Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 11

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Chapitre 10 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 12


CHAPITRE XI


Versets. 1-5.


Bède : L’Evangéliste venait de dire que le Seigneur était allé au delà du Jourdain, et que c’est alors que Lazare tomba malade : « Or, il y avait un homme malade, nommé Lazare, de Béthanie. » De là vient que dans quelques exemplaires la conjonction copulative se trouve placée en tête de ce récit, de manière à le rattacher à ce qui précède.


Le mot Lazare signifie qui a été secouru ; car de tous les morts que Jésus a ressuscites, Lazare est celui qui a reçu le secours le plus signale, puisque non-seulement Il était mort, mais dans le tombeau depuis quatre jours, lorsqu’il fut ressuscité. — S. AUG. (Traité 49, sur S. Jean.) La résurrection de Lazare est un des plus éclatants miracles qu’ait opéré Noire-Seigneur. Mais si nous considérons l’auteur de ce miracle, notre joie doit être plus grande que notre étonnement. Celui qui a ressuscité un homme, est celui-là même qui a créé l’homme ; car, créer l’homme est un acte, de puissance plus grande que de le ressusciter. Or, Lazare était malade à Béthanie, bourg où demeuraient Marthe et Marie, sa sœur, selon la remarque de l’Evangéliste. Ce bourg était proche de Jérusalem. — ALCUIN. Et, comme il y avait plusieurs hommes du nom de Marie, pour nous faire éviter toute erreur, l’Evangéliste caractérise celle, dont il s’agit par une action très connue : « Marie était celle qui oignit de parfum le. Seigneur, » etc.


S. Chrysostome : (hom. 62 sur S. Jean.) Ce qu’il faut savoir tout d’abord, c’est, que ce ne fut pas cette femme de mauvaise vie dont il est parlé dans saint Luc. La sœur de Lazare était une femme vertueuse et empressée à recevoir le Sauveur. — S. AUG. (de l’accord des Evang., 2, 79.) Ou bien encore, en s’exprimant de la sorte, saint Jean rend témoignage au récit de saint Luc, qui raconte, que ce fait se passa dans la maison d’un pharisien appelé Simon. Marie avait donc déjà répandu des parfums sur la tête de Jésus ; elle renouvela cette action à Béthanie, comme le racontent les trois autres évangélistes, à l’exclusion de saint Luc, qui n’en parle point, parce que ce fait était étranger à son récit.

S. AUG. (Serm. 52, sur les par. du Seig.) Lazare était donc atteint d’une langueur mortelle, et le feu dévorant de la fièvre consumait de jour en jour le corps de cet infortuné. Ses deux sœurs lui prodiguaient leurs soins, et, pleines de compassion pour leur jeune frère souffrant, elles restaient constamment près de son lit. Aussi les voyons-nous agir aussitôt dans son intérêt, « Ses sœurs donc envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, voilà que celui que vous aimez est malade. » — S. AUG. (Traité 49.) Elles ne lui disent pas : Venez, et guérissez-le ; elles n’osent lui dire : Commandez là où vous êtes, et la guérison aura lieu ici ; elles se contentent de lui dire : « Voilà que celui que vous aimez est malade, » c’est-à-dire, il suffit que vous en soyez averti, car vous n’abandonnez jamais celui que vous aimez.


S. Chrysostome : (hom. 62.) Elles veulent, par ce message, réveiller la compassion pour son ami dans le cœur de Jésus ; car elles agissaient encore avec lui comme avec un homme. Elles ne vinrent point trouver le Sauveur comme le Centurion et l’officier du roi ; mais elles envoient vers lui, parce que la grande intimité qu’elles avaient avec Jésus-Christ leur inspirait une vive confiance dans sa bonté, et que d’ailleurs leur tristesse les retenait chez elles. — THEOPHYL. Ajoutons qu’il ne convient pas à des femmes de sortir trop facilement de leur maison. Mais quelle foi et quelle, confiance dans cette courte prière : « Voilà que celui que vous aimez est malade ! » Elles reconnaissent dans le Seigneur une si grande puissance, qu’il leur paraît surprenant que la maladie ait pu atteindre un homme qui lui était si cher. « Ce qu’entendant Jésus, il leur dit : Cette maladie n’est pas pour la mort. » — S. AUG. (Traité 49.) La mort elle-même de Lazare n’était pas pour la mort, mais plutôt pour donner lieu à un grand miracle qui fit croire les hommes en Jésus-Christ et leur fit éviter la véritable mort. C’est pour cela qu’il ajoute : « Mais elle est pour la gloire de Dieu. » C’est ainsi qu’il prouve indirectement qu’il est Dieu, contre les hérétiques, qui prétendent que le Fils de Dieu n’est pas Dieu. Nôtre-Seigneur explique, du reste, ces paroles : « Elle est pour la gloire de Dieu, » en ajoutant : « Afin que le Fils de Dieu en soit glorifié, » c’est-à-dire par cette infirmité. — S. Chrysostome : (hom. 62.) La particule ut, afin, n’exprime pas ici la cause, mais ce qui arriva en effet, c’est-à-dire que l’infirmité eut une autre cause, et que Jésus la fit servir à la gloire de Dieu.


« Or, Jésus aimait Marthe, Marie, sa sœur, et Lazare. » — S. AUG. Lazare était malade, ses sœurs dans la tristesse, et tous étaient aimés de Jésus. Ils étaient donc pleins d’espérance, parce qu’ils étaient aimés de celui qui est le consolateur des affligés et le salut des infirmes.— S. Chrysostome : (hom. 62.) L’Evangéliste veut encore nous apprendre, par cette réflexion, à ne point nous attrister lorsque nous voyons des hommes de bien, des amis de Dieu éprouvés par la maladie et la souffrance.


Versets. 6-10.


ALCUIN. — Nôtre-Seigneur ayant appris la maladie de Lazare, diffère de le guérir et attend quatre jours entiers, afin d’avoir l’occasion d’opérer un plus grand miracle en le ressuscitant. « Ayant donc appris qu’il était malade, il demeura encore deux jours au lieu où il était. » — S. Chrysostome : Il attend que Lazare ait rendu le dernier soupir, qu’il soit enseveli, qu’il exhale déjà une odeur infecte, afin que personne ne puisse dire : Il n’était pas encore mort lorsqu’il a paru le ressusciter ; ce n’était qu’une léthargie, et non une mort véritable.


« Après cela, il dit à ses disciples : Retournons en Judée. » — S. AUG. (Traité 49.) Dans la Judée, où il avait failli être lapidé, et d’où il était parti comme un homme qui veut se dérober an danger ; mais en revenant, il semble oublier sa faiblesse, pour ne faire paraître que sa puissance. — S. Chrysostome : (hom. 62.) Nulle part ailleurs on ne le voit prévenir ses disciples du lieu où il doit aller ; il le fait ici, parce qu’ils redoutaient grandement ce voyage, et qu’il veut leur épargner un trop vif sentiment de terreur ! « Ses disciples lui dirent : Maître, tout à l’heure les Juifs voulaient vous lapider, et vous retournez là ? » Ils craignaient tout à la fois pour lui et pour eux, car ils n’étaient pas encore affermis dans la foi.


S. AUG. Les hommes voulurent donc donner un conseil à Dieu, les disciples à leur Maître ; aussi les en reprend-il immédiatement : « N’y a-t-il pas douze heures au jour ? » C’est pour signifier qu’il est lui-même le jour, qu’il a choisi douze disciples. En parlant ainsi, il avait en vue, non point Judas, mais son successeur ; car, après la chute de Judas, Matthias lui succéda, et la perfection du nombre douze demeura dans son intégrité. Les heures sont éclairées par la lumière du jour, et c’est par la prédication des heures que le monde est amené à croire à celui qui est le jour. Suivez-moi donc, si vous ne voulez pas vous heurter, car : « Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne se heurte point, » etc. — S. Chrysostome : (hom. 62.) C’est-à-dire, celui qui a la conscience pure de tout crime, n’aura rien à craindre d’aucune embûche ; mais celui qui fait le mal, en souffrira la peine. Ne craignons donc point, car nous n’avons rien fait qui mérite la mort. Ou bien encore, celui que marche à la lumière extérieure de ce monde, est en pleine sécurité ; à plus forte raison celui qui marche avec moi, à la condition qu’il ne s’écartera jamais de moi.


