Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/09

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À la Reine, Mère du Roi
sur les heureux Succès de sa Régence

NYMPHE qui jamais ne sommeilles,
Et dont les messages divers
En un moment sont aux oreilles
Des peuples de tout l’univers,
Vole vite, et de la contrée
Par où le jour fait son entrée

Jusqu’au rivage de Calis,
Conte, sur la terre et sur l’onde,
Que l’honneur unique du monde,
C’est la reine des fleurs de lis.

Quand son Henri, de qui la gloire
Fut une merveille à nos yeux,
Loin des hommes s’en alla boire
Le nectar avecque les dieux,
En cette aventure effroyable,
À qui ne semblait-il croyable,
Qu’on allait voir une saison
Où nos brutales perfidies
Feraient naître des maladies
Qui n’auraient jamais guérison ?

Qui ne pensait que les Furies
Viendraient des abîmes d’enfer,
En de nouvelles barbaries,
Employer la flamme et le fer ?
Qu’un débordement de licence
Ferait souffrir à l’innocence
Toute sorte de cruautés,
Et que nos malheurs seraient pires
Que naguère sous les Busires
Que cet Hercule avait domptés ?

Toutefois, depuis l’infortune
De cet abominable jour,
À peine la quatrième lune
Achève de faire son tour ;
Et la France a les destinées
Pour elles tellement tournées
Contre les vents séditieux,
Qu’au lieu de craindre la tempête,

Il semble que jamais sa tête
Ne fut plus voisine des cieux.

Au delà des bords de la Meuse,
L’Allemagne a vu nos guerriers,
Par une conquête fameuse,
Se couvrir le front de lauriers.
Tout a fléchi sous leur menace ;
L’Aigle même leur a fait place,
Et, les regardant approcher,
Comme lions à qui tout cède,
N’a point eu de meilleur remède
Que de fuir et se cacher.

Ô reine, qui pleine de charmes
Pour toute sorte d’accidents,
As borné le flux de nos larmes
En ces miracles évidents,
Que peut la fortune publique
Te vouer d’assez magnifique,
Si, mise au rang des immortels
Dont ta vertu suit les exemples,
Tu n’as avec eux, dans nos temples,
Des images et des autels ?

Que saurait enseigner aux princes
Le grand démon qui les instruit,
Dont ta sagesse en nos provinces
Chaque jour n’épande le fruit ?
Et qui justement ne peut dire,
À te voir régir cet empire,
Que, si ton heur était pareil
À tes admirables mérites,
Tu ferais dedans ses limites
Lever et coucher le soleil ?

Le soin qui reste a nos pensées,
Ô bel astre ! c’est que toujours
Nos félicités commencées
Puissent continuer leur cours.
Tout nous rit, et notre navire
À la bonace qu’il désire ;
Mais si quelque injure du Sort
Provoquait l’ire de Neptune,
Quel excès d’heureuse fortune
Nous garantirait de la mort ?

Assez de funestes batailles
Et de carnages inhumains
Ont fait en nos propres entrailles
Rougir nos déloyales mains ;
Donne ordre que sous ton génie
Se termine cette manie,
Et que, las de perpétuer
Une si longue malveillance,
Nous employions notre vaillance
Ailleurs qu’à nous entre-tuer.

La Discorde aux crins de couleuvres,
Peste fatale aux potentats,
Ne finit ses tragiques œuvres
Qu’en la fin même des États.
D’elle naquit la frénésie
De la Grèce contre l’Asie,
Et d’elle prirent le flambeau
Dont ils désolèrent leur terre,
Les deux frères de qui la guerre
Ne cessa point dans le tombeau.

C’est en la paix que toutes choses
Succèdent selon nos désirs ;

Comme au printemps naissent les roses,
En la paix naissent les plaisirs ;
Elle met les pompes aux villes,
Donne aux champs les moissons fertiles,
Et de la majesté des lois
Appuyant les pouvoirs suprêmes,
Fait demeurer les diadèmes
Fermes sur la tête des rois.

Ce sera dessous cette égide
Qu’invincible de tous côtés
Tu verras ces peuples sans bride
Obéir à tes volontés ;
Et, surmontant leur espérance,
Remettras en telle assurance
Leur salut qui fut déploré,
Que vivre au siècle de Marie,
Sans mensonge et sans flatterie,
Sera vivre au siècle doré.

Les Muses, les neuf belles fées,
Dont les bois suivent les chansons,
Rempliront de nouveaux Orphées
La troupe de leurs nourrissons ;
Tous leurs vœux seront de te plaire ;
Et, si ta faveur tutélaire
Fait signe de les avouer,
Jamais ne partit de leurs veilles
Rien qui se compare aux merveilles
Qu’elles feront pour te louer.

En cette hautaine entreprise.
Commune à tous les beaux esprits,
Plus ardent qu’un athlète à Pise,
Je me ferai quitter le prix ;

Et quand j’aurai peint ton image,
Quiconque verra mon ouvrage
Avoûra que Fontainebleau,
Le Louvre, ni les Tuileries,
En leurs superbes galeries,
N’ont point un si riche tableau.

Apollon à portes ouvertes
Laisse indifféremment cueillir
Les belles feuilles toujours vertes
Qui gardent les noms de vieillir ;
Mais l’art d’en faire des couronnes
N’est pas su de toutes personnes ;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement.