Correspondance 1812-1876, 4/1861/CDLXXVI

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CDLXXVI

À MADAME PAULINE VILLOT, À PARIS


Tamaris, 11 mai 1861.


Chère cousine,

Vous êtes bonne comme un ange de vous occuper de moi si gracieusement et de vous tourmenter de cette affaire qui me tourmente si peu[1]. Lucien a dû vous dire pour combien de raisons très vraies et très logiques j’aurais désiré qu’il ne fût pas question de moi. Je n’ai pas voulu désavouer les amis qui m’avaient portée, d’autant plus que j’avais et que j’ai encore la certitude qu’ils doivent échouer.

J’ai trop fait la guerre aux hypocrites pour que le monde officiellement religieux me le pardonne. Et je ne souhaite pas être pardonnée. J’aime bien mieux qu’on me repousse vers l’enfer, où ils mettent tous les honnêtes gens.

Mais, à propos de cette affaire de l’Académie, il en est une autre dont je veux vous parler. Buloz, qui n’a pas toujours un style très clair, m’écrit que quelqu’un est venu le trouver pour lui dire de me sonder pour savoir si j’accepterais de l’empereur un dédommagement offert d’une façon honorable et équivalent au prix de l’Académie, dans le cas où il ne me serait pas accordé.

J’ai répondu que je ne désirais absolument rien ; mais j’ai bien chargé Buloz de présenter mon refus sous forme de remerciement très sincère et très reconnaissant ; or, comme une commission de cette nature, quelque explicite et franche qu’elle soit, peut, en passant par plusieurs bouches, être dénaturée, je vous demande de voir le prince, qui est net et vrai, lui, et de lui dire ceci : « Je ne mets aucune sotte fierté, aucun esprit de parti, aucune nuance d’ingratitude à refuser un bienfait de l’empereur. Si j’étais malade, infirme et dans la misère, je lui demanderais peut-être pour moi ce que j’ai plusieurs fois demandé à l’impératrice et aux ministres pour des malheureux. Mais je me porte bien, je travaille et je n’ai pas de besoins. Il ne me paraîtrait pas honnête d’accepter une générosité à laquelle de plus à plaindre ont des droits réels : si l’Académie me décerne le prix, je l’accepterai, non sans chagrin, mais pour ne pas me poser en fier-à-bras littéraire et pour laisser donner une consécration extérieure à la moralité de mes ouvrages prétendus immoraux. De cette façon, les généreuses intentions de l’empereur à mon égard seront remplies. Si, comme j’en suis bien sûre, je suis éliminée, je ne me regarderai pas comme frustrée d’une somme d’argent que je n’ai pas désirée et dont je suis toute dédommagée par l’intérêt que l’empereur veut bien me porter. » Voilà !

À présent, je dis tout cela au cas que… ; car j’ignore si Buloz a bien compris ce qu’on lui a dit et s’il est vrai que l’empereur se soit ému de cette petite affaire. Buloz m’a dit que la princesse Mathilde se chargeait de tout, sans plus d’explication. Si la princesse Mathilde est seule en cause, le prince le saura et lui dira tout ce que dessus, comme disent éloquemment les notaires. S’il me le conseille, j’écrirai à cette excellente princesse pour la remercier, et à l’empereur, s’il y a lieu. Ajoutez, pour le prince, que je l’aime de toute mon âme, que j’irai visiter demain son bateau, dans la rade de Toulon : car je vois bien qu’il ne viendra pas ici de sitôt, et il fait bien de ne pas songer à la mer, qui est horrible et furieuse presque continuellement. J’ai été hier, par une grosse houle, voir l’aigle, « galère capitane de Sa Majesté ». C’est ravissant. Lucien a dû vous en faire la description ; car il l’a vue avant moi.

Moi, je suis tourmentée parce que Maurice veut aller faire un tour en Afrique. Il a bien raison et je serai contente qu’il voie ce pays ; mais j’ai peur qu’il ne veuille pas attendre la fin de ces tempêtes et ça va m’inquiéter atrocement. Mais je ne le lui dis pas beaucoup ; car il ne faut pas rendre les enfants pusillanimes par contre-coup, ni gâter leurs plaisirs par l’aveu de nos anxiétés.

Voilà donc Lucien dans la botanique ? L’heureux coquin, qui n’a pas autre chose à faire, et qui à un père comme il en a un, pour le guider et résoudre les abominables difficultés de la spécification ! Ce n’est pourtant pas là le fond, la philosophie de la science ; mais c’est par là qu’il faut passer, et c’est long, surtout avec la complication qu’y ont fourrée et qu’y fourrent de plus en plus les auteurs.

Dites à ce cher enfant qu’il est né coiffé d’avoir toutes les facilités sous la main, et que, s’il ne travaille pas, je ne lui donnerai pas les échantillons des belles plantes que je mets en double pour lui dans mon fagot. Dites-lui aussi que je suis retournée au Revest et que j’y ai trouvé des amours de fleurs. Dites-lui enfin que Marie perd toujours son chapeau, que Matheron dit toujours : une-t-auberge ; enfin que je l’embrasse de tout mon cœur.

Remerciez Augier et Ponsard, si vous les voyez ; surtout le prince, qui s’occupe aussi de moi avec le cœur que nous lui savons.

Bonsoir, chère et bonne cousine ; toutes mes tendresses au cousin et aux chers enfants.

G. SAND.

Vous savez donc aussi la botanique, vous ? vous savez donc tout ? Exigez que Lucien soit très ferré sur la technologie ; ça l’ennuie, mais c’est indispensable, et pas difficile quand on sait le latin.

  1. Plusieurs membres de l’Académie française avaient mis sa candidature en avant pour le prix Gobert.