THEOPHYL. Il en est qui par le jour entendent le temps qui a précédé sa passion, et par la nuit, sa passion elle-même : Il leur dit donc : « Pendant qu’il est jour, » c’est-à-dire avant que le temps de ma passion soit proche, vous n’avez rien à craindre, les Juifs ne vous persécuteront point. Mais lorsque la nuit sera venue, c’est-à-dire ma passion, alors vous serez comme plongés dans une nuit de tribulations.


Versets. 11-16.


S. Chrysostome : (hom. 62 sur S. Jean.) A ce premier encouragement donné aux Apôtres, le Sauveur eu ajoute un second, en leur apprenant que ce n’est pas à Jérusalem, mais à Béthanie, qu’ils doivent se rendre : « Il leur parla ainsi, et ensuite il leur dit : Notre ami Lazare dort, mais je vais le tirer de son sommeil, » c’est-à-dire je ne retourne pas en Judée pour avoir de nouvelles discussions avec les Juifs, j’y vais pour réveiller notre ami. Il dit : « Notre ami, » pour leur faire comprendre la nécessité de son voyage. — S. AUG. Rien de plus exact que cette expression : « Lazare dort. » Aux yeux des hommes qui ne pouvaient pas le ressusciter Lazare était mort, mais pour le Seigneur il n’était qu’un homme endormi, car il pouvait plus facilement faire sortir un mort du tombeau, que vous ne pouvez réveiller un homme endormi. Il dit donc de Lazare qu’il dort, au point de vue de sa puissance, c’est dans ce sens que l’Apôtre lui-même a dit : « Nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment. (1 Th 4, 12.) Il appelle la mort des chrétiens un sommeil, parce qu’il annonçait leur résurrection. Mais de même qu’il y a une différence entre ceux que nous voyons tous les jours dormir et s’éveiller, et que les mêmes images ne se présentent pas à eux dans le sommeil, les uns ont des songes agréables, les autres en ont d’affreux ; ainsi chacun s’endort du sommeil de la mort, et se réveille avec une cause de jugement qui lui est propre.


S. Chrysostome : (hom. 62.) Ses disciples voulurent de nouveau s’opposer à son retour dans la Judée : « Ses disciples lui dirent : S’il dort, il guérira, » car le sommeil est pour les malades un signe de guérison. Ils semblent donc lui dire : S’il dort, il est inutile que vous alliez le réveiller de son sommeil. — S. AUG. (Traité 49.) La réponse des disciples est conforme au sens qu’ils ont donné aux paroles du Sauveur : « Jésus, dit l’Evangéliste, voulait parler de la mort de Lazare, mais ils pensaient qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil. » — S. Chrysostome : (hom. 62.) Mais, dira-t-on, comment les disciples ne comprirent-ils pas que Lazare était mort, lorsque Jésus leur dit : « Je vais le réveiller de son sommeil ? » N’était-il pas ridicule de faire un voyage de plusieurs stades pour le réveiller simplement de son sommeil ? Nous répondrons que les disciples virent dans cette manière de parler un langage figuré qui était très-ordinaire au Sauveur. — S. AUG. Il ne tarde pas du reste à expliquer ce qu’il y avait d’obscur dans cette expression : « Alors Jésus leur dit clairement : Lazare est mort. » — S. Chrysostome : (hom. 62.) Il n’ajoute pas ici : Je vais le ressusciter, car il ne voulait point proclamer par ses paroles ce que ses œuvres devaient suffisamment établir ; et il nous apprend ainsi tout à la fois à fuir la vaine gloire, et à ne pas nous contenter de faire de simples promesses.


« Et je me réjouis à cause de vous, de ce que je n’étais pas là. » — S. AUG. (Traité 49.) On lui avait annoncé la maladie et non la mort de Lazare ; mais que pouvait ignorer celui qui l’avait créé, et entre les mains duquel son âme était retournée au sortir de son corps ? « Il leur dit donc : Je me réjouis à cause de vous de ce que je n’étais pas là, afin que vous croyiez. » Ce devait être déjà pour eux un premier sentiment d’étonnement d’entendre le Seigneur leur annoncer une chose qu’il n’avait ni vue, ni entendue, la mort de Lazare. Nous devons ici nous rappeler que la foi des Apôtres eux-mêmes s’appuyait encore sur les miracles, non pour commencer d’être, mais pour se développer. Ces paroles : « Afin que vous croyiez, » signifient donc : Afin que votre foi devienne plus ferme et plus robuste.


THEOPHYL. Voici une autre explication : « Je me réjouis à cause de vous, » car mon absence, lors de la mort de Lazare, doit être pour vous un nouveau motif de foi. En effet, si j’eusse été présent, je l’aurais guéri de sa maladie, ce qui n’eût donné qu’une faible idée de ma puissance. Mais comme sa mort est arrivée en mon absence, votre foi en moi n’en deviendra que plus forte, lorsque vous verrez que je puis ressusciter un mort qui tombe déjà en pourriture.


S. Chrysostome : (hom. 62.) Tous les disciples avaient une grande crainte des Juifs, mais par-dessus tout Thomas : « Sur quoi Thomas, qui est appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons et mourons avec lui. » Il était le plus faible de tous et celui qui avait le moins de foi, mais il devint par la suite le plus fort et le plus indomptable, parcourant seul le monde entier, et se trouvant tous les jours au milieu de peuples qui voulaient le mettre à mort. — Bède : On peut encore dire que les disciples, instruits par les paroles qui précèdent, n’osèrent plus contredire leur divin Maître ; mais Thomas entre tous exhorte les autres disciples à suivre leur Maître et à mourir avec lui. Il donne en cela une grande preuve de courage ; car il parle ainsi comme un homme qui était disposé à faire ce qu’il conseille aux autres, et qui, comme plus tard Pierre, oubliait sa propre fragilité.


Versets. 17-27.

ALCUIN. Le dessein de Nôtre-Seigneur en retardant son départ, était de laisser passer quatre jours et de rendre plus glorieuse la résurrection de Lazare : « Jésus vint donc et il le trouva mis dans le sépulcre depuis quatre jours. » — S. Chrysostome : (hom. 62.) Le Sauveur était encore resté deux jours dans le même endroit, et l’envoyé était arrivé deux jours auparavant, le jour même de la mort de Lazare, c’est donc le quatrième jour que Nôtre-Seigneur vint à Béthanie.


S. AUG. On peut expliquer ces quatre jours de plusieurs manières différentes, car une même chose peut avoir diverses significations. Le péché que l’homme reçoit avec la transmission de la vie est un premier jour de mort ; la transgression de la loi naturelle est un second jour de mort ; le troisième c’est le mépris de la loi écrite, que Dieu a donnée par Moïse, et la violation de la loi de l’Evangile est le quatrième jour de mort. Or, le Seigneur ne dédaigne pas de venir pour ressusciter de semblables morts. — ALCUIN. Ou bien encore, le premier péché qui a existé, c’est l’enflure du cœur ; le second, le consentement ; le troisième, l’acte ; le quatrième, l’habitude.


« Or, Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ, » c’est-à-dire à deux mille. L’Evangéliste fait cette remarque pour montrer qu’il était très-naturel qu’un grand nombre de Juifs fussent venus de Jérusalem : « Beaucoup de Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de leur frère ; » Mais comment les Juifs purent-ils venir consoler les amies de Jésus, après avoir décidé que celui qui le reconnaîtrait pour le Christ, serait chassé de la synagogue ? Ils vinrent les consoler ou à cause des convenances dues au malheur, ou par égard pour la condition élevée des deux sœurs de Lazare. Ou bien encore, ceux qui vinrent n’étaient pas de ceux qui s’étaient déclarés contre Jésus ; car un grand nombre d’entre eux croyaient en lui. Or, l’Evangéliste fait mention de cette circonstance, comme preuve que Lazare était véritablement mort.


Bède : Nôtre-Seigneur n’était pas encore entré dans le bourg de Béthanie, et c’est au dehors du bourg que Marthe vient au-devant de lui : « Marthe ayant donc appris que Jésus venait, alla au-devant de lui. » — S. Chrysostome : Elle n’a point pris sa sœur avec elle pour aller au-devant de Jésus-Christ, elle veut lui parler en particulier, l’informer de ce qui est arrivé, et ce n’est qu’après que Jésus lui a donné bon espoir qu’elle retourne appeler Marie. — THEOPHYL. Elle ne fait pas connaître d’abord son dessein à sa sœur, parce qu’elle veut le laisser ignorer à ceux qui étaient présents. Si, en effet, Marie eut appris que Jésus approchait, elle eût été à sa rencontre, et les Juifs qui étaient Tenus l’auraient accompagnés. Or, Marthe ne voulait pas leur faire connaître l’arrivée de Jésus.


« Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — S. Chrysostome : (hom. 62.) Elle croyait en Jésus-Christ, mais sa foi n’était pas encore ce qu’elle devait être ; elle ne savait pas encore qu’il était Dieu, voilà pourquoi elle lui disait : « Si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. » — THEOPHYL. Elle paraît douter que Jésus tout absent qu’il était, eût pu, s’il l’eût voulu empêcher son frère de mourir. — S. Chrysostome : Elle ne savait pas encore non plus que Jésus agirait ici en vertu de sa propre puissance, comme nous le voyons dans ce qu’elle dit au Sauveur : « Cependant, maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le donnera, » elle regarde ici Jésus comme un homme vertueux et aimé de Dieu. — S. AUG. (Traité 49.) Elle ne lui dit pas : Je vous prie de ressusciter mon frère ; car comment pouvait-elle savoir qu’il serait utile à son frère de ressusciter ? Elle se contente de dire au Sauveur : « Je sais que vous pouvez le faire, si vous le voulez, mais ce n’est pas à moi, c’est à vous seul qu’il appartient de juger, s’il est utile de le faire. » — S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur lui enseigne alors la vérité qu’elle ne savait point : « Jésus lui répondit : Votre frère ressuscitera. » Il ne lui dit pas : Je demanderai à Dieu qu’il ressuscite. Il ne dit pas non plus : Je n’ai pas besoin de secours, je fais tout de moi-même, ce qui eût paru surprenant à cette femme ; il prend un moyeu terme et lui dit : « Votre frère ressuscitera. » — S. AUG. Il y avait cependant quelque ambiguïté dans cette expression : « Il ressuscitera, » puisque Jésus ne disait pas : Il va ressusciter actuellement. Aussi Marthe lui dit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour, » je suis certaine de cette résurrection, mais je ne le suis pas de celle qui aurait lieu immédiatement.


S. Chrysostome : (hom. 62.) Marthe avait souvent entendu Jésus-Christ parler de la résurrection ; il lui fait donc connaître ici clairement sa puissance : « Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie. » Il loi prouve ainsi qu’il n’a point besoin d’un secours étranger, car si ce secours lui était nécessaire, comment serait-il la résurrection ? S’il est loi-même la vie, il n’est limité par aucun espace, il existe partout, et partent aussi il peut faire sentir sa vertu bienfaisante. — ALCUIN. Je sois la résurrection, par la même raison que je suis la vie, et celui qui un jour doit ressusciter votre frère avec tous les autres hommes, peut aussi bien le ressusciter dès aujourd’hui. — S. Chrysostome : Marthe lui a dit : « Tout ce que vous demanderez, Dieu vous le donnera ; » et Jésus lui répond : « Celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra, » il lui apprend ainsi qu’il est le dispensateur de tous les biens, et que c’est à lui qu’il faut les demander, et il élève en même temps son intelligence à de plus hautes pensées, car il ne se proposait pas seulement de ressusciter Lazare, mais de rendre tous ceux qui étaient présents témoins de sa résurrection. — S. AUG. Voici donc l’explication des paroles du Sauveur : « Celui qui croit en moi, fût-il mort (dans son corps), vivra (dans son âme), jusqu’au jour où son corps ressuscitera pour ne plus mourir, car la vie de l’âme c’est la foi. » Il ajoute : « Et quiconque vit (de la vie du corps) et croit en moi (quand bien même il viendrait à perdre pour un temps cette vie du corps), il ne mourra point pour toujours. — ALCUIN. A cause de la vie de l’esprit et de l’immortalité de la résurrection. Le Seigneur, pour qui rien n’est caché, savait que Marthe croyait ces vérités, mais il voulait qu’elle fit extérieurement la profession de foi qui sauve. Il lui demande donc : « Croyez-vous cela ? » Elle lui répondit : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde. » — S. Chrysostome : (hom. 62.) Marthe ne me parait pas avoir compris entièrement ce que Jésus lui avait dit ; elle comprit qu’il s’agissait d’un grand mystère, mais elle ne savait encore ce que c’était ; aussi ne ré-pond-elle pas directement à la question que lui fait le Sauveur. — S. AUG. Ou bien encore : en croyant que vous êtes le Fils de Dieu, je crois que vous êtes la vie, car celui qui croit en vous, vivra alors même qui perdra la vie du corps.


Versets. 28-32.


S. Chrysostome : (hom. 63.) Les paroles de Jésus-Christ eurent la puissance de mettre fin à la douleur de Marthe, car la pieuse affection qu’elle avait pour le divin Maître ne lui permettait pas de se livrer à l’affliction que lui causait la mort de son frère : « Lorsqu’elle eut parlé ainsi, elle s’en alla et appela à voix basse Marie, sa sœur. » — S. AUG. (Traité 49.) L’Evangéliste dit qu’elle l’appela en silence, c’est-à-dire, à voix basse, car comment dire qu’elle a fait tout en silence, puisqu’elle lui dit : « Le Maître est là, il vous appelle ? » — S. Chrysostome : (hom. 63.) Elle appelle sa sœur en secret, car si les Juifs eussent appris l’arrivée de Jésus, ils se seraient retirés et n’eussent pas été témoins du miracle.

S. AUG. Il est à remarquer que l’Evangéliste ne dit ni le lieu, ni le moment où le Seigneur appela Marie, ni de quelle manière ; pour abréger son récit, il ne nous fait connaître cette circonstance que par les paroles de Marthe. — THEOPHYL. Peut-être aussi Marthe regarda-t-elle la présence seule de Jésus-Christ comme un appel, et semble-t-elle dire à sa sœur : Vous seriez inexcusable si, le Seigneur étant là, vous n’alliez pas à sa rencontre.


S. Chrysostome : (hom. 63.) Un cercle d’amis entouraient Marie, plongée dans la douleur et dans les larmes. Cependant elle n’attend pas que le Maître vienne la trouver, elle n’est retenue ni par les bienséances de sa condition, ni par son profond chagrin, elle se lève aussitôt pour aller à sa rencontre : « Ce que celle-ci ayant entendu, elle se leva aussitôt et vint à lui. » — S. AUG. Nous voyons par-là que Marthe n’eût pas eu besoin de prévenir sa sœur, si Marie eût connu l’arrivée de Jésus.


« Car Jésus n’était pas encore entré dans le bourg. » — S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur approchait lentement, il ne voulait point paraître se jeter au-devant du miracle, mais il attendait qu’on vînt l’en prier, c’est ce que l’Evangéliste semble vouloir indiquer en termes couverts, lorsqu’il dit que Marie se leva aussitôt, ou bien il veut nous apprendre qu’elle vint à sa rencontre pour prévenir son arrivée. Or elle vint, non pas seule, mais accompagnée de tous les Juifs qui étaient avec elle : « Cependant les Juifs, qui étaient dans la maison avec Marie, et la consolaient, la suivirent, » etc. — S. AUG. L’Evangéliste a pris soin de mentionner cette circonstance, pour nous apprendre la raison pour laquelle il y avait tant de monde, lorsque Lazare fut ressuscité ; c’était pour qu’un plus grand nombre fussent témoins d’un aussi grand miracle que la résurrection d’un mort de quatre jours.


« Lorsque Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant, elle se jeta à ses pieds. » — S. Chrysostome : (hom. 63.) Marie était plus ardente que sa sœur, elle n’est arrêtée ni par la multitude, ni par les préjugés que les Juifs avaient contre Jésus-Christ, ni par la présence de plusieurs de ses ennemis personnels, la vue du Sauveur lui fait mépriser toutes les considérations humaines, et elle n’est préoccupée que d’une seule pensée, l’honneur de sou divin Maître. — THEOPHYL. Cependant elle ne parait pas avoir de lui une idée encore assez relevée, en lui disant : « Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne fût pas mort. » — ALCUIN. Tant que vous êtes demeuré avec nous, aucune maladie, aucune infirmité n’ont osé apparaître chez celles qui avaient pour hôte et pour habitant la vie elle-même. — S. AUG. (serm. 52 sur les paroles du Seigneur.) Quel pacte déloyal ! Lazare, votre ami, meurt pendant que vous êtes encore sur cette terre, et si vous laissez mourir votre ami de la sorte, à quoi doit s’attendre votre ennemi ? C’est peu que les cieux ne vous obéissent point, voici que les enfers vous ont enlevé celui que vous aimez. — Bède : Marie parle moins à Jésus que n’avait fait sa sœur, car par un effet ordinaire de la douleur et des larmes, elle ne put épancher les sentiments dont son cœur était plein.


