Catilina (Ibsen)

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Traduction par Colleville et F. de Zepelin.
(p. 11-219).

PREFACE DES TRADUCTEURS

Ibsen a public récemment à Copenhague chez le grand éditeur Hegel, une édition définitive et complète de son œuvre. Au commencement du premier volume il s’est adressé au public en ces termes que nous reproduisons fidèlement :

« Pour le lecteur.

Lorsque mon éditeur m’a proposé de donner au public dans leur ordre chronologique toutes mes œuvres littéraires, je compris aussitôt l’avantage qu’une telle édition complète offrirait au lecteur pour la compréhension de mes pièces.

Une nouvelle génération, en effet, est née pendant que j’achevais ma production littéraire, et bien souvent j'eus l’occasion de constater que ces jeunes hommes connaissaient mieux nos récents ouvrages que nos travaux de date plus ancienne. Dans ces conditions mon lecteur ne pouvait comprendre la suite et la conséquence logique de mon œuvre, et c’est à cette ignorance de la chronologie de nos travaux que j’attribue surtout les explications fausses et bizarres qui ont été données de mes dernières œuvres.

C’est seulement en embrassant dans son unité ma production littéraire qu’on arrivera à en comprendre chaque partie séparément. Je prie donc avec instance mon lecteur de ne mettre de côté aucune de mes pièces, pour les lire par la suite, mais d’en prendre connaissance et de les vivre dans l’ordre même où je les ai conçues et de s’assimiler ainsi mon œuvre toute entière. »

Sans doute Catilina que nous avons l’honneur de présenter ici même au public Français et qui est la première œuvre de jeunesse de l’illustre écrivain ne saurait être comparé ni à la Comédie de l’amour aux vers superbes, ni aux Revenants dont la maîtrise au point de vue technique est absolue. Mais l’ouvrage reste intéressant comme le premier anneau d’une chaîne, comme le premier point d’une tapisserie et tout en provient.

À son début à l’heure de Catilina, Ibsen est sous l’influence du grand poète romantique danois Œhlenschläger (1779-1850) et certaines phrases de son drame rappellent le très grand auteur de Ka Kon Iarl. Est-ce à dire pour cela qu’Ibsen soit un sous-Œhlenschläger comme par exemple Rostand est un sous-Hugo, Non ! Le poète peu original du Tapis de l’Impératrice a postiché avec assez de succès la facture de 1830, mais il n’a pas su donner une pensée nouvelle en ces vers anciens.

Saverny, Didier, Don César avaient leur grandeur. Flambard est simplement la caricature grotesque et marseillaise de ces types qui passionnèrent le Paris d'il y a soixante-dix ans. Cyrano qui fait pâmer d’aise nos bourgeois opportunistes, c’est le Lion superbe et généreux d’Hernani.

Ibsen, lui qui malgré Solness et la Dame de la mer est bien le plus grand et le plus génial poète du temps présent, n’est jamais tombé dans la bassesse de l’imitation.

Quand il donne Catilina, s’il n’est pas l’aigle encore, il est déjà l'aiglon, il se révèle comme un puissant évocateur d’âme, comme un écrivain génial, comme une tête de Dieu Touché.

En quelques traits, traits qu’il renouvelle en les accentuant, il esquisse largement l’individualité [e ses personnages et cela si nettement, si clairement, que nous regretterons cette première manière si puissante, si simple et si peu complexe dans les derniers drames par trop symboliques.

Il nous est loisible en effet de croire que l’âme d’un Catilina était aussi troublée, aussi compliquée que elle de la Dame de la mer ou de Solness, ci nous constatons avec regret que l'Ibsen des débuts avait des procédés bien plus simples.

La simplicité, l’ordre et la clarté toute latine, voilà ce qui nous fait regretter Calilina. Madame Inger à Ostraat et la fête à Solhaug quand nous comparons ces œuvres de jeunesse avec celles de la maturité du grand poète.

C’est donc, à vrai dire, un nouvel Ibsen que nous voulons présenter ici, un Ibsen très clair, très net, très simple, très classique quoique le sujet de ces trois œuvres plus haut citées soit au moins aussi palpitant et aussi humain que celui de ses dernières pièces.

Et si après une longue étude des œuvres de jeunesse et de virilité saine et forte du maître qui nous donna Catilina, Madame Inger à Ostraat du grand poète, nous n’admirons ni ne comprenons davantage les dernières pièces symboliques, du moins nous avons appris à aimer mieux l’œuvre Ostraat, la Fête à Solhaug, la Comédie de l’amour, les Revenants, Maison de poupée, les Guerriers à Helgolaud, les Prétendants à la Couronne, L’ennemi du peuple et tant d’autres drames d’une si pénétrante émotion.

Quand le Snobisme aura changé d’objet, quand l’engouement français pour les pièces les plus obscures d’Ibsen où l’on sent déjà la fatigue de l’âge, aura cessé, on reviendra avec plus d’admiration aux œuvres admirables que nous avons plus haut citées. Alors nous aurons quelque fierté d’avoir fait connaître en France un autre Ibsen que celui que le public de l’Œuvre aimait à opposer à nos dramatiques de France.

Et celui-là c’est le véritable Ibsen, tel qu’il était lorsqu’il a acquis sa grande réputation en Norvège, en Scandinavie et en Allemagne. Un Ibsen qui n’a pas besoin de commentaires admiratifs ou d’explications. … Le plus souvent contradictoires. Un maître qui a le droit de prendre place en France parmi les plus illustres écrivains de l’Europe qui y sont justement honorés, parce qu’il possède, outre l’originalité singulière de son génie septentrional, la qualité maîtresse indispensable pour le latin à tout article : La clarté…

Maintenant nous allons céder la parole au maître lui-même pour qu’il nous dise dans quelles conditions Catilina fut enfante. Avec beaucoup d’humour, en la préface de Catilina parue à Dresde en février 1875 il s’explique ainsi :

« Le drame de Catilina qui fut mon début en littérature a été écrit pendant l’hiver 1848-1849, j’avais vingt-et-un ans. Je me trouvais alors à Guinstad obligé de gagner à la fois mon pain et l’argent nécessaire à mes examens

L’époque était assez tourmentée. La révolution de février, les troubles de Hongrie et la guerre dano-allemande. Tout cela m’agitait, m’obligeait à penser, mûrissait mon esprit. Cependant longtemps après cela mon âme m’apparaît bien jeune encore. En l’honneur des Madgyards je rime de pompeuses poésies les exhortant à résister aux tyrans pour le salut de l'humanité et de la liberté, j'adresse une suite de sonnets au roi Oscar pour lui enjoindre de marcher en hâte avec son armée au secours des frères danois qui succombent en Sleswig !

À présent que je ne crois plus beaucoup à l'efficacité de mes vers pour aider les Madgyards ou la cause Scandinave, je suis bien aise que mes poèmes soient demeurés en manuscrit.

Cependant je m'exprimais avec passion sur les sujets politiques en toute occasion et mes paroles plus vives encore que mes poésies étaient loin déplaire.

Mes amis me prenaient pour un pince-sans-rire extraordinaire, mes ennemis trouvaient très mauvais qu’un homme de peu comme moi se permit d’avoir une opinion sur des choses qu’ils ne se permettaient pas d’apprécier eux-mêmes.

J’ajouterai que ma conduite orageuse parfois, laissait peu d’espoir à la Société de me voir honorer jamais les vertus bourgeoises.

Enfin, par mes épigrammes et mes caricatures je perdis l’amitié de certaines personnes qui méritaient plus d’égards de ma part et dont j’appréciais au fond les sentiments affectueux. En un mot, alors que le monde était révolutionné par une grande idée je me trouvais en guerre ouverte avec la petite société où le destin et les circonstances m’obligeaient à vivre.

Tel était donc mon état d’esprit quand en préparant mon examen j'étudiai le Catilina de Salluste et les Calilinaires de Cicéron, je dévorai rapidement ces écrits et en peu de temps mon drame fut terminé.

Comme on le verra, je ne fus pas de même opinion que les deux écrivains Romains sur les mobiles du révolté.

Et aujourd’hui encore, je ne suis pas éloigné de croire à une certaine grandeur et à des qualités éminentes chez l'homme que Cicéron, l’infatigable avocat des majorités, osa attaquer seulement quand ce fut sans péril. De plus, peu de personnages historiques ont été comme Catilina jugés exclusivement par des adversaires.

Mon drame fut composé et écrit pendant les heures que je prenais sur mon sommeil. Le pharmacien, mon patron, était honnête et bon, mais il n’avait d’autre préoccupation que le succès de ses affaires commerciales et pour pouvoir préparer mon examen il me fallait pour ainsi dire lui dérober les instants qui m’étaient nécessaires pour mon travail, et sur ce temps volé il me fallait trouver encore le moment où je pouvais faire un peu de littérature. Pour ces dernières études, il ne me restait guère que les heures de la nuit. C’est pour cela, j'imagine, qu’inconsciemment j’ai placé toute l’action de Catilina dans la nuit. Naturellement je devais soigneusement tenir secrètes mes ambitions dramatiques dans le milieu où je vivais. Mais il est bien difficile à un poète de vingt ans de ne pas avoir de confidents et j’exposai mon but, mon idée à deux jeunes amis de mon âge.

Tous les trois nous avions assis de grandes espérances sur Catilina. Le drame terminé, il fallut d’abord le recopier, puis, sous un pseudonyme, l’envoyer au théâtre de Christiania, enfin le faire imprimer. Un de mes deux amis se chargea de recopier en belle calligraphie mon brouillon et il le fit avec tant de conscience qu’il n’oublia pas un seul point, ni aucun de ces traits que j’avais placé un peu partout, dans l’inspiration en cherchant le mot juste.

Le second partit pour Christiania avec le manuscrit. Je le puis nommer, il est mort, c’était l’étudiant plus tard avocat, A. C. Schulewid. Je me rappelle encore la lettre par laquelle il m’annonçait que Catilina avait été déposé au théâtre royal et que la pièce serait sûrement représentée, car le comité de lecture se composait d’hommes éminents. Il n’était pas davantage douteux que tous les éditeurs payeraient volontiers une assez jolie somme les droits de la première édition, il importait donc simplement de découvrir quel était l’éditeur qui payerait le mieux.

Après une attente pénible les difficultés se montrèrent, au théâtre mon ami reçut la pièce accompagnée d’une lettre polie contenant un refus très net, les éditeurs visités l’un après l’autre furent du même avis que le comité de lecture. Celui qui était le plus favorable, demandait une forte somme pour l’impression, bien loin d’offrir de l’argent.

Tout ceci n’ébranlait en rien la foi vivace de mon ami dans le succès. Cela est pour le mieux, m’écrivait-il, j’éditerais moi-même ma pièce, il m’avancerait pour cela l’argent nécessaire, lui s’occuperait de la question matérielle et il partagerait les bénéfices avec moi. Les frais d’impression seraient d’autant moins élevés que les épreuves devenaient inutiles avec un manuscrit d’une calligraphie si parfaite.

Dans une autre lettre postérieure à celle-ci, il me disait encore que sa conviction était si grande dans mon avenir dramatique, qu’il voulait abandonner ses études pour se consacrer exclusivement à la publication de nos œuvres.

Je pouvais en effet, selon lui, produire deux ou trois drames par an et il calculait que nos recettes pourraient nous permettre d’effectuer un voyage en Europe et en Orient que nous avions rêvé depuis longtemps.

Mon premier voyage se borna à une venue à Christiania. J’y arrivai au printemps 1850 et Catilina venait de paraître. La pièce fit quelque bruit et intéressa les étudiants, mais la critique me reprocha la pauvreté de mes vers et ne trouva pas l’œuvre assez mûrie.

Un seul jugement favorable fut émis sur la pièce, mais il provenait d’un homme dont l’esprit bienveillant et autorisé commandait le respect, j’y fus si sensible que je saisis encore l’occasion de lui en adresser ici de nouveaux remerciements.

Nous vendîmes bien peu d’exemplaires de notre petite édition et mon ami avait beaucoup de volumes de côté. Mais quand les finances faisaient défaut au commun ménage, nous allions vendre ces livres comme papier d’emballage au charcutier voisin. Et nous avions l’indispensable pour quelques jours.

L’été dernier pendant mon séjour en Norvège, et surtout après mon retour ici (Dresde, 1875), comme mon passé littéraire se dessinait très nettement en ma mémoire, je me mis à relire Catilina. J’avais à peu près oublié cette œuvre, en la parcourant je m’aperçus qu’elle avait certaines qualités, et que j’avais d’autant moins à la mépriser qu’elle avait été mon début en littérature.

Déjà à l’état embryonnaire apparaissent certaines préoccupations qu’on retrouvera développées dans mes autres pièces, par exemple l’abyme qui sépare le vouloir et le pouvoir, la destinée tragique et comique à la fois de l’humanité et de l’individu, et je pris la résolution, à l’occasion de mon jubilé, d’en donner une édition nouvelle, ce que s’empressa de faire mon éditeur avec son habituelle amabilité. Il était impossible de réimprimer simplement l’ancienne édition faite d’après un manuscrit inachevé. Mais me souvenant exactement de mon but primitif, je résolus de refaire cette œuvre de jeunesse telle que je l’aurais effectuée si le temps et les circonstances m’avaient été plus favorables.

Quant aux idées et au plan, je n’y ai touché en rien. C’est la même pièce que l’ancienne, mais revue et corrigée.

Après ces explications je prie mes lecteurs Scandinaves ou autres de prendre connaissance de Catilina.

Je prie mes amis d’accepter cet ouvrage comme un souvenir de ma jeunesse à la fin d’une longue vie fertile en contraste. Ce que je rêvais voici vingt-cinq ans s’est réalisé cependant, mais tardivement. J’ai vécu ma vie et je ne crois pas qu’en ces vingt-cinq années j’ai rien fait d’inutile, j’entends donc que tout soit réuni et ne fasse qu’une unité au profit de tout le monde. »

Depuis qu’Ibsen a écrit ces lignes, sa gloire a passé les frontières et si en France, en Allemagne en Angleterre certaines de ses œuvres soulèvent encore de vives discussions, la gloire du vieux maître s’impose à tous.

Et c’est avec une respectueuse admiration qu’on s’incline devant une longue et laborieuse existence consacrée toute entière à un idéal fort élevé, à une vie donnée exclusivement à la littérature et à l’art le plus pur et le plus noble.

À une époque où tout se vulgarise, où l’art lui-même s’encanaille et se démocratise, oh tout est nivelé par l’universel suffrage, où l’artiste lui-même, l’aristocrate des aristocrates, est obligé de se faire peuple et de sacrifier à l’égalité. Il est doux, il est bon, il est réconfortant de contempler l’œuvre hautaine et la vie fière d’un grand homme comme Henryk Ibsen.

Vicomte de Colleville et F. de Zipelin

PERSONNAGES


Lucius CATILINA, patricien romain.
AURÉLIA, sa femme.
FURIA, vestale.
CURIUS, jeune parent de Catilina.
MANLIUS, vieux guerrier.

LENTULUS,

CAPARIUS,
GABINIUS,
STATILIUS,
CETHEGUS,

jeunes patriciens romains.
AMBIORIX,

ALLOVICO,

ambassadeurs gaulois.
Un vieillard.

Prêtresses et suivantes du temple de Vesta.
Gladiateurs.
Guerriers.
Le spectre de Sylla.



Le premier et le deuxième actes se passent près de Rome ou à Rome, le troisième dans l’Etrurie.

CATILINA




ACTE PREMIER



La scène représente la campagne romaine. Près de la voie Flaminienne, se dresse un petit monticule parsemé d’arbres. Au fond, apparaît Rome avec ses murailles et ses collines. C’est le soir.




Scène I


CATILINA
Debout sur le monticule, au milieu des arbres, s’appuie contre l’un d’eux.

CATILINA

Il le faut ! Il le faut ! J’entends au fond de mon être une voix qui l’ordonne, j’obéirai !
N’ai-je plus d’énergie, plus de volonté pour atteindre ce grand et noble but et sortir de ma misérable existence ?

Oh ! honteux et vulgaires plaisirs ! Certes, vous ne me suffisez pas ! Mais je suis fou ! Non, non, c’est le repos qui me convient, tout espoir est mort. Ma vie désormais sans issue.

(Une pause.)

Rêves de jeunesse, qu’êtes-vous devenus ?
Disparus comme les nuages rapides de l’été, ne laissant que chagrins et désillusions, m’enlevant toute espérance virile.
(Il se frappe le front)
Honte sur toi ! Honte sur toi, Catilina !
De généreux instincts sont en ton âme et pourtant tu ne désires que la satisfaction de tes plus bas désirs

(Plus calme.)

Cependant parfois comme aujourd’hui
De secrètes aspirations gonflent ma poitrine,
Et quand je contemple là-bas la cité orgueilleuse,
L’opulente Rome, la décadence dans laquelle
Depuis longtemps elle est tombée,
Frappe mes yeux avec la clarté du soleil
Et une voix intérieure me crie :
Réveille-toi, Catilina ! Réveille-toi ! sois un homme.

(S’interrompant)

Hélas ! rêves insensés !
Visions, cauchemars enfantés par le sommeil et la solitude
Qui au moindre contact avec la réalité
Vous évanouissez dans les profondeurs de mon âme silencieuse ?


Scène II



AMBIORIX, ALLOVICO
Ambassadeurs gaulois, arrivent sur la route sans voir Catilina.

AMBIORIX

Voici la fin de notre long voyage ! Là-bas, ce sont les murailles de Rome.
Et c’est la cime altière du Capitule qui se dresse vers le ciel.

ALLOVICO

Quoi ! c’est là Rome ? La maîtresse de l’Italie,
Qui commandera demain aux Germains et peut-être aussi aux Gaulois !

AMBIORIX

Oui, hélas ! il viendra ce jour de malheur où nous serons vaincus,
Et Rome victorieuse est sans pitié.
Elle écrase cruellement l’ennemi qu’elle a terrassé.
Aujourd’hui nous allons savoir le sort qu’elle réserve à notre peuple,
Si elle fait droit à nos justes réclamations
Et si elle nous accorde la paix et la justice !

ALLOVICO

Ce n’est que trop vrai !

AMBIORIX

J’espère une solution heureuse
Mais je n’ai point de certitude.

ALLOVICO

Tu me semblés inquiet ?

AMBIORIX

J’ai des raisons pour cela !
Rome ne fut-elle pas toujours jalouse de sa puissance ?
Souviens-toi donc, ami, que cette grande cité
N’est pas gouvernée par des chefs comme les nôtres.

Chez nous c’est le vieillard et le guerrier qui commandent,
Celui qui est le plus expérimenté
Comme celui qui est le plus brave,
C’est le chef suprême que nous choisissons
Pour nous juger et nous conduire au combat,
Tandis qu’ici, à Rome…

CATALINA, criant du haut de la colline.

