens, des dénudations, des explosions même, comme dans les cratères éruptifs.

M. Dufrénoy, en répondant au mémoire de M. Virlet, établit que la possibilité théorique des phénomènes ne peut être niée, que ses applications au Cantal et au Mont-Dore lui semblent incontestables.

MM. Tournal et Boubée, en accordant la première proposition, ont combattu la seconde.

Entièrement étranger à la question dans ses applications, nous avons cru devoir insister sur la nécessité de tenir compte, dans les calculs théoriques, de l’épaisseur de la croûte terrestre. Si l’on soumet à la pression un corps flexible et fragile, on doit admettre qu’aux deux extrémités de la partie soulevée et brisée, il y a rapprochement des molécules vers la partie supérieure, et écartement à la partie inférieure ; et c’est vers le milieu que se trouvent l’équilibre et le centre de mouvement de rotation et non à la surface.

Nous avons fait voir qu’il ne serait pas impossible d’arriver par cette considération, avec tout autant d’approximation que par les méthodes connues jusqu’à ce jour, à trouver l’épaisseur de la croûte terrestre au moment d’un soulèvement donné.

Le voyage en Auvergne amenait les observations sur le champ de la discussion. On pouvait en espérer des résultats qui, sans résoudre la question générale, auraient permis de la porter sur un autre terrain ; autant que j’en puis juger, il n’en fut pas ainsi. M. Constant Prévost montra bien l’analogie des phénomènes volcaniques récens, dont le souvenir était encore tout présent à sa pensée avec les phénomènes du Cantal et du Mont-Dore ; mais il ne fut pas prouvé que le terrain tertiaire eût conservé dans son ensemble sa position originaire, ni que les trachytes et les basaltes n’eussent que la pente sous laquelle on peut admettre leur consolidation. Dans les séances qui suivirent les explorations géologiques, la doctrine du soulèvement fut vivement soutenue par un puissant auxiliaire, M. Lecoq, qui, à la suite de longues études, était arrivé à admettre, dès l’année 1827, la théorie si habilement développée depuis par MM. Dufrénoy et Élie de Beaumpnt sur le soulèvement du Mont-Dore. Ici s’arrête ma tâche ; mon successeur vous rendra compte des recherches positives de MM. Desgenevez et Fournet sur le même sujet.

Presque tous les, géologues qui ont traité cette question admettent, en principe les cratères de soulèvement, et s’attaquent seulement aux applications, qu’ils rejettent sans exception. Quant à moi, si la théorie générale ne me semblait pas improbable, je trouverais au contraire dans les argumens de MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont, surlJe Cantal et le Mont-Dore, des probabilités suffisantes en faveur de leur opinion, du moins pour ces deux cas particuliers.

La théorie du soulèvement des montagnes, dont M. Élie de Beaumont a fait déjà de si heureuses applications, repose sur le fait de la rupture de l’écorce terrestre suivant des circonférences de grand cercle, et ce n’est pas une simple hypothèse ; il est facile en effet de comprendre que la rupture de l’enveloppe, suivant une circonférence, est le cas qui présente à l’action des causes générales internes le minimum de résistance. L’observation conduit à peu près aux mêmes résultats, ou du moins elle nous montre partout, dans les phénomènes de dislocation, de grandes directions rectilignes se croisant en différens sens, telles sont les masses des différentes chaînes de montagnes, telles sont les masses éruptives, porphyritiques, trappéennes, basaltiques, s’étendant en lignes droites et souvent parallèles sur d’immenses longueurs ; les filons se prolongeant en lignes droites parallèles ou formant différens systèmes de croisement, mais ne convergeant jamais vers un centre commun et enfin, les séries de protubérances granitiques et trachytiques qui ne sont des masses isolées, que lorsqu’on n’en saisit pas l’ensemble. La rupture admise sur des circonférences de grand cercle, le problème de la fracture de l’écorce reste indéterminé pour toutes les circonférences de la sphère ; il faut encore admettre un plan de grand cercle, où se trouvent réunis dans un temps donné le plus d’élémens de moindre résistance ; mais une fois sa direction déterminée, la rupture la suit et s’étend indéfiniment.

