Cours d’agriculture (Rozier)/CHARRUE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 51-144).


CHARRUE.

Plan du travail sur les charrues.
Par M. D. L. L.
PREMIÈRE PARTIE.
des Charrues.
Des notions essentielles pour la construction des charrues, & de leurs différentes espèces.
CHAPITRE PREMIER. Observations préliminaires sur l’utilité & la qualité des charrues en général, relativement aux effets qu’elles doivent produire,
page 53

CHAP. II. De la construction des charrues,
57
Sect. I. De la principale propriété de la charrue, dépendante de sa construction,
ibid.
Sect. II. Du choix des bois propres à la construction des charrues, & de la meilleure forme qu’on doit donner aux pièces qui la composent, afin d’éviter les frottemens,
58
Sect. III. De la forme des socs & des coutres,
65
Sect. IV. Des proportions qu’il faut observer dans la construction des charrues,
66
CHAP. III. Des différentes espèces de charrues,
70
DEUXIÈME PARTIE.
CHAPITRE I. Des charrues simples,
71
Sect. I. Description de l’araire de Provence,
72
Sect. II. De l’araire de l’Angoumois, & d’une autre espèce de charrue qui y a quelque rapport,
75
Sect. III. Description d’une charrue légère inventée en 1754,
76
Sect. IV. Charrue légère qu’on peut employer pour labourer les semis de bois, & pour travailler la terre entre les rangées de froment,
77
Sect. V. Charrue légère inventée, par M. Tull,
79
Sect. VI. Charrue chinoise, avec laquelle on sème en même temps qu’on laboure,
80
Sect. VII. Charrue de M. Arbuthnot,
83
TROISIÈME PARTIE.
CHAPITRE I. Des charrues composées, ou autrement appelées à avant-train,
85
CHAP. II. Des charrues dont l’avant-train est composé de deux roues,
87
Sect. I. Description de la charrue ordinaire à avant-train, avec les changemens que M. Duhamel y a faits pour la perfectionner,
ibid.
Sect. II. De la charrue à tourne-oreille,
91
Sect. III. De la charrue à double oreille,
94
Sect. IV. De la charrue champenoise,
95
Sect. V. De la charrue à quatre coutres, de M. Tull,
100
CHAP. III. Des charrues dont l’avant-train n’a qu’une roue,
106
Sect. I. Description de la charrue à une seule roue, imaginée par M. de la Levrie,
107
Sect. II. Charrue à une seule roue, de M. de Châteauvieux,
112
Sect. III. Autre charrue à une seule roue, de M. de Châteauvieux, appelée un Cultivateur,xxxx
117
Sect. IV. Description du double cultivateur, de M. de Châteauvieux, qu’il nomme les pattes d’oies,
119
Sect. V. Charrue à une seule roue, de M. Duhamel du Monceau,
120
Sect. VI. Cultivateur à versoir, de M. Duhamel du Monceau,
122
Sect. VII. Autre cultivateur de M. Duhamel du Monceau,
123
CHAP. IV. Des charrues sans socs,
125
Sect. I. Charrue à coutres sans socs, inventée par M. de Châteauvieux,
126
Sect. II. Charrue à coutres pour défricher, inventée par M. de la Levrie,
127
Sect. III. Des différens usages auxquels sont employées les charrues à coutres sans socs, & de la manière de s’en servir,
129
QUATRIÈME PARTIE.
Concernant l’attelage des charrues, la manière de les conduire & d’exécuter les différens labours pour lesquels on les emploie, &c.
CHAPITRE I. Quels sont les animaux qu’on emploie le plus ordinairement à l’attelage des charrues. Quels sont ceux qui peuvent être plus utiles, & quelle est la meilleure manière de les atteler,
131
CHAP. II. De la manière de conduire la charrue pour labourer les terres,
136
CHAP. III. De la manière d’exécuter les différens labours, dans les terres qui sont en état de culture,
138
CHAP. IV. Du labour des terres en friche, & de l’espèce de charrue propre à cet effet,
142


PREMIÈRE PARTIE.

Des notions essentielles pour la construction des charrues, et de leurs différentes espèces.


CHAPITRE PREMIER.

Observations préliminaires sur l’utilité & la qualité des charrues en général, relativement aux effets qu’elles doivent produire.


La charrue est l’instrument le plus utile à l’Agriculture, & celui dont l’usage est le plus commun pour cultiver les terres. Quoique les avantages qu’on en retire soient connus depuis long-temps, cependant ce n’est que de nos jours qu’on s’est occupé à le perfectionner, & à le rendre encore plus utile, en proportionnant la forme de sa construction, relativement à sa solidité, à sa légéreté, & à l’aisance de sa marche, aux différentes qualités de terreins qu’on veut cultiver. Si l’on pouvoit faire autant d’ouvrage avec la bêche qu’on en fait avec la charrue, il n’y a pas de doute qu’on ne dût préférer ce premier instrument de culture à tout autre, parce qu’il n’y en a point qui remue aussi parfaitement la terre en la renversant sens dessus dessous, ce qui est une opération que le versoir de la charrue n’exécute jamais aussi bien. S’il pouvoit être employé dans des terreins étendus avec la même utilité, le même avantage qu’on en retire dans les jardins, la charrue deviendroit fort inutile. Mais ayant beaucoup de terres à cultiver, & peu d’hommes eu égard à l’étendue immense des terres labourables, la plus grande partie resteroit sans culture. La charrue à coutres, comme on le verra, supplée en quelque sorte assez bien à la bêche, elle fouille & remue la terre à une très-grande profondeur, l’ameublit, la divise assez parfaitement ; outre cela, elle a l’avantage de faire infiniment plus d’ouvrage que la bêche.

