Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/18

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Au Roi Louis XIII
allant châtier la Rébellion des Rochelais,
et chasser les Anglais,
qui, en leur Faveur, étaient descendus dans l’Île de Ré


DONC un nouveau labeur à tes armes s’apprête :
Prends ta foudre, Louis, et va, comme un lion,
Donner le dernier coup à la dernière tête
   De la rébellion.

Fais choir en sacrifice au démon de la France
Les fronts trop élevés de ces âmes d’enfer,
Et n’épargne contre eux, pour notre délivrance,
   Ni le feu ni le fer.


Assez de leurs complots l’infidèle malice
A nourri le désordre et la sédition ;
Quitte le nom de Juste, ou fais voir ta justice
   En leur punition.

Le centième décembre a les plaines ternies,
Et le centième avril les a peintes de fleurs,
Depuis que parmi nous leurs brutales manies
   Ne causent que des pleurs.

Dans toutes les fureurs des siècles de nos pères,
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien
Que l’inhumanité de ces cœurs de vipères
   Ne renouvelle au tien ?

Par qui sont aujourd’hui tant de villes désertes,
Tant de grands bâtiments en masures changés,
Et de tant de chardons les campagnes couvertes,
   Que par ces enragés ?

Les sceptres devant eux n’ont point de privilèges,
Les immortels eux-même en sont persécutés ;
Et c’est aux plus saints lieux que leurs mains sacrilèges
   Font plus d’impiétés.

Marche, va les détruire, éteins-en la semence,
Et suis jusqu’à leur fin ton courroux généreux,
Sans jamais écouter ni pitié ni clémence
   Qui te parle pour eux.

Ils ont beau vers le ciel leurs murailles accroître,
Beau d’un soin assidu travailler à leurs forts,
Et creuser leurs fossés jusqu’à faire paroître
   Le jour entre les morts :

Laisse-les espérer, laisse-les entreprendre.
Il suffit que ta cause est la cause de Dieu,

Et qu’avecque ton bras elle a pour la défendre
   Les soins de Richelieu :

Richelieu, ce prélat de qui toute l’envie
Est de voir ta grandeur aux Indes se borner,
Et qui visiblement ne fait cas de sa vie
   Que pour te la donner.

Rien que ton intérêt n’occupe sa pensée,
Nuls divertissements ne l’appellent ailleurs ;
Et de quelques bons yeux qu’on ait vanté Lyncée,
   Il en a de meilleurs.

Son âme toute grande est une âme hardie,
Qui pratique si bien l’art de nous secourir,
Que, pourvu qu’il soit cru, nous n’avons maladie
   Qu’il ne sache guérir.

Le ciel, qui doit le bien selon qu’on le mérite,
Si de ce grand oracle il ne t’eût assisté,
Par un autre présent n’eût jamais été quitte
   Envers ta piété.

Va, ne diffère plus tes bonnes destinées ;
Mon Apollon t’assure et t’engage sa foi
Qu’employant ce Typhis, Syrtes et Cyanées
   Seront havres pour toi.

Certes, ou je me trompe, ou déjà la Victoire,
Qui son plus grand honneur de tes palmes attend,
Est aux bords de Charente en son habit de gloire,
   Pour te rendre content.

Je la vois qui t’appelle, et qui semble te dire :
Roi, le plus grand des rois et qui m’es le plus cher,
Si tu veux que je t’aide à sauver ton empire,
   Il est temps de marcher.


Que sa façon est brave et sa mine assurée !
Qu’elle a fait richement son armure étoffer !
Et qu’il se connaît bien à la voir si parée,
   Que tu vas triompher !

Telle, en ce grand assaut où des fils de la Terre
La rage ambitieuse à leur honte parut,
Elle sauva le ciel, et rua le tonnerre
   Dont Briare mourut.

Déjà de tous côtés s’avançaient les approches ;
Ici courait Mimas, là Tiphon se battait,
Et là suait Euryte à détacher les roches
   Qu’Encelade jetait.