Pour que l’action des forces intérieures put produire un étoilement et un relèvement conique à cratère circulaire, il faudrait qu’autour d’un point de soulèvement tous les élémens de résistance à la fracture fussent d’égale force dans toutes les directions suppositions qui n’est pas admissible surtout dans l’état de dislocation complète et de redressement des couches terrestres. Je conçois des soulèvemens en forme d’ellipses alongés, ouvertes à leurs extrémités ; c’est ce qui arrivera sur les lignes de fractures à tous les points de moindre résistance ; mais la forme circulaire, imitant le cône d’éruption, est un cas limite à l’existence duquel j’ai peine à croire. Disons cependant que si la force développée instantanément était infiniment grande par rapport à la résistance, comme dans les explosions de mines, le cas aurait lieu, mais il s’agit ici de forces de développement progressif.

Messieurs, dans ce résumé bien imparfait de vos travaux, j’ai passé en revue plus de 100 mémoires, notices ou communications. Me borner à une simple énumération eût été sans doute prudence de ma part ; je n’ai pas cru que ce fût un devoir, et je me suis permis quelquefois d’émettre mes propres opinions. J’ai usé de cette liberté en dédommageant de mes pénibles fonctions, bien convaincu d’ailleurs que personne ne pourrait s’imaginer sérieusement que votre rapporteur se regardât comme l’organe des opinions de la Société. Je sens d’avance que plus d’un auteur aura à se plaindre ou de mes omissions, ou de la manière inexacte dont j’aurai apprécié ses recherches. La grandeur du travail, sa difficulté bien au-dessus de mes forces, ma déférence en m’en chargeant, au vœu de la Société, seront mes titres à son indulgence, et je pourrai du moins protester de mon bon vouloir et de mon impartialité.

Le nombre de vos publications et leur importance sont des preuves de la prospérité de notre association plus convaincantes encore que le nombre toujours croissant de ses membres. Si les publications sont la preuve du succès, elles en sont aussi le gage le plus certain. Ne négligeons donc rien de ce qui peut les multiplier, les hâter, et en accroître le mérite. Les comités de rédaction et de publication sont l’âme de toute société savante, et nos succès reposent en grande partie sur leur zèle ; mais chacun de nous doit y contribuer encore par son amour pour la science et par son attachement sincère à notre association, sentimens qui se réunir ici et y avoir seuls accès.

Nos discussions toutes scientifiques, et le caractère positif de nos recherches, loin d’avoir à craindre la publicité, doivent au contraire la rechercher ; quelques amours-propres dussent-ils en être froissés, elle est dans l’intérêt de la science, et même dans celui de la Société. Qu’il me soit permis cependant en terminant de hasarder quelques observations sur un inconvénient, bien faible, il est vrai, dans la publicité de nos discussions scientifiques.

Lorsqu’on marche à la recherche de la vérité par la voie la plus lente mais la plus sûre, la voie analytique, une découverte naît en quelque sorte graduellement et d’elle-même, et par suite ne soulève que peu de discussions ; mais il n’en est pas ainsi lorsqu’un esprit, quelquefois supérieur, jette en avant une idée théorique que la synthèse doit ensuite démontrer ; la discussion naît aussitôt de toutes parts : c’est ce que nous voyons maintenant d’une manière remarquable. Pour nous la chose est toute naturelle ; elle résulte de ce que les faits qui doivent établir ou détruire cette théorie particulière ne sont pas encore rassemblés. Spectateurs de la lutte, nous attendons patiemment la vérité, nos doutes restant dans les limites de la question ; malheureusement il n’en est pas ainsi du public (car il est bon de le rappeler, nos travaux sont devenus du domaine public) ; ces discussions si animées, si prolongées, ébranlent sa foi ; et faute de savoir ce dont il doit douter, par prudence il doute de tout. N’oublions pas combien, malgré l’importance de la question, la longue querelle des Neptuniens et des Vulcanistes jeta de défaveur sur les travaux de nos devanciers, et nous désirons par ce motif voir nos discussions se renfermer dans les Sociétés géologiques, où elles peuvent être débattues (mais la seulement) avec profit et sans inconvénient pour la science.

Je ne terminerai pas sans signaler un autre écueil dont il est d’autant plus difficile de nous préserver, qu’il grandit en quelque sorte avec nos succès même : c’est le danger de céder à l’entraînement des idées théoriques. La géologie est à la mode ; la classe instruite, toujours plus nombreuse, suit ses progrès, et le géologue ne peut manquer de s’apercevoir que les recherches théoriques sont les seules qui puissent avoir un succès populaire.

Le public, empressé de savoir, nous demande des théories ; répondons par des faits, travaillons pour les véritables géologues ; si le succès est moins brillant il sera plus durable ; et d’ailleurs, n’est-ce pas un mérite aussi dans la science de savoir se passer de la popularité ?