Clitandre (1910)/Épître
Je prends avantage de ma témérité, et quelque défiance que j'aye de Clitandre, je ne puis croire qu'on s'en promette rien de mauvais, après avoir vu la hardiesse que j'ai de vous l'offrir. Il est impossible qu'on s'imagine qu'à des personnes de votre rang, et à des esprits de l'excellence du vôtre, on présente rien qui ne soit de mise, puisqu'il est tout vrai que vous avez un tel dégoût des mauvaises choses, et les savez si nettement démêler d'avec les bonnes, qu'on fait paroître plus de manque de jugement à vous les présenter qu'à les concevoir[2]. Cette vérité est si généralement reconnue, qu'il faudroit n'être pas du monde pour ignorer que votre condition vous relève encore moins par-dessus le reste des hommes que votre esprit, et que les belles parties qui ont accompagné la splendeur de votre naissance n'ont reçu d'elle que ce qui leur étoit dû : c'est ce qui fait dire aux plus honnêtes gens de notre siècle qu'il siècle qu’il semble que le ciel ne vous a fait naître prince qu’afin d’ôter au roi la gloire de choisir votre personne, et d’établir votre grandeur sur la seule reconnaissance de vos vertus : aussi, MONSEIGNEUR, ces considérations m’auraient intimidé, et ce cavalier n’eût jamais osé vous aller entretenir de ma part[3], si votre permission ne l’en eût autorisé, et comme assuré que vous l’aviez en quelque sorte d’estime, vu qu’il ne vous était pas tout à fait inconnu. C’est le même qui, par vos commandements, vous fut conter, il y a quelque temps, une partie de ses aventures, autant qu’en pouvaient contenir deux actes de ce poème encore tout informes et qui n’étaient qu’à peine ébauchés. Le malheur ne persécutait point encore son innocence, et ses contentements devaient être en un haut degré, puisque l’affection, la promesse et l’autorité de son prince lui rendaient la possession de sa maîtresse presque infaillible ; ses faveurs toutefois ne lui étaient point si chères que celles qu’il recevait de vous ; et jamais il ne se fût plaint de sa prison, s’il y eût trouvé autant de douceur qu’en votre cabinet. Il a couru de grands périls durant sa vie, et n’en court pas de moindres à présent que je tâche à le faire revivre. Son prince le préserva des premiers ; il espère que vous le garantirez des autres, et que, comme il l’arracha du supplice qui l’allait perdre, vous le défendrez de l’envie, qui a déjà fait une partie de ses efforts à l’étouffer. C’est, MONSEIGNEUR, dont vous supplie très humblement celui qui n’est pas moins, par la force de son inclination que par les obligations de son devoir,
MONSEIGNEUR,
- ↑ Henri II, duc de Longueville, né en 1595, se maria à vingt et un ans à Louise (fille de Charles de Bourbon Soissons), qui mourut en 1637. Ce fut seulement en 1642 qu'il épousa la sœur du grand Condé, dont Villefore a esquissé la vie et que M. Cousin nous a si bien fait connaître. « M. le duc de Longueville, dit Segrais, faisoit pension aux gens de lettres et particulièrement aux habiles généalogistes, comme à M. de Sainte-Marthe et M. du Bouchet. » (Œuvres, tome II, Mémoires anecdotes, p. 53.) Il mourut à Rouen en 1663. — L'Épître dédicatoire figure dans toutes les impressions antérieures à 1660 : nous nous conformons au texte de l'édition de 1632 ; c'est la seule qui donne la Préface et lArgument.
- ↑ Var. (édit. de 1644-1657): qu'à les produire.
- ↑ Les mots : « De ma part » ne sont que dans l'édition de 1636.