Versets. 33-40.


S. chris, (hom. 63 sur S. Jean.) Jésus ne répond rien à Marie, il ne lui tient pas le même langage qu’à sa sœur, il était environné d’une grande multitude, et ce n’était pas le moment de faire de longs discours, mais il s’abaisse, il s’humilie, et dévoile en lui les sentiments de la nature humaine. Comme il allait opérer un grand miracle qui devait lui gagner beaucoup de disciples, il s’entoure d’un grand nombre de témoins, et montre qu’il a véritablement pris notre nature : « Jésus la voyant pleurer, et les Juifs, qui étaient venus avec elle pleurer aussi, fut ému en lui-même et se troubla. » — S. AUG. ( Traité 49 sur S. Jean.) Qui pourrait le troubler, si ce n’est lui-même ? Jésus-Christ a été troublé parce qu’il l’a voulu, il a eu faim parce qu’il l’a voulu, il était en son pouvoir de se prêter ou de se soustraire à ces impressions, car le Verbe a pris une âme et un corps, et s’est uni la nature humaine tout entière en unité de personne ; or, là où se trouve une puissance souveraine, la faiblesse humaine ne peut être troublée qu’autant que cette puissance souveraine y consent. — THEOPHYL. C’est afin de prouver la vérité de sa nature humaine, qu’il lui commande de manifester les sentiments qui lui sont propres, et c’est par la vertu de l’Esprit saint qu’il lui donne cet ordre, et qu’il réprime ses trop vives émotions. Le Seigneur vent que la nature humaine subisse ces épreuves, pour nous prouver qu’il était homme en réalité et nonseulement en apparence, et aussi pour nous enseigner à mettre des bornes à la tristesse comme à la joie, car n’être accessible à aucun sentiment de compassion ou de tristesse, c’est l’insensibilité de la brute, comme aussi il n’appartient qu’aux caractères efféminés de se livrer sans mesure à ces affections.


« Et il dit : Où l’avez-vous mis ? » — S. AUG. (serm. sur les par. du Seig.) Ce n’est pas qu’il ignorât le lieu où Lazare était enseveli, mais il voulait éprouver la foi de ce peuple. — S. Chrysostome : (hom. 63.) Il ne veut pas se mettre en avant, et il veut être instruit par les autres et ne rien faire que sur leur prière, pour ne laisser aucune place au soupçon. — S. AUG. (Liv. des 83 quest., quest. 65.) Cette question du Sauveur est comme le symbole de notre vocation qui se passe dans le secret, car la prédestination de notre vocation est une chose cachée, et la marque qu’elle est secrète, c’est la question que fait le Seigneur sur ce sujet comme s’il l’ignorait, alors que c’est nous-mêmes qui l’ignorons. Ou bien peut-être est-ce parce que le Seigneur déclare dans un autre endroit qu’il ne connaît pas les pécheurs auxquels il dit : « Je ne vous connais pas, » (Mt 7, 25) parce que les péchés se commettent en dehors de la loi et de ses préceptes : « Ils lui répondirent : Seigneur, venez et voyez. » — S. Chrysostome : (hom. 63.) Il n’avait encore fait aucun miracle de résurrection, il leur paraissait donc ne se diriger vers le tombeau que pour pleurer sur Lazare, et non pour le ressusciter, c’est pour cela qu’ils lui disent : « Venez et voyez. » — S. AUG. Le Seigneur voit lorsqu’il a compassion, c’est pour cela que le Psalmiste lui dit : « Voyez mon humiliation et ma douleur, et pardonnez-moi tous mes crimes. » (Ps 24)


« Et Jésus pleura. » — ALCUIN. Il était la source inépuisable de la bonté, et il pleurait comme homme celui qu’il pouvait ressusciter par un acte de sa puissance divine. — S. AUG. Or, pourquoi Jésus a-t-il pleuré ? pour enseigner aux hommes à verser eux-mêmes des larmes. — Bède : Les hommes ont coutume de pleurer les personnes chères que la mort leur a enlevées. Les Juifs crurent que Jésus pleurait sons l’impression de ce sentiment, et c’est ce qui leur fait dire : « Voyez comme il l’aimait ! » — S. AUG. Que signifient ces paroles : Il l’aimait ? » « Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs à la pénitence. » « Mais quelques-uns d’entre eux dirent : Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d’un aveugle-né, faire que cet homme ne mourût point ? » Il fera bien plus, puisqu’il va le ressusciter après sa mort. — S. Chrysostome : Ceux qui parlèrent ainsi étaient de ses ennemis, ils se servent pour le calomnier d’un fait qui aurait dû leur faire admirer sa puissance, c’est-à-dire, la guérison de l’aveugle-né, et ils se plaignent que Jésus n’ait pas empêché par un miracle Lazare de mourir. Une nouvelle preuve de leur perversité, c’est qu’ils prennent le rôle d’accusateurs avant même que Jésus soit arrivé au tombeau, et sans attendre l’issue de l’événement : « Jésus donc, frémissant de nouveau en lui-même, vint au tombeau. » L’Evangéliste prend soin de répéter que Jésus pleura, et frémit en lui-même pour vous convaincre qu’il a pris véritablement notre nature. L’Evangéliste saint Jean nous a décrit les grandeurs du Verbe incarné, bien plus magnifiquement que ne l’ont fait les autres évangélistes, et par une même raison, il s’appesantit davantage sur ses humiliations. — S. AUG. Frémissez aussi en vous-même si vous voulez reprendre une nouvelle vie, c’est, ce qu’on peut dire à tout homme qui est accablé sous le poids d’une habitude criminelle : « C’était une grotte et une pierre était posée dessus. » Ce mort étendu sous la pierre, c’est l’homme coupable sous la loi, car la loi qui fut donnée aux Juifs, était écrite sur la pierre. Tous les coupables sont sous la loi, mais la loi n’a pas été établie pour le juste. (1 Tm 1) — Bède : Une grotte est une excavation pratiquée dans un rocher. On appelle monuments ces grottes qui servent de tombeau, parce qu’ils avertissent notre âme (mentem monet), et leur rappellent le souvenir des morts.


« Jésus leur dit : Otez la pierre. » — S. Chrysostome : Pourquoi le Sauveur n’a-t-il pas ressuscité Lazare sans que la pierre fût ôtée ? Celui qui, d’une seule parole, rendit la vie et le mouvement à ce cadavre, ne pouvait-il pas, à plus forte raison, ôter la pierre qui fermait le tombeau ? Oui, sans doute, mais il ne l’a pas fait, parce qu’il voulait rendre les Juifs témoins de ce miracle, et les empêcher de dire ce qu’ils avaient dit de l’aveugle-né : « Ce n’est pas lui, » car leurs mains qui roulaient cette pierre et leur présence au tombeau attestaient d’une manière infaillible que c’était bien Lazare. — S. AUG. Dans le sens allégorique, ces paroles : « Otez la pierre, » signifient : Enlevez le poids de la loi, et annoncez la grâce de la loi nouvelle. — S. AUG. (Lim. des 83 quest., quest. 65.) Ceux à qui le Sauveur donne cet ordre, me paraissent figurer les Juifs qui voulaient imposer le fardeau de la circoncision aux Gentils, qui entraient dans l’Église ; ou bien, les chrétiens qui, au sein de l’Église même, mènent une vie corrompue et sont un scandale pour ceux qui veulent embrasser la foi.


