Poésies diverses (Chateaubriand)/Charlottembourg

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XVI.

CHARLOTTEMBOURG.

ou le tombeau de la reine de prusse.


Berlin, 1821.


LE VOYAGEUR.

Sous les hauts pins qui protègent ces sources,
Gardien, dis-moi quel est ce monument nouveau ?

LE GARDIEN.

Un jour il deviendra le terme de tes courses :
Ô voyageur ! c’est un tombeau.

LE VOYAGEUR.

Qui repose en ces lieux ?

LE GARDIEN.

Qui repose en ces lieux ? Un objet plein de charmes.

LE VOYAGEUR.

Qu’on aima ?

LE GARDIEN.

Qu’on aima ?Qui fut adoré.

LE VOYAGEUR.

Ouvre-moi.

LE GARDIEN.

Ouvre-moi.Si tu crains les larmes.
N’entre pas

LE VOYAGEUR.

N’entre pasJ’ai souvent pleuré.

Le voyageur et le gardien entrent.
LE VOYAGEUR.

De la Grèce ou de l’Italie
On a ravi ce marbre à la pompe des morts.
Quel tombeau l’a cédé pour enchanter ces bords ?
Est-ce Antigone ou Cornélie ?

LE GARDIEN.

La beauté dont l’image excite tes transports
Parmi nos bois passa sa vie.

LE VOYAGEUR.

Qui pour elle à ces murs de marbre revêtus
A suspendu ces couronnes fanées ?

LE GARDIEN.

Les beaux enfants dont ses vertus
Ici-bas furent couronnées.

LE VOYAGEUR.

On vient.

LE GARDIEN.

On vient.C’est un époux : il porte ici ses pas
Pour nourrir en secret un souvenir funeste.

LE VOYAGEUR.

Il a donc tout perdu ?

LE GARDIEN.

Il a donc tout perdu ? Non : un trône lui reste.

LE VOYAGEUR.

Un trône ne console pas.