En considérant la bêche comme l’instrument le plus parfait dont nous fassions usage pour remuer & ameublir la terre, nous devons donc nous occuper à construire des charrues qui soient propres, autant qu’il est possible, à produire ces effets ; sans cela nous remplaçons un très-bon instrument, par un mauvais, dont le seul avantage sera de faire beaucoup d’ouvrage ; mais étant mal fait, nous n’en retirerons aucune sorte d’utilité. Si la charrue ne remuoit la terre qu’en dessous sans la renverser, loin de détruire les mauvaises plantes, on donneroit à leurs racines la facilité de s’étendre en ameublissant la terre qui les environne ; pour lors la semence qu’on y jeteroit germeroit difficilement, parce qu’elle seroit étouffée en grande partie par les racines des mauvaises herbes qui seroient restées dans les sillons.

L’effet de la charrue doit donc être de couper, diviser, renverser & ameublir la terre : cet effet dépend particulièrement des coutres qui coupent la terre verticalement, du soc qui la fend horizontalement & la divise, & du versoir qui la jette dans le sillon précédemment formé. Les différentes espèces de charrues que nous connoissons, ne sont point toutes également propres à produire ces effets : le choix qu’il y a à faire de cet instrument de culture dépend absolument de la nature & de la qualité du terrein qu’on veut entreprendre de cultiver ; le laboureur doit bien le connoître avant d’y mettre la charrue. Dans une terre forte, tenace, une charrue d’une construction solide, dont le sep est armé d’un soc assez large, qui est précédé d’un ou deux coutres, ouvrira un profond & large sillon, en renversant la terre sur le côté : au contraire, si on y employoit une charrue légère, dont le soc peu aigu ne seroit point précédé par un coutre, à peine pourroit-il entrer pour fendre la terre. Quand le terrein est léger, sablonneux, friable, une forte charrue devient un instrument inutile ; si on s’en sert, on ne donne pas à ce terrein la culture qui lui est propre : au lieu d’être ameublie, la terre est trop battue, & la semence a bien de la peine à germer.

Tous les terreins ne se prêtent pas aux mêmes méthodes de culture. Telle manière de préparer la terre pour la rendre propre à faire germer les grains qu’on y jette, & à féconder les plantes qui en proviennent, ne convient pas à toutes sortes de sols. Il y a une très-grande différence entre un sable léger, une terre friable & une glaise tenace. La manière de les cultiver ne peut donc point être la même, puisque leur nature, leurs qualités diffèrent si essentiellement : le même instrument ne peut point convenir à donner la culture qui est propre à ces diverses espèces de terreins. Quel labour feroit dans une glaise tenace, une charrue légère qui cultive merveilleusement un sol sablonneux ou friable ? Outre qu’il faut avoir égard à la qualité des terres, dans le choix des charrues, on doit encore considérer la quantité de bonne terre que peut avoir un sol : il y en a qui n’ont que six ou huit pouces de bonne terre, au dessous de laquelle on trouve du gravier, de la craie, ou du tuf. Une charrue forte qui prendroit trop d’entrure, ramèneroit à la surface ces mauvaises qualités de terres, qui se mêleroient avec les bonnes. Une charrue légère à laquelle on fait prendre aussi peu d’entrure qu’on veut, est donc l’instrument de culture qu’on doit employer dans ces sortes de terreins.

Anciennement on ne faisoit aucune observation sur la nature & la qualité de la terre, relativement aux instrumens qu’on vouloit employer pour la cultiver. Quelle que fût une charrue, on s’en servoit indifféremment dans un terrein fort ou léger ; aussi l’Agriculture étoit dans un état très-médiocre, & fort inférieur à celui dont elle jouit aujourd’hui : on n’imaginoit pas qu’une charrue légère ne pouvoit donner qu’un mauvais labour dans un terrein fort & tenace ; qu’un soc très-aigu & bien tranchant ne devoit servir qu’à ouvrir les terres fortes & compactes, & qu’il étoit inutile qu’il fut si acéré pour les terreins pierreux, & graveleux.

Dans sa Maison Rustique, M. Liébaut ne traite de la charrue, que pour dire qu’il faut la laisser telle qu’elle est, sans entrer dans aucun détail touchant sa construction. M. de La Salle, dans son Manuel d’Agriculture, est du même sentiment, puisqu’il dit aussi qu’il faut laisser au laboureur son soc, comme l’établit Olivier de Serres d’après Caton. Je dis au contraire, qu’il ne faut point laisser au laboureur sa charrue, quand on peut lui en procurer une plus convenable à la qualité du sol qu’il a à cultiver. Qu’importe, dit M. Liébaut, comme soit le couteau, pourvu qu’il coupe le pain ; voulant dire que la forme de la charrue est indifférente pourvu qu’elle cultive la terre. Je dirai aussi à son exemple, qu’on doit peu s’occuper de la forme de la charrue, pourvu qu’elle fouille, remue & divise la terre comme il faut. Mais encore une fois toutes les charrues ne sont point propres à produire ces effets.