S. AUG. (serm. 82 sur les par. Du Seign.) Cependant Marie et Marthe, sœurs de Lazare, qui avaient va souvent Jésus ressusciter des morts ne croient pas entièrement qu’il puisse ressusciter leur frère : « Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà mauvais, » etc. — THEOPHYL. Marthe parle de la sorte sous l’impression d’un sentiment de défiance qui lui fait regarder comme impossible la résurrection de son frère après quatre jours qu’il était dans le tombeau. — Bède : On peut dire encore que ces paroles sont l’expression de J’étonnement et de l’admiration plutôt que de la défiance. — S. Chrysostome : Elles peuvent servir aussi à fermer la bouche aux incrédules, et nous voyons ainsi concourir à la démonstration de ce miracle les mains qui ont ôté la pierre, les oreilles qui ont entendu la voix de Jésus-Christ, les yeux qui ont vu Lazare sortir du tombeau, et l’odorat qui sentait l’odeur que son cadavre exhalait.


THEOPHYL. Nôtre-Seigneur rappelle à la sœur de Lazare ce qu’il lui avait déjà dit, et qu’elle paraissait avoir presque oublié : « Jésus lui répondit : Ne vous ai-je pas dit que si vous croyiez, vous verriez la gloire de Dieu ? » — S. Chrysostome : (hom. 63.) Marthe ne se souvenait plus en effet de ce que Jésus-Christ lui avait dit : « Celui qui croit en moi fût-il mort, vivra. » En parlant à ses disciples, il leur avait dit : « Afin que le Fils de Dieu soit glorifié par cette maladie. » Ici il ne parle que de Dieu le Père, les dispositions imparfaites de ceux qui l’écoutaient le forçaient ainsi de modifier son langage. Il ne voulait point jeter le trouble dans l’âme de ceux qui étaient présents, et c’est pour cela qu’il dit à Marthe : « Vous verrez la gloire de Dieu. » — S. AUG. (Traité 49.) La gloire de Dieu parut en effet dans la résurrection d’un mort de quatre jours exhalant déjà l’odeur infecte du tombeau.

« Ils ôtèrent donc la pierre. » — ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le retard que l’on mit à enlever cette pierre, vint de la sœur de Lazare ; si elle n’avait pas dit : « Il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu’il est là, » Jésus n’eût pas été obligé de donner l’ordre d’ôter la pierre. Ils enlevèrent donc cette pierre, mais plus tard qu’elle n’aurait du l’être. Il est souverainement utile de ne mettre aucun intervalle entre les ordres de Jésus et leur exécution.


Versets. 41-46.


ALCUIN. En tant qu’homme, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ était inférieur à son Père, et c’est sous ce rapport qu’il lui demande la résurrection de Lazare, et qu’il dit eu avoir été exaucé : « Jésus, levant les yeux en haut, dit : Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé. » — ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Il élève les yeux en haut, c’est-à-dire qu’il élève son âme humaine, et qu’il la conduit par la prière jusqu’au Très-Haut. Celui donc qui veut imiter la prière de Jésus-Christ doit aussi élever jusqu’au ciel les yeux de son cœur, et les détacher de toutes les choses présentes, de tout ce qui remplit mémoire, ses pensées, ses intentions. Mais si Dieu promet d’exaucer la prière de ceux qui remplissent ces conditions, comme il le déclare par la bouche d’Isaïe : « Pendant que vous parlerez encore, je dirai : Me voici, » (Is 58, 9) que devons-nous penser de Notre-Seigneur Jésus-Christ notre Sauveur ? Il allait prier Dieu pour obtenir la résurrection de Lazare, mais celui qui seul est un Père plein de bonté exauce sa prière avant même qu’il l’ait faite. Et c’est pour remercier son Père qu’il lui rend grâces en ces termes : « Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé…, afin qu’ils croient que vous m’avez envoyé. » — S. Chrysostome : (hom. 64.) C’est-à-dire qu’il n’y a aucune contradiction entre vous et moi. Ce langage du Sauveur n’est point une preuve de son impuissance, ou de son infériorité vis-à-vis de son Père, car on peut ainsi parler à ses amis et à ses égaux. Pour montrer du reste qu’il n’avait pas besoin de recourir à la prière, il ajoute : « Pour moi, je savais que vous m’exaucez toujours, » c’est-à-dire, je n’ai pas besoin de vous prier pour vous persuader de faire ma volonté ; car nous n’avons tous deux qu’une même volonté ; vérité qu’il n’exprime qu’en termes couverts à cause de la faiblesse de ceux qui l’entendaient ; car le Dieu Sauveur a moins égard à sa dignité qu’à notre salut, aussi nous parle-t-il très-peu de ses grandeurs, et toujours d’une manière voilée, tandis qu’il s’étend comme avec complaisance sur ses humiliations.


S. HIL. (de la Trin.) Il n’avait donc aucun besoin de prier, et s’il a prié, c’est pour nous faire connaître sa filiation divine : « Mais je dis ceci à cause de ce peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que vous m’avez envoyé. » La prière lui était inutile, il prie cependant dans l’intérêt de notre foi. Il n’a pas besoin de secours, mais nous avons besoin d’être instruits. — S. Chrysostome : Il ne dit pas toutefois : Afin qu’ils croient que je vous suis inférieur (parce que je ne puis rien faire sans vous prier), mais : « Afin qu’ils croient que vous m’avez envoyé. » Il ne dit pas non plus : Que vous m’avez envoyé, dénué de tout pouvoir, avec la connaissance de ma dépendance absolue, ne pouvant rien faire de moi-même, mais : « Que vous m’avez envoyé, » afin qu’ils ne pensent pas que je suis en opposition avec Dieu, et ne disent point : Il ne vient pas de Dieu, et pour leur montrer que c’est d’après sa volonté que je vais faire ce miracle.


S. AUG. (serm. 52 sur les par. du Seig.) Jésus s’approche donc du tombeau où était enseveli Lazare, et il l’appelle à en sortir, non pas comme s’il était vivant, et prêt à entendre sa voix : « Ayant ainsi parlé, il cria d’une voix forte : Lazare, sortez dehors. » Il l’appelle par son nom, pour faire voir que ce ne sont pas les autres morts qu’il appelle à sortir du tombeau. — S. Chrysostome : Il ne lui dit pas : Ressuscitez, mais : « Venez dehors, » il parle à celui qui était mort, comme s’il était vivant, il ne lui dit pas non plus : Au nom de mon Père, sortez dehors, ou bien encore : Mon Père, ressuscitez-le, il laisse de côté ces formules qui convenaient à un suppliant, et prouve sa puissance par les faits. Il entrait, en effet, dans les desseins de la sagesse de faire preuve d’humilité dans ses discours, et de puissance dans ses œuvres.


THEOPHYL. La voix forte du Sauveur qui ressuscita Lazare est le symbole de cette trompette éclatante qui doit se faire entendre à la résurrection générale. (1 Co 15, 52.) Le Sauveur élève la voix pour fermer la bouche aux Gentils qui prétendent sans aucun fondement que les âmes des morts sont dans les tombeaux, et il appelle à haute et forte voix l’âme de Lazare comme étant absente très au loin. Cette résurrection individuelle de Lazare eut lieu en un clin d’œil, comme se fera un jour la résurrection générale : « Et aussitôt celui qui avait été mort, sortit, » etc. Nous voyons dès lors s’accomplir ce que disait le Sauveur : « L’heure est venue où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront. » (Jn 5) — ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) On peut dire avec raison que c’est cette voix forte qui a ressuscité Lazare, et ainsi se trouve accomplie cette parole du Sauveur : « Notre ami Lazare dort, je vais le réveiller. » Le Père qui a exaucé la prière du Fils a aussi ressuscité Lazare, et cette résurrection est l’œuvre commune du Fils et du Père qui l’a exaucé, car de même que le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, le Fils donne aussi la vie à qui il veut. » (Jn 5, 21.)


S. Chrysostome : Lazare sortit les pieds et les mains liés de bandelettes, pour qu’on ne crût pas qu’il n’était qu’un fantôme, et ce ne fut pas une chose moins admirable de le voir sortir avec ces bandelettes et entouré d’un suaire, que de le voir ressusciter : « Jésus leur dit : Déliez-le, » afin que ceux qui le toucheraient de leurs mains fussent bien convaincus que c’était vraiment lui. « Et laissez-le aller. » Le Sauveur agit ainsi par humilité, et c’est pour cela qu’il ne prend pas Lazare avec lui, et ne lui commande pas de marcher à sa suite comme preuve du miracle qu’il vient d’opérer.


