Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 15

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Chapitre 14 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 16


CHAPITRE XV



Versets 1-7


S. Chrysostome : (hom. 75 sur S. Jean) Après leur avoir déclaré qu’ils purs à cause des instructions qu’il leur avait données, il leur enseigne à faire ce qui dépend d’eux pour prêter leur concours à la grâce : « Demeurez en moi, et moi en vous. » — S. AUG. (Traité 81 sur S. Jean. ) Ils n’étaient pas en lui de la même, manière qu’il était en eux, car cette union réciproque ne pouvait être utile qu’à eux seuls. Les branches sont unies étroitement à la vigne, mais sans lui rien communiquer ; tandis que c’est d’elle qu’ils tirent le principe de leur vie. La vigne, au contraire, est unie aux branches de manière à leur communiquer sa sève vivifiante, sans rien recevoir d’eux. Ainsi cette demeure de Jésus-Christ dans les apôtres et des apôtres dans Jésus-


Christ, n’a d’autre but que leur avantage et non celui de Jésus-Christ. C’est pour cela qu’il ajoute : « De même que la branche ne peut porter de fruit si elle ne demeure unie à la vigne, ainsi vous ne le pouvez non plus si vous ne demeurez en moi. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Comme il est propre à instruire les cœurs des humbles et à fermer la bouche des superbes ! N’est-ce pas contredire cette vérité que de ne pas croire à la nécessité d’un secours divin pour faire le bien, et ceux qui sont dans cette erreur que font-ils ? Loin d’affirmer et de défendre le libre arbitre, ils ne font que le ruiner. Celui qui s’imagine pouvoir porter du fruit par lui-même, n’est pas uni à la vigne ; celui qui n’est pas dans la vigne n’est pas dans Jésus-Christ, et celui qui n’est pas dans Jésus-Christ n’est pas chrétien. — ALCUIN. Tout le fruit des bonnes œuvres vient comme de sa racine, de celui qui nous a délivrés par sa grâce, et nous donne par son secours une force nouvelle pour nous faire produire du fruit en plus grande abondance. Aussi Nôtre-Seigneur revient sur cette vérité, en lui donnant un plus grand développement : « Je puis la vigne, et vous êtes les branches ; si quelqu’un demeure en moi (par la foi, l’obéissance, la persévérance), et moi en lui, (par les lumières que je répands dans son âme, par ma grâce et le don de persévérance), celui-là, (à l’exclusion de tout autre), portera beaucoup de fruit. » — S. AUG. Et que personne ne s’imagine que la branche puisse produire par elle-même quelque peu de fruit, car Nôtre-Seigneur ajoute : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Il ne dit pas : Vous pourrez faire peu de chose, car si la branche ne demeure attachée à la vigne, et ne tire de sa racine la sève qui lui donne la vie, elle ne peut absolument produire aucun fruit. Or, bien que Jésus-Christ ne pût être la vigne, s’il n’était homme, cependant il ne pourrait communiquer une si grande vertu aux branches, s’il n’était également Dieu.




S. Chrysostome : Vous voyez que le Fils procure autant de grâces aux disciples que le Père. Le Père émonde les branches, le Fils les tient unies avec lui, et leur donne ainsi la vertu de produire des fruits. Et cependant nous avons vu qu’il appartient aussi au Fils d’émonder, de même que le Père qui a engendre la racine, nous donne aussi de demeurer attaché à la racine ; c’est donc déjà un grand malheur que de ne pouvoir rien faire absolument ; toutefois Notre-Seigneur ne s’arrête pas là, et il ajoute : « Celui qui ne demeure pas en moi, sera jeté comme le sarment (c’est-à-dire, qu’il n’aura aucune part aux soins du vigneron), et il séchera (c’est-à-dire, qu’il perdra le peu de sève qu’il avait reçue de la racine, et qu’il sera privé de tout secours et de la vie), et on le ramassera. » — ALCUIN. (Ce sont les anges qui le recueilleront), et on le jettera au feu, et il brûlera. — S. AUG. Car plus le bois de la vigne est précieux, s’il demeure uni à la vigne, plus il est vil et méprisable s’il vient à en être détaché, il n’y a pour la branche d’autre alternative que d’être unie à la vigne ou d’être jetée dans le feu. Si elle ne reste point attachée à la vigne, elle sera jetée au feu ; qu’elle demeure donc unie à la vigne pour éviter le feu.




S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur explique ensuite ce que c’est que de demeurer en lui : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé. » Ce qu’il demande, c’est le témoignage des œuvres. — S. AUG. Ses paroles demeurent en nous, lorsque nous accomplissons ses commandements et que nous aimons ses promesses, mais si ses paroles ne restent que dans la mémoire, et qu’on n’en trouve aucune trace dans la vie, le sarment ne fait plus partie de la vigne, parce qu’il ne tire plus sa vie de la racine. Or, que peuvent vouloir ceux qui demeurent en Jésus-Christ, que ce qui a rapport à leur salut ? En effet, ce que nous voulons lorsque nous sommes unis à Jésus-Christ, est tout différent de ce que nous voulons, lorsque nous sommes encore attachés au monde. Il arrive quelquefois que la partie de nous-mêmes qui demeure encore dans le monde, nous suggère des prières dont nous ne voyons pas l’opposition avec notre salut, mais loin de nous la pensée que nous obtenions ce que nous demandons, si nous demeurons eu Jésus-Christ, qui n’exauce que les prières qui nous sont utiles. La prière qui commence par ces mots : « Notre Père, » fait partie des paroles de Jésus-Christ, dont il est ici question, prenons donc soin de ne pas nous écarter dans nos demandes des paroles et de l’esprit de cette divine prière, et tout ce que nous demanderons nous sera infailliblement accordé.




Versets 8-11.



