Contre l’hiver (J.-B. Rousseau)
Arbres dépouillés de verdure,
Malheureux cadavres des bois, [1]
Que devient aujourd’hui cette riche parure
Dont je fus charmé tant de fois ?
Je cherche vainement, dans cette triste plaine,
Les oiseaux, les zéphyrs, les ruisseaux argentés:
Les oiseaux sont sans voix, les zéphyrs sans haleine,
Et les ruisseaux dans leur cours arrêtés.[2]
Les aquilons fougueux régnent seuls sur la terre;
Et mille horribles sifflements
Sont les trompettes de la guerre[3]
Que leur fureur déclaré à tous les éléments.
Le Soleil, qui voit l’insolence
De ces tyrans audacieux,
N’ose étaler en leur présence
L’or de ses rayons précieux.
La crainte a glacé son courage,
Il est sans force et sans vigueur ;
Et la pâleur sur son visage
Peint sa tristesse et sa langueur.
Le Soleil, qui voit l’insolence
De ces tyrans audacieux,
N’ose étaler en leur présence
L’or de ses rayons précieux.
Du tribut que la mer reçoit de nos fontaines,
Indignés et jaloux, leur souille mutiné
Tient les fleuves chargés de chaînes,
Et soulève contre eux l’Océan déchaîné.
L’orme est brisé, le cèdre tombe,
Le chêne le plus dur succombe
Sous leurs efforts impérieux ;
Et les saules couchés, étalant leurs ruines,
Semblent baisser leur tête et lever leurs racines[4]
Pour implorer la vengeance des cieux.
Bois paisibles et sombres,
Qui prodiguiez vos ombres
Aux larcins amoureux,
Expiez tous vos crimes,
Malheureuses victimes
D’un hiver rigoureux ;
Tandis qu’assis à table,
Dans un réduit aimable,
Sans soins et sans amour,
Près d’un ami fidèle,
De la saison nouvelle
J’attendrai le retour.
Vous, dont le pinceau téméraire
Représente l’hiver sous l’image vulgaire
D’un vieillard foible et languissant,
Peintres injurieux, redoutez la colère
De ce Dieu terrible et puissant:
Sa vengeance est inexorable,
Son pouvoir jusqu’aux cieux sait porter la terreur ;
Les efforts des Titans n’ont rien de comparable
Au moindre effet de sa fureur.
Plus fort que le fils d’Alcmène,
Il met les fleuves aux fers;
- ↑ Malheureux cadavres des bois. Cette riche et belle expression
n’a cependant pas toute la justesse désirable. La vie végétale n’est
point éteinte, mais momentanément suspendue dans les plantes,
pendant l’hiver ; et l’idée de cadavre comporte celle d’une destruction
entière, et sans nul retour à la vie. Roucher a dit plus
heureusement, Poème des Mois, ch. iv, v. 66 :
Ici, git an tombeau le cadavre de Tyr.
Et la pensée est aussi juste, que l’expression est neuve et poétique, parce que cette ville superbe n’est jamais sortie du tombeau
de ses ruines. Chaque printemps, au contraire, rappelle les arbres
à la vie, et semble leur rendre tous les ans une vigueur nouvelle. - ↑ Les ruisseaux dans leur cours arrêtés. Arrêtés est bien foible,
lorsqu’il s’agit du frein de glace que l’hiver oppose à la rapidité
des fleuves et des ruisseaux. - ↑ Sont les trompettes de la guerre, etc. Quel éclat, quelle magnificence
de style ! les sifflements de l’aquilon, devenus tout à coup Jes
trompettes de la guerre déclarée aux éléments ! Il n’y a qu’un grand
poète qui puisse tirer de pareilles beautés des circonstances naturelles où le place son sujet. - ↑ Semblent baisser leur tête, etc. Ici, au contraire, l’effet naturel
ne produit plus qu’une image bizarre et forcée ; et, pour être
trop vrai, le poète tombe dans le niais et le burlesque. On ne sauroit
guère caractériser autrement des saules qui lèvent leurs racine*
vers les cieux, pour leur demander vengeance. - ↑ Ce titre seul semblerOit annoncer une espèce de palinodie, un tableau contrasté des plaisirs que procure l’hiver, poétiquement opposé à la description de ses rigueurs. Mais ce n’est point ainsi que l’auteur a envisagé son sujet ; et l’on est surpris et fâché de ne trouver que des vers et de l’esprit, où l’on devoit s’attendre à rencontrer des tableaux et de la poésie. Exposer, en effet, la puissance de ce Dieu terrible, qu’est » ce autre chose, que décrire de nouveau les effets de cette même puissance, dans l’exercice de ses rigueurs et de ses vengeances ?