A Rome c’est l’égoïsme et l’arbitraire qui règnent.
Par la ruse et l’intrigue seules,
On devient le chef qui commande à la ville.

ALLOVICO

Nous sommes trahis, malheur à nous !

AMBIORIX

Eh quoi ! les nobles romains surprennent-ils les conversations intimes !
Chez nous ce sont coutumes de femmes !

CATALINA, descendant vers la route.

Soyez sans inquiétude, je ne suis pas un espion.
Le hasard seul m’a livré vos paroles.
Vous venez du pays des Allobroges
Et vous pensez trouver la justice et l’équité dans la ville de Rome ?

Vous feriez mieux de revenir sur vos pas et de rentrer dans votre patrie.
Ici, c’est le pays de la tyrannie
Et l’injustice y est souveraine.
L’Etat se qualifie de République
Mais chaque citoyen n’est qu’un esclave enchaîné.
Ecrasé par les impôts et les dettes,
Il dépend d’un Sénat, qui se vend lui-même.
L’ancien esprit de solidarité entre les Romains a disparu
Et disparues aussi sont les nobles idées de liberté
Qui jadis firent la force de la ville.
Les sénateurs tiennent en leurs mains
La vie et la propriété de tous ;
Et de cette vie et de cette propriété on n’en peut jouir
Qu’au prix de l’or.
La force règne ici et non la justice,
Et l’homme véritablement noble,
Gémit écrasé sous le poids de la force brutale.

AMBIORIX

Mais qui es-tu donc, toi ?
Toi qui arraches de nos cœurs,
La confiance et l’espérance !

CATILINA

Je suis l’homme dont le cœur bat uniquement pour la liberté,

L’ennemi déclaré de toute injustice,
L’ami des opprimés et des faibles,
L’homme enfin qui brûle du désir insatiable
De renverser les puissants du jour.

AMBIORIX

Quoi ! le noble peuple romain ?… Réponds-nous donc,
N’abuse pas plus longtemps de la crédulité des étrangers que nous sommes !
Rome n’est-elle plus ce qu’elle fut jadis :
La terreur des puissants et la protectrice des faibles ?

CATALINA, désignant Rome.

Gaulois ! voyez-vous là-haut sur la colline,
L’orgueilleux et puissant Capitole ?
Voyez comme sous les rayons suprêmes du soleil couchant,
Il étincelle et brille
D’une flamme rougeâtre.
Eh bien ! c’est l’image du dernier éclat dont brille Rome,
Car déjà la liberté s’évanouit dans l’ombre de la tyrannie !
Cependant un nouveau soleil apparaîtra bientôt dans son ciel lumineux
Et de ses purs rayons il dispersera la nuit sinistre.

(Il s’éloigne.)

Scène III


La scène représente maintenant un portique à Rome avec des colonnes.

LENTULUS, STATILIUS et CETHEGUS

Entrent en causant vivement entre eux.

Puis, MANLIUS

CAPARUS

Tu as raison, cela va de mal en pis,
Et je ne sais comment tout cela finira !

CETHEGUS

A moi l’idée n’est jamais venue

De songer à la fin. Je profite du présent,
Je vide chaque coupe de joie et le reste,
Ah ! je m’en moque un peu !

LENTULUS

Heureux qui peut agir ainsi !
Pour moi, il m’est impossible
De prévoir avec indifférence le jour
Où il ne restera plus rien,
Oui, le jour où nous serons absolument sans ressources !

STATILIUS

Et sans espoir d’un avenir meilleur,
Il est vrai qu’avec la vie que nous menons…

CETHEGUS

Laissons cela !

LENTULUS

Le dernier héritage que je viens de faire
Fut employé à éteindre mes dettes.

CETHEGUS

Loin des plaintes et des regrets !

Suivez-moi, mes amis, venez largement boire
Et noyer ainsi nos chagrins.

CAPARIUS

C’est entendu ! Allons gaîment…

LENTULUS

Un moment ! J’aperçois là-bas le vieux Manlius.
J’imagine que selon son habitude
C’est nous qu’il cherche.

MANLIUS, sur un ton élevé dénotant une grande irritation.

Maudits soient ces chiens misérables !
Ils ne savent plus ce qu’est la justice.

LENTULUS

Qu’est-ce donc ? Pourquoi tant de colère

STATILIUS

Les usuriers te poursuivent-ils, toi aussi ?

MANLIUS

Non ! mais écoutez-moi. — Vous me connaissez tous,
Vous savez que j’ai lutté glorieusement parmi les soldats de Sylla

Et que pour récompense je reçus un lopin de terre.
La guerre terminée, j’ai vécu
De cette terre qui me nourrissait à peine,
Maintenant on vient de m’enlever mon bien.
Vous savez la formule, on reprend les terres appartenant à l’Etat,
Pour les partager également entre les citoyens.
C’est un vol, pas autre chose.
Le gouvernement cherche seulement
A satisfaire les appétits des siens.

CAPARIUS

C’est ainsi qu’ils tiennent compte de nos états de service.
Les hommes du pouvoir osent tout !

CETHEGUS, gaîment

Je te plains, Manlius. — Mais ce qui m’arrive est pire.
Ecoute-moi !
La charmante Livie, ma belle maîtresse,
M’a lâchement abandonné
Au moment même où pour elle
Je venais de dépenser mon dernier as !

STATILIUS

Ton amour du luxe t’a conduit à ta perte.

CETHEGUS

La raison m’est indifférente,
Je ne suis pas disposé à résister à mes désirs,
Je compte au contraire les satisfaire
Autant qu’il me sera possible.

MANLIUS

Moi qui ai vaillamment lutté
Pour gagner cette victoire
A qui les puissants du jour doivent tout !
Ah ! si je pouvais !… Si mes compagnons d’armes
Etaient encore ici !
Mais non, beaucoup sont morts
Et les autres sont maintenant dispersés
Aux quatre coins du monde.
— Quant à vous, jeunes gens, qu’êtes-vous à côté de ces braves,
Vous vous inclinez jusqu’à terre
Devant les hommes du pouvoir,
Et vous n’avez pas l’énergie de secouer vos chaînes ;
Lâchement vous supportez
Cette existence digne des esclaves.

LENTULUS

Par les Immortels ! ces paroles sont blessantes,

Mais ce qu’il vient de dire est assez vrai pourtant.

CETHEGUS

Evidemment, il a raison !
Mais que faire ? Là est la difficulté.

LENTULUS

Sans doute. Il y a trop longtemps
Que nous supportons le joug ! Et le moment est venu
De briser les liens dont la tyrannie
Et l’injustice ont ligotté nos membres.

STATILIUS

Oui, je t’entends, Lentulus.
Mais pour faire réussir cette entreprise,
Un chef énergique, intelligent et habile
Nous est nécessaire, où le trouver, dis-moi ?

LENTULUS

J’en sais un digne de nous commander !

MANLIUS

C’est de Catilina que tu veux parler.

LENTULUS

Oui, c’est de lui !

CETHEGUS

Catilina serait peut-être l’homme qu’il nous faudrait.

MANLIUS

Je le connais ! J’étais l’ami de son père, nous avons
Combattu côte à côte dans bien des batailles
Et son fils l’accompagnait à la guerre.
L’enfant déjà se montrait courageux,
Sauvage et indomptable.
On devinait chez lui les dons les plus rares de la nature,
Son âme était fière
Son courage était inébranlable.

LENTULUS

Je le crois de cœur avec nous.
Hier au soir son front était bien sombre.
Il doit préparer quelque complot,
Car depuis longtemps il mûrit de hardis desseins.

STATILIUS

Oh ! depuis longtemps il brigue le consulat.

LENTULUS

Son élection n’est pas possible. Il a été attaqué violemment

Par ses adversaires qui l’ont fort malmené.
C’est dans un état de fureur terrible
Qu’il a quitté le forum en jurant de se venger.

STATILIUS

Oh ! alors, nous pouvons compter sur lui.

LENTULUS

Oui, je l’espère ! Mais d’abord concertons-nous
Pour l’élaboration de notre plan, profitons du moment !

(Ils sortent.)

Scène IV


La scène représente le temple de Vesta à Rome.
Sur un autel au fond brûle la lampe sacrée qui jamais ne s’éteint.

CATILINA suivi de CURIUS

Entre et se dissimule derrière les colonnes.

acteurs

CURIUS

Comment, Catilina, tu oses me conduire ici,
Dans le temple sacré de Vesta !

CATILINA, riant

Parfaitement, comme tu peux le voir !

CURIUS

Dieux immortels, quelle imprudence !… Aujourd’hui encore
Cicéron au Sénat a vitupéré contre ton impiété
Et après cela tu oses…

CATILINA

Bah ! cela importe peu !

CURIUS

Tu es en péril, et sans t’en soucier
Tu cours aveuglément à de nouveaux dangers.

CATILINA, joyeusement.

Il faut bien changer, c’est ce qui fait mon bonheur.
Je n’ai jamais été aimé par une vestale.
Oh ! cet amour défendu !…
Tiens, je suis venu dans ce temple pour tenter de goûter cette félicité.

CURIUS

Que dis-tu ? C’est impossible ! Tu veux rire ?

CATILINA

Rire ! Je n’ai jamais pris l’amour tant au sérieux !

Quand tu m’auras entendu, tu verras
Combien mon dessein est grave, au contraire !
Au dernier spectacle comme défilaient
Noblement les vestales,
Mon regard s’arrêta par hasard sur une d’elles
Et son regard à elle rapidement croisa le mien.
Il me sembla que mon âme en était traversée
Ah ! l’expression de cet œil noir,
Jamais chez une autre femme je ne vis rien de semblable !

CURIUS

Bien ! Mais… après ?

CATILINA

Après ?… J’ai réussi à pénétrer dans le temple,
Je l’ai revue maintes fois,
Je lui ai parlé.
Oh ! combien différente est cette femme
De mon Aurélia chérie !

CURIUS

Les aimerais-tu toutes deux à la fois ?
Vraiment je n’y comprends plus rien.

CATILINA

En effet c’est singulier et je n’y comprends rien moi-même.
Oui, je les aime toutes les deux.
Mais combien différents sont ces deux amours.
Aurélia est douce et elle calme la fureur
De mon âme avec sa tendresse ;
Tandis que Furia… Assez, éloigne-toi,
Quelqu’un vient !…

(Ils se cachent derrière les colonnes, Furia entre du côté opposé).

FURIA

Temple maudit ! Témoins de ma douleur,
Murs effroyables qui devez enfermer mon éternelle souffrance,
Tout espoir charmant, toute pensée vivifiante
Est bannie de mon pauvre cœur, de mon pauvre cœur
Parfois glacé et mort, parfois aussi
Plus chaud, plus brûlant
Que cette flamme qui vacille sur l’autel.
Oh ! destin cruel ! Quel fut donc mon crime
Pour m’emprisonner dans ce temple
Où je fus sevrée de toutes les joies de la jeunesse,
De tous les innocents plaisirs du printemps ?
Non, aucune larme ne mouille tes yeux !

Que la vengeance et la haine seules
Fassent palpiter ta poitrine !

CATILINA, s'avançant.

Eh quoi ! n’auras-tu pour moi un sentiment plus doux,
O ma Furia ?

FURIA

Grands Dieux ! Imprudent ! encore ici ?
Tu ne redoutes donc rien… ?

CATILINA

Je ne connais pas la peur,
Mon plaisir est de jouer avec le danger.

FURIA

Oui, c’est une belle chose ! C’est mon plaisir aussi à moi,
Je hais précisément ce temple,
Parce que j’y vis dans une sûreté absolue
Et qu’aucun danger ne me guette derrière ces murailles.
Hélas ! cette existence morne et vide,
Ce mince filet de vie est aussi faible que le suprême vacillement
D’une lampe qui va s’éteindre,
Et avec mes larges rêves,
Mes désirs si ardents.

Combien étroitement mesurée me paraît la place qui m’est faite !
Tout s’étiole entre ces murs
Où l’on est enseveli vivant,
Où sans espoir les jours s’écoulent uniformément,
Où la pensée ne peut concevoir
Aucune tentative audacieuse.

CATILINA

Ah ! Furia, combien troublantes me semblent tes paroles !
Elles sont l’écho qui répond à mes pensées
Et en traits de feu tu viens de peindre
Les brûlantes aspirations de mon âme.
La douleur déchire aussi mon cœur,
Et la haine l’a trempé et durci comme l’acier ;
A moi comme à toi on arracha l’espérance
Et ma vie comme la tienne est sans but,
Mais moi je dissimule et je souffre en silence,
Et personne ne sait de quel feu je brûle.
Mes misérables concitoyens me raillent et me méprisent,
Parce qu’ils ignorent combien vite mon cœur bat
Pour la justice et la liberté et pour tout ce qui
Jadis fit grande l’âme romaine.

FURIA

J’en étais sûre ! C’est pour moi,

Pour moi seule que ton âme a été créée ! J’entends une voix,
Une voix qui ne trompe jamais, qui me le crie.
Viens, viens donc ! écoutons les ordres de cette voix.

CATILINA

Que veux-tu dire dans ta noble exaltation ?

FURIA

Viens ! Partons, cherchons loin d’ici
Une nouvelle patrie.
Ici, une âme noble et hardie ne peut pas vivre,
L’étincelle brillante ne deviendra jamais
La flamme joyeuse, elle s’éteint.
Viens ! fuyons, l’être libre
Trouve sa patrie partout.

CATILINA

Oh ! combien tu me tentes !

FURIA

Profitons de l’instant.
Par delà les monts et les mers,
Quand nous serons bien loin de Rome, alors seulement nous nous arrêterons.

Bon nombre de tes amis t’accompagneront.
Alors dans ces pays lointains, nous nous fixerons
Et nous régnerons comme des maîtres. Alors on verra
Que deux cœurs ne battirent jamais aussi fort que les nôtres.

CATILINA

Beau rêve ! Mais pourquoi fuir ?
Ici on peut s’enflammer au feu de la liberté,
Ici se trouve un champ pour l’action
Aussi vaste que ton âme le désire.

FURIA

Comment ? ici ? dans cette misérable Rome
Où ne sont que vils esclaves
Et odieux tyrans !
Ah ! Lucius, es-tu donc de ces hommes
Qui songent au passé de Rome sans rougir ?
Qui commandait autrefois ? Qui commande aujourd’hui ?
Jadis une foule de héros. Aujourd’hui une bande
D’esclaves conduit une autre troupe de serfs.

CATILINA

Raille-moi, toi aussi !
Mais sache bien que, pour rendre la liberté à Rome,

Pour voir revivre sa grandeur abolie,
Joyeusement comme Curtius
Je me précipiterais dans l’abîme.

FURIA

J’ai foi en toi, mais en toi seul !
Ton œil luit, je sens que tu dis vrai,
Pars vite ; maintenant, les prêtresses vont venir,
C’est l’heure.

CATILINA

Si je m’en vais, ce n’est que pour revenir.
Un lien secret m’attache à ta personne,
Jamais je n’ai contemplé un être plus noble que toi !

FURIA, avec un rire sauvage.

Alors fais-moi une promesse solennelle
Et jure-moi de la tenir !
Le veux-tu, Lucius ?

CATILINA

Oui, ma Furia, je veux tout ce que tu désires.
Que dois-je promettre ?… Ordonne !

FURIA

Ecoute-moi. Bisn que je sois prisonnière,
Il est pour moi à Rome un homme
A qui j’ai juré une mortelle haine,
Une haine qui ne s’éteindra même pas au royaume sombre
Par delà la tombe.

CATILINA

Eh bien ?

FURIA

Jure-moi que mon ennemi sera aussi le tien
Jusqu’à ta mort. Le veux-tu, mon Lucius ?

CATILINA

Je le jure sur les dieux immortels !
Sur le nom de mon père !
Sur le souvenir de ma mère !
Mais, Furia, qu’as-tu donc ?
Ton œil étincelle d’une fureur sauvage,
Ton visage est blanc comme un marbre.
Tu es pâle comme la mort.

FURIA

Je ne sais !… Mais mon sang

Roule du feu dans mes veines.
Continue, achève ton serment !

CATILINA

Dieux puissants, que votre colère s’appesantisse sur mon front !
Que la foudre me frappe
Si je trahis mon serment !
Oui, comme un démon je jure de poursuivre l’ennemi de Furia.

FURIA

Cela suffit, j’ai foi en toi ! Ma poitrine respire librement,
Maintenant ma vengeance est entre tes mains.

CATILINA

Et ta vengeance s’accomplira ! Maintenant dis-moi
Quel est ton ennemi et quel fut son crime.

FURIA

Au bord du Tibre, loin des bruits de la cité,
Fut mon berceau. C’est là que notre paisible demeure s’élevait.
Je grandis avec une sœur bien-aimée qui était destinée au temple.
Un misérable, qui visitait notre villa,
Trouva seule la future vestale…

CATILINA, surpris.

Achève, prêtresse !

FURIA

Il la déshonora !
Et elle chercha la mort dans le Tibre.

CATILINA, inquiet.

Tu connais cet homme ?

FURIA

Non, je ne l'ai jamais vu !
Tout était terminé quand on m’apporta
La nouvelle du malheur.
Mais maintenant je sais son nom !

CATILINA

Dis-moi…

FURIA

Son nom est fameux. Il s’appelle Catilina !

CATILINA, se reculant.

Qu’as-tu dit, Furia ! Quelle horreur !

FURIA

Qu’as-tu ? Mais tu pâlis,
Lucius ! Cet homme est-il ton ami ?

CATILINA

Mon ami ? Non, Furia, il n’est plus mon ami !
Voici que je me suis maudit moi-même,
Voici que je me suis juré à moi-même
Une éternelle haine !

FURIA

À toi-même ?… Ah !… tu es Catilina ?

CATILINA

Oui ! oui ! c’est moi !

FURIA

C’est toi qui as déshonoré ma sœur Silvia ?
Ah ! alors Némésis a répondu enfin à mes appels.
C’est toi même qui appelas la vengeance divine sur ta tête,
Malheur à toi, misérable. Malheur à toi !

CATILINA

Oh ! ton œil brille étrangement,
Comme tu me regardes ! Tu ressembles à Silvia,

Es-tu son ombre qui s’agite à la pâle clarté de la lampe sacrée ?

(Il sort très vite, la lampe sacrée s’éteint. Une pause.)

FURIA

Je comprends tout maintenant.
Le bandeau est arraché de mes yeux
Et la lumière se fait dans ma nuit.
Ce fut la haine qui s’empara de moi
La première fois que le je vis.
Sentiment étrange qui m’enflamma tout entière !
Il va sentir ce qu’une haine comme la mienne,
Terrible et insatiable,
Peut enfanter de catastrophes et de misères.

(Une vestale entre.)