Il y a tout lieu de croire que du temps de Virgile, l’Agriculture romaine ne connoissoit qu’une espèce de charrue que nous pouvons comparer, d’après ce qu’il en dit dans son premier livre des Géorgiques, à l’araire de Provence, que connoissent presque tous les agriculteurs. Cette charrue, trop légère pour des terreins forts, exigeoit un attelage considérable, encore ne pouvoit-elle donner qu’une culture imparfaite à un sol qui ne demande qu’à être médiocrement cultivé pour produire les moissons les plus abondantes. Pline le naturaliste ne s’explique pas mieux que Virgile au sujet de la charrue : le détail qu’il fait des pièces dont elle est composée se rapproche absolument de ce qu’en dit Virgile : il eût pu nous faire connoître la charrue égyptienne & athénienne, qui, selon toute apparence, différoit peu de la charrue latine. Dans bien des cantons de l’Italie, & sur-tout dans la Campagne de Rome, cet instrument de culture est encore aujourd’hui très-imparfait : ce n’est presque qu’à la fertilité & à la bonté du terrein qu’on est redevable des récoltes abondantes qu’il produit.

Le coutre que nous adaptons à nos fortes charrues étoit connu anciennement ; Virgile n’en fait aucune mention dans le détail qu’il donne des instrumens de labourage. Pline le naturaliste en parle & le nomme un second soc, en disant qu’il doit précéder le premier pour fendre la terre devant lui, afin qu’il ait moins de peine à ouvrir le sillon. Il est d’un usage essentiel & indispensable pour fendre & couper la terre devant le soc, quand est elle forte & tenace. Dans les terreins légers, sablonneux, friables, il devient inutile, parce que le soc n’éprouve pas assez de résistance pour être précédé d’un coutre qui facilite son entrure en ouvrant la terre devant lui. Dans les terres fortes il est indispensable, sur-tout pour les premiers labours ; la terre n’ayant point encore été remuée, le soc l’ouvriroit difficilement, & il n’y parviendroit qu’en enlevant de larges mottes, qu’on seroit obligé de briser ensuite. Il est rare que les charrues légères soient formées de coutres : étant destinées pour la culture des terres légères, ils sont inutiles. Les charrues fortes dont on se sert pour la culture des terres compactes tenaces, doivent avoir un ou plusieurs coutres ; sans cela, le soc éprouveroit une résistance trop considérable, à cause de la cohésion des particules de la terre : ne pouvant la vaincre qu’avec beaucoup de peine, on feroit difficilement un labour égal, auquel on emploieroit plus de temps, parce que la marche de la charrue seroit fort retardée.

L’emplacement des coutres à l’âge ou à la flèche de la charrue, ne doit point être à volonté ; il faut observer que leur destination est de fendre la terre devant le soc, afin qu’il entre aisément sans éprouver une trop grande résistance, qui retarderoit la marche de la charrue : il ne suffit donc point qu’ils précèdent le soc, mais il faut encore qu’ils soient placés devant la partie du soc qui a le plus d’obstacles à surmonter en raison des frottemens. C’est une observation que Pline eût faite, si le soc de la seule charrue qu’il connoissoit avoit eu une forme semblable à celle qu’on donne aux socs de nos fortes charrues. Il n’est pas possible de donner une règle fixe & invariable pour la position du coutre à l’âge de la charrue ; elle dépend de quantité de circonstances qu’on rencontre dans la pratique, qu’il est difficile de prévoir : c’est au cultivateur intelligent à le placer de façon qu’il remplisse l’objet de sa destination. En général, quand la pointe du soc n’est pas assez inclinée à l’horizon, le coutre doit être placé plus en arrière, afin que le soc ait plus de prise. Si le soc au contraire est trop tourné en bas, ou qu’il soit trop long, la pointe du coutre doit se trouver un peu en avant de celle du soc, afin qu’il ne s’enfonce point trop. Quand la pointe du soc n’est pas assez tournée à gauche, il faut tourner le coutre de ce côté, afin qu’il ouvre la terre, & que le soc ne soit point renvoyé en éprouvant trop de résistance.

Par la position qu’il faut donner au coutre, on connoît si une charrue est bien construite. Lorsqu’elle est faite selon les règles, elle travaille parfaitement quand le coutre est presque dans le plan vertical de son mouvement progressif, & que sa pointe est tant soit peu au-dessus de celle du soc.

Quand le soc d’une forte charrue est à double aile, le premier coutre doit être placé devant la pointe du soc, les deux autres à gauche & à droite en devant de l’aile du soc, un peu plus en arrière que le premier. L’âge n’ayant pas toujours assez de largeur pour qu’on puisse placer les coutres à des distances convenables, on est obligé d’y ajouter de chaque côté un morceau de bois qu’on attache fortement avec des vis & des écrous aux deux côtés de l’âge, dans lequel on pratique une mortoise pour recevoir le coutre.