ORIG. Nôtre-Seigneur avait dit précédemment : « Je dis ceci à cause de ce peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que vous m’avez envoyé. » Si aucun de ceux qui étaient présents n’avaient cru en lui, il eût parlé comme un homme qui n’a aucune connaissance de l’avenir ; aussi est-ce pour éloigner ce soupçon que l’Evangéliste ajoute : « Plusieurs d’entre les Juifs crurent en lui, mais quelques-uns d’entre eux allèrent trouver les pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait fait. » Cette proposition paraît offrir un sens équivoque, ceux qui allèrent trouver les pharisiens étaient-ils du grand nombre de ceux qui crurent en Jésus-Christ, et se proposèrent-ils de concilier à Jésus-Christ les pharisiens animés de dispositions hostiles à son égard ? ou bien étaient-ils différents de ceux qui crurent en lui, et ne cherchèrent-ils qu’à exciter contre le Sauveur le zèle plein de jalousie des pharisiens ? C’est cette dernière supposition qui paraît ressortir du récit de l’Evangéliste. D’après son récit, en effet, c’est le grand nombre de ceux qui étaient présents qui crurent en Jésus-Christ, et un petit nombre d’entre eux dont il ajoute : « Quelques-uns allèrent trouver les pharisiens, » etc.


S. AUG. (liv. des 83 quest., quest. 65.) Quoique nous admettions avec une foi entière la résurrection de Lazare dans le sens historique, je regarde cependant comme certain qu’elle contient aussi une vérité allégorique ; car le sens allégorique d’un événement ne lui fait perdre en aucune façon son caractère de réalité historique. — S. AUG. (Traité 49.) Tout homme qui pèche, est tombé victime de la mort, mais Dieu, par sa grande miséricorde, ressuscite les âmes et les sauve ainsi de la mort éternelle. Les trois morts dont Nôtre-Seigneur a ressuscité les corps sont donc la figure de la résurrection des âmes. — S. GREG. (Moral., 4, 25 ou 29.) Il a ressuscité une jeune fille dans sa maison, un jeune homme hors des portes de la ville, et Lazare déjà enseveli dans le tombeau. Celui qui est mort dans son péché est comme étendu sans vie dans sa maison ; le pécheur est conduit hors des portes, lorsque son péché affiche le caractère scandaleux d’un péché public. — S. AUG. (Traité 49.) Ou bien, la mort est encore à l’intérieur lorsque la pensée du mal ne s’est pas encore produite par un acte extérieur ; mais si vous commettez le mal, vous portez pour ainsi dire le mort hors des portes de la ville. — S. GREG. (Moral., 4) Le pécheur est comme oppressé sous la pierre du tombeau, lorsqu’il est écrasé par l’horrible pierre des mauvaises habitudes qu’il a contractées, mais souvent la grâce divine éclaire ces pauvres pécheurs d’un rayon de sa lumière. — S. AUG. (liv. des 83 quest., quest. 68.) Ou bien Lazare, dans le tombeau, figure encore l’âme qui est comme accablée sous le poids des péchés de la terre. » — S. AUG. (Traité 49) Et cependant le Seigneur aimait Lazare, car s’il n’avait pas aimé les pécheurs, il ne serait pas descendu du ciel sur la terre. C’est à juste titre que l’on dit du pécheur d’habitude : « Il sent mauvais, » car sa mauvaise réputation se répand partout comme une odeur infecte et nauséabonde. — S. AUG. (liv. des 83 quest.) C’est encore avec raison qu’il est dit : « Il y a quatre jours qu’il est dans le tombeau ; » car le dernier des éléments c’est la terre, qui figure l’abîme des péchés de la terre, c’est-à-dire des convoitises charnelles.


S. AUG. (Traité 49.) Jésus frémit, il verse des larmes, il crie à haute voix, parce qu’il est bien difficile de se relever pour celui qui est accablé sous le poids de ses habitudes vicieuses. Jésus se trouble lui-même pour vous apprendre le trouble dont vous devez être saisi lorsque vous êtes comme écrasé sous le poids énorme de vos péchés. La foi de l’homme qui devient pour lui-même un objet d’horreur, doit frémir en accusant ses actions coupables, afin de faire céder l’habitude du péché à la violence du repentir. Lorsque vous dites : J’ai commis ce crime, et Dieu m’a épargné ; j’ai entendu la doctrine évangélique, et je l’ai méprisée, qu’ai-je fait ? Jésus-Christ frémit en vous, parce que la foi frémit, ce frémissement contient déjà l’espérance de la ré-surrection. — S. GREG. (Moral., 22, 9 ou 13.) Le Sauveur dit à Lazare : « Sortez dehors, afin que le pécheur qui cherche à dissimuler et à cacher son péché, soit comme forcé par cette voix de se faire son propre accusateur, et que celui qui est enseveli dans le tombeau de sa conscience, en sorte de lui-même par la confession de ses fautes. »


S. AUG. (liv. des 83 quest.) Lazare, sortant de son tombeau, est le symbole de l’âme qui se retire des vices de la chair ; les bandelettes dont il reste encore enveloppé nous apprennent que ceux-là mêmes qui ont renoncé aux plaisirs charnels, et veulent obéir de cœur à la loi de Dieu, ne peuvent tant qu’ils sont dans ce corps mortel être entièrement à l’abri des atteintes de la chair. Le suaire dont sa figure est couverte signifie que nous ne pouvons avoir dans cette vie la pleine intelligence de la vérité. Nôtre-Seigneur ajoute : « Déliez-le, et laissez-le aller, » pour nous apprendre qu’après cette vie tous les voiles seront enlevés, afin que nous puissions voir Dieu face à face.


S. AUG. (Traité 49.) Ou bien encore, lorsque vous faites mépris de la loi de Dieu, vous êtes comme mort et enseveli dans le tombeau ; si vous faites l’aveu de vos fautes, vous sortez de ce tombeau ; car sortir du tombeau, c’est sortir de la retraite cachée de son cœur pour se produire au grand jour. Mais c’est Dieu qui vous amène à faire cet aveu en vous appelant à haute voix, c’est-à-dire par une grâce extraordinaire. Le mort qui sort du tombeau est encore lié, de même que celui qui confesse ses péchés est encore coupable, et c’est pour le délier de ses péchés que Jésus dit aux serviteurs : « Déliez-le, et laissez-le aller, » c’est-à-dire, tout ce que vous aurez délié sur la terre, le sera le ciel.


ALCUIN. C’est donc Jésus-Christ qui ressuscite, parce que c’est lui qui donne par lui-même la vie à l’intérieur, ce sont ses disciples qui délient, parce que c’est par le ministère des prêtres que ceux.qu’il vivifie sont absous. — Bède : Ceux qui vont apprendre aux pharisiens ce que Jésus a fait, figurent ceux qui, à la vue des bonnes œuvres des serviteurs de Dieu, les poursuivent de leur haine, et s’efforcent de noircir leur réputation.


Versets. 47-83.


THEOPHYL. Les pharisiens auraient dû admirer et exalter l’auteur d’aussi grands miracles, et au contraire, ils forment le dessein de le mettre à mort : « Les pontifes et les pharisiens assemblèrent donc le conseil, » etc. — S. AUG. (Traité 49.) Ils ne disent point : Croyons en lui, ces hommes pervers sont bien plus préoccupés de la pensée de faire le mal et de mettre à mort un innocent, que des moyens d’assurer leur propre salut. Et cependant la crainte les agite, et ils se consultent : « Et ils disaient : Que ferons-nous ? car cet homme opère beaucoup de miracles ? » — S. Chrysostome : Ils ne le regardent encore que comme un homme, après qu’il leur a donné une si grande preuve de sa divinité.