S. Chrysostome : (hom. 75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de déclarer à ses disciples, que ceux qui lui tendaient des embûches et ne demeuraient pas en Jésus-Christ, seraient condamnés au feu ; il leur prédit maintenant qu’ils seront à l’épreuve de toutes les attaques, et qu’ils porteront beaucoup de fruits : « C’est la gloire de mon Père que vous portiez beaucoup de fruit, » c’est-à-dire, si la gloire de mon Père est intéressée à ce que vous portiez du fruit, il ne négligera pas sa gloire ; or, celui qui produit du fruit est disciple de Jésus-Christ, comme l’ajoute Nôtre-Seigneur : « Et que vous devenez mes disciples. » — THEOPHYL. Le fruit que devaient porter les Apôtres sont les nations qu’ils ont enchaînées à la foi par leurs enseignements, et dont ils ont fait autant d’instruments de la gloire de Dieu. — S. AUG. (Traité 82 sur S. Jean.) Que l’on traduise, c’est l’honneur ou la gloire, clarificatus, sive glorificatus, l’un et l’autre de ces deux mots sont la traduction du même mot grec δόζα, en latin, gloria, gloire ; j’ai cru utile de faire cette remarque, pour que nous ne soyons pas tentés de tourner à notre propre gloire le mérite de nos bonnes œuvres, comme s’il venait de nous, car il vient de sa grâce, et nous devons lui en renvoyer exclusivement la gloire. Qui pourrait, en effet, nous faire produire du fruit, si ce n’est celui dont la miséricorde nous a prévenus ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Comme mon Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. » Voilà pour nous le principe de toutes les bonnes œuvres, et d’où pourraient-elles venir, si ce n’est de la foi qui opère par la charité ? Et comment aurions-nous pu l’aimer, s’il ne nous aimait le premier ? Quant à ces paroles : « Comme mon Père m’a aimé, moi aussi je vous aime, » elles n’emportent pas l’égalité de nature entre nous et Jésus-Christ, comme elle existe entre son Père et lui, elles signifient simplement la grâce du médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. C’est cette médiation qu’il veut exprimer, lorsqu’il dit : « Comme mon Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés, » car le Père nous aime aussi, mais en Jésus-Christ.




S. Chrysostome : Si donc le Père vous aime, prenez confiance, et s’il y va de la gloire du Père, efforcez-vous de produire du fruit. Et pour prévenir toute négligence de leur part, il ajoute : « Demeurez dans mon amour. » Comment ? « Si vous gardez mes commandements, » etc. — S. AUG. Qui doute que l’amour ne précède l’observation des commandements ? Celui qui n’aime pas, n’a aucun motif de garder les commandements. Ce n’est donc point le principe et la cause, mais les effets de l’amour que le Sauveur veut nous indiquer ici, afin que personne ne s’illusionne en affirmant qu’il aime Dieu, sans garder ses commandements ? Toutefois ces paroles : « Demeurez dans mon amour, » ne précisent pas de quel amour Nôtre-Seigneur veut parler, de celui que nous avons pour lui, ou de celui qu’il a pour nous ; et ce n’est que par ce qui précède que nous pouvons le savoir. En effet, après avoir dit : « Je vous ai aimés, » il ajoute aussitôt : « Demeurez dans mon amour, » c’est-à-dire, dans l’amour dont il les a aimés. Or, que signifient ces paroles : « Demeurez dans mon amour ? » persévérez dans ma grâce ? Et que veut-il dire quand il ajoute : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ? » Le signe certain que vous persévérez dans l’amour que j’ai pour vous, c’est la fidélité à observer mes commandements. Ce n’est donc point pour mériter son amour que nous observons ses commandements, mais nous ne pouvons les observer, s’il ne nous aime le premier. C’est la grâce qui est révélée aux humbles et qui demeure cachée aux superbes. Mais quel est le sens des paroles suivantes : « Comme moi-même j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour ? » Le Sauveur veut aussi parler de l’amour que son Père a pour lui. Mais devons-nous entendre que le Père aime son Fils par grâce, dans le même sens que nous sommes redevables à la grâce de l’amour du Fils, alors que nous sommes les enfants de Dieu, non par nature, mais par grâce, tandis que le Fils unique est Fils par nature et non par grâce ? Ou bien faut-il entendre ces paroles du Fils de Dieu fait homme ? Oui, sans doute, car ces paroles : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous aime, » expriment la grâce du médiateur ; or c’est comme homme et non comme Dieu que Jésus-Christ est médiateur de Dieu et des hommes. Nous pouvons donc, dire en toute vérité, que bien que la nature humaine n’ait point de rapport avec la nature divine, cependant elle a été unie à la personne du Fils de Dieu, par un effet de la grâce, et d’une grâce si extraordinaire, qu’il n’en est ni de plus grande, ni même d’égale. En effet, cette union de la nature divine avec la nature humaine, n’est la récompense d’aucun mérite de la part de l’homme, et c’est de cette union, au contraire, que les mérites des hommes ont découlé comme de leur source. — ALCUIN. Or l’Apôtre nous apprend de quels préceptes le Sauveur a voulu ici parler lorsqu’il dit : « Jésus-Christ s’est rendu obéissant à son Père jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. » (Ph 2, 8.)




S. Chrysostome : (hom. 77 sur S. Jean.) Mais comme sa passion qui approchait et de tristes paroles étaient de nature à troubler et interrompre leur joie ; le Sauveur ajoute : « Je vous ai dit ces choses afin que ma joie soit en vous, et que cette joie soit pleine et parfaite, » c’est-à-dire, bien que la tristesse doive s’emparer de vous, je la dissiperai et je la changerai à la fin en joie. — S. AUG. (Traité 83.) Quelle est cette joie de Jésus-Christ en nous, si ce n’est celle dont il daigne se réjouir à notre occasion ? Et quelle est notre joie dont il nous prédit le parfait accomplissement, si ce n’est la participation à son propre bonheur ? La joie qu’il avait à notre sujet était déjà parfaite, quand il nous prédestinait dans sa prescience divine, mais cette joie n’était pas encore en nous, parce que nous n’existions pas encore. Elle a remmenée à être en nous, lorsqu’il nous a appelés à la foi, et nous disons à juste titre que cette joie est notre joie, puisque c’est elle qui doit faire un jour notre félicité, elle commence avec la foi qui nous régénère, elle sera pleine et parfaite avec la résurrection qui sera notre récompense.




Versets 12-16.



THEOPHYL. Nôtre-Seigneur avait prédit à ses disciples que s’ils observaient sus commandements, ils demeureraient dans son amour, il leur enseigne ici quels sont les commandements qu’ils doivent observer : « Voici mon commandement, c’est que vous vous aimiez les uns les autres. » — S. GREG. (hom. 27 sur les Evang.) Toutes les pages des saintes Lettres sont remplies des commandements de Dieu, comment donc, le Sauveur nous recommande-t-il ici le précepte de l’amour comme le précepte spécial et unique, si ce n’est parce que tous les commandements ont pour but unique la charité, et qu’ils se réduisent tous à un seul, parce que tout précepte ne peut s’appuyer solidement que sur la charité ? De même que toutes les branches de l’arbre sortent d’une seule racine, ainsi toutes les vertus sont produites par la charité, et les branches, figure des bonnes œuvres, ne peuvent se couvrir de verdure, si elles ne sont unies à la racine de la charité. Les commandements du Seigneur sont nombreux et variés, quant à la diversité des œuvres, mais ils se réduisent à un seul, si l’on considère la racine du la charité qui les produit. — S. AUG. (Traité 83 sur S. Jean.) Là où est la charité, quelle chose peut nous manquer ? mais si la charité n’existe pas, quelle compensation peut nous rester ? Or, cette charité est distincte de l’amour que les hommes ont les uns pour les autres, en tant qu’ils sont hommes, et Notre-Seigneur prend soin d’établir cette distinction, eu ajoutant : « Comme je vous ai aimés. » car dans quel dessein Jésus-Christ nous a-t-il aimés, si ce n’est pour nous faire régner avec lui dans les cieux ? Aimons-nous donc les uns les autres pour lit même motif, afin que notre amour nous sépare de ceux dont l’amour réciproque n’a point pour fin l’amour de Dieu, et qui ne s’aiment pas véritablement. Ceux au contraire qui s’aiment les uns les autres pour tendre d’un commun accord à la possession de Dieu, s’aiment d’un amour véritable.




S. GREG. La grande et unique preuve d’amour, c’est d’aimer ceux qui nous sont contraires. C’est ainsi que la vérité elle-même, tout en souffrant le supplice ignominieux de la croix, donne à ses persécuteurs un témoignage touchant d’amour dans cette prière : « Mon Père, Pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font ; » (Lc 23) amour porté au plus haut degré, comme il le dit lui-même : « Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Nôtre-Seigneur était venu mourir pour ses ennemis, et cependant il déclare qu’il doit donner sa vie pour ses amis, et il nous apprend ainsi que lorsque nous pouvons gagner nos ennemis par notre affection, nos persécuteurs eux-mêmes deviennent nos amis.




S. AUG. (Traité 84) Le Sauveur avait dit précédemment : « Voici mon commandement, c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés, » la conséquence de ce précepte se trouve exprimée dans la première Epître de saint Jean : « De même que Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, nous devons aussi donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16.) C’est ce que les martyre ont fait dans leur ardent amour pour Jésus-Christ ; aussi à la table de Jésus-Christ, nous n’en faisons pas mémoire comme des autres fidèles, en priant pour eux ; mais nous les prions bien plutôt de nous obtenir la grâce de marcher sur leurs traces, car ils ont donné à leurs frères le témoignage d’amour qu’ils avaient reçu eux-mêmes de la table du Seigneur. — S. GREG. Mais comment celui qui, en temps de paix, ne peut sacrifier sa tunique pour Dieu, pourra-t-il donner sa vie lorsque viendra la persécution ? Si donc la vertu de charité veut être invincible au moment de l’épreuve, il faut qu’en temps de paix elle se nourrisse et s’entretienne par l’exercice de la miséricorde.




S. AUG. (de la Trin., 8, 8.) C’est par la seule et même vertu de charité que nous aimons Dieu et notre prochain, avec cette unique différence que nous aimons Dieu pour Dieu, et que nous aimons le prochain et nous-mêmes pour Dieu. Ou comprend donc que bien qu’il y ait deux préceptes de charité qui renferment toute la loi et les prophètes (c’est-à-dire l’amour de Dieu et l’amour du prochain), l’Ecriture cite souvent l’un pour l’autre, parce qu’en effet, celui qui aime Dieu, est disposé à faire ce que Dieu lui commande ; il doit donc aimer un prochain pour obéir au commandement que Dieu lui en fait. Et c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. »




S. GREG. Un ami, amicus, est comme le gardien de l’âme, animi custos, et voilà pourquoi celui qui garde la volonté de Dieu en accomplissant ses préceptes, est appelé son ami. — S. AUG. (Traité 85 sur S. Jean.) Quelle admirable condescendance ! comme on ne peut être bon serviteur si l’on n’accomplit les préceptes de son maître, il veut que le caractère spécial des bons serviteurs, soit aussi le signe distinctif de ses amis. Le bon serviteur peut donc à la fois être serviteur et ami. Mais comment comprendre que le bon serviteur puisse réunir à la fois les deux titres de serviteur et d’ami, le Sauveur l’explique lui-même : « Je ne vous appellerai plus serviteur, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. » Est-ce à dire que nous cesserons d’être serviteurs, parce que nous serons de bons serviteurs ? Est-ce qu’un maître ne confie pas aussi sus secrets à un serviteur, dont il a mis la fidélité à l’épreuve ? Je réponds qu’il y a deux sortes de servitudes, comme il y a deux sortes de craintes. Il y a la crainte que la charité parfaite bannit complètement du cœur (1 Jn 4, 18) ; et cette crainte entraîne avec elle la servitude qu’il faut mettre dehors avec la crainte ; et il y a une autre crainte chaste et pure, celle qui demeure éternellement. (Ps 18) Nôtre-Seigneur avait donc en vue ceux qui servent sous l’impression de la première servitude, lorsqu’il dit : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas, » etc. Il ne veut point parler de ce serviteur animé d’une crainte chaste, et à qui son maître dit : « Courage, bon serviteur, entrez dans la gloire de votre Seigneur ; » (Mt 24) mais du serviteur qui agit par ce sentiment de crainte que l’amour parfait chasse du cœur, et dont il est dit : « Le serviteur ne demeure pas toujours dans la maison, mais le fils y demeure éternellement. » Puisque donc Dieu nous a donné le pouvoir d’être ses enfants (Jn 1), ne soyons plus serviteurs, soyons des enfants, de sorte que par une admirable transformation, nous soyons serviteurs sans être serviteurs ; or, nous savons que c’est le Seigneur qui produit ce changement ineffable, tandis que le serviteur qui ne sait pas ce que fait son maître, l’ignore. Lorsqu’il fait quelque bien, il s’élève comme s’il en était l’unique auteur, et se glorifie en lui-même, plutôt que de renvoyer toute la gloire à son maître.




« Je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » — THEOPHYL. C’est-à-dire, le serviteur ne connaît pas les pensées de son maître, mais pour vous que je considère comme mes amis, je vous ai communiqué tous mes secrets. — S. AUG. (Traité 86 sur S. Jean.) Mais dans quel sens devons-nous entendre qu’il a fait connaître à ses disciples tout ce qu’il a entendu dire à son Père ? Il y a sans doute beaucoup de choses que le Sauveur n’a point dites à ses disciples, parce qu’ils n’étaient pas capables de les comprendre ; mais il dit qu’il leur a fait connaître toutes les vérités qu’il sait leur devoir un jour révéler avec cette plénitude de science, dont saint Paul a dit : « Alors je connaîtrai comme je suis connu. » (1 Co 13, 12.) Car de même que nous attendons l’immortalité de la chair et le salut éternel de nos âmes, nous espérons également la révélation et la connaissance de toutes les vérités que le Fils unique a entendues de son Père. — S. GREG. (hom. 27 sur les Evang.) Ou bien, toutes ces choses qu’il a entendues de son Père, et qu’il a voulu faire connaître à ses serviteurs, ce sont les joies que la charité répand dans nos âmes, et les fêtes éternelles de la patrie céleste que Dieu imprime tous les jours dans nos cœurs par les aspirations de son amour, car l’amour que nous avons pour les biens célestes, nous en donne déjà la connaissance, parce que l’amour est lui-même une espèce de connaissance. Il leur a donc fait tout connaître, parce qu’il les avait arrachés à tous les désirs de la terre pour les faire brûler du feu de l’amour divin. — S. Chrysostome : (hom. 77 sur S. Jean.) Ou bien encore, toutes ces vérités sont celles qu’ils devaient apprendre et savoir. Nôtre-Seigneur dit qu’il a entendu, et nous montre par-là qu’il ne dit rien qui ne soit entièrement conforme à la volonté de son Père.




