Poésies de Schiller/Chanson des montagnes
CHANSON DES MONTAGNES.
Le sentier qui donne le vertige conduit au bord de l’abîme ; il serpente entre la vie et la mort. Les géants ferment cette route solitaire et te menacent d’une mort certaine. Si tu ne veux pas éveiller le Dieu destructeur qui dort, marche en silence dans la route de la terreur.
Un pont s’élève sur le bord des profondeurs terribles ; ce n’est pas l’œuvre d’une main humaine. Nul homme n’aurait osé le construire. Sous ce pont, le torrent écume, mugit matin et soir ; il mugit sans cesse et jamais ne le détruit.
Voyez cette sombre et effroyable porte. On croirait qu’elle s’ouvre et qu’elle conduit dans l’empire des morts. Au delà de cette porte une riante campagne, où le printemps se marie à l’automne. Pour échapper aux fatigues, aux sollicitudes éternelles, je voudrais fuir dans cette heureuse vallée.
Quatre torrents grondent dans ce vallon ; leur source est cachée à tous les regards ; ils coulent vers les quatre parties du monde, vers le Nord et le Sud, vers l’Orient et l’Occident, et, comme la source qui les a enfantés, ils coulent sans cesse et sont à tout jamais perdus.
Deux pics aigus s’élèvent dans les airs au-dessus de la race des hommes ; sur ces pics voltigent dans une auréole dorée les nuages enfants du ciel. Ils poursuivent là leur course solitaire dont nul être terrestre n’est témoin.
Là, sur un trône splendide et inébranlable, réside la reine des montagnes. Son front est couronné de diamants merveilleux. Le soleil y darde son rayon de flamme ; il les dore et ne peut les échauffer.