À peine cette vierge eut l’affaire embrassée,
Qu’aussitôt Jupiter, en son trône remis,
Vit, selon son désir, la tempête cessée,
   Et n’eut plus d’ennemis.

Ces colosses d’orgueil furent tous mis en poudre,
Et tous couverts des monts qu’ils avaient arrachés ;
Phlègre, qui les reçut, pue encore la foudre
   Dont ils furent touchés.

L’exemple de leur race, à jamais abolie,
Devait sous ta merci tes rebelles ployer ;
Mais serait-ce raison qu’une même folie
   N’eût pas même loyer ?

Déjà l’étonnement leur fait la couleur blême ;
Et ce lâche voisin qu’ils sont allés quérir,
Misérable qu’il est, se condamne lui-même
   À fuir ou mourir.

Sa faute le remord : Mégère le regarde,
Et lui porte l’esprit à ce vrai sentiment,

Que d’une injuste offense il aura, quoiqu’il tarde,
   Le juste châtiment.

Bien semble être la nier une barre assez forte
Pour nous ôter l’espoir qu’il puisse être battu ;
Mais est-il rien de clos dont ne t’ouvre la porte
   Ton heur et ta vertu ?

Neptune, importuné de ses voiles infâmes,
Comme tu paraîtras au passage des flots,
Voudra que ses Tritons mettent la main aux rames,
   Et soient tes matelots.

Là rendront tes guerriers tant de sortes de preuves,
Et d’une telle ardeur pousseront leurs efforts,
Que le sang étranger fera monter nos fleuves
   Au-dessus de leurs bords.

Par cet exploit fatal en tous lieux va renaître
La bonne opinion des courages françois ;
Et le monde croira, s’il doit avoir un maître,
   Qu’il faut que tu le sois.

Ô que, pour avoir part en si belle aventure,
Je me souhaiterais la fortune d’Éson,
Qui, vieil comme je suis, revint contre nature
   En sa jeune saison !

De quel péril extrême est la guerre suivie,
Où je ne fisse voir que tout l’or du Levant
N’a rien que je compare aux honneurs d’une vie
   Perdue en te servant ?

Toutes les autres morts n’ont mérite ni marque ;
Celle-ci porte seule un éclat radieux,
Qui fait revivre l’homme et le met de la barque
   À la table des dieux.


Mais quoi ! tous les pensers dont les âmes bien nées
Excitent leur valeur et flattent leur devoir,
Que sont-ce que regrets, quand le nombre d’années
   Leur ôte le pouvoir ?

Ceux à qui la chaleur ne bout plus dans les veines
En vain dans les combats ont des soins diligents ;
Mars est comme l’Amour : ses travaux et ses peines
   Veulent de jeunes gens.

Je suis vaincu du temps, je cède à ses outrages ;
Mon esprit seulement, exempt de sa rigueur,
A de quoi témoigner en ses derniers ouvrages
   Sa première vigueur.

Les puissantes faveurs dont Parnasse m’honore
Non loin de mon berceau commencèrent leur cours ;
Je les possédai jeune, et les possède encore,
   À la fin de mes jours.

Ce que j’en ai reçu, je veux te le produire ;
Tu verras mon adresse ; et ton front cette fois
Sera ceint de rayons qu’on ne vit jamais luire
   Sur la tête des rois.

Soit que de tes lauriers ma lyre s’entretienne,
Soit que de tes bontés je la fasse parler,
Quel rival assez vain prétendra que la sienne
   Ait de quoi m’égaler ?

Le fameux Amphion, dont la voix nonpareille,
Bâtissant une ville, étonna l’univers,
Quelque bruit qu’il ait eu, n’a point fait de merveille
   Que ne fassent mes vers.

Par eux de tes beaux faits la terre sera pleine ;
Et les peuples du Nil, qui les auront ouïs,
Donneront de l’encens, comme ceux de la Seine,
   Aux autels de Louis.