La Verdure dorée/Parmi mes souvenirs, Clorinde, je choisis

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La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 253-254).

CXLIX


Parmi mes souvenirs, Clorinde, je choisis
Cette rue avec ses étalages moisis
Où tu voyais s’offrir en un rare mélange
Des florins de Florence, une plume de l’ange
Gabriel et, pendant au char d’Achille, Hector
(Gravure), des chapeaux : paille et demi-castor.
Des perles, le vert d’eau d’un fauteuil Louis XVI ;
L’écharpe blanche à glands d’or d’un garde-française ;
Des médailles (un aureus d’Aurélien,
Le crabe d’Agrigente et le loup argien,
La tortue éginète et le thon de Cyzique
Et la chouette athénienne) : la Physique
D’Aristote, les Commentaires de César ;
Des sceaux de cire verte, une peau de lézard,
Un télescope, des plantes médicinales
Et la collection complète des Annales
(Manque un tome) ; des aquarelles, des oiseaux
De Malacca, Manon Lescaut avec deux eaux-
Fortes (l’une piquée et l’autre disparue)…

L’air rouge et lourd berçait dans cette vieille rue
L’ombre noire de deux pigeons sur les pavés
Voluptueux, des perruches. Tu me suivais

Et quand je me tournais je te voyais sourire.
Clorinde, en y rêvant, je m’arrête d’écrire
Et songe avec délice et souffre de songer
À ces murs qui sentaient le miel et l’oranger.
Un gros perroquet vert cria. (1912).
Briques brûlantes, vieux étalages, Toulouse
(S’il faut dire d’un mot le décor où l’Amour
Nous menait et, noyant sous des nappes de jour
Ma ténèbre, au milieu de ces ardeurs complices
Enivrait notre cœur de mortelles délices)
Toulouse (reprenons la phrase, s’il vous plaît)
Et ce double pigeon, Clorinde, qui volait
Comme pour imiter nos deux âmes liées,
Voici qu’au bord de l’eau, sous les chaudes feuillées,
C’est Toulouse au beau ciel, ses jardins gracieux
Et son fleuve et tes pleurs ; et je ferme les yeux
Pour me mieux dérober au jour qui m’environne
Et pour nouer en ton honneur cette couronne
Que sur tes noirs cheveux un rêve ira poser,
Cette couronne où chaque feuille est un baiser.