La Verdure dorée/Viendras-tu rallumer les lampes

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La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 228-230).

CXXXII

À Fagus.


Viendras-tu rallumer les lampes
Et ma vie, Amour que j’attends ?
J’ai des cheveux gris sur les tempes
Et je n’ai pas encor trente ans.

Hôtels garnis, chambres meublées,
Escaliers tristes, quels décors !
Ah ! princesses ensorcelées,
Lys ténébreux dans les allées,
Vasques de jaspe et chœurs de cors !

Où est l’amour dont je renaisse
Et qui me rende ma jeunesse ?


Émail fendu du lavabo
Où saucèrent tant de visages
Disparus ; sont-ils au tombeau
Ou rient-ils à des paysages ?

Amer poison des logements
Dont mourraient seize Mithridates ;


Miroir terne où les diamants
De problématiques amants
Gravèrent des noms et des dates.

Ils sont partis. Ils sont ailleurs.
Les jours passés sont les meilleurs.


Chambres désertes et cruelles
Où j’erre avec mon encrier ;
Des buveurs braillent aux ruelles ;
À quoi bon gémir et crier ?

Qui veut trop chanter, il s’enroue ;
Et par les vitres de l’hôtel
Ne vois-tu pas la Grande Roue
Et ces beaux nuages que troue
Et déchire la tour Eiffel ?

Ton cœur, n’est-ce un de ces nuages,
Ton cœur, après tant de voyages ?


Chambres d’hôtel, amours d’un jour,
De six mois ou de quatre années,
Ce sont des roses mortes pour
De futures roses fanées.


Rêves ternis, bannis, finis,
Se peut-il que tu te rallumes,
Espoir ? Amours, hôtels garnis,
Les cœurs s’en vont de nids en nids
Perdant leurs larmes et leurs plumes.

La lune monte, seule aussi,
Image et fleur de mon souci.