S. GREG. Mais que celui qui parvient à cet honneur insigne d’être appelé l’ami de Dieu, se garde bien d’attribuer à ses mérites les dons célestes qu’il reçoit, car poursuit le Sauveur : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis. » — S. AUG. (Tr. 86 sur S. Jean.) Quelle grâce ineffable ! Qu’étions-nous, en effet, avant d’avoir choisi Jésus-Christ, si ce n’est des enfants d’iniquité et de perdition ? Nous n’avions pas encore cru en lui, pour mériter par notre foi d’être choisis par lui, car s’il avait choisi ceux qui ont cru, il aurait donc choisi ceux qui déjà l’avaient choisi. Loin donc d’ici les vains raisonnements de ceux qui prétendent1 que nous avons été choisis avant la création du monde, parce que Dieu, dans sa prescience, avait prévu que nous serions bons, et non qu’il nous rendrait bons lui-même. En effet, s’il nous avait choisis, parce qu’il prévoyait que nous serions bons, il aurait également prévu que nous devions le choisir les premiers, car c’est la seule manière dont nous pouvions être bons, à moins qu’on n’appelle bon celui qui n’a pas choisi le bien. Qu’a-t-il donc pu choisir dans ceux qui n’avaient rien de bien ? En effet vous ne pouvez dire : J’ai été choisi parce que je croyais déjà, car si vous croyiez alors en lui, c’est vous qui l’aviez choisi. Ne dites pas non plus : Avant de croire, je faisais déjà le bien, et j’ai mérité par-là d’être choisi, car quelle bonne œuvre peut exister avant la foi ? Que nous reste-t-il donc à dire ? C’est que nous étions mauvais et que nous avons été choisis pour devenir bons par la grâce de celui qui nous a choisis. — S. AUG. (de la prédes. des saints, 17) Ils ont donc été élus avant la création du monde, en vertu de cette prédestination dans laquelle Dieu prévoyait tout ce qu’il devait faire, et nous avons été choisis du milieu du monde par suite de cette vocation qui réalisait la prédestination de Dieu, « car ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés. » (Rm 8)




S. AUG. (Traité 86 sur S. Jean.) Remarquez donc bien qu’il ne choisissait pas ceux qui étaient bons, mais qu’il rendait bons ceux qu’il avait choisis : « Et je vous ai établis pour que vous alliez et que vous rapportiez du fruit. » C’est ce fruit dont il avait dit plus haut : « Sans moi vous ne pouvez rien faire, » car il est lui-même la voie dans laquelle il nous a placés pour que nous y marchions. — S. GREG. (hom. 27.) Je vous ai établis (par ma grâce), je vous ai comme plantés afin que vous alliez (par la volonté qui est comme la marche pour l’âme), et que vous rapportiez du fruit (par les bonnes œuvres). Il leur fait connaître quelle espèce de fruit ils doivent produire, lorsqu’il ajoute : « Et que votre fruit demeure. » En effet, tous nos travaux pendant cette vie, peuvent à peine suffire à nos besoins jusqu’à la mort ; et la mort vient d’un seul coup anéantir tout le fruit de notre travail sur la terre ; mais les travaux qui ont pour objet la vie éternelle, survivent à la mort, et le fruit de ces travaux commence à paraître, lorsque le fruit des œuvres charnelles est à jamais anéanti. Produisons donc de ces fruits qui demeurent et qui prennent naissance à la mort qui détruit et renverse tout. — S. AUG. Le fruit que nous devons produire, c’est donc l’amour qui n’est que dans le désir et ne jouit pas encore entièrement de son objet ; et tout ce que nous demandons sous l’inspiration de ce désir au nom du Fils unique, nous est donné par le Père : « Et tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera ; » or, nous demandons au nom du Sauveur, lorsque nous demandons ce qui est utile au salut de notre âme.




Versets 17-21.



S. AUG. (Traité 87 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire : « Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous rapportiez du fruit. » La charité est le fruit que nous devons produire, et Jésus-Christ nous en fait un précepte formel : « Ce que je vous commande, est de vous aimer les uns les autres. » C’est pour cela que l’Apôtre nous dit : « Le fruit de l’esprit, c’est la charité, » (Ga 5) et il nous représente toutes les autres vertus sortant de cette source et se rattachant à ce lien de la charité. Nôtre-Seigneur nous recommande donc avec raison la charité, comme si elle était le seul précepte sans laquelle tout le reste est inutile et qui amène nécessairement avec elle tous les autres biens qui constituent la bonté de l’homme.




S. Chrysostome : (hom. 77 sur S. Jean.) On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède : « Je vous ai dit que je donnais ma vie pour vous, et que je vous ai choisis le premier. Ce n’est point pour vous faire un reproche que je vous ai parlé de la sorte, mais pour vous engager à un tendre amour les uns pour les autres. Et comme il est toujours pénible d’être en butte à la persécution et aux outrages, il leur prouve que loin de s’en plaindre, ils doivent s’en réjouir : « Si le monde vous hait, leur dit-il, sachez qu’il m’a haï le premier, » c’est-à-dire, je sais que la haine est toujours dure à supporter, mais souffrez-la à cause de moi. — S. AUG. Pourquoi, en effet, les membres s’élèveraient-ils au-dessus de leur chef ? Vous refusez de faire partie du corps, si vous ne voulez pas souffrir la haine du monde avec votre chef ; or, nous devons souffrir patiemment cette haine pour l’accomplissement du précepte de l’amour, car le monde doit nécessairement nous haïr en voyant que nous ne voulons point de ce qu’il aime, ainsi que le dit le Sauveur : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui. » — S. Chrysostome : Comme le motif de souffrir pour JésusChrist ne suffisait pas encore pour contrebalancer leurs craintes, il en ajoute un autre, c’est que c’est une preuve incontestable de vertu d’être haï du monde, et nous devrions gémir et nous attrister si nous en étions aimés, car ce serait un signe évident de notre dépravation.




