Aller au contenu

La Légende d’un peuple/Châteauguay

La bibliothèque libre.
La Légende d’un peupleLibrairie BeaucheminPoésies choisies, 1 (p. 235-239).
◄  Du Calvet

 
Vous fûtes glorieux, jours de dix-huit cent douze,
Quand nos pères, grands cœurs qui battaient sous la blouse,
Oubliant d’immortels affronts,
Sous les drapeaux anglais, en phalanges altières,
La carabine au poing se ruaient aux frontières
En chantant avec les clairons !

Gars à la joue imberbe, hommes aux mains robustes,
Toujours prêts à venger toutes les causes justes,
Comme à braver tous les pouvoirs !

Toujours prêts, ces vaillants, au premier cri d’alerte,
A répondre, arme au bras et la poitrine ouverte,
A l’appel de tous les devoirs !

Regardez-les passer, ces héros d’un autre âge,
Conscrits dont le sang froid, la gaîté, le courage
Font honte au soldat aguerri !
D’où viennent-ils ? Des champs ! Où vont-ils ? À la gloire !
Comment s’appellent-ils ? Ils s’appellent Victoire :
Demandez à Salaberry !

Les reconnais-tu, France ? Angleterre, salue !
Ce sont nos Voltigeurs ; leur bande résolue
N’attends ni grades ni faveurs ;
Ils vont mourir sans crainte ou vaincre sans jactance...
Ce sont toujours tes fils, souris d’orgueil, ô France !
Albion, compte tes sauveurs !

Le canon étranger mugissait à nos portes ;


D’un ennemi jaloux les nombreuses cohortes
Menaçaient nos murs délabrés.
En face du péril prêts à perdre la tête,
Nos conquérants d’hier, pâles dans la tempête,
Se regardaient tout effarés.

On voulait, il est vrai, se défendre quand même ;
Mais en voyant l’orage et le danger suprême
Naître et grandir de toute part,
On sentait que, devant la force numérique,
La puissante Angleterre allait, dans l’Amérique,
Voir crouler son dernier rempart.

Soudain un cri partit : ― Français, à la rescousse ! ―
Alors, n’écoutant plus que l’instinct qui les pousse
Vers les généreux compromis,
Nos jeunes gens, les fils des vaincus de naguère,
Accoururent joyeux, et partirent en guerre
Sous les vieux drapeaux ennemis !


― Mais ces drapeaux sont teints du pur sang de vos veines,
Leur disait-on ; tremper dans ces discordes vaines,
C’est pour jamais plier vos fronts ;
Cet ennemi qui vient va venger vos défaites...
Au recruteur anglais ces conscrits disaient : ― Faites !
Le devoir parle, nous irons !

Et puis, l’arme à l’épaule ! au vent les chansonnettes !...
Un jour, pour repousser sept mille baïonnettes,
On leur crie : ― Enfants, hauts les cœurs ! ―
Ils ne sont que trois cents, serrés comme des piques ;
Mais nos trois cents, à nous, mieux que tes Grecs épiques,
O Léonidas, sont vainqueurs !

Oui, France ! Ces trois cents soldats d’une semaine,
Le soleil, tout un jour de lutte surhumaine,
Les vit, de leur sang prodigué,
Sous le fer et le feu, riant des projectiles,
Un contre vingt, inscrire auprès des Thermopyles
Le nom rival de Châteauguay !


Victoire inespérée, elle fut décisive.
Quand on signa la paix, nous avions l’offensive :
Nous revîmes des jours plus beaux ;
Et nos héros, n’ayant plus de miracle à faire,
Après avoir fixé le sort d’un hémisphère,
Retournèrent à leurs sabots.

Maintenant, sur nos murs, quand un geste ironique
Nous montre, à nous Français, l’étendard britannique
Que le sang de Wolfe y scella,
Nous pouvons ― et cela suffit pour vous confondre ―
Indiquer cette date, ô railleurs ! et répondre :
― Sans nous il ne serait plus là !

Honneur à vous, conscrits, qui dans ce fier poème,
Voulûtes de nouveau, sous la bannière même
De nos orgueilleux conquérants,
Rajeunir sur nos bords la légende de gloire
Qui dit que, lorsque Dieu frappe fort dans l’histoire,
C’est toujours par la main des Francs !