Correspondance avec Élisabeth/Élisabeth à Descartes - 4 décembre 1649

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- Descartes à Élisabeth - Stockholm, 9 octobre 1649 Correspondance avec Élisabeth


Monsieur Descartes,

Votre lettre du 29 septembre / 9 octobre s'est promenée par Clève; mais toute vieille elle ne laisse pas d'être très agréable et une preuve fort obligeante de la continuation de votre bonté pour moi, qui m'assure aussi de l'heureux succès de votre voyage, puisque le sujet en mérite la peine et que vous trouvez encore plus de merveilles en la Reine de Suède que sa réputation n'en fait éclater. Mais il faut avouer que vous êtes plus capable de les connaître que ceux qui se sont mêlés jusqu'ici de les proclamer. Et il me semble en savoir plus, par ce peu que vous en dites, que par tout ce que j'en ai appris d'ailleurs. Ne croyez pas toutefois qu'une description si avantageuse me donne matière de jalousie, mais plutôt de m'estimer un peu plus que je ne faisais avant qu'elle m'ait fait avoir Vidée d'une personne si accomplie, qui affranchit notre sexe de l'imputation d'imbécillité et de faiblesse que MM. les pédants lui voulaient donner. Je m'assure, lorsqu'elle aura une fois goûté votre philosophie, elle la préférera à leur philologie. Mais j'admire qu'il est possible à cette princesse de s'appliquer à l'étude comme elle fait, et aux affaires de son royaume aussi, deux occupations si différentes, qui demandent chacune une personne entière. L'honneur qu'elle m'a fait, en votre présence, de se souvenir de moi, je l'attribue entièrement au dessein de vous obliger, en vous donnant sujet d'exercer une charité que vous avez témoigné d'affecter en beaucoup d'autres occasions, et vous dois cet avantage, comme aussi si j'obtiens celui d'avoir quelque part en son approbation, que je pourrai conserver d'autant mieux que je n'aurai jamais l'honneur d'être connue de Sa Majesté autrement que vous me représentez. Je me sens toutefois coupable d'un crime contre son service, étant bien aise que votre extrême vénération pour elle ne vous obligera pas de demeurer en Suède. Si vous en partez cet hiver, j'espère que ce sera en la compagnie de M. Kleist, où vous trouverez la meilleure commodité pour donner le bonheur de vous revoir à

Votre très affectionnée à vous servir,

Élisabeth.