Cours d’agriculture (Rozier)/AGROSTIS

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Marchant (Tome onzièmep. 113-115).


AGROSTIS, groupe de plantes qui font partie du genre gramen, ou chiendent de Tournefort. Il est placé dans la troisième section de la quinzième classe de cet auteur. Linnæus l’a rangé dans sa triandrie digynie, qui forme sa troisième classe, ordre second. Dans la méthode naturelle, les agrostis composent un genre qui se trouve placé entre les millets et les stipes, dans la famille des graminées, laquelle fait partie de la seconde classe ou des plantes monocotylédones à étamines hypogynes.

Fleurs, disposées en panicules plus ou moins étalées et finement ramifiées. Elles sont très-petites, composées d’une glume à deux écailles pointues ; d’un calice à deux valves inégales, plus grandes que celles de la glume, sans arêtes, ou barbues. Les étamines sont au nombre de trois, au milieu desquelles est un ovaire terminé par deux styles plumeux.

Fruit. Semence solitaire enveloppée par la baie interne ou le calice de la fleur, dont les deux valves ne s’ouvrent point pour laisser échapper la graine.

Port. Tiges herbacées, qui s’élèvent depuis trois pouces jusqu’à trois pieds de haut, suivant les espèces, et qui meurent chaque année.

Feuilles, longues, étroites et plus ou moins capillaires, comme celles de la plus grande partie des graminées.

Racines, fibreuses dans les unes, noueuses et traçantes dans les autres, annuelles dans quelques espèces, et vivaces dans le plus grand nombre.

Lieux. Les agrostis croissent le plus ordinairement dans les endroits découverts, dans les champs, le long des chemins, sur les pentes des montagnes et dans les lieux humides. Il s’en trouve des espèces dans les quatre parties du monde, et particulièrement sous la zone tempérée.

Propriétés et usages. Tous les animaux herbivores mangent leurs fanes sur place, et leurs semences font une partie de la nourriture des oiseaux granivores. Mais, jusqu’à présent, on n’a point établi, en Europe, des cultures de ces plantes assez en grand pour s’en procurer du fourrage. Cependant, quelques espèces paroissent offrir des qualités qui devroient les faire rechercher des agriculteurs, soit pour former des pâturages, soit pour produire des foins de bonne qualité.

Du nombre des premières sont l’agrostis traçant, Lamarck, Dict. n°. 22, (Agrostis stolonifera L.) le chevelu, n°. 24, (Agr. capillaris L.) et le gernouille, n°. 10, du même auteur, (Agr. canina L.) Ces trois espèces croissent naturellement sous la zone tempérée, dans les lieux humides, sur les bords des chemins, dans les terrains battus par le passage des hommes et des animaux, et vivent très-bien sous les autres plantes des prairies naturelles. Elles sont traçantes, s’élèvent de huit à dix pouces de haut, et fournissent un fanage délié, tendre et succulent. Ce sont elles qui, dans certaines prairies humides, lorsque les regains ont été fauchés, tapissent la terre et fournissent aux moutons la pâture fine qu’ils recherchent davantage. Il seroit utile à la bonification des prairies, de semer des graines de ces plantes dans la proportion d’une livre ou deux par arpent, avec celles du fromental, du thimoty et des autres plantes destinées à produire du fourrage sec. Le foin enlevé, les chevaux et sur-tout les moutons trouveroient sur les prés, dans l’arrière-saison, une pâture saine et abondante.

Une autre espèce d’agrostis, qui est l’argenté du Dictionnaire de Botanique de Lamarck, n° 7, et l’agrostis calamagrostis de Linnæus, pourroit être employée à former des pâturages pour les troupeaux de brebis, dans un sol différent de celui que nous avons indiqué pour les espèces précédentes. Cette plante croît dans le midi de la France, sur des terrains peu profonds, pierreux et secs ; elle vient sur des coteaux assez rapides, et a l’avantage de pousser de très-bonne heure, dès le premier printemps. Elle est vivace, traçante et forme des masses de verdure qui, défendues de la dent du bétail, s’élèvent environ à vingt pouces de haut. La précocité de cette plante, la propriété qu’elle a de croître dans des terrains de peu de valeur pour les cultures de cette nature, et la qualité de son fourrage, doivent engager les propriétaires à la cultiver. Le moyen en est simple et peu dispendieux. Il consiste à semer ses graines au premier printemps, sur un terrain préparé par un labour d’automne et renouvelé par un second donné à la terre, quelques jours avant le semis ; à le herser et à le rouler ensuite. Pour se rembourser des frais de cette culture et augmenter son bénéfice, on pourroit répandre sur les semis des graines de seigle ou d’avoine, dans la proportion des deux tiers ou des trois quarts de ce qu’on en emploie ordinairement pour ensemencer des terrains affectés à ces cultures.