Communément le soc des fortes charrues n’a qu’une aile à droite, qui est le côté du versoir ; dans ce cas il faut placer les coutres vers la droite, parce que c’est la partie du soc qui éprouve toute la résistance ; si on ne facilitoit pas son entrure dans le sillon par le moyen des coutres, la charrue courroit risque de renverser à gauche, ne pouvant vaincre les obstacles qui s’opposent à sa marche, principalement dans les terreins qui sont compactes & tenaces. On place donc le premier coutre devant la pointe du soc, & les autres à sa droite, à des distances convenables & relatives à la largeur de son aile : par ce moyen le soc ouvre & soulève, en traçant son sillon, une terre déjà fendue par les coutres ; le versoir la jette sur le côté assez bien divisée, ou au moins en plus petites mottes que si la charrue n’avoit point de coutres.

Quand on donne un premier labour à une terre en jachère, les coutres deviennent indispensables pour l’effet de la charrue, quoique la terre ne soit pas extrêmement forte, parce que les ronces, les mauvaises herbes ont eu le temps de jeter de profondes racines, & de s’étendre au loin : si le soc n’étoit pas précédé des coutres, qui coupent en partie toutes ces racines, sa direction changerait à tout instant eu égard aux obstacles qu’il rencontreroit ; sa marche seroit donc considérablement retardée, & le laboureur fatigueroit beaucoup pour gouverner sa charrue qu’il auroit bien de la peine à tenir dans sa direction. Les coutres, au contraire, ayant fendu la terre, coupé le gazon, les racines des ronces, celles des mauvaises plantes, le soc ouvre & soulève la terre aisément, en suivant la direction que lui donne le laboureur dans le cours de son sillon, qu’il trace à la profondeur qu’il juge convenable. Quand on veut labourer un terrein en friche pour le mettre en culture, on conçoit toute l’utilité des coutres, sans lesquels la plus forte charrue ne feroit qu’un travail très-imparfait, qu’on seroit forcé de recommencer à plusieurs reprises.

CHAPITRE II.

De la construction des Charrues.

Section Première.

De la principale propriété de la charrue, dépendante de sa construction.

La marche d’une charrue, son entrure dans le sillon, l’égalité du labour qu’elle fait, la facilité de la conduire, de la gouverner ; toutes ces propriétés dépendent presque uniquement de la forme & de la perfection de sa construction : l’ouvrier doit par conséquent être très-exact à lui donner toutes les proportions qu’elle doit avoir, & observer soigneusement toutes les dimensions qui conviennent à l’espèce de charrue qu’il construit. Dans la description particulière de chaque espèce de charrue, nous entrerons dans le détail des proportions qui lui sont propres, en indiquant autant qu’il sera possible les dimensions sur lesquelles il faut se régler pour les construire.

La principale & la plus essentielle propriété de la charrue, consiste à piquer selon la volonté du conducteur, c’est-à-dire, à tracer un sillon plus ou moins profond ; c’est ce qu’on appelle donner l’entrure. Cette profondeur plus ou moins grande du sillon, ou l’entrure du soc dans le terrein, dépend principalement de l’ouverture de l’angle que forment l’âge ou la flèche avec le sep par leur assemblage : l’évaluation commune de cet angle est depuis dix-huit jusqu’à vingt-quatre degrés au plus ; voilà la mesure sur laquelle l’ouvrier doit se régler dans l’assemblage des pièces qui composent sa charrue. Dans la pratique, c’est-à-dire, quand la charrue ouvre les sillons, son entrure dans le terrein est toujours relative à l’ouverture de cet angle. Quand on veut avoir un sillon profond, on en diminue l’ouverture, & on l’augmente si l’on veut qu’il soit moins profond : pour lors on détermine son ouverture par la ligne horizontale du terrein, & par celle de l’âge ou de la flèche ; ce qui est absolument la même chose, parce que le sep est toujours parallèle à la ligne horizontale du terrein. Si la charrue est mal faite, si l’angle que forment l’âge & le sep est hors des proportions indiquées, le laboureur ne peut point la gouverner de façon à lui donner l’entrure convenable à l’espèce de culture qu’exige le terrein qu’il laboure ; il aura beau appuyer sur les manches en dirigeant son effort en avant ou en arrière selon les circonstances, l’entrure du soc n’en sera guère, ni plus ni moins considérable.

De quelque espèce que soit la charrue qu’on fait construire, le charron doit toujours ménager au laboureur une très-grande facilité de donner l’ouverture qu’il desire à l’angle que fait l’âge avec le sep, afin qu’il puisse aisément l’augmenter ou la diminuer, selon qu’il convient de donner plus ou moins d’entrure à sa charrue. Avec celles qui sont à avant-train, l’âge étant portée sur la sellette qui repose sur la traverse qui couvre l’essieu des roues, il est très-facile de donner plus ou moins d’ouverture à cet angle, en avançant ou reculant l’extrémité de la flèche sur la sellette. On n’a pas la même facilité avec celles qui n’ont point d’avant-train, & dont l’âge repose sur le joug des bœufs. C’est par l’assemblage du sep & de l’âge qu’on augmente ou diminue l’ouverture de l’angle qu’ils forment : pour cet effet, il est nécessaire que le charron ait l’attention de tenir la mortoise qu’il fait au manche ou au sep, assez large, afin qu’en dessus & en dessous on puisse aisément y glisser des coins qu’on enfonce à volonté, pour rendre l’ouverture de l’angle telle qu’elle doit être, selon l’espèce de culture qu’il veut donner au terrein qu’il laboure.

