Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le seigneur Nann (seconde version)

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LE SEIGNEUR NANN.

SECONDE VERSION.

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I

  Le seigneur Nann et sa femme
Tout jeunes ont été mariés ;

  Tout jeunes ils ont été mariés,
L’une a douze ans, et l’autre treize.

  Tout jeunes ils ont été mariés,
Tout jeunes aussi ils ont été séparés.


II

  Le seigneur comte disait
Un jour à sa femme :

  — Maintenant que vous êtes accouchée,
Que désirez-vous, ma femme ?

  De la chair de bécasse ou de poule.
Ou bien encore de perdrix ? —

  — De la chair de bécasse, si vous le voulez bien ;
Mais je crains votre peine, mon mari. —

  Le seigneur comte, à ces mots,
A pris son fusil ;

  Il a pris son fusil,
Et est allé chasser au bois.
 
  En entrant dans le bois.
Il a rencontré une fée :

  — Bonjour à vous, seigneur comte,
Il y a longtemps que je désire vous rencontrer ;

  Maintenant que je vous ai rencontré,
Il vous faudra m’épouser ;

  Il vous faudra m’épouser sur le champ,
Ou me donner mon poids d’argent ;
 
  Ou bien encore mourir dans trois jours,
Ou rester sept ans malade sur votre lit ;

  Ou rester sept ans malade sur votre lit,
Et cependant mourir ensuite ! —

  — Pour vous épouser, je ne le ferai point,
Car je suis fiancé et même marié ;

  Je suis fiancé et même marié,
Et ma femme a donné le jour à un jeune fils.

  J’aime mieux mourir au bout de trois jours,
Que rester sept ans sur mon lit ;
 
  Que rester sept ans sur mon lit,
Et cependant mourir ensuite ! —


III

  Le seigneur comte disait
À sa mère, en arrivant à la maison.
 
  — Ma pauvre mère, faites-moi mon lit bien à l’aise,
Car j’ai fait une mauvaise journée :

  J’ai été chasser au bois.
Et j’ai rencontré une fée ;
 
  J’ai rencontré une fée,
Et elle m’a parlé de la sorte :

  Ou l’épouser sur le champ,
Ou lui donner son poids d’argent ;
 
  Ou bien encore mourir au bout de trois jours,
Ou rester sept ans malade sur mon lit ;

  Ou rester sept ans malade sur mon lit,
Et mourir après, cependant.

  Je serai mort dans trois jours,
Et le quatrième je serai enterré.

  Ma pauvre mère, si vous m’aimez,
Vous n’avouerez pas à ma femme ;

  Vous n’avouerez pas à ma femme,
Jusqu’à ce qu’elle ait été purifiée. —




IV

  La jeune comtesse demandait
Un jour à sa belle-mère :
 
  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
J’entends les domestiques pleurer ? —

  — Le plus beau cheval de l’écurie
A été mangé par les loups. —

  — Dites-leur de ne pas pleurer,
J’arrangerai l’affaire avec mon mari. —

  La jeune comtesse demandait
A ses servantes, ce jour-là :

  — Pourquoi vos coiffes sont-elles pendantes ? (1)[1]
Ce n’est pas qu’il vous manque des épingles ;

  De la grande foire de Tréguier,
Je vous en avais apporté à chacune un millier ? —

  — Un mendiant avait été logé dans la maison,
Et il est mort cette nuit ;

  Il est mort cette nuit,
Et il convient de porter son deuil. —
 
  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison ?
J’entends les prêtres chanter. —

  — Un mendiant avait été logé dans la maison,
Et il est mort dans la nuit ;

  Il est mort dans la nuit,
Et il faudra à présent l’enterrer. —

  — Dites-leur de chanter gaiment,
J’ai de l’argent, et je leur en donnerai. —

  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :
 
  — Où donc est resté mon mari ?
Il ne vient plus me voir ;

  Il ne vient plus me voir,
Comme il en avait l’habitude. —

  — Vos paroles m’étonnent, ma fille ;
Vous n’êtes pas encore purifiée. —


  La jeune comtesse demandait
Encore à sa belle-mère, ce jour-là :

  — Quels habits mettrai-je aujourd’hui,
Pour aller me faire purifier ?

  Une robe blanche, ou .... (1)[2]
Ou mon cotillon violet ? —

  — Une robe noire, votre plus belle,
Ma fille, pour aller vous purifier. —

  La jeune comtesse disait,
En s’agenouillant dans son banc :

  — Qu’est-il donc arrivé de nouveau,
Mon banc est habillé de noir ?

  Mon banc est habillé de noir,
Je crains que mon mari soit mort ! —

  — Je ne puis vous le cacher plus longtemps,
Votre mari a été enterré là. —

  — Prenez, belle-mère, mes clefs,
Et veillez sur mes biens ;

  Ayez bien soin de mon fils ;
Moi je resterai ici avec son père !


Chanté par ma mère,
Rosalie LE GAC.
Keramborgne, 1848.


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  1. (1) Dans les campagnes du pays de Tréguier et de Lannion, les femmes
    qui sont en deuil laissent flotter sur leurs épaules les deux ailes de leurs coiffes blanches.
  2. (1) Je ne traduis pas le mot broget, que je ne connais pas.