ORIG. (Traité 28 sur S. Jean.) Le langage que tiennent les pontifes et les pharisiens nous donne une idée de l’étendue de leur folie et de leur aveuglement. Quelle folie, en effet, de reconnaître et d’attester que Jésus a opéré un grand nombre de miracles, et de penser qu’ils pouvaient néanmoins lui dresser des embûches, comme s’il n’était point capable de déjouer toutes leurs machinations ! Leur aveuglement n’est pas moins surprenant, de ne pas voir que celui qui pouvait opérer de si grands prodiges, pouvait également échapper à leurs embûches, à moins que dans leur pensée ses miracles ne fussent pas l’œuvre d’une puissance divine. Ils forment donc le dessein de ne point le laisser aller, ils s’imaginent par là empêcher ses disciples de croire en lui, et s’opposer à ce que les Romains ne détruisent leur pays et leur nation : « Si nous le laissons faire, disent-ils, tous croiront en lui, et les Romains viendront, » etc. — S. Chrysostome : (hom. 64.) En parlant de la sorte, ils veulent soulever le peuple, comme s’il courait le danger d’être soupçonné par les Romains de vouloir s’affranchir de leur domination, et leurs paroles peuvent ainsi se traduire : Si les Romains le voient entraîner la multitude après lui, ils en prendront ombrage, croiront que nous voulons nous ériger en pouvoir indépendant, et ils détruiront notre cité. Mais cette supposition était purement imaginaire ; car sur quoi reposait-elle ? Voyait-on Jésus entouré d’hommes en armes ? traînait-il après lui des escadrons de gardes ? Au contraire, ne cherchait-il pas la solitude ? Ils ne veulent pas qu’on les soupçonne de vouloir la mort du Sauveur, et ils mettent en avant le danger que courent leur cité et leur nation. — S. AUG. Ou bien encore, ils craignirent que si tous venaient à croire en Jésus-Christ, il ne restât plus personne pour prendre contre les Romains la défense de leur ville et de leur temple ; car ils comprenaient que la doctrine de Jésus-Christ était contraire à leur temple et aux institutions données à leurs ancêtres. La crainte donc qu’ils avaient de perdre les choses du temps, les empêcha de penser à celles de l’éternité, et ils perdirent les unes et les autres ; car après la passion et la résurrection glorieuse du Sauveur, les Romains ruinèrent le pays et la nation des Juifs en les détruisant on en les emmenant en captivité.


ORIG. (Traité 28) Dans le sens anagogique, les Gentils prirent la place du peuple de la circoncision, parce que leur chute est devenue le salut des Gentils. (Rm 11, 11.) Les Romains sont mis ici à la place des Gentils, c’est-à-dire ceux qui avaient l’empire à la place de ceux qui leur étaient soumis. Leur nationalité fut aussi détruite, car le peuple qui avait été le peuple de Dieu, cessa de l’être. — S. Chrysostome : (hom. 65.) Pendant qu’ils hésitaient et qu’ils soumettaient de nouveau cette question à la délibération du conseil, en disant : « Que faisons-nous, » un d’entre eux prend la parole et ouvre cet avis plein d’impudence et de cruauté : « Mais l’un deux, nommé Caïphe, qui était le pontife de cette année-là, leur dit, » etc.


S. AUG. On peut être surpris que Caïphe soit appelé le pontife de cette année, alors que Dieu n’avait établi qu’un seul grand-prêtre, qui n’avait de successeur qu’après sa mort. Il faut donc se rappeler que ta prétentions ambitieuses et les rivalités qui régnaient parmi les Juifs, les avaient amenés à instituer plusieurs grands-prêtres, qui exerçaient leur ministère tour à tour pendant un an. Peut-être même il y en avait plusieurs pour une même année, et d’autres leur succédaient l’année suivante.


ALCUIN. Ainsi, l’historien Josèphe rapporte que c’est à prix d’argent que Caïphe avait acheté le souverain pontificat pour cette année-là.


ORIG. (Traité 28.) La méchanceté de Caïphe ressort de cette circonstance qu’il était grand-prêtre pour cette année-là, dans laquelle notre Sauveur accomplit le ministère douloureux de sa passion : « Or, comme il était pontife de cette année-là, il leur dit : « Vous n’y entendez rien, et vous ne songez pas qu’il vous est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple. » — S. Chrysostome : (hom. 65.) Il semble leur dire : Vous êtes assis tranquillement et vous délibérez négligemment sur cette affaire, mais veuillez donc réfléchir que la vie d’un homme doit être comptée pour rien quand il s’agit de l’intérêt public. — THEOPYHL. Il parle de la sorte dans une intention coupable, et cependant l’Esprit saint se sert de sa bouche pour prophétiser l’avenir : « Or, il ne dit pas cela de lui-même, mais étant le grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. »


ORIG. Tout homme qui prophétise n’est point par-là même prophète, de même qu’on n’est pas juste pour avoir fait une action juste, si par exemple on l’a faite par un motif de vaine gloire, Caïphe prophétise donc, mais sans être prophète, pas plus que Balaam. (Nb 23) Osera-t-on dire que ce n’est point par l’inspiration de l’Esprit saint que Caïphe a prophétisé, parce que l’esprit mauvais peut également rendre témoignage à Jésus, et prophétiser dans son intérêt, comme nous voyons les démons dire à Jésus : « Nous savons qui vous êtes, le saint de Dieu. » Mais son intention n’est pas de gagner des disciples à Jésus, c’est, au contraire, d’exciter contre lui ceux qui, dans le conseil avait mis en lui leur confiance, et de leur arracher une sentence de mort. D’ailleurs ces paroles : « Il vous est avantageux, » etc. qui sont une partie de la prophétie, sont-elles vraies ou fausses ? Si elles sont vraies, il s’ensuit que tous ceux qui, dans le conseil, se déclarent contre Jésus, seront sauvés, puisque Jésus meurt pour le salut du peuple ; et tous obtiendront cet avantage ; mais s’il est absurde de dire que Caïphe, et les antres membres du conseil qui délibéraient contre Jésus, soient sauvés, il est évident que ce n’est pas l’Esprit saint qui lui a dicté ces paroles, parce que l’Esprit saint ne ment jamais. Si l’on veut cependant que Caïphe ait dit ici la vérité, on comprendra ce que dit saint Paul : a Que la bonté de Dieu a voulu qu’il mourût pour tous, » (He 2, 9) et qu’il est le Sauveur de tous les hommes, surtout des fidèles. (1 Tm 4, 10.) Il reconnaîtra que toute cette prophétie est vraie dans son ensemble, à partir de ces mots : « Vous n’y entendez rien, » car ils ne connaissaient vraiment rien, eux qui ignoraient que Jésus est la vérité, la justice, la sagesse et la paix. Il est vrai encore qu’il était avantageux que ce seul homme (en tant qu’il est homme) mourût pour le peuple, car en tant qu’il est l’image du Dieu invisible, il ne peut être soumis à la mort. Il est mort pour le peuple en vertu de la puissance qu’il avait d’effacer les crimes de tout l’univers en les prenant sur lui. Cette réflexion de l’Evangéliste : « Il ne dit pas cela de lui-même, » nous apprend qu’il y a des choses que nous pouvons dire par nous-mêmes, sans avoir besoin pour cela d’aucun secours étranger, mais qu’il en est d’autres qui nous sont inspirées par une vertu secrète, bien que nous ne les comprenions point dans toute leur étendue. Dans ce dernier cas, nous nous attachons au sens que paraissent présenter les choses que nous disons, mais sans comprendre dans quelle intention elles nous ont été dictées. C’est ainsi que Caïphe ne dit rien ici de lui-même, et ne pense point faire une véritable prophétie, parce qu’il ne comprend pas le sens prophétique des paroles qu’il prononce. Tels étaient ces prétendus docteurs de la loi dont parle saint Paul : « Qui n’entendent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment. » (1 Tm 1, 7) — S. AUG. (Traité 49.) Nous apprenons par cet exemple que des hommes livrés au mal peuvent recevoir l’esprit de prophétie pour prédire l’avenir, ce que l’Evangéliste attribue à un conseil secret de la divine providence, parce que Caïphe était grand-prêtre cette année. — S. Chrysostome : (hom. 65.) Voyez combien grande est la puissance de l’Esprit saint, qui peut faire sortir d’un esprit corrompu un oracle prophétique ! Voyez aussi la grandeur et la vertu du pouvoir pontifical. Caïphe est grand-prêtre, tout indigne qu’il est de cet honneur, et il prophétise sans savoir ce qu’il dit : La grâce ne s’est servi que de ses lèvres, et n’effleura même pas le cœur de cet homme profondément corrompu. — S. AUG. Caïphe ne prophétisa que de la seule nation des Juifs, dans laquelle se trouvaient les brebis, dont le Seigneur a dit lui-même : « Je ne suis envoyé qu’aux brebis qui ont péri de la maison d’Israël. » (Mt 15) Mais l’Evangéliste savait qu’il y avait d’autres brebis qui n’étaient pas de cette bergerie et qu’il fallait amener au bercail (Jn 10) ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et non seulement pour la nation, mais afin de rassembler en un seul corps les enfants de Dieu. Il se place ici au point de rue de la prédestination, car les Gentils n’étaient alors ni les brebis, ni les enfants de Dieu.