LA VESTALE

Retire-toi, Furia, ta garde est terminée,
C’est mon tour… Mais, que vois-je,
O Sainte Déesse ! Malheur à toi,
Malheur à toi, le feu est éteint !

FURIA, en délire.

Eteint, dis-tu ! Non, jamais il ne brûla d’un semblable éclat
Et toujours il brûlera ainsi !

LA VESTALE

Dieu ! que signifient ces paroles ?

FURIA

Non, le volcan et la haine ne s’éteignent pas
Aussi facilement !
L’amour brûle, se consume et meurt dans un instant,
Mais la haine, la terrible haine !!!

LA VESTALE

Dieux immortels !
Elle est folle.

(Criant.)

Accourez. Au secours ! Au secours !

(Les Vestales et les serviteurs du temple arrivent en courant.)

DES VOIX

Qu’est-ce donc ?

D'AUTRES VOIX

Le feu de Vesta est éteint.

FURIA

Mais la haine brûle
Et illumine tout de sa flamme.

LES VESTALES

Emparons-nous de Furia et punissons-la.

(Elles se jettent sur elle et l’emmènent.)

CURIUS, sortant de sa cachette.

On la mène en prison, et de là elle ira à la mort.
Par les Dieux ! cela ne sera pas !
Faut-il que la plus exquise des femmes
Périsse d’une mort infâme, soit enterrée vivante !
Jamais je ne fus ému comme aujourd’hui.
Serait-ce de l’amour ! Je le crois.
Je veux la sauver. — Mais Catilina ?
Elle va le poursuivre de sa vengeance et de sa haine.
N’a-t-il pas assez d’ennemis ? faut-il en augmenter le nombre ?
Il fut pour moi un frère aîné.
La reconnaissance me commande de le défendre.
Mais l’amour ? Qu’ordonne l’amour ?
Du reste, Catilina, le courageux Catilina,
A-t-il à redouter les intrigues d’une femme irritée ? — Non !
Sauvons-la donc sans perdre un instant.
Ne crains rien, Furia, je te ramènerai du tombeau
A la lumière… Dussé-je y perdre la vie !…

(Il sort rapidement.)

Scène V


La scène représente une salle dans la maison de Catilina.

CATILINA

Entre. Il est visiblement très agité.

Puis, AURELIA.

CATILINA

« Alors, Némésis a répondu enfin à mes appels !
« C’est toi-même qui appelas la vengeance divine sur ta tête. »
C’est ainsi qu’elle parlait dans son délire.
Peut-être cet étrange langage est-il un présage,
Un avertissement de ce que me ménage l’avenir.
Et par un affreux serment j’ai juré

D’être le vengeur de mon propre crime.
Ah ! Furia, il me semble voir encore
Ton regard enflammé et sauvage,
Comme celui d’une Erinnye ;
Et tes paroles résonnent sinistrement encore à mes oreilles.
Non ! jamais je n’oublierai cela.

(Aurélia entre et s’approche de Catilina sans que celui-ci s’en aperçoive.)

CATILINA

Mais qu’importe ! C’est absurde de penser plus longtemps à ces folies,
Car ce ne sont que folies.
Ma pensée doit se fixer sur des sujets plus graves.
De grandes entreprises sollicitent mon énergie.
Je suis indispensable aux temps présents,
Il faut bien me pénétrer de cette idée !
Et ne point me laisser agiter tour à tour par l’espérance et le doute,
Comme une mer par l’orage.

AURELIA, saisissant la main de Catilina.

Eh quoi, ton Aurélia ne doit-elle pas connaître la cause de ton trouble ?
Doit-elle ignorer les tourments de ton âme
Et ses luttes intérieures ?
Ne pourra-t-elle offrir à l’époux la consolation de la tendre épouse,
Et chasser ainsi l’ombre de ton front ?

CATILINA

Ma douce et tendre Aurélia,
Pourquoi assombrirais-je ta vie
En ce faisant partager mon chagrin ?
Par moi tu as déjà trop souffert,
Et, désormais, j’entends garder pour moi seul
Tout ce que le destin me réserve de mauvais.
N’est-ce pas assez malheureux
De posséder une âme énergique,
Envieuse de faire une œuvre puissante,
Alors que la pauvreté rend le succès impossible ?
Faudra-t-il donc que toi aussi
Tu boives à la coupe amère de mon destin ?

AURELIA

Consoler est le lot de l’épouse.
Si à elle il n’est pas permis comme à toi
De former des rêves ambitieux,
Quand l’époux lutte pour l’idéal,
Et que sa récompense
Est faite de désillusions et de chagrins,
La voix de l’épouse doit se faire tendre et compatissante.
Elle doit doucement endormir sa souffrance,
Afin qu’il comprenne qu’une existence paisible et calme

Comporte des joies
Qui manquent au tumulte de la vie publique.

CATILINA

Tu as raison, je le sens.
Et pourtant je ne saurais m’arracher à cette existence ;
Mon cœur bat trop vite dans ma poitrine.
La lutte seule lui apporte quelque calme.

AURELIA

Et ton Aurélia n’est-elle pas là ?
Ne peut-elle contenir les aspirations de ton âme ?
Ouvre-moi ton cœur par une parole de bonté
Et mes lèvres d’épouse t’apporteront la consolation,
Si je ne puis assouvir tes désirs ardents,
Si je ne puis suivre ta pensée
Envolée trop haut pour moi,
Du moins je saurai partager ta souffrance
Et j’aurai assez de force et de courage
Pour te rendre moins lourd le fardeau de la vie.

CATILINA

Sache donc alors, ma chère Aurélia,
La cause actuelle de mon affliction.

J’aspirais, tu le sais, au consulat,
J’ai échoué. Et tu n’ignores pas
Que pour acheter des suffrages
J’ai compromis…

AURELIA

Assez… mon ami,
Tu me fais vraiment de la peine.

CATILINA

Toi aussi tu me blâmes ?
Mais comment pouvais-je agir autrement ?
Et pourtant j’ai vainement gaspillé mon bien
Sans trouver d’autre récompense que le mépris et le déshonneur.
Tantôt même au Sénat mon ennemi,
L’astucieux Cicéron, m’a couvert de boue.
Il a parlé de ma vie en termes si violents
Que j’en tremblais moi-même.
Dans le regard de tous je lisais la haine et la terreur
Et l’on ne prononce plus qu’avec exécration
Le nom de Catilina !
Oui, ce nom pour la postérité
Sera le synonyme
De la bassesse, de la licence
Et du mépris pour tout ce qui est sacré,

Et si aucune belle action ne vient le relever
Et détruire ces abominables calomnies,
C’en est fait, ce honteux renom restera vivant dans l’esprit de tous.

AURELIA

Mais non, je ne pense pas
Que l’opinion te condamne
Et qu’on déverse l’injure et la honte sur ta tête.
Quant à moi, personnellement, je sais qu’en toi
Est une semence qui doit produire des fleurs et des fruits,
Mais à Rome elle ne saurait fructifier,
La mauvaise herbe l’étoufferait certainement.
Quittons donc ce pays funeste.
Qui t’attache à Rome ? Pourquoi y rester ?

CATILINA

Fuir devant l’ennemi ! Partir,
Abandonner mes grands desseins ?
L’homme qui se noie s’attache sans espoir
A l’épave brisée ;
Si celle-ci est engloutie par la mer,
Il se cramponnera dans un suprême effort
A la dernière branche d’arbre qu’il pourra embrasser et serrer contre lui
Jusqu’à ce qu’il sombre avec elle.

AURELIA

Oui, mais si au naufragé sourit une rive hospitalière,
S’il nage vers des bords couverts de vertes forêts,
L’espoir renaît en son cœur,
Et il lutte éperdûment pour gagner le verdoyant rivage
Où règne la paix, où doucement la vague baise le sable.
Alors c’est là qu’il reposera ses membres si las
Et que la brise du soir rafraîchira son front,
Dissipera ses cruels souvenirs
Et rendra la paix bénie à son cœur,
Et c’est là qu’il vivra désormais dans le repos
Et dans l’oubli du triste passé,
Et si un écho lointain des bruits de la cité
Parvient jusqu’à sa tranquille demeure,
Son âme n’en sera pas troublée,
Au contraire plus calme et plus joyeux
En songeant aux désillusions et aux douleurs disparues,
Il appréciera davantage la paix d’une existence
Qu’il ne changerait plus contre toute la gloire que peut donner Rome.

CATILINA

Oui, cela est vrai !
Mais si je te suivais loin du tumulte de la cité

En quel endroit pourrions-nous donc
Trouver le calme et la paix absolue ?

AURELIA, joyeusement.

Tu consens, Catilina ? Quelle joie indicible,
Quel bonheur trop grand pour mon cœur !
Hâtons-nous. Cette nuit même
Il nous faut partir.

CATILINA

Mais où aller ?
Indique-moi le point du monde où dans la paix
Je pourrai reposer ma tête.

AURELIA

Tu le demandes ?
Tu as donc oublié la petite villa
Où s’écoula mon enfance et où si joyeusement
Aux premiers temps de notre amour
Nous vécûmes tant de jours heureux.
Où le gazon fût-il jamais plus tendre,
La forêt plus verdoyante et plus fraîche que là-bas ?
Entre les arbres sombres la blanche maisonnette
Invite au doux repos.
Nous irons et nous consacrerons désormais notre existence

A la vie rustique et aux joies tranquilles
Et je t’aimerai tant que mes baisers
Feront fuir tes noirs chagrins.

(En riant.)

Et quand tu reviendras près de moi, ta reine !
Les mains pleines de fleurs des champs,
Oh ! mon prince fleuri, je crierai joyeusement ton nom
Et je ceindrai ton front de laurier.
Mais tu pâlis ! tu presses nerveusement ma main
Et tes yeux brillent d’une lueur étrange.

CATILINA

Malheur à moi, Aurélia !
Ton espérance joyeuse est vaine,
Il ne dépend plus de moi de te conduire là-bas
Et je ne le pourrai plus jamais.

AURELIA

Tu m’effraies !
Tu plaisantes, n’est-ce pas, Catilina !

CATILINA

Plût aux dieux que ce fût une plaisanterie !
Vois-tu, chacune de tes paroles

Comme une flèche empoisonnée
Traverse cette poitrine endolorie
A laquelle le destin ne donnera jamais le repos.

AURELIA

Dieux, que veux-tu dire ?

CATILINA

Regarde :
La voilà ta maison de campagne,
Voilà tout ton espoir de bonheur !

(Il sort une bourse pleine d’or et la jette sur la table.)

AURELIA

Ah ! tu l’as vendue…

CATILINA

Oui, j’ai tout vendu…
Pour acheter des suffrages.

AURELIA

N’y pensons plus, et n’en parlons plus,
Cela ne servirait qu’à nous attrister.

CATILINA

Ton inaltérable patience m’impressionne davantage

Que si un cri de douleur eût échappé à tes lèvres.

(Un vieux soldat entre et s’approche de Catilina.)

LE SOLDAT

Pardonne-moi, Seigneur, de venir si tard,
Et sans être annoncé d’avoir franchi ton seuil.
Ne t’irrite pas…

CATILINA

Que me veux-tu ?

LE SOLDAT

T’adresser une humble prière !
Que tu écouteras, je l’espère, d’une oreille bienveillante.
Je suis très pauvre.
Après avoir usé mes forces à la défense et à la gloire de Rome,
Maintenant que je suis invalide
Et que mes armes se rouillent à la maison,
Je vis du travail de mon fils,
Qui est l’espoir et le soutien de ma vieillesse.
Hélas ! voici qu’il vient d’être traîné à la prison pour dettes,
Et je suis désespéré.
Viens à mon aide, Seigneur !

(Il se met à genoux.)

Donne-moi une obole… J’ai mendié de maison en maison,
Toutes les portes étaient closes…

CATILINA

Cela est bien digne d’eux.
Voilà l’image de la misère générale !
C’est ainsi qu’on récompense les vieux et braves soldats.
La reconnaissance est ignorée des Romains de nos jours.
Il fut un temps où, dans une juste colère,
Je voulais les punir par le fer et par le feu,
Mais de douces paroles ont touché mon cœur,
Et mon âme est tendre comme celle d’un enfant.
Si je ne veux plus punir,
Je puis du moins soulager la douleur.
Tiens, vieux soldat,
Paye tes dettes avec cet or.

(Il lui jette la bourse.)

LE SOLDAT, se levant.

O généreux Seigneur !
Est-ce bien possible, dois-je te croire ?

CATILINA

Oui, vieillard, fais libérer ton fils, l’espoir de ta vieillesse !

(Le soldat sort.)

N’est-ce pas vrai, Aurélia,
Que je fais ainsi meilleur usage de cet or,
Qu’en l’employant pour corrompre des suffrages ?
Sans doute il est beau de détruire le pouvoir des tyrans,
Mais consoler ceux qui souffrent,
Vous donne une joie qui vous récompense du bienfait.

AURELIA, se jetant dans les bras de Catilina

Ton âme vibre encore à ce qui est beau et noble ;
Je te reconnais maintenant, mon bien-aimé.


Scène VI


La scène représente le fond d’un souterrain. Tout en haut sur la muraille on sistingue une ouverture récemment fermée. Une lampe brille faiblement.

FURIA

Enveloppée de longs voiles noirs, debout, semble écouter un bruit au lointain.

Puis, CURIUS.

FURIA

Quel est ce bruit sourd ? Il doit y avoir de l’orage là-haut,
Et ce sont les roulements du tonnerre qui se font entendre jusqu’ici.
Mais la tombe elle-même est si calme… si calme.
Suis-je donc condamnée à l’éternel silence, à l’éternel repos,

Et ne pourrai-je plus courir sur la route comme je l’aimai ?
Quelle étrange vie fut la mienne ! Quel singulier destin !
Tout arriva et tout s’enfuit comme une étoile filante ;
Catilina m’apparut,
Et aussitôt une force secrète nous rapprocha l’un de l’autre.
J’étais Némésis et lui ma victime,
Mais la catastrophe suivit de près la vengeance.

(Une pause.)

A présent il fait jour sans doute là-haut,
Et doucement je descends
De la lumière dans l’abîme,
Je le souhaite ainsi. Je voudrais que ce passage
Au tombeau ne fût qu’un essor, qu’une prise de vol
Vers le pays des ténèbres,
Et que bientôt je pusse m’approcher du large Styx.
Là, les vagues lourdes comme le plomb
Se brisent avec force contre le rivage,
Et silencieusement Caron prépare sa barque.
Bientôt je serai là, et sans paroles,
Je viendrai m’asseoir au point d’embarquement.
Alors je demanderai à chaque âme errante,
A chaque ombre vague arrivée du pays des vivants
Qui s’approchera à pas légers du fleuve funèbre,
Oui, je leur demanderai comment Catilina

Agit là-haut parmi les vivants,
Je leur demanderai s’il a tenu ses serments,
Et à la lumière bleue
D’une torche de soufre
Je regarderai dans les yeux éteints de chaque mort
Pour voir si ce ne sont pas ceux de Catilina.
Enfin quand il arrivera lui-même je m’attacherai à ses pas,
Ensemble nous traverserons le fleuve,
Ensemble nous pénétrerons dans
Le silencieux empire de Pluton ;
Devenue ombre, je poursuivrai son ombre,
Là où sera Catilina toujours on trouvera Furia.

(Après une pause, d’une voix plus faible.)

L’air devient lourd et chaud,
Je respire péniblement,
Je m’approche donc des sombres marais
Où les fleuves infernaux s’écoulent lentement.

(Elle écoute, on entend un bruit sourd.)

Quel est ce bruit ? On dirait le battement des rames.
C’est le passeur des morts qui vient me chercher ;
Je l’attends… Je l’attends ici.

(Les pierres de l’ouverture fraîchement marée tombent, Curius se montre dans l’ouverture et fait sigue à Furia.)
FURIA

Salut à toi, Caron. Te voilà prêt
A mener ton invitée au pays des ombres,
Je t’attends.

CURIUS, à voix basse.

Silence ! Je viens te sauver !




Rideau.

ACTE II



La scène représente un salon de la maison de Catilina. Au fond une colonnade. Une lampe éclaire la salle.




Scène I


CATILINA

Marche de long en large.
LENTULUS et CETHEGUS

Causent avec lui.

CATILINA

Non ! Non ! Je vous répète que vous ne comprenez pas vous-mêmes
L’horreur de ce que vous voulez me faire accomplir.
Eh quoi ! lâchement je fomenterais la guerre civile !
Je tremperais mes mains dans le sang Romain ?

Jamais, entendez-vous bien !
Dussiez-vous tous m’abandonner. Jamais !

LENTULUS

Tu refuses, Catilina

CATILINA

Je refuse !

CETHEGUS

N’as-tu donc pas de vengeance à exercer !
N’est-il personne que tu désires punir ?

CATILINA

Vengez-vous si cela vous plaît, vous autres,
Moi, je ne le veux pas.
Crois-moi, Cethegus, le mépris silencieux
Est aussi une vengeance,
Voilà la mienne.

CETHEGUS

Ah ! Ah !
Nous venons à une heure mal choisie,
Mais demain certainement
Tu auras changé d’idée.

CATILINA

Pourquoi demain ?

CETHEGUS

De singuliers bruits circulent.
Dernièrement une vestale fut condamnée à mort !

CATILINA, surpris.

Une vestale ! Comment ?

LENTULUS

Oui ! Oui ! Une vestale
Et l’on prétend…
Que prétend-on ?

CETHEGUS

Que tu n’es pas étranger
À cette mystérieuse affaire.

CATILINA

On me prête un rôle dans ce drame ?

LENTULUS

Hum ! On dit…
Pour nous qui sommes tes amis
Peu nous importe !
Mais le peuple, Catilina ! sera plus sévère que nous.

CATILINA, pensif.

Et elle est morte.

CETHEGUS

Sans doute !
Une heure de réclusion dans le tombeau des vestales coupables,
Cela suffit amplement.

LENTULUS

Tout cela n’est pas mon affaire !
Et ce n’est pas pour parler d’elle
Que je suis ici,
Ecoute-moi, Catilina ! écoute-moi sérieusement !
Tu as brigué le consulat,
Et ton avenir était lié à ton faible espoir du succès,
L’espoir évanoui, tout est fini pour toi.

CATILINA, pensant à Furia.

« C’est toi-même qui appelas la vengeance divine sur ta tête. »

CETHEGUS

Loin de toi ces vaines pensées !
Sois un homme ! La bataille peut encore être gagnée ;
Décide-toi hardiment !
Tu as de nombreux amis
Qui te suivront au premier signe ;
Cela ne te séduit-il pas ? Réponds-moi !

CATILINA

Non encore une fois !
Pourquoi voulez-vous conspirer ?
Dites-le franchement.
Est-ce l’amour de la liberté qui vous guide ?
Est-ce pour rendre à la patrie sa splendeur
Que vous voulez tout détruire ?

