Correspondance 1812-1876, 4/1859/CDXLVIII

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CDXLVIII

À M. LUDRE-GABILLAUD, AVOUÉ,
À LA CHÂTRE


Nohant, 29 février 1859.


Merci, mon cher Ludre, de la consultation. Je garde encore votre livre pendant quelques jours et je médite l’article, quand j’ai un moment de loisir. J’y vois ce que vous dites ; mais j’y vois aussi l’esprit des arrêts. Il est peut-être permis de publier quand ce n’est ni par spéculation, ni en vue d’aucune délation ou vengeance, et quand les lettres ne peuvent que faire honneur à celui qui les a écrites ; enfin, quand on n’y laisse rien qui puisse compromettre ou affliger personne, et c’est ici le cas. Il est dit aussi qu’en cas exceptionnel, on peut se trouver dans la nécessité de se défendre. Je vois que la loi, qui n’a rien voulu fixer absolument, est très sage et que les décisions sont dictées par le sentiment de la morale et de la délicatesse, selon les cas. Je ne craindrais donc pas, dès à présent, de publier ces lettres, si mes convenances personneiïes m’y poussaient. On pourrait certainement me faire un procès ; mais je serais certaine de le gagner. Il faudrait seulement pouvoir lancer brusquement la chose avant d’en être empêchée. La chose faite, avec la réserve, l’annonce même, dans une préface, que si, les héritiers de l’écrivain non nommé, reconnaissent le style et veulent voir les autographes, on leur abandonnera le profit avec empressement, je doute qu’ils pussent faire interdire la vente. Je crois que cela peut se faire par moi pendant ma vie, ou après, par disposition testamentaire. Si c’est pendant ma vie, je ne nommerai personne et le public n’en comprendra que mieux. Si c’est après ma mort, on pourra nommer.

Que vous semble de mon idée ? Je consulterai M. Delangle et d’autres, et je vous dirai leur avis.

J’irai voir votre gamin avec plaisir.

À vous de cœur.
G. SAND.