S. AUG. Ces paroles s’appliquent à toute l’Église, qui est souvent désignée sous le nom du monde, comme dans ce passage : « Dieu était dans le Christ, se réconciliant le monde. » (2 Co 5, 19) L’Église est donc le monde entier, et c’est le monde entier qui hait l’Église. C’est donc le monde qui hait le monde, le monde ennemi qui hait le monde réconcilié, le monde réprouvé qui hait le monde sauvé, le monde souillé qui hait le monde purifié. (Tr. 88.) Mais puisque les méchants tourmentent aussi les méchants (ainsi les rois et les juges impies, tout en persécutant les bons, punissent aussi les homicides et les adultères) ; ces paroles du Sauveur : « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, » doivent s’entendre dans ce sens, que le monde est dans ceux, qui punissent de tels crimes, et qu’il est aussi dans ceux qui les aiment. Le monde a donc de la haine pour ce qui est à lui, en tant qu’il châtie les coupables, et il aime ce qui vient de lui en ce qu’il favorise les mêmes crimes. (Traité 87.) Si l’on demande quelle affection peut avoir pour lui-même ce monde de perdition qui n’a que de la haine pour le monde de la rédemption, je répondrai qu’il s’aime d’une affection qui n’a rien de vrai, parce qu’il aime ce qui lui est nuisible. Il déteste eu lui la nature et n’aime que le vice. Aussi nous est-il défendu d’aimer ce qu’il aime en lui-même, tandis que Dieu nous commande d’aimer ce qu’il déteste, c’est-à-dire, qu’il nous est défendu d’aimer en lui le vice, et commandé d’aimer la nature. Or, c’est pour tirer les disciples de ce monde de perdition que Dieu les a choisis, et il les a choisis, non à cause de leurs mérites, puisqu’ils n’avaient aucune bonne œuvre à présenter, ni à cause de leur nature, qui avait été profondément viciée dans la racine, mais il les a choisis uniquement par grâce : « Parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait. » — S. GREG. (hom. 9 sur Ezéch.) Le blâme des méchants est une approbation de notre vie, c’est une marque évidente que nous commençons à avoir quelque justice, lorsque nous commençons à déplaire à ceux qui ne plaisent pas à Dieu ; car personne ne peut dans une seule et même chose être agréable tout à la fois à Dieu et à ses ennemis ; c’est renier le titre d’ami de Dieu que de plaire à ses ennemis, et on est ouvertement opposé aux ennemis de la vérité, lorsqu’on est intérieurement soumis au règne de cette même vérité.




S. AUG. (Traité 8S sur S. Jean.) Notre-Seigneur, pour encourager ses serviteurs à supporter patiemment la haine du monde, ne leur a point proposé d’exemple plus grand et plus efficace que le sien : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : Le serviteur n’est pas plus grand que son maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi, » etc. — LA GLOSE. Ils ont suivi la même conduite pour la calomnie, selon ces paroles : « Le pécheur observera le juste. » (Ps 36) — THEOPHYL. S’ils ont persécuté le Seigneur, à plus forte, raison, vous persécuteront-ils, vous, ses serviteurs ; s’ils ne l’avaient point persécuté et qu’ils eussent gardé sa parole, ils auraient aussi gardé la vôtre. — S. Chrysostome : C’est-à-dire, en d’autres termes : Ne vous troublez point, si vous avez part à mes souffrances, parce que vous n’êtes pas au-dessus de moi. — S. AUG. Lorsque le Sauveur dit : « Le serviteur n’est pas au-dessus de son maître, » il veut parler du serviteur qui est rempli de cette crainte chaste et sainte qui demeure éternellement. (Ps 18)




S. Chrysostome : Il leur donne encore un nouveau motif de consolation, c’est que les outrages qu’ils reçoivent s’adressent on même temps à Dieu le Père : « Mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent point celui qui m’a envoyé. » — S. AUG. Quelles sont toutes ces choses ? celles dont il vient de parler, la haine, les mauvais traitements, et le mépris qu’on fera de leur parole : « Ils vous feront toutes ces choses ; à cause de mon nom, » n’est-ce pas dire équivalemment : c’est moi qu’ils poursuivront de leur haine dans votre personne, c’est moi qu’ils persécuteront en vous persécutant, et ils ne garderont pas votre parole, parce qu’elle est la mienne. Ceux qui vous feront ces mauvais traitements à cause de mon nom, sont donc d’autant plus malheureux, que le bonheur de ceux qui les souffrent à cause de mon nom est plus grand. Les méchants les font endurer également aux méchants, et ils sont misérables les uns comme les autres, ceux qui font souffrir comme ceux qui souffrent. Mais comment Nôtre-Seigneur a-t-il pu dire : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, » alors que ces impies n’agissent point pour le nom de Jésus-Christ, c’est-à-dire, par un motif de justice, mais par amour de l’iniquité ? Si on applique exclusivement ces paroles aux justes, voici comme on peut résoudre cette question : « Vous souffrirez toutes ces choses à cause de mon nom. » Mais si on entend ces paroles dans ce sens : « Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom. » qui est en vous l’objet de leur haine, » on peut leur donner cette signification : A cause de la justice qu’ils ne peuvent s’empêcher de haïr dans votre personne. Par la même raison, lorsque les bons sont obligés de persécuter les méchants, ils le font, et à cause de la justice dont ils défendent les intérêts en châtiant les méchants, et à cause de l’iniquité qu’ils détestent dans leur personne. Nôtre-Seigneur ajoute : « Parce qu’ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé, » et cette connaissance est celle dont il est écrit : « Vous connaître, c’est la parfaite prudence. »




Versets 22-25.