LENTULUS

Du tout !
Mais l’intérêt et l’ambition de chacun de nous,
N’est-ce pas un motif assez puissant, Catilina ?

CETHEGUS

Posséder assez d’or, pour pouvoir
Jouir amplement de la vie

N’est pas chose à dédaigner,
C’est mon unique but à moi
Qui ne suis pas ambitieux.

CATILINA

J’en étais sûr. Ce sont seulement ces considérations misérables,
C’est votre intérêt seul qui vous pousse,
Non, mes amis ! Mon dessein était plus noble !
Sans doute pour obtenir le consulat
J’ai corrompu les suffrages, mais,
Croyez-le, mon but était plus élevé
Que pouvaient le laisser croire les moyens que j’employais.
La liberté des citoyens et le bonheur de tous
Etaient mon unique but,
On a méconnu mes intentions. Les apparences étaient contre moi.
Mon destin en décida ainsi,
Je n’ai qu’à m’incliner devant le sort.

CETHEGUS

Soit. Mais songe aussi à notre situation,
Tu peux nous sauver d’un terrible désastre,
Tu sais fort bien que bientôt notre existence désordonnée
Nous va réduire à la mendicité.

CATILINA

Arrêtez-vous donc à temps !

Moi, j’ai résolu de le faire pour mon compte.

LENTULUS

Eh quoi ! Catilina, tu vas modifier
Ta façon de vivre. Non ! Tu plaisantes, n’est-ce pas !

CATILINA

Par les Dieux immortels, je parle sérieusement.

CETHEGUS

Plus rien à faire avec lui !
Viens donc, Lentulus, allons porter aux amis
Cette réponse. Nous les trouverons
Réunis en joyeux festin, chez Bibulus.

CATILINA

Chez Bibulus ! Que de nuits agréables
Nous avons passées ensemble chez Bibulus !
Eh bien ! maintenant finie, cette vie oisive !
A l’aube j’aurai quitté la ville.

LENTULUS

Que dis-tu ?

CETHEGUS

Tu pars ?

CATILINA

Cette nuit même, avec ma femme,
Je laisserai Rome pour toujours.
Je fixerai ma demeure dans les vallées de la Gaule,
Et le champ que je cultiverai me nourrira.

CETHEGUS

Tu veux abandonner Rome ?

CATILINA

Il le faut ! Cette vie abjecte m’étouffe,
Je puis supporter la pauvreté !
Mais lire dans le regard de chaque Romain
Le mépris et la raillerie ! Non ! c’en est trop.
En Gaule, caché et paisible,
J’oublierai le passé,
J’étoufferai mes rêves d’ambition
Qui ne seront plus bientôt
Qu’un souvenir vague et lointain.

LENTULUS

Sois donc heureux et que la fortune te soit favorable.

CETHEGUS

Conserve notre amical souvenir, Catilina !

Comme nous garderons le tien.
Maintenant nous allons aviser les frères
De tes nouvelles résolutions.

CATILINA

Porte-leur mon salut fraternel.

(Lentulus et Cethegus sortent.)

Scène II



CATILINA, AURELIA

Qui vient d’entrer de côté, mais s’arrête craintivement à la vue des deux hommes qui partent. Elle s’approche ensuite de Catilina.

Puis, FURIA.

AURELIA, d’un ton de doux reproche.

Je trouve encore ces faux amis chez toi,
Catilina !

CATILINA

C’est pour la dernière fois.
J’ai pris congé d’eux, tout lien

Qui m’attachait à Rome est brisé maintenant
Et à jamais.

AURELIA

J’ai réuni ce que nous possédons, cela est peu ;
Mais suffira à notre vie modeste.

CATILINA, pensif.

Ce sera beaucoup pour moi qui ai tout perdu.

AURELIA

Ne songe plus à ce qui est irréparable :
Oublie ce que tu…

CATILINA

Heureux qui peut oublier,
Qui peut arracher le souvenir de son âme,
Et tous ses espoirs et tous ses désirs.
Bien du temps s’écoulera avant qu’il en soit ainsi pour moi.
Mais j’aurai du courage.

AURELIA

Je te viendrai en aide,
Je te ferai oublier le bien perdu, je te consolerai ;
Mais il faut partir en toute hâte,

Car, ici, trop de choses te retiennent encore,
N’est-ce pas, nous partons cette nuit ?

CATILINA

Oui, oui, cette nuit, Aurélia.

AURELIA

J’ai mis de côté une petite somme d’argent,
Qui sera suffisante pour le voyage.

CATILINA

Bien, je changerai mon épée contre une charrue.
Hélas ! que ferais-je désormais d’un glaive.

AURELIA

Tu défricheras la terre et je la cultiverai
Et bientôt, autour de notre demeure,
Fleuriront des roses grimpantes et les doux myosotis.
Ces fleurs t’enseigneront symboliquement
Que les temps ne sont pas éloignés
Où tu pourras, sans souffrance, te rappeler les jours
De ta jeunesse orageuse.

CATILINA

Je crains, ma bien-aimée,

Que ce temps soit encore lointain,

(D’un ton plus léger.)

Maintenant, femme, retire-toi, prends quelque repos,
Car peu après minuit nous partirons.
La ville alors sera plongée dans un profond sommeil
Et tout le monde ignorera vers quel point nous dirigerons nos pas.
Il faut qu’aux premières lueurs de l’aurore,
Nous soyons loin, très loin d’ici,
Sous ces lauriers, doucement
Nous allons reposer sur le doux tapis de l’herbe.

AURELIA

Une nouvelle vie va commencer pour nous,
Plus joyeuse que celle qui se termine en ces lieux,
Je te quitte maintenant.
Une heure de repos suffira pour me donner des forces,
Bonne nuit, mon cher Catilina.

(Elle l’embrasse et sort.)

CATILINA, qui la suit des yeux.

Partie ! Ah ! je respire de nouveau.
Je puis enfin me débarrasser de ce masque si pesant.
Je n’ai plus besoin de montrer cette insouciance légère
Qu’en réalité, je suis loin de posséder.

Cette femme est mon bon génie et cela lui ferait tant de peine
Si elle connaissait tous mes doutes.
Je dois dissimuler ma souffrance ; cette heure
Calme et silencieuse, je veux la consacrer
A réfléchir sur mon existence manquée.
Ah ! la lumière de la lampe distrait ma pensée,
Il faut ici la nuit, la nuit comme en mon âme.

(Il éteint la lampe, mais les rayons de la lune pénètrent à travers la colonnade du fond.)

Trop de lumière ! trop encore !
Pourtant cette faible lueur lunaire
Concorde assez bien avec le clair obscur
Qui toujours rendit ma route indécise,
Oh ! Catilina ! ainsi ce jour
Est ton dernier. Demain
Tu ne seras plus Catilina !…
Loin, au milieu des solitudes de la Gaule,
Ma vie va s’écouler, anonyme,
Comme un ruisseau à travers une forêt.
Me voici brusquement réveillé :
Des rêves de grandeur, de pouvoir, de gestes superbes
Qui se sont évaporés, comme la rosée au soleil du matin,
Rêves qui s’épanouissaient librement dans mon esprit,
Jamais profane ne les a devinés !

Non, ce n’est pas ma future existence calme et inactive,
Loin des bruits de ce monde, qui m’effraye ;
Oh ! si seulement un court instant,
Comme une étoile filante ! je pouvais briller, avant de disparaître !
Oh ! si une seule fois, il m’était possible,
Par quelque acte héroïque,
De rendre immortel et légendaire le nom de Catilina !
Avec joie, aussitôt après la victoire,
J’abandonnerais tout. J’irais aux lointains rivages
Où j’enfoncerais un poignard dans mon cœur !
Alors je disparaîtrais librement et joyeusement,
Car j’aurais vraiment vécu.
Maintenant, il me faut mourir sans avoir vécu !
Est-ce possible ? Dois-je disparaître ?

(Il lève les bras en l’air.)

Faites-moi donc un signe, grands Dieux irrités,
Dites-moi si mon destin me condamne
A disparaître de la vie, à être oublié,
A ne laisser aucune trace glorieuse derrière moi ?

FURIA, du dehors, cachée derrière les colonnes.

Non, non, ton destin, Catilina, est tout autre !

CATILINA, se reculant.

Qui me parle ? d’où vient cette voix étrange ?

Est-ce un esprit des enfers qui me présage quelque malheur ?

FURIA, sort de sa cachette et est éclairée par la lune.

Je suis ton ombre !

CATILINA, terrifié.

Le fantôme de la vestale !

FURIA

Qu’est devenue ton audace,
Si tu as peur de moi ?

CATILINA

Parle ! es-tu sortie du tombeau,
Pour me poursuivre de ta haine et de ta vengeance ?

FURIA

Tu dis poursuivre ? Je suis simplement ton ombre,
Là où tu vas, il faut que je t’accompagne.

(Elle s’approche de Catilina.)

CATILINA

Grands Dieux ! elle vit. C’est elle-même,
Et non une ombre.

FURIA

Ombre ou non, qu’importe,
Je t’accompagnerai.

CATILINA

Et tu me hais ?

FURIA

La haine s’éteint dans le tombeau,
Comme l’amour et comme tous les instincts
Qui remplissent la poitrine des mortels,
Une seule chose demeure fixe dans la vie, comme après la mort ;
Une seule chose demeure invariable.

CATILINA

Laquelle ? Dis-le ?

FURIA

Ton destin, Catilina.

CATILINA

Les Dieux seuls connaissent l’avenir,
Mais aucun être humain.

FURIA

Je le connais ton destin,
Je suis ton ombre ; d’énigmatiques attaches
Nous lient l’un à l’autre.

CATILINA

Ce sont les liens de la haine.

FURIA

Non !
Jamais aucun esprit n’est sorti des profondeurs
Terrifiantes du tombeau,
Rempli des sentiments de haine et de vengeance.
Ecoute-moi, Catilina :
Dans les fleuves des enfers
J’ai noyé le terrestre feu qui brûlait ma poitrine,
Telle que tu me vois, je ne suis plus Furia,
La farouche et la haineuse Furia,
Que jadis tu aimas…

CATILINA

Tu ne me hais pas ?

FURIA

Je ne te hais plus.

Quand je demeurais dans le tombeau,
Lorsque sur ma route je chancelais entre la vie et la mort,
Prête à descendre aux enfers,
Alors un étrange frémissement m’agita.
Je ne sais pas moi-même comment,
Mais je subis une mystérieuse transformation,
Ma haine, ma vengeance disparurent.
Chaque souvenir et chaque aspiration terrestre s’enfuit.
Seul le nom de Catilina demeura,
Comme avant, en caractères de feu
Inscrit dans ma poitrine.

CATILINA

Etrange ! qui que tu sois,
Etre humain ou fantôme des royaumes ténébreux,
Tes paroles et tes yeux noirs
Cachent quelque chose de terrible qui m’attire.

FURIA

Ton âme est fortement trempée comme la mienne
Et cependant tu te prépares, découragé et navré,
A abandonner tout espoir de victoire,
Et lâchement, tu vas fuir
Ce champ de bataille où tes secrets desseins
Pourraient victorieusement s’accomplir en plein jour.

CATILINA

Il le faut,
L’impitoyable destin le veut ainsi.

FURIA

Ton destin ? mais pourquoi possèdes-tu la force d’un héros
Si ce n’est pour lutter,
Contre ce que tu nommes ton destin.

CATILINA

Assez lutté ! Ma vie entière
N’a-t-elle pas été un combat sans trêve ?
Quels sont les résultats de la bataille ?
Le mépris et le déshonneur.

FURIA

Tu es tombé bien bas,
Tu aspires au sommet,
Tu voudrais l’atteindre ;
Mais le moindre obstacle te fait peur.

CATILINA

Non la peur n’y est pour rien.
Le but que je me suis proposé est inabordable,
Tout cela ne fut que le rêve d’un homme.

FURIA

Mon Catilina, tu te trompes toi-même.
Ton indécision t’égare ;
Ton âme est grande,
Digne d’un maître de Rome :
Tu as des amis… qu’attends-tu ?

CATILINA, pensif.

Je devrais… que veux-tu dire ?
Répandre le sang des citoyens ?

FURIA

Es-tu un homme ?
N’as-tu pas même le courage d’une femme ?
As-tu oublié cette hardie Romaine
Qui chercha le trône par dessus le cadavre paternel ?
Moi, je me sens forte comme Tullia… mais toi ?
Méprise-toi, méprise-toi toi-même, Catilina.

CATILINA

Dois-je me mépriser, parce que mon âme
N’est plus remplie d’indomptables ambitions ?

FURIA

Tu te trouves entre deux voies,

Là-bas t’attend une vie inactive,
Quelque chose entre la mort et le lourd sommeil ;
Mais de l’autre côté,
Tu peux apercevoir l’empire.
Choisis, Catilina.

CATILINA

Tu me leurres, tu me tentes pour mon malheur.

FURIA

Jette les dés ! et dans ta main définitivement
Sera l’avenir grandiose de Rome.
Ton destin muet cache grandeur et pouvoir,
Et pourtant tu hésites, tu n’oses agir !
Tu veux t’en aller vers tes forêts,
Où s’éteindront l’une après l’autre
Chaque espérance.
Oh ! Catilina, ne reste-t-il donc plus trace
D’ambition dans ton cœur ?
Faut-il que cette âme souveraine,
Créée pour la gloire,
Disparaisse dans un lointain et ignoré désert ?
Eh bien ! pars… mais sache que tout est absolument perdu,
Tout ce que tu aurais, par un acte courageux,
Pu facilement conquérir.

Continue, achève.

FURIA, avec terreur et en frémissant.

La postérité se souviendrait de ton nom.
Ta vie entière fut celle d’un débauché audacieux,
Mais elle brillerait d’une lumière expiatoire,
Serait chantée par les poètes, si d’une main puissante
Tu te frayais un chemin à travers la vile multitude,
Et si par ta volonté souveraine, le sombre nuage de l’esclavage
Se muait en un soleil de liberté
Et si…

CATILINA

Assez ! tu as fait vibrer en moi la corde la plus sensible,
Tes paroles sont venues comme un écho
De ce que mon cœur
Me répète jour et nuit.

FURIA

Enfin, je te reconnais, Catilina.

CATILINA

Je ne partirai pas ! tu as rendu la vie

A mon courage juvénile,
A mes fortes aspirations d’homme audacieux.
Oui, je serai, au-dessus de Rome tombée, comme un point lumineux,
Oui, je la frapperai d’effroi, comme à l’apparition d’une comète.
Oh ! misérables pleins d’orgueil, vous saurez
Que vous ne m’avez pas brisé,
Fût-ce même à l’instant
Où ma force était épuisée par la fatigue du combat !

FURIA

Ecoute-moi :
Ce qu’exige le destin, ce que nous ordonnent
Les fortes puissances des ténèbres,
C’est l’obéissance !
Eh bien ! ma haine n’est plus ;
Le destin en a ainsi décidé.
Tends-moi la main,
Consacrons notre alliance éternelle.
Pourquoi cette hésitation ?
Tu ne veux pas ?

CATILINA

Je veux. Je contemple tes yeux ;
Ils brillent comme l’éclair dans la nuit obscure.

Tu as souri !
Ah ! oui, c’est ainsi que je me suis toujours
Représenté l’image de Némésis.

FURIA

Tu veux voir cette image ?
Regarde donc en toi-même !
Aurais-tu oublié ton serment ?

CATILINA

Je me le rappelle.
Oui, tu me parais bien la personnification de la vengeance.

FURIA

Je ne suis qu’une image
De ton âme.

CATILINA, pensif.

Tu dis ?
Je devine faiblement ce que je ne pouvais comprendre.
Je distingue vaguement des visions de rêve,
Mais je ne vois pas clairement,
Il fait trop nuit, ici.

FURIA

Il doit faire nuit,

La nuit est notre royaume ;
C’est au milieu des ténèbres que nous régnons.
Viens, donne ta main pour sceller
Notre alliance indissoluble.

CATILINA, farouche.

Belle Némésis…
Mon ombre… Image de mon âme !
Voici ma main pour conclure
Notre secrète et perpétuelle alliance !

(Il saisit d’un geste violent la main de Furia qui le regarde avec un sourire fixe et indéfinissable.)

FURIA

Désormais, nous ne pouvons nous séparer.

CATILINA

Oh ! comme un feu ardent
J’ai senti ta main dans la mienne,
Ce n’est plus du sang, mais des flammes dévorantes
Qui circulent dans mes veines,
Ma poitrine me semble trop étroite ;
Devant mes yeux il fait nuit,
Les lueurs d’une immense mer de feu
Vont éclairer la ville de Rome.

(Il sort son glaive et l’agite en l’air.)

Scène III



La scène représente la salle d’une taverne faiblement éclairée.

STATILIUS, GABINIUS, CŒPARIUS

Et plusieurs jeunes Romains entrent.

Puis, CATILINA.

STATILIUS

Ici, amis, nous pouvons joyeusement passer la nuit.
Ici, nous sommes tranquilles,
Personne ne pourra nous entendre.

GABINIUS

Certes, à présent nous allons boire, fêter et jouir ;

Qui sait, hélas ! combien de temps encore
Tout cela nous sera permis !

CŒPARIUS

Non, attendons d’abord les nouvelles
Que doivent nous apporter Lentulus et Cethegus.

GABINIUS

Qu’ils nous communiquent les nouvelles qu’ils voudront !
Là, qu’on nous apporte du vin ;
En attendant, goûtons-le.
Et maintenant, frères, une gaie chanson.

(Des serviteurs arrivent avec des brocs et des gobelets. Lentulus et Cethegus entrent.)

LENTULUS

Cessez vos chants joyeux !

STATILIUS

Comment ?
Catilina n’est pas avec nous ?

GABINIUS

Mais il a bien consenti, j’espère ?

CŒPARIUS

Qu’a-t-il répondu ?
Dis-le, conte-nous tout.

CETHEGUS

Sa réponse n’a pas été celle
Que nous avions espérée.

GABINIUS

Eh bien ?

LENTULUS

Il a repoussé nos offres,
Et de nos conspirations
Il ne veut entendre parler.

STRATIUS

Est-ce la vérité ?

CŒPARIUS

Pourquoi refuse-t-il ?

LENTULUS

En un mot ; il refuse, il nous abandonne,
Laisse les amis… quitte Rome.

STATILIUS

Quitte Rome ?

CETHEGUS

Cette nuit même ;
Enfin, on ne peut l’en blâmer,
Il a des raisons sérieuses.

LENTULUS

Lâcheté, voilà sa raison,
Au moment du danger, il nous trahit.

GABINIUS

Ah ! voilà l’amitié de Catilina !

CŒPARIUS

Non !
Traître et lâche ne fut jamais Catilina.