Quand on ne s’est point ménagé dans la construction d’une charrue la facilité de donner plus ou moins d’ouverture à l’angle que forment le sep & l’âge, il est impossible que sa marche soit uniforme, quelque adroit & intelligent que soit le laboureur à la conduire & à la gouverner. L’effort qu’il est obligé de faire en appuyant sur les manches pour faire prendre beaucoup d’entrure au soc, ou pour qu’il en prenne moins, le fatigue considérablement, encore est-il rare qu’il y réussisse : cet effort ne pouvant point être continuel, parce qu’il est pénible, le labour est très-imparfait, le même sillon n’a point une profondeur égale dans toute sa longueur. Une pièce de terre labourée avec une telle charrue est fort mal cultivée, parce qu’elle n’est point remuée par-tout à la même profondeur.

On ne peut suppléer à ce défaut de construction qu’en donnant plus de longueur aux manches. Dans quelques charrues légères qui ne sont point faites selon les dimensions indiquées, on a brisé les manches au milieu afin de les alonger ou raccourcir quand les circonstances l’exigent ; ce levier étant plus long, le conducteur de la charrue fatigue moins par l’effort qu’il fait en appuyant sur les manches : il est vrai que l’ouvrage n’est point fait aussi promptement, parce que la marche de la charrue est nécessairement retardée par l’effort continuel du charretier sur les manches.

Section II.

Du choix des bois propres à la construction des charrues, & de la meilleure forme qu’on doit donner aux pièces qui la composent, afin d’éviter les frottemens.

On ne doit point employer indifféremment toutes sortes de bois à la construction des charrues ; le choix qu’il y a à faire est relatif aux diverses pièces dont elle est composée : telle espèce de bois, par exemple, convient pour une pièce, qui ne seroit point propre pour une autre. Le sep demande un bois dur & compacte, susceptible d’un extrême poli, afin qu’éprouvant peu de frottement dans le sillon, sa marche n’en soit point retardée. Le poirier, le prunier, le sorbier, &c. sont les meilleurs bois pour faire les seps des charrues ; leur dureté, & l’extrême poli qu’il est aisé de leur donner, les rendent très-propres à former cette pièce essentielle, qui est plus dans le cas de s’user que tout autre, à cause des continuels frottemens qu’elle éprouve dans le sillon. Quoiqu’on ne puisse point donner au chêne un poli aussi parfait qu’aux bois indiqués ci-dessus, il peut très-bien les remplacer quand on ne peut point s’en procurer ; il est assez compacte, & sa qualité le fait résister long-temps à l’humidité qui pourrit les autres bois.

Dans la construction de cette pièce essentielle de la charrue, l’ouvrier doit faire attention que le centre de la résistance que la charrue a à surmonter, est moins au bout du soc, qui, étant aigu & tranchant, coupe aisément la terre, qu’aux faces latérales & inférieures du sep. La résistance de la terre ne provient pas tant de sa propre pesanteur, que de la cohésion de ses particules, qui forment une masse assez solide, & opposent leur résistance au-devant de la charrue selon la ligne du tirage. Le centre de résistance ou de percussion n’étant par conséquent pas tout-à-fait à la pointe du soc, mais au contraire sur le plan des faces latérales & inférieures du sep, l’ouvrier doit donc tenir cette pièce extrêmement polie, afin qu’en diminuant les frottemens, les obstacles soient moins considérables.

La surface verticale gauche & l’inférieure horizontale du sep ou coin triangulaire, dont le corps de chaque charrue est composé, ne doivent point être tout-à-fait plates, mais un peu concaves, afin de donner plus d’assiette à la charrue dans le labour. Si elles étoient absolument plates, les extrémités deviendroient convexes par les frottemens, parce que ce sont les parties qui en éprouvent de plus considérables : le sep tendroit alors à sortir de la direction qu’on lui auroit fait prendre ; dans cette circonstance le conducteur seroit obligé de faire des efforts extraordinaires, & d’appuyer fortement sur les manches, en dirigeant son action tantôt à droite, tantôt à gauche, pour diriger & gouverner sa charrue, comme elle doit l’être, s’il veut faire un labour uniforme. Au contraire, lorsque le sep a ses faces latérales, & l’horizontale inférieure un peu concave, après l’action du soc, il n’y a que le bout du talon qui touche le fond du sillon dans le plan horizontal, de même dans le plan vertical du côté gauche, il n’y a que le bout latéral du talon qui éprouve des frottemens contre le terrein. De cette manière on diminue beaucoup les frottemens qu’éprouveroit sans cela le sep dans le sillon ; la résistance qui provient plus de la cohésion des particules de la terre, que de la difficulté du soc à l’ouvrir, est considérablement diminuée ; l’attelage fatigue peu, ayant de moindres obstacles à surmonter.

