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Chanson (« Les Cieux inexorables »)

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(Redirigé depuis Chanson (Bertaut))
Texte établi par Adolphe Chenevière, Plon (p. 355-357).


CHANSON.


         Les Cieux inexorables
         Me sont si rigoureux,
         Que les plus miserables
Se comparans à moy se trouueroient heureux.


           Ie ne fais à toute heure
         Que souhaitter la mort,
         Dont la longue demeure
Prolonge dessus moy l’insolence du Sort.

           Mon lict est de mes larmes
         Trempé toutes les nuits :
         Et ne peuuent ses charmes,
Lors mesme que ie dors, endormir mes ennuis.

           Si ie fay quelque songe
         I’en suis espouuanté,
         Car mesme son mensonge
Exprime de mes maux la triste verité.

           Verité non croyable
         Qu’à l’esprit de celuy,
         Qui d’vn art pitoyable
Apprend en ses malheurs à plaindre ceux d’autruy.

           Toute paix, toute ioye
         A prins de moy congé.
         Laissant mon ame en proye
A cent mille soucis dont mon cœur est rongé.

           La pitié, la iustice,
         La constance, et la foy,
         Cedant à l’artifice,
Dedans les cœurs humains sont esteintes pour moy.

           L’ingratitude paye
         Ma fidelle amitié :
         La calomnie essaye
A rendre mes tourments indignes de pitié.

           En vn cruel orage
         On me laisse perir,
         Et courant au naufrage
Ie voy chacun me plaindre et nul me secourir.

           Bref, il n’est sur la terre
         Espece de malheur,
         Qui me faisant la guerre
N’experimente en moy ce que peut la douleur.


           Et ce qui rend plus dure
         La misere où ie vy,
         C’est, és maux que i’endure,
La mémoire de l’heur que le Ciel m’a rauy.

           Felicité passee
         Qui ne peux reuenir :
         Tourment de ma pensee,
Que n’ay-ie en te perdant perdu le souuenir !

           Helas ! il ne me reste
         De mes contentements
         Qu’vn souuenir funeste.
Qui me les conuertit à toute heure en tourments.

           Le sort plein d’iniustice
         M’ayant en fin rendu
         Ce reste vn pur supplice,
Ie serois plus heureux si i’auoy plus perdu.