S. Chrysostome : (hom. 77 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur console encore et encourage ses disciples par cette pensée, que c’est par une souveraine injustice qu’ils furent toutes ces choses et contre ses disciples et contre lui : « Si je n’étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point de péché. » — S. AUG. (Traité 89 sur S. Jean.) Jésus-Christ a parlé aux Juifs, et non aux autres peuples. C’est donc dans les Juifs qu’il a voulu personnifier ce monde qui hait Jésus-Christ et ses disciples, et ce ne sont pas seulement les Juifs, c’est nous-mêmes qu’il veut désigner ici sous le nom de monde. Mais est-ce donc que les Juifs, à qui le Christ a parlé, étaient sans péché avant qu’il fût venu au milieu d’eux dans un corps mortel ? Non, sans doute ; le Sauveur, sous le nom général de péché, ne veut point qu’on comprenne toutes sortes de péchés, mais un péché plus grand que tous les autres, un péché auquel se rattachent tous les autres péchés, un péché sans lequel tous les autres peuvent être remis, c’est le péché d’incrédulité à l’égard de Jésus-Christ, qui est venu afin que tous croient en lui. Or, s’il n’était pas venu, ils ne seraient pas coupables de ce péché ; car autant son avènement a été salutaire à ceux qui ont cru en lui, autant il a été funeste à ceux qui ont refusé de croire. « Mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché. » On peut ici se demander si ceux vers qui Jésus-Christ n’est pas venu, qui n’ont point entendu sa parole, ont une excuse de leur péché ; car s’ils n’en ont point, pourquoi le Sauveur dit-il que les Juifs n’ont point d’excuse ? parce que Jésus-Christ est venu et qu’il leur a parlé. Et, s’ils ont une excuse, pourra-t-elle les soustraire au châtiment, ou du moins adoucir celui qu’ils auraient mérité ? Je réponds à cette question qu’ils sont excusables non point de tout péché, mais du péché d’incrédulité à l’égard de Jésus-Christ. Quant à ceux vers qui il est venu dans la personne de ses disciples, ils ne sont point de ce nombre, et on ne peut les ranger avec ceux dont le châtiment sera moins rigoureux, eux qui ont refusé absolument de recevoir la loi de Jésus-Christ, et qui, autant que cela dépendait d’eux, auraient voulu l’anéantir. Cette excuse peut encore être apportée par ceux qui ont été prévenus par la mort avant d’avoir entendu annoncer l’Evangile de Jésus-Christ ; mais ils ne peuvent cependant pas échapper à la damnation, car tous les hommes qui ne seraient point sauvés par le Sauveur, qui est venu chercher ce qui avait péri, feraient sans aucun doute partie des réprouvés ; bien qu’on puisse admettre que le châtiment des uns sera plus léger, et celui des autres plus rigoureux. En effet, on périt véritablement aux yeux de Dieu, lorsqu’on est séparé par un châtiment éternel de cette félicité qu’il donne à ses saints. La différence des supplions entre eux répond donc à la variété multiple des péchés. Comment cela se fait-il ? La profondeur des jugements de la sagesse divine est ici au-dessus de toute conjecture comme de toute parole humaine.




S. Chrysostome : (hom. 77 sur S. Jean.) Comme les Juifs alléguaient presque toujours que c’était pour défendre l’honneur de Dieu le Père qu’ils persécutaient le Sauveur, il leur ôte ce prétexte en leur déclarant : « Celui qui me hait, hait aussi mon Père. » — ALCUIN. De même, en effet, que celui qui aime le Fils, aime aussi le Père (parce qu’il n’y a qu’un amour du Père et du Fils, comme il n’y a qu’une nature), ainsi celui qui hait le Fils, hait aussi le Père. — S. AUG. (Traité 90 sur S. Jean.) Mais Nôtre-Seigneur n’a-t-il pas dit plus haut : « Ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé ? » Comment peuvent-ils donc haïr celui qu’ils ne connaissent pas ? Car si, sous le nom de Dieu, ce n’est pas Dieu lui-même qu’ils poursuivent de leur haine, mais je ne sais quelle divinité imaginaire qu’ils se sont formée, ce n’est plus Dieu lui-même qui est l’objet de leur haine, mais ce que leur erreur ou leur vaine crédulité leur représentent comme tel. Si au contraire ils ont sur Dieu des idées justes et vraies, comment peut-on dire qu’ils ne le connaissent pas ? Il peut arriver quelquefois, il est vrai, que nous ayons de l’affection ou de la haine pour des hommes que nous ne connaissons que sur le bien on le mal que nous en avons appris, mais comment pourrait-on dire d’un homme qu’on nous fait connaître, qu’il nous est inconnu ? Ce ne sont pas sans doute les traits de son visage qui nous le font connaître, mais la connaissance qu’on nous donne de ses habitudes et de sa vie ; autrement il faudrait dire qu’on ne peut se connaître soi-même, puisqu’on ne peut voir les traits de son visage. Cependant la plupart du temps nous nous trompons sur ceux que nous connaissons de cette manière, car souvent l’histoire, et plus souvent encore la renommée, nous induisent en erreur. Dans l’impossibilité où nous sommes de pénétrer dans la conscience des hommes, nous pouvons au moins, pour n’être pas dupes d’une opinion mensongère, avoir une connaissance véritable et certaine des choses elles-mêmes. Quand donc on ne se trompe pas sur les choses ; qu’on blâme ce qui est réellement vice, et qu’on approuve ce qui est véritablement vertu, si l’erreur ne porte que sur les personnes, c’est une faiblesse qui tient à l’humanité et qui est digne de pardon. Il peut, en effet, arriver qu’un homme vertueux ait de la haine pour un homme également bon dont il ignore la vertu, et alors ce n’est pas cet homme, mais l’idée qu’il s’en fait, qui est l’objet de sa haine ; ou plutôt il peut arriver qu’il aime cet homme sans le connaître, parce qu’il aime le bien qui se trouve en cet homme. De même, un homme injuste peut avoir de la haine pour un homme vertueux, et l’aimer lorsqu’il le suppose injuste, en aimant alors en lui non pas ce qu’il est véritablement, mais l’idée qu’il s’en forme. Or, la même chose peut arriver pour Dieu. Ainsi, qu’on ait demandé aux Juifs s’ils aimaient Dieu, ils auraient répondu qu’ils l’aimaient sans faire un mensonge, mais en étant simplement dupes de la fausse idée qu’ils s’en formaient ; car comment peut-on aimer le Père de la vérité lorsqu’on a de la haine pour la vérité ? Ils ne veulent pas que leurs actions soient condamnées, et c’est ce que fait la vérité. Ils ont donc autant de haine pour la vérité qu’ils en ont pour les châtiments qu’elle inflige à ceux qui l’outragent. Mais ils ne savent pas que c’est la vérité elle-même qui condamne ceux qui leur ressemblent, et parce qu’ils ignorent que cette vérité qui les juge et les condamne, est née de Dieu le Père, ils ont de la haine pour Dieu sans le connaître.