LENTULUS

Pourtant, il s’en va.

STATILIUS

Avec lui s’en va notre espoir,

Où trouver en ce moment
L’homme capable de nous conduire ?

CŒPARIUS

Il n’y en a point, faut-il renoncer à nos projets ?

LENTULUS

Pas encore, mes amis.
Ecoutez bien d’abord ce que je pense de l’affaire.
Qu’avons-nous résolu ?
De saisir les armes à la main
Ce qu’un destin injuste nous refuse.
On nous tyrannise, c’est à nous
De gouverner.
Nous sommes dans la détresse.
Il nous faut être riches.

PLUSIEURS VOIX

Oui, pouvoir et richesses !
C’est pouvoir et richesses que nous désirons.

LENTULUS

Eh bien !
Comme chef nous avions choisi un ami,
Nous pensions être sûrs de pouvoir compter sur lui.

Il a trompé notre confiance,
A l’heure du danger, il se dérobe.
Reprenons courage :
Catilina apprendra que nous pouvons
Réussir sans lui. Que faut-il donc ?
Rien qu’un homme énergique et courageux
Qui se mette à notre tête.

QUELQUES VOIX

Où est cet homme ?

LENTULUS

Si je vous le nomme et s’il s’avance,
Le choisirez-vous pour chef ?

PLUSIEURS VOIX

Oui, nous le choisirons.

ENCORE D’AUTRES VOIX

Oui, certainement oui.

LENTULUS

Et si je suis cet homme ?

GABINIUS

Toi-même !

CŒPARIUS

Toi, Lentulus ?

PLUSIEURS HOMMES, sur un ton sceptique.

Toi, tu veux nous guider !

LENTULUS

Oui, je le veux.

CETHEGUS

Le peux-tu ?
Pour cela, vois-tu, la force est indispensable,
Et le sauvage courage d’un Catilina.

LENTULUS

Le courage ne me fait pas défaut,
La force non plus.
La main à l’œuvre ! où voulez-vous vous retirer ?
L’heure est venue,
Maintenant ou jamais : tout fait prévoir
Un heureux résultat.

STATILIUS

Bien,
Nous te suivrons.

PLUSIEURS VOIX

Nous te suivrons.

GABINIUS

Puisque Catilina nous quitte,
Tu es peut-être le plus propre
A prendre sa succession ?

LENTULUS

Ecoutez alors,
Le plan que j’ai préparé,
D’abord…

(Catilina entre vite dans la salle.)

CATILINA

Me voici, ami.

TOUS

Catilina !

LENTULUS, à part.

Lui !
Maudit soit…

CATILINA

Dites, qu’attendez-vous de moi ?
Eh, bien ! non.

Je le sais,
Je vous conduirai, voulez-vous me suivre ?

TOUS, sauf Lentulus.

Oui, Catilina, nous te suivrons.

STATILIUS

Nous avons été trompés.

GABINIUS

On t’a calomnié.

CAPARIUS

Oh nous a conté que tu voulais partir
Et renoncer à l’affaire.

CATILINA

Tel était mon dessein, mais plus aujourd’hui,
Je ne respire que pour cette œuvre.

LENTULUS

Mais quel est en somme ton objectif ?

CATILINA

Mon but est plus élevé que le tien,
Peut-être personne ne se l’imagine.

Ecoutez-moi, mes amis,
D’abord, je veux gagner à notre cause
Tout citoyen animé de l’amour de la liberté,
Tout citoyen qui place au-dessus de tout
La gloire du peuple et le bonheur de la patrie.
L’ancien esprit romain vit encore,
Sa dernière étincelle n’est pas tout à fait morte,
Et, en attisant son feu elle lancera bientôt des flammes
Plus vives que jamais.
Hélas ! depuis trop longtemps les noires ténèbres de l’esclavage
Enveloppent Rome.
Contemplez le pays ; quoiqu’il semble encore
Fier et puissant, il est sur le penchant de la ruine ;
Il faut qu’une main ferme
Saisisse les rênes du gouvernement,
Il faut tout abattre et tout reconstruire,
Et, pour commencer, il importe, en la secouant,
De réveiller ce peuple paresseusement endormi.
Pour anéantir la puissance des misérables
Qui empoisonnent les âmes et étouffent
Les derniers germes de la vie.
Voyez-vous, c’est la liberté des citoyens que je veux,
Et l’esprit de solidarité
Qui autrefois régnait ici,
Je veux faire revivre l’âge heureux

Où avec joie chaque Romain
Donnait sa vie pour la gloire de Rome
Et sacrifiait son patrimoine
Pour le bonheur du peuple.

LENTULUS

Tu divagues, Catilina, ce n’est pas ainsi
Que nous l’avons entendu.

GABINIUS

A quoi cela sert-il
De revenir au bon vieux temps,
Avec sa naïveté enfantine ?

PLUSIEURS VOIX

Non.
Nous voulons le pouvoir.

AUTRES VOIX

Et les moyens de mener
Une vie libre et insouciante.

BEAUCOUP DE VOIX

Oui, ça c’est le but !

CŒPARIUS

Devrons-nous, pour la liberté
Et le bonheur des autres,
Risquer notre vie ?

TOUS

Nous-mêmes voulons cueillir
Les fruits de la victoire.

CATILINA

Génération misérable !
Etes-vous les descendants des grands ancêtres ?
Voulez-vous couvrir de honte leur nom fameux ?
C’est la gloire que vous cherchez !

LENTULUS

Tu nous oses railler ? toi-même qui depuis longtemps
Est pour tous un objet d’horreur…

CATILINA

Cela est vrai,
Je fus la terreur de l’homme honnête ;
Mais si misérable que vous,
Je ne le fus jamais.

LENTULUS

Prends garde à tes paroles.
Nous ne supporterons pas ton mépris.

PLUSIEURS VOIX

Non, non, nous ne le supporterons pas.

CATILINA

Vraiment ! que vous êtes lâche,
Vous osez encore vouloir !

LENTULUS

A bas Catilina !

PLUSIEURS VOIX

Oui, à bas Catilina !

(Ils tirent leurs poignards et s’avancent vers Catilina ; celui-ci enlève son manteau de sa poitrine, le rejette sur ses épaules et les considère avec un sourire de froid mépris ; ils laissent retomber les poignards).

CATILINA

Mais poignardez-moi donc.
Vous n’osez pas,
Amis, amis, je vous accorderais mon estime,

Si vraiment de vos poignards vous frappiez
Comme vous avez menacé de le faire,
Cette poitrine découverte.
N’avez-vous plus le moindre courage ?

PLUSIEURS VOIX

Il veut notre bien.

D’AUTRES VOIX

Nous avons mérité son mépris.

CATILINA

Certes oui !
Mais, voyez-vous, quand l’heure sera venue,
Il ne dépend que de vous d’effacer cette honte !
Tout ce qui reste derrière nous, tout le passé,
Nous allons l’oublier.
Bientôt une nouvelle existence va commencer.

(Avec amertume.)

Fou que je suis, d’espérer vaincre avec vous !
L’esprit de victoire anime-t-il une bande de déclassés ?

(Enthousiaste.)

Beau a été mon rêve, de superbes visions
Passaient devant mes yeux rêveurs.

Je suis semblable à Icare,
Dans les nuages, emporté par mes ailes.
Dans mon songe, je croyais que les dieux immortels,
M’accordaient des forces surhumaines
Et qu’ils mettaient la foudre à ma disposition :
Alors ma main saisissait dans son vol le feu du ciel
Et le lançait là-bas vers la cité.
Puis quand montaient les flammes rouges,
Quand enfin Rome disparaissait,
Sous un nuage sanglant,
Je criais d’une voix forte et puissante
Qu’il fallait faire revenir Caton et ses amis.
Et mille esprits accouraient à mon appel,
Tous ces esprits reprenaient la vie ;
Et une nouvelle Rome sortait des cendres.

(S’interrompant.)

Tout cela ne fut qu’un songe,
Aucun Dieu ne saurait faire revenir le passé
Sous la lumière du jour présent,
Les esprits ne sortent pas des enfers.

(D’un ton sauvagement sinistre.)

Eh bien ! si cette main n’a pas la force
De reconstruire l’ancienne Rome, notre Rome,
La Rome actuelle va périr,

Bientôt là où se dressent les colonnes de marbre
S’élèveront vers le ciel des flammes incendiaires
Et bruyamment palais et temples s’écrouleront,
Le capitole tombera en ruines.
Jurez, mes amis, que vous prêterez main forte
A cette œuvre de destruction.
Je me mettrai à votre tête
Dites, voulez-vous me suivre ?

STATILIUS

Oui, nous te suivrons.

(Plusieurs autres semblent indécis et parlent entre eux à voix basse.)
(Catilina les regarde, un sourire méprisant sur les lèvres.)

LENTULUS, à voix basse.

Nous faisons bien de le suivre, parmi les débris accumulés
Nous trouverons aisément
Ce que nous désirons.

tous, en criant.

Oui, Catilina, nous voulons te suivre.

CATILINA

Alors, jurez sur les Dieux de vos pères
Que vous obéirez à tous mes ordres.

TOUS, les mains en l’air.

Oui, oui.
Nous jurons d’obéir aveuglément !

CATILINA

Allez vous en avec précaution et séparément
Jusqu’à ma maison, là vous trouverez des armes
Je viendrai plus tard ; vous suivrez alors
Le plan que j’ai choisi.
Partez maintenant.

(Tous sortent.)

LENTULUS, retenant Catilina.

Vite un mot.
Sais-tu que les Allobroges
Ont envoyé des ambassadeurs au sénat
Déposer des plaintes ?

CATILINA

Je le sais,
Ils sont arrivés aujourd’hui même à Rome.

LENTULUS

Oui.
Si on les faisait participer à notre projet ?

Avec eux, la Gaule entière se soulèverait
Et nos ennemis auraient alors fort à faire.

CATILINA, de mauvaise humeur.

Comment ! nous chercherions une alliance avec des barbares ?

LENTULUS

Elle nous est nécessaire,
Nous ne sommes pas assez forts pour
Pouvoir seuls gagner la victoire.
Avec l’aide de l’étranger…

CATILINA, avec un sourire amer.

En quelle décadence est Rome !
Dans ses murs ne se trouvent même plus
Des hommes assez vigoureux
Pour renverser une ruine.

(Ils sortent.)

Scène IV


La scène représente un jardin derrière la maison de Catilina. On distingue vaguement cette maison entre les arbres. À gauche un petit pavillon.

LES PRÉCÉDENTS, CURIUS, CETHEGUS
Et plusieurs conspirateurs entrent avec prudence, du côté droit, en parlant à voix basse.

CURIUS

Mais est-ce bien vrai
Ce que tu viens de raconter ?

CETHEGUS

Chaque mot est vrai.

Il y a un instant l’affaire a été décidée.

CURIUS

Et c’est lui qui va tout mener ?

CETHEGUS

Tout, tu n’as qu’à le lui demander.

(Tous entrent dans la maison, sauf Curius.)

CURIUS

Etrange nuit ! mes idées s’embrouillent,
Tout cela n’est qu’un rêve ?
Réalités ou songes, qu’importe, car éveillé
A présent je ne vois que son image.

(Catilina entre du côté droit et s’avance vers Curius.)

CATILINA

Toi ici, mon Curius ? tu me manquais.
Mon aventure avec la vestale
A pris une tournure fort imprévue…

CURIUS, trouble.

Ah ! oui, tu as raison.

CATILINA

Je ne veux plus songer à cette affaire,

Cette rencontre m’a été funeste.

(Rêveur.)

On dit que les furies
Sortent des enfers pour nous poursuivre
A travers l’existence…
Ah ! s’il en est ainsi !

CURIUS, agité.

Quoi ? as-tu rencontré… ?

CATILINA

Elle-même est venue ici cette nuit.
N’y pensons plus ! écoute, Curius,
Une action très importante se prépare.

CURIUS

Cethegus me l’a dit.

CATILINA

Qui sait le sort réservé par les dieux
À cette tentative ? Peut-être mon destin
Voudra-t-il que je succombe
Au milieu de l’entreprise,
Peut-être jamais n’atteindrai-je mon grand but !
Qu’importe ?

Mais toi, mon cher Curius, que j’ai chéri
Dès l’enfance, il ne faut point
Que tu sois exposé au danger.
Promets-moi de demeurer à Rome,
Et si, ce qui est encore possible, je commence
L’attaque d’une autre façon,
Ne nous viens pas en aide, promets-le,
Avant que le succès commence
A couronner notre tentative.

CURIUS, ému.

Ami paternel ! quelles précautions pour moi !

CATILINA

Tu le promets ? Séparons-nous ici,
Attends-moi seulement un instant,
Je vais revenir.

(Il entre dans la maison.)

CURIUS, le suivant du regard.

Il m’aime, comme autrefois…
Il ignore tout.
(Lentulus et d’autres conspirateurs arrivent du côté droit.)

LENTULUS

Tiens, Curius, est-ce que Catilina
Ne vient pas de traverser le jardin ?

CURIUS

Il est dans sa maison.

(Les conspirateurs entrent dans la maison.)

CURIUS, en marchant fébrilement.

Comment calmer cet amour ?
Mon sang coule rapide dans mes veines.
Ah ! Furia ! créature étrange !
Où es-tu maintenant ?
Te reverrai-je ?
Par où s’est-elle enfuie ? telle qu’une ombre
Soudain elle a disparu, quand du tombeau
Je l’ai délivrée ;
Oh ! et ses mots si tristes et si énigmatiques,
Ses yeux éteints et brillants à la fois…
Est-elle folle ?
La terreur du tombeau
Aurait-elle égaré sa raison ?

FURIA, derrière lui, entre les arbres.

Non, pâle jeune homme.

CURIUS, avec un cri.

Ma Furia ! ici !

FURIA, s’approchant de lui.

Ici, vit Catilina,
Et là où il vit, il faut que Furia se trouve aussi.

CURIUS

Oh ! suis-moi, ma bien-aimée,
Je te mènerai en lieu sûr.
Songe donc, si quelqu’un te trouvait ici…

FURIA

Les morts ne connaissent pas la peur.
As-tu oublié que par toi mon cadavre
Est sorti du tombeau ?

CURIUS

Encore ces terribles paroles ! écoute-moi,
Ressaisis-toi et suis-moi, Furia.

(Il veut saisir sa main.)

FURIA, en le repoussant d’un geste brusque.

Insensé, ne trembles tu pas de terreur

Devant la fille de la mort, sortie un court instant
Des enfers ?

CURIUS

Oui, tu m’inspires de la terreur,
Mais c’est précisément cette terreur
Qui m’attire et fait ma joie…

FURIA

Que me veux-tu ? tes paroles sont vaines,
J’appartiens au tombeau ; là est ma demeure,
Je suis une fugitive de la vallée des morts
Et quand viendra le jour, je devrai
Rejoindre les autres morts.
Tu ne me crois pas !
Tu ne crois donc pas que je suis demeurée
Dans la salle de Pluton parmi les pâles ombres ?
Mais la vérité, je te l’affirme, j’y fus
Il y a peu de temps,
Là-bas, de l’autre côté du fleuve,
Là-bas, vers les sombres marais.

CURIUS

Conduis-moi aussi là-bas.

FURIA

Toi ?

CURIUS

Oui, volontiers je te suivrai.
Je te suivrai même à travers la nuit et les ombres de la mort.

FURIA

Impossible… Il faut nous quitter,
Là-bas l’être vivant et le cadavre
Ne pourraient marcher ensemble.
Pourquoi me voler mes instants qui sont comptés ?
Pour agir, je ne dispose que des heures de la nuit.
Mais où est Catilina ?

CURIUS

C’est lui que tu cherches ?

FURIA

C’est lui.

CURIUS

Le poursuis-tu encore ?

FURIA

Pourquoi, cette nuit, aurais-je quitté les morts,

Si ce n’était pour Catilina ?

CURIUS

Oh ! cette folie ?
Qu’importe ! tu es belle même dans ta folie,
Je t’en supplie, ne pense plus à Catilina.
Suis-moi, commande,
J’obéirai.

(Il se jette à ses genoux.)

Tel qu’un esclave je suis à tes pieds,
Je ne mendie qu’un seul regard,
Ecoute-moi, Furia, je t’aime !
Un feu doux, un poison subtil, me consume,
Personne, si ce n’est toi,
Ne saurait calmer ma souffrance…

FURIA, jette un coup d’œil vers la maison.

Il y a de la lumière là-bas.
Beaucoup d’hommes y sont réunis,
Que se passe-t-il chez Catilina ?

CURIUS, se lève.

Encore ce nom !
Toutes tes pensées lui appartiennent,
Je pourrais le haïr…

FURIA

S’est-il décidé
A accomplir le hardi projet
Qu’il nourrissait depuis longtemps ?

CURIUS

Tu sais ?

FURIA

Tout.

CURIUS

Alors tu sais
Qu’il s’est mis à la tête d’une hardie conspiration ?
Mais, je t’en supplie, ne me questionne plus
Sur Catilina.

FURIA

Une seule, une unique question encore :
Marches-tu avec lui ?

CURIUS

Pour moi c’est un tendre père…

FURIA, en souriant.

Lui !
Mon Catilina ?

CURIUS

Ah !

FURIA

L’homme autour duquel
Se pressent toutes mes pensées.

CURIUS

Le vertige s’empare de moi,
Je le hais… oh ! je pourrais l’assassiner !

FURIA

Ne m’as-tu pas juré tout à l’heure
Que tu étais prêt à m’obéir ?

CURIUS

Demande ce que tu voudras,
Les yeux fermés, je t’obéirai et te servirai,
Une seule prière, je t’en supplie,
Oublie Catilina.

FURIA

Oui, je l’oublierai,
Quand il sera descendu dans la tombe.

CURIUS, en reculant.

Comment ! tu exiges ?…

FURIA

Non, tu ne te serviras pas du poignard,
Tu divulgueras simplement ses projets…

CURIUS

Trahison !
La trahison et l’assassinat en même temps !
N’oublie pas qu’il fut un père pour moi
Et que…

FURIA

Et qu’il est l’objet de mes pensées.
Ah ! faible insensé, tu prétends parler d’amour,
Toi qui n’as pas même le courage
De faire tomber l’homme qui te barre la route.
Va-t’en.

(Elle lui tourne le dos.)

CURIUS, en la retenant.

Non !
Ne m’abandonne pas, je consens à tout.
La haine me possède,
Du reste, il m’est impossible
De rompre le filet dans lequel tu m’as enveloppé.

FURIA

Ainsi tu consens ?

CURIUS

Pourquoi me railler avec cette question ?
Si je consens ! ai-je donc une volonté ?
Ton œil est comme celui du serpent
Qui fixe magiquement l’oiseau.
Pris de peur, il vole toujours plus près de
La terrible gueule qui va l’engloutir.