Pour diminuer encore plus les obstacles qui proviennent des frottemens que le sep éprouve dans le sillon ; pour rendre en même temps la marche de la charrue plus aisée, dans certains cantons de l’Angleterre on est dans l’usage d’adapter au talon du sep deux roulettes très-basses, sur l’essieu desquelles il est porté, ou une seule qu’on place au milieu du sep dans une mortoise pratiquée à cet effet, où elle est fixée par un axe qui traverse l’épaisseur latérale du sep. Le mouvement progressif de rotation de ces roulettes, quand la charrue est tirée, rend la marche du sep dans le sillon très-aisée, parce qu’il n’a plus que des frottemens latéraux à éprouver, qui sont bien moins considérables qu’ils ne le seroient sans le secours des roulettes. C’est de la marche aisée de la charrue, que dépend l’égalité du labour, qui constitue une bonne culture. Quand une charrue va avec aisance, l’attelage fatigue fort peu, il n’est point nécessaire qu’il soit aussi nombreux comme quand elle va difficilement & que sa marche est pénible. Le conducteur alors est absolument maître de sa charrue, il la gouverne à sa volonté, sans presque se fatiguer ni se gêner. Je suis persuadé que dans les terres extrêmement fortes & tenaces, on tireroit un grand avantage des deux roulettes adaptées au talon du sep : outre qu’elles faciliteroient sa marche, elles le conserveroient en lui épargnant les frottemens continuels qui l’usent peu à peu. Ces roulettes sont très-basses, leur diamètre est d’environ cinq à six pouces, ce qui n’élève le sep que de trois pouces au-dessus du terrein, à l’endroit où elles sont placées : elles contribuent encore à donner plus d’entrure au soc, parce que le talon du sep étant élevé, la pointe du soc pique plus avant.

L’âge ou la flèche est exactement le régulateur de la charrue : sa marche uniforme, l’entrure du soc dans le sillon dépendent de sa position sur la sellette de l’avant-train. Si cette pièce étoit toujours beaucoup en arrière, que le bout seul portât sur la sellette ; quoi qu’elle fût fort longue son poids ne seroit pas un fardeau considérable pour l’attelage : mais souvent on est obligé de l’avancer sur la sellette, quand on veut que la charrue pique moins ; alors son poids devient une charge pour les chevaux de traits. Si elle étoit faite d’un bois dur & pesant, comme elle a souvent huit à dix pieds de longueur, sur cinq à six pouces d’équarrissage, les chevaux auroient beaucoup de peine à tirer la charrue : il faut par conséquent choisir un bois léger, afin de ne point faire de ce régulateur un poids énorme qui fatigueroit considérablement les animaux qui sont à l’attelage. Le hêtre, le frêne, le tilleul, sont des bois très-propres pour l’âge ou la flèche des charrues, à plus forte raison pour le joug que portent les bœufs.

La forme de la flèche n’est pas absolument indifférente : dans la plupart des charrues elle est droite d’un bout à l’autre ; alors s’il y a plusieurs coutres, les derniers doivent être plus longs que les premiers, afin qu’ils puissent arriver sur la terre pour la fendre. Cette longueur des derniers coutres, n’est point du tout favorable à leur action ; ils ne sont point aussi solidement dans la mortoise où on les place, & l’effort qu’ils font pour ouvrir la terre leur fait souvent perdre la position qu’ils doivent avoir : d’ailleurs le point d’appui se trouvant trop éloigné de la résistance, leur action est moindre. La meilleure forme qu’on puisse donner à la flèche est la droite & la courbe tout à la fois, c’est-à-dire, droite depuis le tenon par lequel elle l’assemble au sep, jusqu’après la mortoise du dernier coutre où elle est continuée en ligne courbe, pour aller reposer sur la sellette. Cette forme est la meilleure qu’on puisse lui donner pour l’action des coutres, parce que la pointe du dernier se trouve aussi près du terrein que celle du premier, leurs longueurs étant égales. Cependant, comme on est souvent obligé d’avancer la flèche sur la sellette, & que cet avancement élève plus au-dessus du terrein la partie où est placé le dernier coutre que celle où se trouve le premier, il est bon que le dernier soit toujours d’un ou deux pouces plus long que les autres.

Pour les versoirs, ou oreilles des charrues, on choisit un bois dur, auquel on puisse donner tout le poli qu’exigent ces pièces, en raison des résistances qu’elles éprouvent. On doit, autant qu’il est possible, chercher à diminuer les frottemens ; ce sont des obstacles qui retardent la marche de la charrue, & rendent son action plus lente : on y parvient par l’extrême poli qu’on donne à ces pièces. Tous les bois n’en étant pas également susceptibles, il y a par conséquent du choix à faire. Le versoir est fait ordinairement du même bois que le sep ; lorsqu’il est bien uni, la terre, quoique humide, ne s’y attache pas aisément.