S. Chrysostome : Les Juifs n’ont donc aucune excuse ; je leur ai transmis ma doctrine par mes paroles, je l’ai confirmée par mes œuvres, comme le recommande la loi de Moïse, qui fait un devoir à tous d’obéir à celui qui s’annonce comme docteur lorsque sa doctrine inspire une véritable piété, et qu’elle est confirmée par des miracles extraordinaires. C’est pour cela qu’il ajoute : « Si je n’avais point fait parmi eux des œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient point de péché. » — S. AUG. (Traité. 91 sur S. Jean.) C’est-à-dire le péché qu’ils ont commis eu refusant de croire à ses enseignements et à ses œuvres. Mais pourquoi ajoute-t-il : « Que nul autre n’a faites ? » Nous ne voyons point de plus grands miracles dans la vie de Jésus-Christ que la résurrection des morts, et nous savons que les anciens prophètes ont ressuscité des morts, en particulier Elie (3 R 17) ; Elisée, pendant sa vie (4 R 4), et jusque dans son tombeau (4 R 13). Cependant Jésus-Christ a fait quelques miracles que nul autre n’a faits, par exemple, lorsqu’il a nourri cinq mille hommes avec cinq pains ; lorsqu’il a marché sur les eaux, et donné à Pierre le pouvoir d’y marcher lui-même ; lorsqu’il a changé l’eau en vin ; lorsqu’il a ouvert les yeux de l’ aveugle-né, et fait beaucoup d’autres miracles, qu’il serait trop long d’énumérer ici. Mais on nous répond que d’autres ont opéré des prodiges qui n’ont été faits ni par Jésus-Christ, ni par aucun autre. Quel autre que Moïse, par exemple, a conduit tout un peuple à travers les eaux divisées de la mer, a fait descendre du ciel la manne pour le nourrir, et jaillir l’eau du rocher pour étancher sa soif ? Quel autre que Jésus, fils de Navé, a partagé les eaux du Jourdain pour livrer un passage au peuple de Dieu, et par ses prières a mis comme un frein au soleil dans sa course ? Quel autre qu’Elisée a rendu la vie à un mort par le seul contact de son propre cadavre ? J’en omets bien d’autres, et je pense que ces exemples suffirent pour prouver que les autres saints ont opéré des prodiges que personne n’a faits. Mais on ne sait point que, parmi les anciens, aucun d’eux ait jamais guéri avec autant d’autorité et de puissance les vices nombreux, les maladies et les infirmités multipliées des hommes. Car, sans dire ici que d’un seul mot il guérissait tous ceux qui se présentaient à lui, saint Marc nous raconte que « partout où il entrait, dans les bourgs, dans les villages ou dans les villes, on mettait les malades sur les places publiques, et on le suppliait de leur laisser toucher seulement la frange de son vêtement ; et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. » (Mc 6, 56) Voilà ce que personne autre que lui n’a fait en eux, car c’est ainsi qu’il faut traduire ces paroles : in eis, en eux, et non parmi eux, ou devant eux ; parce qu’il les a guéris eux-mêmes. Et si un autre que lui semble avoir opéré les mêmes prodiges, on peut dire, encore que nul autre n’a fait ce qu’il a fait, car tous les miracles semblables qu’un autre a pu opérer, il les a opérés en vertu de la puissance du Sauveur ; tandis que Jésus les a faits sans le concours d’aucun autre. Et, bien que le Père et le Saint-Esprit aient pris part à ces miracles, on peut dire encore que nul autre ne les a faits, parce qu’il n’y a dans la Trinité qu’une seule et même nature. Les Juifs auraient donc dû répondre à de si grands bienfaits par l’amour plutôt que par la haine, et c’est ce que le Sauveur leur reproche : « Maintenant ils ont vu ces œuvres, et ils me haïssent, moi et mon Père, afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie : ils m’ont haï sans sujet. » — S. Chrysostome : Il prévient ainsi l’objection que ses disciples auraient pu lui faire. Pourquoi nous avez-vous jetés au milieu de tant de dangers ? N’avez-vous donc pas prévu tous ces combats, toute cette haine ? Il leur répond eu leur citant cette prophétie : « Afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie. » — S. AUG. (de la Trin., 17) Tous les livres de l’Ancien Testament sont souvent désignés dans les saintes Ecritures sous le nom de loi, et c’est le sens que le Sauveur lui donne ici, lorsqu’il dit : « Il est écrit dans leur loi, » c’est-à-dire dans les Psaumes. (Ps 68, 5)




S. AUG. (Traité 91) Il dit leur loi, non pas qu’ils l’aient faite eux-mêmes, mais parce qu’elle leur a été donnée. Haïr sans sujet ou gratuitement, c’est haïr sans espérance d’aucun avantage, sans crainte d’aucun danger, c’est le caractère de la haine des impies pour Dieu ; c’est aussi le caractère de l’amour des justes qui n’attendent point d’autres biens que Dieu, parce qu’il sera lui-même tout dans tous. (1 Co 15, 28.) — S. AUG. (Moral., 25, 11 ou 16 dans les anc. man.) Il y a une grande différence entre ne pas faire le bien et haïr celui qui enseigne le bien, de même qu’entre pécher par précipitation et pécher de propos délibéré. Il nous arrive souvent par suite de notre faiblesse de ne point faire le bien que nous aimons ; mais pécher de propos délibéré, c’est ne pas faire le bien, et de plus n’avoir aucun amour pour le bien. De même donc qu’on est quelquefois plus coupable d’aimer le péché que de le commettre, ainsi c’est souvent une faute plus grave de haïr la justice que de ne point en pratiquer les actes. Or, il y en a un certain nombre dans l’Église qui, non-seulement ne font pas le bien, mais le persécutent, et qui haïssent dans les autres le bien qu’ils n’ont pas le courage de pratiquer, et leur péché n’est pas un péché de faiblesse on d’ignorance, mais un péché commis avec intention et de propos délibéré.




Versets 26-27.



S. Chrysostome : (hom. 77 sur S. Jean.) Les disciples pouvaient dire au Sauveur : S’ils ont entendu de votre bouche des paroles que nul autre n’a dites, s’ils ont vu des prodiges que personne autre n’a faits, sans en retirer la moindre utilité ; si au contraire ils n’ont eu que de la haine pour votre Père et pour vous, pourquoi donc nous envoyer, et comment espérer que nous soyons dignes de foi ? Nôtre-Seigneur dissipe la crainte que pouvaient faire naître ces pensées, en leur faisant cette promesse consolante : « Lorsque sera venu le Paraclet que je vous enverrai du sein du Père, etc., il rendra témoignage de moi. » — S. AUG. (Tr. 92 sur S. Jean.) C’est-à-dire, les Juifs m’ont haï et m’ont mis à mort, bien qu’ils aient vu de leurs yeux les œuvres que j’ai faites, mais le Paraclet rendra de moi un si éclatant témoignage, qu’il fera croire en moi ceux mêmes qui n’auront pu me voir. (Traité 93.) En même temps que l’Esprit de vérité me rendra témoignage, vous aussi me rendrez témoignage, lui dans les cœurs, et vous par vos paroles, lui par ses inspirations, vous par vos prédications. (Traité 92) Vous pourrez alors prêcher hautement ce que vous connaissez, vous qui avez été avec moi dès le commencement, ce que vous ne pouvez faire maintenant, parce que vous n’avez pas encore reçu la plénitude de l’Esprit saint ; car c’est dans la charité qui a été répandue dans vos cœurs par l’Esprit saint qui vous a été donnée (Rm 5), que vous puiserez le courage nécessaire pour me rendre témoignage. L’Esprit saint, en effet, en rendant lui-même témoignage, et en inspirant à ces nouveaux témoins un courage à toute épreuve, a banni complètement la crainte du cœur des amis de Jésus-Christ, et a converti en amour la haine de ses ennemis.