FURIA

Alors, à l’œuvre.

CURIUS

Et quand j’aurai sacrifié
Mon amitié à mon amour ?
Eh bien ! Quoi ?

FURIA

Alors Catilina n’existera plus pour moi.
Mon œuvre sera accomplie.
Ne me demande pas autre chose.

CURIUS

À ce prix je ferais…

FURIA

Tu hésites ?
Ton esprit est-il donc si faible qu’il ne puisse
Comprendre ce qu’une femme reconnaissante
Peut offrir quand le moment est venu ?

CURIUS

Par toutes les puissances de la nuit,
Je n’hésite pas : lui seul nous sépare,
Qu’il tombe ! éteinte est désormais toute
La tendresse que j’eus pour lui ;
Déchirés sont tous ces liens ;
Mais qui es-tu, belle vision de la nuit ?
Ta présence me pétrifie et me brûle à la fois.
Le désir me glace,
La terreur m’excite.
Mon amour est semblable à la haine.
Qui suis-je moi-même ? Je ne me reconnais plus.
Je sais seulement que je ne suis plus le même
Qu’avant de te connaître.
Joyeusement je me lance dans l’abîme
A ta suite : Catilina est condamné.
Je vais au Capitole cette nuit même,
Le Sénat y tient séance.

Quelques mots écrits
Trahiront la conspiration de Catilina.
Au revoir.

(Il sort très vite.)

FURIA, parlant à elle-même.

Les nuages commencent à s’amonceler,
Bientôt la foudre éclatera.
Ta fin est proche, Catilina,
A pas hâtifs tu t’avances vers le tombeau.


Scène V



(Les envoyés des Allobroges, Ambiorix et Allovico, sortent de la maison, sans apercevoir Furia à moitié dans l’ombre des arbres.)


Les PRÉCÉDENTS, AURELIA, AMBIORIX et ALLOVICO.

AMBIORIX

Ainsi c’est décidé ! Peut-être était-il dangereux
De faire partie de cette conspiration.

ALLOVICO

Certes ;
Mais le refus du Sénat à chacune de nos demandes légitimes
Ne laissait pas ouverte d’autre porte.

Enfin, si nos amis sont victorieux,
Le succès vaudra bien le moment périlleux
Que maintenant nous allons traverser.

AMBIORIX

Oui, ainsi soit-il, frère.

ALLOVICO

La délivrance de la tyrannie romaine,
Le rachat de notre liberté perdue,
Tout cela vaut bien une bataille.

AMBIORIX

Par la route la plus courte il nous faut retourner chez nous,
Partout dans la Gaule, il faut semer l’insurrection ;
Facilement nous soulèverons toutes les tribus
Contre les oppresseurs.
Tous nous suivront pour se joindre avec nous
Aux troupes de Catilina.

ALLOVICO

La lutte sera dure,
Rome est encore puissante.

AMBIORIX

Il faut courir ce risque, en route, Allovico !

FURIA, d’une voix prophétique.

Malheur sur vous !

AMBIORIX, en tressaillant.

Grands Dieux !

ALLOVICO, terrifié.

Écoute !
Cette voix prophétique dans la nuit noire.

FURIA

Malheur sur votre peuple !

ALLOVICO

Frère, c’est de là-bas
Que vient le sombre oracle. Ecoute !

FURIA

Malheur à ceux qui suivent Catilina !

AMBIORIX

Retournons ! Sauvons-nous !
Retirons nos engagements !

ALLOVICO

Une voix nous a prévenus, obéissons à cette voix.

(Ils sortent vite à droite.)
CATILINA, sortant de la maison.

C’est une œuvre impossible que de vouloir renverser Rome
A l’aide de cette bande de misérables et de lâches !
Quel sentiment les fait agir ? cyniquement ils l’avouent :
Rien que le besoin d’argent et l’espoir du brigandage.
Vraiment est-ce la peine
De faire couler le sang ? qu’ai-je alors à y gagner ?
Qu’obtiendrai-je ?

FURIA, invisible derrière les arbres.

Vengeance, Catilina !

CATILINA, en tressaillant.

Qui parle, qui fait sortir l’esprit de la vengeance
De son sommeil ? Cette voix, est-ce la mienne ?
Vengeance ! oui,
C’est le mot, c’est ma devise, et
Mon cri de guerre ! Vengeance sanglante !
Vengeance pour tous mes espoirs, tous mes rêves
Qu’un destin haineux a détruits !
Vengeance, vengeance pour ma vie brisée !

(Les conspirateurs sortent armés de la maison)

LENTULUS

La nuit noire couvre encore la ville,

Le moment de partir est venu !

PLUSIEURS HOMMES, à voix basse.

En route.

(Aurélia sort du pavillon sans apercevoir les conjurés.)

AURELIA

Mon bien-aimé, es-tu ici ?

CATILINA, avec un cri.

Aurélia !

AURELIA

Dis, m’as-tu attendue ?

(Elle aperçoit les conspirateurs et s’approche vite de Catilina.)

AURELIA

Grands dieux !

CATILINA, la repoussant.

Loin de moi, femme.

AURELIA

Catilina… parle…
Tous ces hommes en armes ! toi-même aussi !
Oh ! veux-tu…

CATILINA, d’un ton sauvage.

Oui, par tous les esprits de la nuit
Je veux une joyeuse bataille !
Vois-tu comme brille mon glaive ?
Il a soif, il a soif !
Je vais le faire boire !

AURELIA

Mon espoir, mon rêve ! il était si beau mon rêve !
Et c’est ainsi que je me réveille !

CATILINA

Silence !
Reste ou suis-nous, ma poitrine est fermée
Aux plaintes et aux larmes,
Amis, contemplez combien lumineuse
Est la pleine lune à son coucher ;
Lorsque la prochaine fois
Elle se lèvera à l’est,
Des flammes étincelantes
Se marieront à ses lueurs pour dorer la ville,
Et quand dans mille ans la lune brillera encore

Sur les ruines dans la campagne déserte du Latium,
Un seul monument surgira du sable pour dire
Au voyageur :
Ici, fut la ville de Rome.

(Il part vite à droite, tous les hommes le suivent.)





Rideau.

ACTE III



La scène représente le camp de Catilina dans un endroit boisé en Etrurie.
À droite, la tente de Catilina et, à côté de cette tente, un chêne séculaire. Devant la tente brûle un feu de campement. On distingue, au fond de la scène, plusieurs hommes couchés entre les arbres. Il fait nuit. De temps en temps, les rayons de la lune traversent les nuages.




Scène I


STATILIUS, MANLIUS
L’un dort à côté du feu, l’autre se promène devant sa tente.

MANLIUS

Cela est bien d’eux,
De ces jeunes et insouciants enfants,
Ils dorment aussi profondément et aussi tranquillement
Que sur les genoux d’une mère,

Dans cette forêt sauvage.
Ils se reposent comme si c’était une joyeuse journée
Qui les attend, et non une bataille.
Et peut-être pour eux ce sera le dernier jour.

STATILIUS, se réveille et se lève.

Encore en sentinelle ?
Tu dois être fatigué, je vais te remplacer.

MANLIUS

Dors plutôt encore, toi. L’homme jeune
A besoin d’un sommeil bienfaisant.
Les passions fougueuses demandent un repos réparateur ;
Il en est autrement quand les cheveux grisonnent,
Quand le sang circule moins vite dans les veines
Et que la vieillesse pèse sur nos épaules.

STATILIUS

Tu as raison ; moi aussi, j’agirai
De même quand je serai vieux soldat endurci.

MANLIUS

Es-tu donc certain
Que le destin te réserve
De longs jours ?

STATILIUS

Eh ! pourquoi pas ?
Qui te fait penser le contraire ?
Quelque malheur serait-il arrivé ?

MANLIUS

Insensé !
T’imagines-tu que nous n’ayons rien à craindre ?

STATILIUS

Notre armée a reçu d’importants renforts.

MANLIUS

En effet,
Des esclaves en fuite et des gladiateurs.

STATILIUS

Qu’importe, leur secours
Augmente particulièrement nos forces, puis toute la Gaule
Nous viendra en aide.

MANLIUS

L’aide n’est pas encore venue.

STATILIUS

Tu doutes de la parole des Allobroges ?

MANLIUS

Je connais depuis longtemps
Les mœurs de ces gens-là. Enfin !
Le jour qui va venir nous apprendra
Ce que les dieux nous réservent.
Mais, va, Statilius, et rends-toi bien compte
Que toutes les sentinelles font leur devoir.
Il faut prendre nos précautions
Contre les attaques nocturnes,
Car nous ne connaissons pas au juste
La position de l’ennemi.

(Statilius entre dans la forêt.)

MANLIUS, seul près du feu de campement.

Les nuages s’amoncellent de plus en plus ;
La nuit est noire et l’orage menace ;
Le brouillard humide me glace.
Qu’est devenue mon insouciance joyeuse
D’autrefois au milieu des batailles ?
Serait-ce seulement le poids des années
Qui se fait sentir ? Etrange ! Hier soir,
Il me semblait aussi reconnaître
Le découragement des jeunes gens.

(Une pause.)

Les vieux seuls le savent,
Que ce ne fut point dans un but de vengeance
Que je me suis attaché à Catilina.
Il est vrai qu’un instant la colère m’excita,
Lorsque je compris l’injustice et le tort qu’on voulait me faire.
Mon vieux sang n’est pas encore tout à fait refroidi.
Et de temps en temps il bout
Dans mes veines ;
Mais maintenant tout cela est oublié,
J’ai suivi Catilina, mon ami Catilina,
Par attachement pour lui-même,
Et soigneusement je veillerai sur lui.
C’est le seul homme qui vive au milieu de cette bande
De dégénérés et de misérables criminels.
Ils sont incapables de le comprendre,
Et lui est trop fier pour s’abaisser jusqu’à eux.

(Il jette quelques branches sur le feu et demeure silencieux).

Scène II



MANLIUS, CATILINA
Sort de sa tente en parlant

CATILINA

Minuit ! Tout est calme.
Seul, je ne connais pas le sommeil.
Le vent est glacé, il me rafraîchira
Et me donnera des forces.
Ah ! j’en ai besoin !

(Il aperçoit Manlius.)

Toi, mon vieux Manlius !
Seul, tu veilles dans la nuit noire ?

MANLIUS

Quand tu étais enfant,
Souvent aussi j’ai veillé sur toi.
Dis : l’as-tu oublié ?

CATILINA

Ces temps ne sont plus,
Et avec eux disparue aussi la paix de mon âme !
Qui sait où je vais maintenant ?
Je suis poursuivi par toutes sortes de visions.
Ah ! Manlius,
Mon âme est bien agitée ;
Mais la paix et le calme,
Oui, la paix est bien loin de moi.

MANLIUS

Chasse ces idées noires. Repose-toi.
Souviens-toi que demain tu auras besoin,
Dans la bataille, de toutes tes forces,
Pour nous sauver tous.

CATILINA

Il m’est impossible de trouver la tranquillité
Quand je ferme un instant les yeux.

Cherchant l’oubli et le repos,
D’étranges rêves s’emparent de moi.
Tout à l’heure, couché, je dormais à moitié,
Quand des visions sont venues de nouveau m’agiter,
Et plus étranges que jamais,
Plus énigmatiques, plus extraordinaires sont ces songes.
Oh ! si seulement je pouvais comprendre l’augure ;
Mais cela m’est impossible.

MANLIUS

Raconte-moi ton rêve,
Peut-être pourrai-je te l’expliquer.

CATILINA, après une pause.

Je ne sais si je dormais ou si j’étais éveillé.
J’étais absorbé par des préoccupations multiples,
Tout d’un coup, la nuit se fit autour de moi,
En moi aussi, oui, dans mon âme ;
Les ténèbres étaient traversés seulement de temps en temps
Par les éclairs sinistres de la foudre ;
Je me vis alors, moi, Catilina, couché
Dans un caveau humide comme un tombeau.
Le toit en était élevé comme un ciel
Plein de nuages orageux ;
Devant moi passait en ombres infinies

Une sorte de chasse infernale,
Semblable à une mer démontée
Qui se brise contre les rochers du rivage.
Mais, entre temps, au milieu de cette effrayante foule,
J’apercevais des petits enfants aux fronts ornés de fleurs
Et j’entendais une douce chanson qui me rappelait
Le charme d’une paisible demeure, hélas ! trop oubliée.
Subitement, la lumière se fit,
Et j’aperçus distinctement
Deux femmes :
L’une était sévère et sombre comme la nuit,
L’autre douce comme le crépuscule.
Oh ! il me sembla bien les reconnaître toutes deux.
Tantôt le sourire de l’une me versait la confiance et la paix,
Tantôt l’œil foudroyant de l’autre me pénétrait comme un feu.
Alors la terreur s’empara de moi,
Et cependant, magiquement, je fus forcé
De contempler cette vision.
L’une de ces femmes, fièrement debout,
L’autre, appuyée contre une table,
Me semblaient jouer un étrange jeu d’échecs.
Elles prenaient et remplaçaient les pions.
Enfin le jeu se termina.
Celle qui perdait la partie, la femme au doux sourire,
Et les enfants aux fronts fleuris s’engloutirent sous la terre ;

L’orage devint plus violent, la nuit plus noire ;
Mais, au milieu de l’obscurité, se fixaient sur moi
Deux yeux étincelants, victorieux.
La folie me saisit, j’étais terrifié par ces deux yeux.
Ce que dans la fièvre j’ai rêvé ensuite,
Je l’ai oublié…
Oh ! si je pouvais me le rappeler !
Hélas ! c’est impossible, je ne m’en souviens plus.

MANLIUS

En vérité, Catilina, étrange !
Très étrange, ton rêve !

CATILINA, pensif.

Oh ! si seulement je pouvais me rappeler la suite ;
Mais, c’est impossible. J’ai tout oublié.

MANLIUS

Ne te tourmente pas de ces chimères.
Que signifient les rêves ?
Pure imagination, images vaines.
Sois raisonnable.

CATILINA

Oui, tu as raison, je n’y penserai plus.

Je suis calme maintenant. Va, Manlius,
Va reposer un instant. En attendant,
Moi, je veillerai ici en réfléchissant.

(Manlius entre dans la forêt. Catilina se promène de long en large près du feu de campement sur le point de s’éteindre. Il s’arrête et dit :)

CATILINA

Oh ! si seulement je pouvais savoir !
Bah ! c’est indigne d’un homme
De se préoccuper de semblables folies
Et pourtant, à cette heure silencieuse de minuit,
Dans cette solitude, j’ai de nouveau,
Et très nettement, sous mes yeux
Ce que j’ai rêvé…

(Une ombre, semblable à un vieillard vêtu d’une toge et armé, sort de la terre, entre les arbres, près de Catilina.)

CATILINA, en reculant

Grands Dieux !

L’OMBRE

Je te salue, Catilina.

CATILINA

Que me veux-tu ? Qui es-tu donc, ombre légère !

L’OMBRE

Attends ! c’est moi qui interroge ici ;
A toi de me répondre. Ne te souviens-tu pas
Avoir entendu jadis ma voix ?

CATILINA

Oui, il me semble la connaître, mais je ne suis pas bien sûr.
Dis-moi, qui cherches-tu donc, ici, à minuit ?

L’OMBRE

Je te cherche. Sache donc que cette heure seule
M’est accordée pour venir ici.

CATILINA

Par les dieux immortels, parle :
Dis-moi qui tu es ?

L’OMBRE

Silence !
Je viens te demander des comptes.
Pourquoi ne me laisses-tu pas tranquille dans la tombe ?
Pourquoi m’obliges-tu à sortir de la demeure des morts ?
Pourquoi me forcer à me souvenir
Et pourquoi m’obliger à venir te menacer

Et t’ordonner de respecter ma gloire
Si chèrement acquise ?

CATILINA

Ah ! cette voix ! Il me semble… oui, je me souviens.

L’OMBRE

Que reste-t-il de ma grande puissance ?
Une ombre telle que moi-même,
Oui, à peine une ombre.
Ma puissance, comme moi, descendit
Au tombeau et fut anéantie.
J’avais acheté pourtant chèrement la gloire,
Oui, en vérité, chèrement, très chèrement :
Elle m’avait coûté mon bonheur dans cette vie,
Et pour elle je dus renoncer
A la paix dans le tombeau.
Maintenant, d’une main hardie,
Tu veux m’arracher ce qui me reste encore de renommée.
N’y a-t-il pas d’autres chemins que celui-ci
Pour aller à l’immortalité ?
Pourquoi choisir précisément
La route que j’avais choisie avant toi ?
Déjà, en cette vie, j’ai abdiqué le pouvoir ;
J’espérais du moins l’immortalité pour mon nom,

Non pas cette immortalité aimable du poète,
Qui est semblable aux rayons des étoiles,
Mais celle qui brille comme l’éclair dans le ciel sombre.
Je ne voulais pas, comme tant d’autres,
Vivre dans la mémoire des hommes
Par la noblesse de mon esprit ou par les vertus familiales ;
Je n’aspirais point à l’admiration :
Etre admiré a été et sera
Jusqu’à la fin du monde le lot des autres.
Non, c’est avec du sang et par la terreur
Que je voulais rendre mon nom immortel,
Je voulais que chacun fût muet de terreur
Au souvenir de mes actions.
Je voulais qu’on me considérât comme un homme
Que personne, avant lui, n’avait osé, ni après lui,
N’oserait égaler dans l’horreur.
Tel fut mon rêve ; mais je me suis trompé,
Tu demeurais près de moi.
Pourquoi n’ai-je pas deviné
Ce que tu cachais dans le fond de ton âme ?
Prends garde, Catilina !
Sache que je connais l’avenir,
Dans les étoiles je peux lire ton destin…
Ton destin !

CATILINA

Si tu peux lire mon destin, fais-le moi connaître alors.

L’OMBRE

Non, c’est seulement derrière la porte sombre de la mort
Que disparaissent les voiles qui entourent
Les faits terribles ou les actes superbes
De l’avenir.
Moi, qui suis un esprit et qui sais,
Je te dirai seulement ceci :
Tu succomberas par ta propre main,
Et néanmoins c’est un autre qui te donnera la mort.

(L’ombre disparait dans un brouillard.)

CATILINA, après une pause.

Disparu ! Etait-ce un rêve ?
Non, non ! Il était là ! Les rayons de la lune
Effleuraient son masque funèbre.
Oui, je l’ai bien reconnu :
C’était le dictateur ; l’homme de sang
Oui est sorti de son tombeau pour m’effrayer ;
Il craignait de perdre la couronne de la victoire,
Non celle de la gloire,
Mais celle de la terreur,

Ornement de son sanglant souvenir.
Les ombres sont-elles donc encore
Agitées par l’ambition ?

(Il se promène inquiet.)