La forme du versoir contribue beaucoup à accélérer ou retarder la marche de la charrue, & à l’effet qu’elle doit produire, qui est de bien renverser la terre sur le côté. La plupart des ouvriers imaginent qu’une planche quelconque, pourvu qu’elle soit un peu contournée, est un versoir qu’ils peuvent adapter à une charrue, sans faire attention à prévenir les frottemens qu’il est dans le cas d’éprouver quand il avance dans la terre. Cependant l’expérience démontre que le versoir éprouve presqu’autant de frottement que le sep, puisque le laboureur est continuellement obligé d’appuyer sur les manches du côté du versoir, autrement sa charrue seroit bientôt renversée sur le côté opposé, à cause des obstacles que rencontre le versoir de la part de la cohésion des particules de la terre, dans la marche de la charrue. Un ouvrier intelligent doit donc chercher à lui donner la forme la plus convenable pour diminuer les frottemens, afin que les obstacles à surmonter étant moindres, la marche de la charrue ne soit point retardée. Le laboureur ayant alors moins de peine à la tenir dans l’assiette qu’elle doit avoir au fond du sillon, & la gouvernant avec aisance, le labour sera très-uniforme.

Plusieurs ouvriers donnent au versoir la forme d’un coin prismatique, dont le tranchant est vertical ; d’autres font son plan extérieur convexe dans le haut, & concave en bas ; d’autres enfin, & c’est assez l’ordinaire pour les charrues légères, lui donnent une forme absolument plate ; de sorte que ce n’est exactement qu’une planche très-unie, avec une bande de fer appliquée au côté inférieur, qui entre dans la terre, pour empêcher qu’elle ne s’use trop vîte par les frottemens.

M. Arbuthnot, membre de la Société royale de Londres, dans un mémoire qui a été communiqué à l’Académie royale des Sciences de Paris, & qu’on trouve dans le Journal de Physique, au mois d’Octobre 1774, nous apprend qu’il a trouvé par expérience, que la forme d’un coin prismatique qu’on donne assez communément aux versoirs, n’est pas la plus favorable à diminuer les frottemens, pour rendre la marche de la charrue plus aisée. Il a observé que la terre s’y attache dans l’angle formé par le soc & le versoir ; de façon que la nature même du labourage semble indiquer que cette surface doit être courbe. Il a pensé que la semi-cycloïde étoit apparemment celle qui opposeroit le moins de résistance dans son opération pour ouvrir la terre. En effet, cette courbe descend si doucement, tandis que la pointe du cercle générateur est au-dessus de son axe, qu’en la renversant pour former la pente depuis le sommet du versoir, jusqu’à la pointe du soc, il s’attendoit à un effet le plus avantageux pour la pratique. Il fit donc exécuter son projet, en donnant un diamètre de seize pouces au cercle générateur ; il eut la satisfaction de voir que sa nouvelle charrue alloit beaucoup mieux qu’aucune autre, sans avoir besoin d’une aussi grande puissance à l’attelage pour labourer : il observa cependant qu’en labourant dans une terre légère & friable, sa charrue ne déchargeoit pas assez vîte la terre de côté ; au lieu de la semi-cycloïde, il adopta la courbure de la moitié d’une demi-ellipse pour sa charrue, en la formant avec une sémi-transverse de la même hauteur de seize pouces, dont les foyers étoient à une pareille distance du centre commun. Celle-ci labouroit mieux que la première, dans une terre friable & légère ; mais l’autre, formée avec la semi-cycloïde, la surpassoit de beaucoup dans les terres fortes, & faisoit encore mieux quand les sillons étoient profonds. Dans un cas pareil, il est bien aisé d’en juger par la forme de sa courbure, qui doit tendre à surmonter plus aisément la résistance du terrein, dont le seul obstacle est toujours plus grand que tous les autres réunis.

La courbure dont il vient d’être parlé, ne regarde précisément que la forme du devant du versoir : elle est formée par l’extrémité des coupes horizontales de sa solidité, mais dont la surface totale qui en résulte, est concavo-convexe. M. Arbuthnot avoue qu’il n’est point parvenu à la configurer de la sorte par aucune discussion théorique, mais par la simple expérience accompagnée d’une observation assidue, sur la manière avec laquelle la terre rencontre le versoir ; comment elle s’y attache ou détache en différentes circonstances ; comment elle tombe & est plus ou moins renversée ; ayant égard aux endroits qui s’usent les premiers dans différentes charrues : ce qui montre où est le plus grand frottement, ou la plus grande résistance à surmonter.

Les manches des charrues ne doivent point être faits avec un bois trop léger ; on doit considérer le manche de la charrue comme une espèce de levier, qui sert de gouvernail au conducteur, dont la pesanteur doit entrer en balance avec celle du sep : il faut donc choisir un bois dur pour en faire des manches, tel que le chêne ou autre semblable, afin qu’ils soient en état de résister aux efforts réitérés que le charretier est souvent obligé de faire sur eux, sur-tout quand la charrue est d’une construction défectueuse.

La plupart des charrues légères qu’on emploie pour la culture des terres sablonneuses, n’ont qu’un manche simple un peu recourbé en arrière. Comme le conducteur a peu d’effort à faire pour gouverner sa charrue dans un terrein qui n’oppose aucune résistance, ce manche simple suffit ; mais dans les terres fortes, où le conducteur est sans cesse occupé à bien tenir le sep dans son assiette au fond du sillon, à cause des obstacles qu’il rencontre à tout instant, & qui tendent à faire tourner la charrue ; il lui seroit difficile de la tenir dans un parfait équilibre, sans le secours du double manche, qui, divisant sa puissance, en porte une partie à droite, & l’autre à gauche ; de sorte que si le sep tend à tourner à gauche, sa main appuyant aussi-tôt vers la droite, il est remis en place sur le champ.