DIDYME. (de l’Esprit saint, 2) Le Sauveur donne à l’Esprit saint le nom de consolateur, nom significatif de ce qu’il produit dans les âmes, parce que, non-seulement il affranchit de toute espèce de trouble ceux qu’il eu trouve dignes, mais il les remplit encore d’une joie ineffable ; car les cœurs où l’Esprit saint fixe son séjour, jouissent d’une joie éternelle. Cet Esprit consolateur est envoyé par le Fils, non comme Dieu envoyait les anges, les prophètes ou les Apôtres, mais comme il convenait à la sagesse et à la vérité d’envoyer l’Esprit de Dieu qui a une nature indivisible avec cette même sagesse et cette même vérité. En effet, le Fils qui est envoyé par le Père, n’en est pour cela ni séparé, ni divisé, il demeure dans son Père, et son Père demeure en lui. Ainsi l’Esprit saint envoyé par le Fils, soit du Père, sans aller d’un lieu dans un autre ; car de même que le Père ne peut être contenu dans un espace limité, puisque son infinité s’étend audelà de tous les espaces matériels, ainsi l’Esprit de vérité ne peut être circonscrit par aucune limite, parce qu’il est incorporel et qu’il est au-dessus de toutes les créatures raisonnables.




S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur l’appelle, non l’Esprit saint, mais l’Esprit de vérité, pour montrer combien son témoignage est digne de foi. Il déclare qu’il procède du Père, c’est-à-dire, qu’il sait toutes choses avec une entière certitude, comme le Sauveur dit de lui-même dans un autre endroit : « Je sais d’où je viens et où je vais. » — DIDYME. Il aurait pu dire qu’il procédait de Dieu ou du Tout-Puissant, il laisse ces dénominations et choisit de préférence celle du Père, non sans doute que le Père soit différent du Dieu tout-puissant ; mais parce que l’Esprit de vérité sort de lui en vertu de cette propriété et de cette intelligence qui est propre au Père. Or, en même temps que le Fils envoie l’Esprit de vérité, le Père l’envoie également, puisqu’il vient par un seul et même acte de la volonté du Père et du Fils. — THEOPHYL. Nous voyons ailleurs que le Père envoie l’Esprit saint, ici le Sauveur, en déclarant qu’il l’enverra lui-même, prouve qu’il a une même puissance avec le Père. Et afin qu’où ne crût pas qu’il était opposé au Père, et qu’il envoyait l’Esprit saint en vertu d’une puissance différente, il ajoute : « Qui procède du Père, » pour nous apprendre que non-seulement le Père consent à cette mission, mais qu’il la donne lui-même. Lorsque vous entendez dire que l’Esprit saint procède, n’allez pas croire que cette procession soit une mission extérieure comme celle qui est donnée aux esprits qui servent le Seigneur (He 1, 14) ; cette procession est une propriété toute différente, attribut exclusif de cet esprit principal. La procession du Saint-Esprit n’est autre que l’origine de son être, il ne faut donc pas prendre la procession pour la mission, car la procession est l’acte en vertu duquel l’Esprit reçoit du Père sa nature divine.




S. AUG. (Traité 96.) On nous fera peut-être ici cette question : L’Esprit saint procède-t-il aussi du Fils ? Le Fils est Fils du Père seulement, et le Père est exclusivement le Père du Fils ; or, l’Esprit saint n’est pas l’Esprit d’une seule des deux premières personnes divines, il est l’Esprit des deux, puisque Jésus-Christ dit expressément : « L’Esprit de votre Père qui parle en vous, » (Mt 10, 20) et que l’Apôtre nous dit de son côté : « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans vos cœurs. » (Ga 4, 6.) Et je ne vois pas d’autre raison pour laquelle on lui donne le nom d’Esprit, car si on nous interroge sur ce que nous pensons de chacune des autres personnes, il n’y a que le Père et le Fils à qui nous puissions donner ce nom d’Esprit. Or, ce nom qui est le nom commun des deux premières personnes, a dû être donné proprement à celui qui n’est pas l’Esprit de l’un deux, mais qui est le principe d’union des deux personnes divines. Pourquoi donc n’admettrions-nous pas que l’Esprit saint procède du Fils, puisqu’il est aussi l’Esprit du Fils ? S’il ne procédait pas de lui, le Fils de Dieu n’aurait pas soufflé sur ses disciples après sa résurrection, en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit, » c’est aussi de cette vertu de l’Esprit saint que l’Evangéliste veut parler, quand il dit : « Une vertu sortait de lui et les guérissait tous. » (Lc 6, 19) Mais si l’Esprit saint procède du Père et du Fils, pourquoi le Fils déclare-t-il qu’il procède du Père ? C’est parce qu’il a coutume de rapporter tous ses attributs divins à celui de qui vient sa nature divine. C’est dans ce même sens qu’il dit ailleurs : Ma doctrine n’est pas ma doctrine, mais la doctrine de celui qui m’a envoyé. Si donc on doit regarder comme sa doctrine la doctrine qu’il déclare être non la sienne, mais celle de son Père, à plus forte raison doit-on entendre que l’Esprit saint procède de lui, lorsqu’il dit : « Qui procède du Père, » et non : Il procède de moi. C’est du Père que le Fils a reçu d’être Dieu, c’est du Père aussi qu’il a reçu d’être le principe d’où procède l’Esprit saint. D’est ce qui nous explique, aussi pourquoi on ne dit pas de l’Esprit saint qu’il est né mais qu’il procède ; car s’il était appelé Fils, il faudrait dire qu’il est le Fils des deux personnes divines, ce qui serait une absurdité, car on ne peut être le Fils de deux personnes, que lorsque ces deux personnes sont le père et la mère, or, loin de nous de supposer quelque chose de semblable entre Dieu le Père et Dieu le Fils. Disons plus, même, parmi les hommes, le fils ne procède pas en même temps du père et de la mère, car au moment où il procède du père dans la mère, il ne procède pas de la mère. Quant à l’Esprit saint, il ne procède pas du Père dans le Fils et du Fils dans les créatures qu’il sanctifie, il procède en même temps du Père et du Fils, car nous ne pouvons dire que l’Esprit saint ne soit pas la vie, puisque le Père est la vie, et que le Fils aussi est la vie, et ainsi de même que le Père qui a la vie en lui-même, a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (Jn 5), ainsi a-t-il donné au Fils que la vie procède de lui, comme elle procède du Père.