Tout à la fois me tourmente :
Tantôt, c’est la douce voix d’Aurelia
Qui sagement m’avertit du danger ; tantôt, c’est celle de Furia
Qui m’ordonne d’aller de l’avant et m’excite au combat.
Et maintenant, même du tombeau
Sortent les pâles ombres des morts
Pour me menacer. Dois-je m’arrêter ?
Revenir en arrière ? Non, allons courageusement
Vers le but ! Bientôt victorieusement
Je vais l’atteindre.


Scène III


(Curius traverse la forêt en proie à une vive agitation.)

CURIUS, CATILINA

CURIUS

Oh ! Catilina !

CATILINA, surpris.

Toi ici, ami ?

CURIUS

Il le fallait.

CATILINA

Pourquoi n’es-tu pas resté à la ville ?

CURIUS

La crainte m’a fait fuir. Il fallait que je te visse.

CATILINA

Aveuglément tu viens t’exposer au danger,
Insensé ! Dans mes bras !

(Il veut embrasser Curius.)

CURIUS

Ne me touche pas ! Ne m’approche pas !

CATILINA

Mais qu’as-tu donc, mon cher Curius ?

CURIUS

Sauve-toi,
Sauve-toi, si tu le peux encore.
De tous côtés arrive l’ennemi,
Tu es cerné, Catilina !

CATILINA

Calme-toi,
Tu divagues. Le voyage a certes troublé ton esprit.

CURIUS

Non ! sauve-toi pendant qu’il en est temps encore,
Tu es trahi.

(Se mettant à genoux devant Catilina.)

CATILINA, reculant.

Comment ? Trahi ?

CURIUS

Oui, trahi par un ami.

CATILINA

Tu te trompes,
Mes sauvages amis me sont fidèles comme toi-même.

CURIUS

Que les dieux te préservent alors de la fidélité de tes autres amis.

CATILINA

Calme-toi ! C’est ton amitié,
Ton inquiétude pour ma sûreté, qui te font voir
Le péril où il n’est pas.

CURIUS

Oh ! si tu savais ; chacune de tes paroles me tue !
Sauve-toi ! Je t’en supplie !

CATILINA

Reprends tes esprits et sois raisonnable.
Pourquoi fuir ?
L’ennemi ne sait où je me trouve.

CURIUS

Si, il le sait ; il connaît tous tes plans.

CATILINA

Tu es fou ! Il sait… Impossible !

CURIUS

Si, c’est ainsi ; mais profite du moment,
Peut-être sauveras-tu encore ta vie
En fuyant vite.

CATILINA

Trahi ! non, et dix fois non, c’est impossible.

CURIUS, sort un poignard et le tend à Catilina.

Tiens, Catilina, enfonce cette lame dans ma poitrine,
Dans mon cœur, c’est moi qui t’ai trahi.

CATILINA

Toi ! Quelle folie !

CURIUS

Oui, j’ai agi comme un fou.
Ne me demande pas comment cela s’est fait. Je l’ignore,
Mais c’est bien moi
Qui ai révélé tous tes projets.

CATILINA, douloureusement.

Maintenant tu viens de tuer ma foi si profonde dans l’amitié.

CURIUS

Enfonce donc ce poignard dans ma poitrine,
Ne me fais pas souffrir plus longtemps, ami, pitié !

CATILINA, doucement.

Vis, Curius.
Lève-toi, tu as mal agi, mais je te pardonne.

CURIUS, brisé.

Oh ! Catilina, tu me vois brise, ici, devant toi ;
Hâte-toi donc ! Sauve-toi, m’entends-tu ? Hâte-toi ;
Bientôt l’armée romaine fera irruption dans le camp,
Elle est sur tes traces, elle te cerne.

CATILINA

Et les amis, que font-ils à Rome ?

CURIUS

Ils sont vaincus,
Beaucoup sont en prison et la plupart tués.

CATILINA, à lui-même.

Malheureux destin !

CURIUS, en lui tendant de nouveau le poignard.

Enfonce-le dans mon cœur !

CATILINA, regardant Curius avec calme.

Tu n’étais qu’un instrument !

CURIUS

Au moins que je paye le crime de ma vie.

CATILINA

Je t’ai pardonné.

(En sortant.)

Maintenant, il ne me reste plus qu’une chose à faire.

CURIUS, se lève en sursaut.

Oui, prendre la fuite !

CATILINA

Non, subir la mort héroïquement.

(Il entre dans la forêt.)
CURIUS

Tout est inutile, c’est la mort qu’il cherche !
Ah ! sa douceur m’est dix fois plus terrible
A affronter que sa colère, si juste pourtant ;
Mais je le suivrai. Il me sera permis
De tomber en luttant à côté de ce héros.

(Il sort vite).

Scène IV



LENTULUS et deux GLADIATEURS

S’avancent avec précaution entre les arbres. Lentulus dit à voix basse.

Puis, CATILINA.

LENTULUS

Quel qu’un a parlé ?

PREMIER GLADIATEUR

Non, tout est calme.

SECOND GLADIATEUR

Peut-être est-ce la sentinelle
Qu’on est venu remplacer ?

LENTULUS

Probablement. Voici donc l’endroit
Où vous attendrez. Vos épées
Sont-elles bien affilées ?

PREMIER GLADIATEUR

Elles luisent comme l’éclair, seigneur.

SECOND GLADIATEUR

Mon glaive tranche bien, soyez sûr ! Au dernier spectacle,
Deux gladiateurs sont tombés sous ses coups.

LENTULUS

Bien, dissimulez-vous bien
Là, dans le bosquet, puis
Quand un homme que je vous désignerai
S’avancera vers la tente, vous sortirez de votre retraite
Et par derrière vous le frapperez.

PREMIER GLADIATEUR

Parfaitement.

(Les deux gladiateurs se cachent, Lentulus se promène en guettant.)

LENTULUS, parlant à lui-même.

C’est un jeu dangereux que je joue,

Mais il faut que cela soit fini cette nuit.
Si cela réussit fort bien, Catilina mort,
Personne que moi ne pourra conduire ses troupes.
Par des promesses dorées, je les aurai tous ici.
Rapidement je marcherai sur Rome,
Où le Sénat, lent et peureux,
N’a pas encore songé à parer au danger.

(Il entre sous les arbres.)

PREMIER GLADIATEUR

Quel est cet inconnu
Auquel nous devons donner la mort ?

SECOND GLADIATEUR

Peu nous importe, puisque Lentulus paye,
A lui appartient la responsabilité.

LENTULUS, arrive très vite.

Tenez-vous prêts. Celui que nous attendons
Va arriver.

(Lentulus et les gladiateurs se mettent en garde derrière les bosquets. Peu de temps après, Catilina sort de la forêt et s’avance vers la tente.)

LENTULUS, à voix basse.

Avancez, tuez-le, frappez par derrière.

(Tous trois se précipitent sur Catilina. Celui-ci tire ton épée et se défend.)
CATILINA

Ah ! misérables ! Vous osez ?

LENTULUS, aux gladiateurs.

Frappez donc !

CATILINA, ayant reconnu Lentulus.

Toi, Lentulus, tu veux assassiner Catilina ?

PREMIER GLADIATEUR, terrifié.

C’est bien lui !

SECOND GLADIATEUR, en reculant.

Catilina ! Non, contre lui
Je n’userai pas de mon épée. Malheur !
Fuyons !

(Les gladiateurs se sauvent.)

LENTULUS

Péris donc de ma main.

(Ils se battent, Catilina fait tomber à terre l’épée de Lentulus. Celui-ci veut se tuer, mais Catilina le retient.)

CATILINA

Traître, assassin !

LENTULUS, suppliant.

Grâce, Catilina, grâce !

CATILINA

Sur ton front je lis tes projets :
Tu voulais m’assassiner pour être le chef
Et, à ma place, diriger nos amis.
N’est-ce pas que ce fut ton plan ?

LENTULUS

Oui, Catilina, ce fut ainsi.

CATILINA, le regardant avec un mépris dissimulé.

Eh bien ! qu’à cela ne tienne,
Si vraiment tu désires le pouvoir, prends-le.

LENTULUS

Explique-toi. Que veux-tu dire ?

CATILINA

Je renonce au pouvoir.
À ma place tu commanderas l’armée.

LENTULUS, étonné.

Tu le veux ?

CATILINA

C’est entendu, mais alors tu dois tout savoir :
Apprends donc que nous sommes trahis,
Le Sénat connaît nos projets,
Et l’armée romaine nous cerne.

LENTULUS

Tu dis ?

CATILINA

Maintenant je vais faire venir nos amis,
Tu te présenteras à eux comme leur chef,
Et moi je m’en irai.

LENTULUS, retenant Catilina.

Non, un moment, Catilina.

CATILINA

Ton temps est précieux, mon ami,
Avant l’aube tu peux t’attendre à être attaqué.

LENTULUS, peureusement.

Ami, écoute-moi :
C’est une plaisanterie, ce n’est pas possible…

CATILINA

Je te l’ai dit : nous sommes trahis ;

Il faut faire montre de toute ton intelligence,
De tout ton savoir.

LENTULUS

Trahis ! Oh ! malheur à nous !

CATILINA, avec un sourire de mépris.

Misérable, lâche !
Tu trembles maintenant, et c’est toi
Qui voulais me supplanter ; tu t’imagines peut-être
Être digne d’être leur général ?

LENTULUS

Pardonne-moi, Catilina.

CATILINA

Cherche à sauver ta vie
En fuyant au plus vite si cela est encore possible.

LENTULUS

Ah ! tu me le permets ?

CATILINA

T’es-tu donc imaginé un seul instant
Que sérieusement je voulais quitter mon poste
Au moment du danger ?
Tu me méconnais mal alors.

LENTULUS

Oh ! Catilina.

CATILINA, froidement.

Ne perds donc pas ton temps,
Fuis ; moi, je saurai mourir.

(Il lui tourne le dos.)

LENTULUS, à part.

Merci, mon cher, de cette excellente nouvelle,
Je vais l’utiliser en ma faveur.
Heureusement ; je connais bien le pays,
Je vais trouver l’ennemi
Et par des sentiers cachés, je le conduirai ici,
Pour ta perte, Catilina, mais pour ma sauvegarde
Apprends-le, le serpent que tu foules
Dédaigneusement sous ton pied
Possède encore son venin.

(Il sort.)

CATILINA, après une pause.

Voilà la fidélité sur laquelle je comptais !
L’un après l’autre, chacun me trahit, grands dieux !
Trahison, lâcheté, voilà
Ce que contiennent ces misérables âmes d’esclaves !

Insensé que je suis,
Je voulais détruire ce nid de serpents qu’est Rome.
Allons ! depuis longtemps Rome n’est qu’une ruine.

(On entend le bruit des armes. Catilina écoute.)

Les voilà. Parmi ceux-là du moins
Sont des hommes courageux.
Comme j’aime le bruit de l’acier !
Combien joyeusement les boucliers résonnent les uns contre les autres !
Allons, ranimons-nous,
Le dénouement approche ! le suprême instant
Qui fait taire tous les doutes.
Je te salue, grande heure décisive.


Scène V



CATILINA, MANLIUS, STATILIUS, GABINIUS

Et une grande quantité de conspirateurs sortent de la forêt.

Puis, FURIA et AURELIA.

MANLIUS

Voici, Catilina, tes amis sont ici ;
Selon tes ordres, j’ai donné le signal dans le camp.

CATILINA

Et tu leur as dit ?

MANLIUS

Oui, ils savent notre position.

STATILIUS

Oui, nous savons tout et nous te suivrons,
L’épée à la main, pour nous battre jusqu’à la mort.

CATILINA

Merci, merci, mes braves frères d’armes.
Du reste, n’espérez pas avoir le choix
Entre la vie, ou la mort ;
Vous avez à choisir seulement entre la mort héroïque
Contre un ennemi beaucoup plus fort en nombre que nous,
Ou la mort honteuse et bien plus douloureuse
Que vous trouveriez dans la fuite, poursuivis comme des bêtes.
Que préférez-vous donc ? fuir,
Et vivre misérablement quelques jours de plus ?
Ou bien, courageusement, comme vos grands aïeux,
Succomber en luttant l’épée à la main ?

GABINIUS

C’est bien ce dernier sort que nous choisissons.

PLUSIEURS VOIX

Conduis-nous à la mort.

CATILINA

Eh bien ! partons, la mort, de cette façon,

Nous procurera l’immortalité ;
Notre désastre, notre nom, à travers les temps lointains
Seront hautement et fièrement proclamés…
furia, en criant parmi les arbres.
Ou cités avec horreur.

QUELQUES VOIX

Tiens… une femme.

CATILINA, en tressaillant.

Furia ! ici ?
Pourquoi es-tu venue ?

FURIA

Il me faut te suivre jusqu’à ton but.

CATILINA

Eh bien ! mon but ? Où se trouve-t-il ?

FURIA

Chacun cherche le sien par une route particulière.
Toi, tu veux l’atteindre par une lutte désespérée,
Et de cette bataille ne naîtra que la mort et le désastre.

CATILINA

Mais aussi la gloire d’un nom immortel en sortira !
Va-t’en, femme, cette heure est sublime
Et mon cœur est fermé à tes cruels accents.

(Aurélia se montre sur le seuil de la tente.)

AURELIA

Mon bien-aimé Catilina !

(A la vue de tous ces hommes réunis elle s’arrête craintivement.)

CATILINA, douloureusement.

Ah ! Aurélia !

AURELIA

Que se passe-t-il ? Tout ce bruit dans le camp :
Que signifie cela ?

CATILINA

Et comment ai-je pu t’oublier, toi !
Quel sort te sera réservé ?

FURIA, murmurant d’un ton de mépris et sans être aperçue d Aurélia.

Tu hésites
A l’heure suprême, Catilina ?
C’est là ton courage héroïque ?

CATILINA, d’un ton emporté.

Non, par les dieux des ténèbres.

AURELIA, en s’approchant de Catilina.

Parle, mon bien-aimé. Ne me laisse plus dans l’angoisse.

FURIA, derrière Catilina et à voix basse.

Fuis donc avec ta femme, pendant que tes amis meurent.

MANLIUS

Hâte-toi ; conduis-nous au combat.

CATILINA

Oh ! quelle détermination prendre ? Je n’ai même pas le choix.
Il faut marchera la mort, je ne puis
M’arrêter en route.

(En criant.)

Suivez-moi sur le champ de bataille !

AURELIA, en se jetant dans les bras de Catilina.

Catilina, ne me quitte pas,
Ou laisse-moi t’accompagner !

CATILINA

Non, demeure ici, mon Aurelia.

FURIA, comme tout à l’heure.

Prends-la donc avec toi,
Tu auras une mort digne de toi,
En mourant dans les bras d’une femme.

CATALINA, en repoussant Aurélia.

Loin de moi, toi, qui veux me voler ma gloire :
C’est parmi les hommes que la mort doit me frapper.
J’ai toute une existence à réparer,
Un nom taché à blanchir.

FURIA

Bien, mon brave Catilina.

CATILINA

De mon âme j’arrache tout ce qui m’attache encore
Au passé et à ses rêves.
Ce qui est derrière moi maintenant
N’existe plus, n’a jamais existé.

AURELIA

Oh ! ne me chasse pas !
Au nom de notre amour, je t’en supplie,
Ne nous séparons pas ainsi, Catilina,

CATILINA

Silence !
Mon cœur est mort, mon âme est fermée à l’amour ;
Je détourne mon regard

Des choses vaines de ce monde, pour ne contempler désormais au ciel que la grande et pâle étoile,

La renommée posthume.

AURELIA

Dieux, miséricorde.

(Faible, elle s’appuie contre l’arbre devant la tente.)

CATILINA

En route !

MANLIUS

On entend déjà le bruit des armes.

PLUSIEURS VOIX

Ils s’approchent.

CATILINA

Bien ! Courageusement nous allons marcher vers eux.
Cette nuit déshonorante a été longue,
Mais l’aube point déjà et nous allons

Combattre sous les roses rayons du matin.
Suivez-moi ! Rome et le dernier des Romains
Succomberont sous l’épée romaine.

(Ils sortent vite par la forêt. On entend du champ de bataille des bruits d’épées et des cris.)

FURIA

Le voici parti ; enfin, je tiens ma vengeance !
Aux premiers rayons du soleil, sur le champ de bataille,
On verra le cadavre raidi et glacé de Catilina.

AURELIA, parlant à elle-même.

L’amour serait donc mort dans son cœur irrité.
Est-ce possible ? vraiment,
Il a parlé ainsi !

FURIA

Le bruit des épées s’entend, Catilina est déjà
Sur le bord du tombeau ;
Bientôt, sans bruit, son ombre
S’avancera vers le pays des morts.

AURELIA, en tressaillant.

Quelle est donc cette voix sinistre qu’on entend là-bas ?

Elle est semblable au hululement de la chouette dans les branches d’un arbre.
Viens-tu des pays sombres et humides
Pour conduire Catilina à la ténébreuse demeure ?

FURIA

Tout le monde cherche à venir à sa demeure,
Et la demeure de Catilina en cette vie
Fut la fange…

AURELIA

Il est vrai, mais
Un instant seulement il fut vil !
Libre et noble fut son âme, son cœur fort et bon,
Jusqu’au moment où une influence abominable
S’empara de lui.

FURIA

Le feuillage du platane est frais et vert aussi
Jusqu’au moment où son tronc est étouffé
Par les branches des plantes parasites.

AURELIA

Maintenant je te reconnais.
Tes paroles je les ai trouvées maintes fois

Sur les lèvres de Catilina.
C’est toi le serpent qui empoisonna ma vie,
Qui a fermé le cœur de Catilina à ma tendresse.
Oh ! je te reconnais, je t’ai vue dans mes songes, dans mes nuits sans sommeil ;
Tu es là, menace toujours présente entre lui et moi ;
Joyeusement je m’efforçais de conduire mon époux
Vers une vie calme, paisible et pleine de repos.
Dans son cœur las et désolé, je faisais refleurir l’espérance,
Et fidèlement je gardais mon amour, notre amour,
Comme le joyau le plus précieux.
Et c’est ta main haineuse qui a arraché les fleurs
Jadis si fraîches et si belles de notre affection ; elles gisent
Hélas ! maintenant dans la poussière de la route.

FURIA

Faible insensée ! Tu voulais guider les pas de Catilina !
Ne vois-tu donc pas que son cœur ne fut jamais entièrement à toi ?
Crois-tu vraiment que tes fleurs aient pu prendre racine
Dans un pareil sol ?
Dans un printemps ensoleillé vivent les violettes,
Tandis que la noire et vénéneuse jusquiame
Cherche l’ombre sous les nuages orageux.
Depuis longtemps l’âme de Catilina
Etait sombre comme un ciel d’automne.

Pour toi, tout est perdu.
Bientôt Catilina va s’éteindre
Et — juste vengeance — il dormira seul dans les bras de la mort.