S. GREG. (Moral., 6, 12 ou 13 dans les anc.) Les ennemis de Jésus mirent donc à exécution le dessein criminel qu’ils avaient formé. Ils firent mourir Jésus-Christ, pour empêcher la piété des fidèles de s’attacher à lui ; mais la foi grandit et s’accrut par les moyens mêmes que la cruauté des impies avait pris pour l’éteindre, et Jésus fit servir à l’accomplissement de ses desseins miséricordieux ce que la cruauté des hommes avait inventé contre lui. — ORIG. (Traité 28.) Ces paroles de Caïphe les enflammèrent de colère, et ils résolurent dès lors de mettre à mort le Seigneur : « Depuis ce jour ils pensèrent à le faire mourir. » Si ce n’est point par l’inspiration de l’Esprit saint que Caïphe a prophétisé ; il y eut un autre esprit qui parla par la bouche de cet impie et qui excita ses semblables contre Jésus-Christ. Si cependant on veut absolument que l’Esprit saint ne soit pas étranger aux paroles de Caïphe et à la délibération qui suivit, on peut dire que de même qu’on voit des hommes faire servir à l’établissement de leur monstrueuse doctrine les saintes Ecritures qui ont pour objet l’utilité des fidèles, de même les pharisiens, en ne prenant point dans son vrai sens la prophétie véritable qui avait le Christ pour objet, en ont tiré comme conclusion le dessein de le mettre à mort. — S. Chrysostome : (hom. 65.) Ils cherchaient depuis longtemps à le faire mourir, et ils s’affermirent plus que jamais dans leur dessein.


Versets. 54-86.


ORIG. (Traité 28.) Jésus ayant appris la résolution que les prêtres et les pharisiens avaient prise dans leur conseil de le mettre à mort, s’environna de plus de précautions, et ne se montra plus avec autant de confiance au milieu des Juifs. Il choisit pour retraite non une cité populeuse, mais une petite ville éloignée et située près du désert : « C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs, » etc. — S. AUG. (Traité 19.) Ce n’est pas que sa puissance lui fit défaut, et il aurait très bien pu, s’il avait voulu, demeurer publiquement au milieu des Juifs, sans avoir rien à craindre, mais il voulut apprendre par son exemple à ses disciples, qu’il n’y a pour eux aucun péché à se dérober à la haine de leurs persécuteurs, et qu’il vaut mieux échapper en se cachant à leur fureur sacrilège, que de la rendre plus ardente en paraissant à leurs yeux. — ORIG. Il est beau et louable pour confesser le nom de Jésus, de ne point rougir d’affronter le combat qui se présente, et de ne point refuser de souffrir la mort pour la défense de la vérité ; mais il n’est pas moins louable de ne point donner occasion à une si grande épreuve, non-seulement parce que nous ne pouvons pas prévoir l’issue d’un si grand combat, mais parce que nous devons éviter de donner aux impies et aux méchants les moyens augmenter leur impiété et leurs crimes ; car si celui qui devient pour un autre une occasion de péché, portera nécessairement la peine de ce péché, celui qui ne fuit point la persécution, lorsqu’il le peut, ne sera-t-il pas aussi responsable du crime de son persécuteur ? Et non-seulement le Seigneur se rendit dans cet endroit écarté, mais pour ôter tout motif à ses ennemis de le chercher, il y conduisit avec lui ses disciples : « Et il y demeurait avec ses disciples. » — S. Chrysostome : Combien les disciples durent être troublés en voyant leur divin Maître échapper au danger par des moyens humains, et comme forcé de chercher un refuge pour se dérober à la poursuite de ses ennemis ? Tous sont dans la joie et l’allégresse qui accompagnent les grandes solennités, eux, au contraire, se cachent exposés qu’ils sont à de grands dangers ; cependant ils persévèrent avec le Sauveur, suivant la parole qu’il leur avait dite : « C’est vous qui êtes demeurés avec moi au milieu de mes épreuves. »


ORIG. Dans le sens anagogique, on peut dire que Jésus demeurait avec confiance au milieu des Juifs, alors que le Verbe divin habitait avec eux dans la personne des prophètes ; mais il s’en est retiré, et le Verbe de Dieu n’est plus avec les Juifs. Il se rendit dans une petite ville qui était près du désert et dont le prophète a dit : « Les enfants de la femme abandonnée (ou déserte) sont plus nombreux que les enfante de l’épouse. » Cette ville s’appelait Ephrem, qui veut dire fertilité ; or, Ephraïm fut le frère de Manassé, c’est-à-dire, du peuple ancien livré à l’oubli, car c’est après que ce peuple eut été livré à l’oubli et abandonné, que l’abondance sortit du milieu des nations. Nôtre-Seigneur quitte donc la Judée et vient dans la terre de tout l’univers, auprès de l’Église déserte et abandonnée, et dont le nom veut dire cité féconde, et il y demeure avec ses disciples.


S. AUG. (Traité 50 sur S. Jean.) Celui qui était descendu du ciel pour souffrir, ne voulut pas s’éloigner du lieu de sa passion, parce que l’heure de sa mort approchait : « Or, la Pâque des Juifs était proche, » etc. Les Juifs n’avaient que l’ombre de la vraie Pâque, nous en avons la lumière ; le haut des portes des maisons juives était marqué du sang de l’agneau immolé, nos fronts sont marqués du sang de Jésus-Christ. Les Juifs ont voulu ensanglanter ce jour en répandant le sang du Seigneur, et l’Agneau qui a été immolé a consacré à jamais ce jour de fête par son sang. La loi faisait un précepte aux Juifs de se réunir pour cette fête à Jérusalem, de toutes les parties de la Judée, et de se sanctifier par la célébration de cette grande fête : « Un grand nombre de Juifs, dit l’Evangéliste, montèrent de la province à Jérusalem avant la Pâque, pour se purifier. » — THEOPHYL. Ils se rendirent à Jérusalem avant la Pâque pour se purifier, parce que ceux qui s’étaient rendus coupables d’une faute volontaire ou involontaire ne célébraient point la Pâque avant de s’être purifiés, selon la coutume, par des bains, par des jeûnes, en se rasant les cheveux, et aussi en faisant les offrandes qui étaient commandées à cet effet. C’est donc pendant le temps qu’ils accomplissaient ces purifications légales qu’ils cherchent à tendre des pièges au Sauveur. « Ils cherchaient donc Jésus, et se disaient les uns aux autres : Que pensez-vous de ce qu’il n’est pas venu pour la fête ? » — S. Chrysostome : (hom. 65.) Ils lui tendent des embûches jusque dans cette fête de Pâque, et font de cette grande solennité un temps de meurtre et d’homicide. — Omet. Aussi l’Evangéliste ne dit pas : La Pâque du Seigneur, mais : « La Pâque des Juifs, » parce qu’ils dressaient des embûches au Seigneur dans cette fête. — ALCUIN. Les Juifs cherchaient Jésus-Christ avec de mauvaises intentions ; pour nous, nous le cherchons en restant dans le temple à nous consoler, à nous exhorter mutuellement, et à demander qu’il se rende à notre jour de fête, et nous sanctifie par sa présence. — THEOPHYL. S’il n’y avait que le peuple pour s’occuper de ce dessein sanguinaire, on pourrait dire que sa passion a été le résultat de l’ignorance, mais ce sont les pharisiens eux-mêmes qui donnent l’ordre de se saisir du sa personne : « Or, les pontifes et les pharisiens avaient donné ordre que si quelqu’un savait où il était, il le déclarât, afin qu’ils le fissent prendre. » — ORIG. Remarquez qu’ils ignoraient où il était ; car, nous avons dit qu’il avait quitté la ville de Jérusalem. Vous irez ajouter qu’en cherchant à tendre des pièges à Jésus, ils ne auvent où il est, et qu’ils donnent des commandements bien différents des commandements divins, en enseignant des maximes et des ordonnances tout humaines. — S. AUG. Pour nous, indiquons aux Juifs où Jésus se trouve maintenant. Plaise à Dieu qu’ils veuillent nous entendre et se saisir de lui ! Qu’ils viennent dans l’Église, qu’ils apprennent où se trouve Jésus-Christ, et qu’ils s’emparent de sa personne.