Quelques autres espèces encore sont indiquées comme devant fixer l’attention des agriculteurs : ce sont l’agrostis des champs, n°. 1 du Dictionnaire de Botanique de Lamarck, (Agrostis spica venti L.) et le sucré, (Agr. dulcis Sibthorp.). Ceux-ci sont propres à fournir des fourrages secs, de bonne qualité. Mais malheureusement ces plantes sont annuelles, et les dépenses qu’occasionneroit leur culture ne permettent pas de l’entreprendre.

La première de ces espèces croît si abondamment dans certaines pièces de blé, et parmi d’autres céréales, qu’on croiroit qu’elle y a été semée avec soin. Cela n’a rien d’étonnant lorsqu’on sait que cet agrostis mûrit beaucoup plus tôt que les blés ; que ses graines, qui sont en très-grande quantité, se répandent sur la terre et sont enterrées par les labours qui suivent la récolte des grains. Dans les pays où on laisse les chaumes sur pied, de la hauteur de quinze à vingt pouces, pour les faucher dans l’arrière-saison, comme cela se pratique dans plusieurs pays méridionaux, cette plante levant, ainsi que beaucoup d’autres, aux premières pluies, s’élève presque à la hauteur du chaume, se fauche avec lui et rend cette sorte de fourrage très-appétissant pour les bêtes à cornes. Voilà déjà un usage important, puisque, sans dépenses et sur le même terrain, on se procure un fourrage abondant et fort nutritif pour un genre de bestiaux très-utile. Peut-être seroit-il possible de lui en trouver un autre aussi intéressant. Lorsque les luzernes et les sainfoins sont sur leur retour, qu’un quart ou une moitié des pieds sont morts de vieillesse ou d’accidens, ce qui arrive quelquefois, on pourroit occuper le terrain en y semant des graines de l’agrostis des champs. Il suffiroit de lui donner une dent de la herse de fer, pour l’ameublir et le rendre propre à recevoir la semence de cette plante. La fin de l’automne paroît être la saison la plus favorable à ce travail ; alors on obtiendroit, à la première coupe du printemps suivant, un foin mélangé de légumineuses et de graminées qui auroit l’avantage d’être moins échauffant que la luzerne seule, peut-être plus nourrissant et sûrement plus abondant. C’est à l’expérience à prouver si cette opinion est bien fondée.

La seconde espèce d’agrostis, indiquée comme devant fournir un bon fourrage sec, a été un peu trop vantée par un cultivateur anglais, (M. Frazer) qui l’a rapportée de la Caroline. Il la nommoit cornucopiæ, non parce qu’elle appartient à ce genre de graminée, mais parce que, suivant lui, cette plante devoit être la corne d’abondance pour les agriculteurs. Non seulement, disoit-il, elle entretient les bestiaux en bonne santé, les engraisse, augmente la quantité et la qualité du lait dans les femelles, mais encore elle rétablit promptement les animaux languissans, et procure aux chevaux une force et une vigueur qu’ils n’ont pas ordinairement. Les expériences qui ont été répétées dans différentes parties de l’Europe n’ont pas confirmé cette annonce pompeuse ; elles n’ont fait connoître qu’une plante annuelle de six à huit pouces de haut, délicate sur le choix du terrain et du climat, de bonne qualité, mais de médiocre produit. Elle est inférieure en tout à la précédente, et ne pourroit être employée que poux tirer parti des pièces de terre dans les années de jachères. Feu M. Sibthorp, fils, a nommé cette plante agrostis dulcis, parce que ses tiges sont légèrement sucrées.

Il ne nous reste plus qu’à dire un mot d’une autre espèce de ce genre, que Lamarck, dans son Dictionnaire de Botanique, a nommée, sous le n°. 6, agrostis en roseau. (Agr. arundinacea L.) Il croît sur les lieux âpres et montueux, parmi les pierres et entre les rochers, et forme de grosses touffes dont les tiges peu noueuses s’élèvent jusqu’à trois pieds. Son fanage est trop sec et trop dur pour être employé sec à la nourriture des bestiaux ; mais il a d’autres usages économiques. Les Tartares Calmoucks se servent de ses tiges pour couvrir leurs habitations, et les Lapons emploient ses chalumeaux à faire les tuyaux de leurs pipes. (Thouin.)