AURELIA, avec enthousiasme.

Non, par les dieux lumineux !
Il n’en sera pas ainsi.
Mes larmes sauront encore
Se frayer une route jusqu’à son cœur.
Et si, après la bataille, je le trouvais pâle et ensanglanté,
J’entourerais, de mes deux bras, sa poitrine glacée
Et sur ses lèvres muettes je mettrais le souffle de tout mon amour ;
J’adoucirais la douleur de son âme,
Et je lui apporterais la consolation et la paix.
Vengeresse sinistre, je t’arracherai ta victime
Et par les liens de l’amour je conduirai Catilina
Vers les pays de brillante clarté.
Mais si son cœur a cessé de battre,
Si son œil s’est éteint,
Tous deux enlacés nous entrerons dans la mort.
Les dieux cléments m’accorderont alors en récompense
La profonde et douce paix du tombeau
A côté de mon époux.

(Elle sort.)
FURIA, en la suivant du regard.

Va, cherche, pauvre insensée !
Je ne crains rien,
Entre mes mains sûrement est la victoire.
Le bruit de la bataille augmente
Et on entend les cris des mourants
Et le bruit sourd des boucliers.
Est-il déjà blessé ? Vit-il encore ?
Cet endroit est superbe. Voyons, la lune se cache
Derrière les nuages orageux,
La nuit apparaît encore une fois.
Avant l’aube, quand le jour se fera de nouveau,
Tout sera fini. Il mourra dans la nuit,
Comme il a vécu dans la nuit ! Ah ! moment délicieux !!

(Elle écoute.)

Quel fracas retentit dans l’espace ?
On dirait un orage d’automne
Dont les coups sont répercutés par l’écho lointain.
L’ennemi maintenant balaye le champ de bataille,
J’aperçois les pieds des soldats qui s’agitent.
Je distingue très bien les plaintes et les cris
Qui sont la dernière berceuse que les blessés se chantent à eux-mêmes
Pour endormir leurs souffrances et celles de leurs pâles frères.
Tiens, voici le cri du hibou ; l’oiseau sinistre souhaite

Aux soldats tombés la bienvenue dans le sombre royaume.

(Une pause.)

Tout est calme. Ainsi, maintenant, il m’appartient,
Il est à moi, à moi seule, pour l’éternité ;
Ensemble nous pouvons faire route maintenant
Vers le Léthé.
Nous pouvons traverser ensemble le fleuve
Où le jour n’apparaît jamais.
Mais, d’abord, il me faut chercher son corps là-bas,
Je veux me réjouir en contemplant les beaux traits de cette figure
Que j’ai tant haïe,
Me réjouir, avant que le soleil et les corbeaux
Ne détruisent ces restes.

(Elle veut sortir, mais tressaille et recule.)

Quoi donc ! Que vois-je dans la prairie là-bas ?
Les vapeurs des marais
Qui par le froid du matin forment d’étranges tableaux.
Mais… cela s’approche !
C’est l’ombre de Catilina ! Son spectre !
Je vois son œil éteint,
Son bouclier fendu, son épée sans lame.
Je vois nettement l’homme mort ;
Mais — étrange ! — il y a une seule chose que je ne puis voir :
La blessure mortelle.

(Catilina traverse la forêt : il est paie et faible ; sa tête est pendante, son regard hagard.)
CATILINA, se parlant à lui-même.

« Tu succomberas par ta propre main,
« Mais c’est un autre qui te donnera la mort. »
Telles furent les paroles de l’ombre…
Maintenant que j’ai succombé, quoique aucune main
Ne m’ait touché, qui saura résoudre l’énigme ?

FURIA

Je te salue, après la défaite, Catilina !

CATILINA

Qui es-tu ?

FURIA

Je suis l’ombre d’une ombre.

CATILINA

Toi, Furia, tu me salues !

FURIA

Sois le bienvenu dans notre demeure commune !
Tous les deux, spectres maintenant, nous pouvons aller ensemble
Chercher la barque à Caron. Mais d’abord
Accepte cette couronne glorieuse !

(Elle cueille des fleurs et, pendant les répliques suivantes, elle en tresse une couronne)
CATILINA

Que fais-tu là ?

FURIA

Je veux orner ton front.
Pourquoi seul es-tu venu ici ?
L’ombre d’un grand chef doit être suivie
De dix mille morts.
Où sont tes amis, Catilina ?

CATILINA

Ils dorment, Furia.

FURIA

Ils dorment encore ?

CATILINA

Oui, encore ! et ils dormiront longtemps ainsi.
Oui ! traverse donc la forêt, Furia,
Regarde le champ, fais cela doucement de crainte de les éveiller.
Là, en longues files, tu les trouveras tous alignés.
Ils se sont endormis, à la musique des épées.
Ils se sont endormis,
Et ils ne se sont pas réveilles comme moi,
Quand la chanson des glaives s’est tue dans le lointain.

Tu m’appelais un spectre.
Oui, je suis mon propre spectre.
Mais le sommeil de mes amis
N’est ni tranquille, ni exempt de rêves.
Oh ! ne le crois pas !

FURIA

Parle.
A quoi rêvent-ils, tes amis ?

CATILINA

Ecoute bien :
Je me tenais désespéré à la tête de l’armée
Et j’allais au-devant de la mort ;
A droite, à gauche, tous tombèrent autour de moi,
D’abord Statilius, puis Gabinius, puis Manlius ;
Mon ami Curius fut tué, en cherchant
A me couvrir de son corps.
Tous sont tombés sous les coups de l’épée romaine,
De cette épée qui ne méprisa que moi, que moi seul.
Oui, le fer romain méprisa Catilina !
Mon épée se brisa et je demeurai évanoui
Au milieu de la bataille furieuse.
Je suis seulement revenu à moi
Quand tout fut terminé ; alors j’ouvris les yeux

Et je contemplai le champ de bataille.
Combien de temps suis-je demeuré ainsi ?
Je l’ignore ; je sais seulement
Que je restai là, au milieu de mes morts.
Tous leurs yeux étaient encore pleins de vie ;
Leurs bouches ricanaient ironiquement ;
Et leurs regards se fixaient sur moi,
Seul debout parmi les cadavres.
Oui, ils se fixaient étrangement sur moi,
Qui avais lutté pour eux et pour Rome
Et qui, seul, restais là, méprisé, délaissé
Par les épées romaines.
Ah ! ce fut alors que Catilina mourut vraiment !

FURIA

Tu as mal interprété le rêve de tes morts.
Tu as succombé sans comprendre
Leurs regards : ils voulaient
Simplement t’inviter à dormir avec eux.

CATILINA

Oh ! si je le pouvais !

FURIA

Calme-toi, spectre d’un héros,

L’heure du repos approche ;
Viens, courbe la tête :
Je mettrai sur ton front la couronne de la victoire.

(Elle lui tend une couronne de fleurs.)

CATILINA

Qu’est-ce donc ?
Une couronne de pavots ?

FURIA

Eh ! quoi !
Ces pavots ne sont-ils pas d’un bon effet ?
Autour de ton front ils brillent,
Comme une couronne de sang.

CATILINA

Jette ces fleurs,
Le rouge me fait mal.

FURIA, riant aux éclats.

Tu préfères les couleurs plus éteintes et plus pâles ?
Bien ! Je vais te chercher la couronne de joncs
Que ma sœur Silvia portait sur ses cheveux humides,
Lorsque aux bords du Tibre on repêcha son cadavre !

CATILINA

Horrible vision !

FURIA

Préfères-tu que je t’apporte
Les chardons de Rome
Tachés du sang noir de la guerre civile,
Ce sang que ta main a fait couler, Catilina ?

CATILINA

Assez ! Tais-toi !

FURIA

Préférerais-tu une couronne
Faite de feuilles de ce chêne voisin de la maison de ma mère,
Dont le feuillage s’est flétri, le jour
Où une jeune femme déshonorée,
En poussant des cris perçants s’est jetée dans le fleuve ?

CATILINA

Sur mon front à la fois vide tout,
Vide la coupe entière de la vengeance !

FURIA

Moi, je suis ton œil,
Ta mémoire, ta conscience !

CATILINA

À quoi bon maintenant ?

FURIA

Arrivé au terme du voyage,
D’habitude le voyageur fatigué jette un coup d’ceil en arrière.

CATILINA

Oh ! serais-je donc au bout du calvaire ! ceci est donc la fin ?
Je ne suis plus vivant, je ne suis pas enseveli…
Où est donc le terme de mes maux ?

FURIA

Tout près… si tu le veux.

CATILINA

Je n’ai plus de volonté, mon énergie est morte,
Tout ce que jadis je désirais est mort.

(Ecartant avec la main quelque chose d’invisible.)

Eloignez-vous de moi, ombres pâles.
Que me voulez-vous, hommes et femmes ?
Je ne puis rien pour vous.
Oh ! elle est terrible à voir, terrible, cette foule…

FURIA

Ton ombre est encore attachée à la terre,
Mais tu n’as toi-même qu’à déchirer les liens qui t’y retiennent.
Viens. Laisse-moi placer sur ta tête cette couronne
Qui renferme en elle-même l’oubli,
Elle te calmera en tuant tes souvenirs.

CATILINA, avec une voix brisée.

Elle tue le souvenir ! Est-ce possible ?
Presse donc fortement ta couronne empoisonnée
Autour de mon front.

FURIA

(Plaçant la couronne empoisonnée sur la tête de Catilina.)

C’est ainsi que tu dois te présenter
Devant le prince des ténèbres, mon Catilina.

CATILINA

Allons ! J’ai hâte de descendre aux enfers,
La nostalgie du pays des ombres me saisit.
Partons tous deux ; mais qui me retient ici ?
Qui empêche mon pied d’avancer ? Oh ! je le sens,
Il y a dans le ciel matinal une pâle étoile
Qui me force à rester encore parmi les vivants.
Elle m’attire comme la lune attire la mer.

FURIA

Viens avec moi, viens !

CATILINA

L’étoile brille et m’appelle,
Je ne puis te suivre, Furia, avant que cette lumière
Soit éteinte, ou cachée par les nuages.
Ah ! je comprends maintenant ! Ce n’est pas une étoile,
C’est un cœur, un cœur qui bat tendrement,
Qui m’attire et m’appelle
Comme l’étoile du soir captive le regard de l’enfant.

FURIA

Alors, brise ce cœur et fais cesser ses battements

CATILINA

Que veux-tu dire ?

FURIA

A ta ceinture est un poignard,
D’un seul coup tu éteindras l’étoile
Et ce cœur qui nous sépare sera brisé.

CATILINA

Il faudrait frapper… le poignard est cruel !…

(Avec un cri.)

Aurélia, Aurélia, où es-tu donc ?
Oh ! si tu étais là… Non, non, je ne veux pas te voir.
Et pourtant, en te voyant, il me semble que
J’aurais la paix, que je pourrais mettre ma tête
Sur ta poitrine et me repentir.

FURIA

Te repentir de quoi ?

CATILINA

De ce que j’ai fait :
D’avoir existé, d’avoir vécu.

FURIA

Trop tard, tu t’es trop avancé
Pour pouvoir maintenant reculer, essaie seulement, insensé !
Je m’en vais.
Repose donc ta tête sur sa poitrine
Et tu verras si ton âme lassée y trouvera le repos qu’elle cherche.

(D’un feu sauvage.)

Bientôt ils se dresseront, les milliers d’hommes que tu as tués,
Avec eux toutes les femmes que tu as séduites,
Et tous, tous te demanderont compte
De leur vie, de leur sang, et de leur honneur que tu as volé.
Terrifié, tu te cacheras dans la nuit,
Tu te sauveras de rivage en rivage,

Semblable à Actéon chassé par des chiens,
Et tu seras une ombre poursuivie par mille autres ombres.

CATILINA

Oui, je le vois, Furia, la paix me sera refusée ici,
Je suis désormais un exilé du monde où règne la Lumière.
Je te suivrai donc jusqu’au pays des ombres.
Le lien qui m’attache ici je vais le couper.

FURIA

Que fais-tu de ce poignard ?

CATILINA

Aurélia va mourir.

(Un éclair brille, le tonnerre gronde.)

FURIA

Les grandes puissances se réjouissent de ta désolation.
Vois, Catilina… Ta femme vient.

AURELIA, cherchant avec inquiétude Catilina dans la forêt.

Où le trouver ? où est-il ?
Il n’est pas parmi les morts…

(Elle l’aperçoit.)

Grand ciel ;

Mon bien-aimé Catilina !

(Elle s’approche très vite de lui.)

CATILINA, troublé.

Ne prononce plus ce nom.

AURELIA

Tu vis !

(Elle veut se jeter dans ses bras.)

CATILINA, la repoussant.

Va-t’en ! non, je ne vis point.

AURELIA

Ecoute-moi, mon bien-aimé.

CATILINA

Silence. Je ne veux plus rien entendre.
Je te hais. Je comprends ton honteux dessein,
Tu veux me forcer à supporter une horrible existence.
Ne me regarde pas ainsi, tes yeux me font mal,
Ils me traversent le cœur comme un poignard.
Ah ! le poignard, le poignard !
Meurs ! ferme les yeux.

(Il saisit son poignard et prend Aurélia par le bras.)
AURELIA

Dieux cléments, veillez sur nous.

CATILINA

Ferme les yeux, ferme les yeux, te dis-je.
Dans tes yeux il y a des rayons d’étoiles et un ciel matinal,
Je veux éteindre l’étoile du matin ;

(Le tonnerre gronde de nouveau.)

Épancher le sang de ton cœur ! Entends maintenant
Le suprême adieu du jour.

(Catilina, le poignard à la main, sort lentement de la tente, il lève le poignard sur Aurélia, celle ci se sauve dans la tente, il la poursuit.)

FURIA, en écoutant.

Elle joint les mains vers lui,
Elle l’implore, il n’écoute rien…
Il la poignarde… elle est tombée dans le sang.

CATILINA

Enfin me voici libre. Bientôt je vais disparaître ;
Déjà les brouillards de l’oubli tombent sur mon âme :
Je vois, je distingue vaguement,
Comme si j’étais sous l’eau.
Sais tu bien ce que je viens de tuer avec ce poignard ?

Non pas Aurélia seulement, mais tous les cœurs de la terre,
Tout ce qui vit, tout ce qui pousse et verdit.
J’ai tué toutes les étoiles, la lune et le soleil.
Vois-tu, le soleil ne se lèvera pas,
Il ne se lèvera plus jamais, le soleil est éteint,
Maintenant le monde entier
N’est plus qu’un immense et froid tombeau
Sous un ciel gris, un ciel de plomb,
Et c’est pour ce ciel que toi et moi,
Ombres inquiètes, nous vivrons,
Abandonnées jour et nuit
De la vie et de la mort.

FURIA

Nous voici au but, Catilina.

CATILINA

Non. — Avant d’atteindre le but
Délivre-moi de mon fardeau.
Ne vois-tu donc pas que je traîne avec moi
Le corps de Catilina ?
Frappe, achève-le.

(Il lui montre le poignard.)

Délivre-moi, Furia, prends ce poignard
Avec lequel j’ai éteint le rayon de l’étoile matinale,

Prends-le et enfonce-le à travers mon corps.
Délivré de ce cadavre, enfin je serais libre.

FURIA, en saisissant le poignard.

Ainsi soit fait, oh ! âme que j’aimai et détestai à la fois,
Je t’ai délivrée de ta mortelle enveloppe,
Viens avec moi chercher l’oubli.

(Elle le poignarde, il tombe au pied de l’arbre. Après une pause Catilina revient à lui, passe sa main sur son front et dit faiblement.)

CATILINA

Maintenant je comprends l’oracle énigmatique,
Je meurs de ma propre main,
Et aussi d’une main étrangère.
Némésis a accompli son œuvre.
Oh ! mort, cache-moi dans tes ténèbres !
Sombre Styx, que tes eaux débordent
Et me portent à ton autre bord,
Ne t’arrête pas, ô barque, mais vite
Va vers le royaume du silence,
Vers la demeure suprême des ombres.
Là-bas où la route se divise
Je me dirigerai sans plainte vers la gauche…

(Aurélia sort péniblement de la tente, elle est pâle, sa poitrine saigne.)
AURELIA

Non, par la droite, vers les Champs Elysées.

CATILINA, en tressaillant.

Comme cette vision lumineuse me remplit de terreur !
C’est elle-même !
Aurélia… Comment ! parle-moi, tu vis ?

AURELIA, à genoux, près de son mari.

Oui, je vis pour calmer tes douleurs,
Je vis pour appuyer ma poitrine contre la tienne,
Et pour mourir avec toi.

CATILINA

Tu vis !

AURELIA

Je m’évanouis un instant
Mais mon œil fatigué te suivait, j’ai tout entendu,
Mon amour d’épouse me donnait de nouvelles forces.
Ma poitrine appuyée sur la tienne, nous descendrons tous deux
Au tombeau.

CATILINA

Oh ! oui, je le veux
Mais inutile est ton espoir si doux,

Nous devons nous séparer.
La vengeance m’appelle
Tandis que toi, légère et libre, tu peux hâter tes pas
Vers la lumière et la paix.
Il faut que je passe le Léthé
Et que je descende dans la nuit noire.

(L’aube commence.)

AURELIA
Non, devant l’amour disparaît
La terreur et l’obscurité de la mort.
Vois-tu, les nuages orageux se dispersent
Et l’étoile matinale nous sourit encore.

(Les mains au ciel.)

Victorieuse est la lumière ! Vois-tu,
La grande et chaude journée arrive :
Suis-moi, Catilina, déjà la mort s’empare de moi.

(Elle tombe sur lui.)

CATILINA, la serre entre ses bras et dit avec la force qui lui reste.

Oh ! délicieux,
Pourtant maintenant je me souviens de mon rêve,
Ce rêve dans lequel la nuit fut chassée par le jour
Pendant que des voix d’enfants saluaient le jeune matin.

Mon regard s’obscurcit, mon bras devient faible
Mais dans mon âme règne la lumière.
Loin derrière moi m’apparaît mon existence passée,
Cette vie qui ne fut qu’un orage sous un ciel sombre,
Et ma mort au contraire est une aube couleur de rose.

(Il se penche sur sa femme.)

Tu as chasse la nuit de mon âme,
Dans mon cœur règne la paix.
Vois, je viens, je te suivrai jusqu’à la demeure
De la lumière et de la paix.

(Il arrache le poignard de sa blessure et dit d’une voix mourante.)

Les clémentes puissances du matin me regardent favorablement.
Ton amour a vaincu l’esprit des ténèbres.

(Pendant cette scène Furia s’est éloignée de plus en plus vers le fond où enfin elle disparait parmi les arbres.)
(La tête de Catilina tombe sur la poitrine d’Aurelia et tous les deux meurent.)





Rideau.