Ce double manche, qu’on est, avec raison, dans l’usage d’adapter aux charrues qu’on emploie pour cultiver les terres fortes, est fourchu à son extrémité, c’est-à-dire, à la poignée. Souvent c’est un bois qui a naturellement cette forme ; d’autres fois elle provient de son assemblage : il est toujours un peu courbé en arrière, afin que le conducteur ait plus d’aisance pour appuyer dessus quand il est nécessaire. S’il n’est pas courbé par la coupe du bois, on lui donne alors un peu plus d’inclinaison en arrière, afin d’y suppléer. Il faut avoir attention qu’il n’ait pas trop de hauteur, pour que le laboureur, en appuyant dessus, puisse agir comme il faut. Cette proportion dépend beaucoup de la taille du conducteur : aussi, il y a des charrues dont le manche est brisé ; par ce moyen, on peut toujours le mettre en proportion de la taille de celui qui doit conduire la charrue. Cette méthode est assez bonne quand on peut arrêter ces manches d’une manière bien solide, parce que tous les laboureurs n’ont pas la même taille : cependant il est nécessaire que la hauteur des manches entre en proportion avec elle, afin que le conducteur puisse agir librement & avec facilité.

L’avant-train des charrues doit être considéré comme un secours qui vient à l’aide des chevaux de trait, lequel rendant la marche de la charrue plus aisée dans le sillon, doit par conséquent épargner beaucoup de peine à l’attelage. Pour que la destination de l’avant-train ait pleinement son effet, il doit être peu pesant, & construit cependant d’une manière solide : s’il étoit trop pesant, il fatiguerait considérablement l’attelage, parce que son propre poids l’enfonceroit dans le sillon, la charrue n’en iroit pas mieux, & les chevaux auroient beaucoup de peine à la tirer. On doit faire en sorte, autant qu’on le peut, que la puissance des chevaux qui sont à l’attelage, n’agisse que pour vaincre la résistance qu’éprouve le coin qui ouvre la terre : si l’avant-train étoit trop lourd, ce seroit un second obstacle qu’on opposeroit à leurs efforts.

Tous les bois qui entrent dans la construction de l’avant-train doivent être légers : sa solidité ne doit dépendre que de l’assemblage des différentes pièces qui le composent, lesquelles doivent être parfaitement assemblées. Si le tétard, le patron, le limonier, les traverses étaient en chêne, toutes ces pièces formeroient une masse énorme, que son propre poids, joint à celui de la flèche dont le bout porte sur l’avant-train, enfonceroit dans la terre. Il est donc bien essentiel de n’employer que du bois léger, afin d’épargner une peine inutile à l’attelage qui retarderoit la marche de la charrue.

Dans quelques endroits on est dans l’habitude de faire en fer les deux roues sur lesquelles porte l’avant-train : cette méthode est défectueuse, parce que, pour les rendre moins pesantes, on donne peu de surface à la circonférence. Alors les roues entrent facilement dans la terre ; l’avant-train se trouvant trop bas, l’attelage a beaucoup de peine à tirer la charrue : le conducteur ne peut plus la gouverner à volonté, le soc prend, malgré lui, plus d’entrure qu’il ne convient souvent au labour qu’il fait. Au contraire, quand les roues sont en bois, l’avant-train ne s’enfonce pas si aisément ; les jantes des roues étant plus larges, elles prennent une plus grande surface sur le terrein.

On fait ordinairement le moyeu des roues avec le frêne, qui est un bois dans lequel on peut pratiquer les mortoises qui reçoivent les tenons des rayons, sans craindre qu’il se fende : les jantes sont faites avec le même bois, ou avec le hêtre. On choisit du chêne pour les rayons, sa dureté le rend susceptible d’être aminci, sans qu’il perde de la solidité qu’il doit avoir : quand le frêne est bon, il peut être employé à cet effet ; mais il faut avoir attention de prendre des morceaux refendus d’une grosse pièce, parce qu’ils sont plus solides.

On ne doit pas toujours s’en rapporter aux charrons, pour la qualité du bois qu’ils emploient ; il est essentiel de la connoître soi-même, afin de ne pas courir les risques d’être trompé par ces sortes d’ouvriers ; l’appât du gain les entraîne souvent à employer des bois qui ne conviennent point pour les ouvrages qu’on leur ordonne de faire.

La qualité du bois dépend beaucoup des endroits où il croît : les lieux aquatiques, ceux qui n’ont que le soleil couchant, produisent des bois d’une qualité bien inférieure à ceux qui croissent dans des endroits secs, pierreux & exposés au soleil levant. Quand on a le choix, il faut employer ces derniers par préférence aux autres.

De quelqu’espèce ou qualité que soit le bois qu’on emploie, il faut qu’il soit extrêmement sec ; quand il ne l’est point parfaitement, l’humidité de la terre, la pluie à laquelle il reste souvent exposé, le font gercer & fendre. Pour ne courir aucun risque à cet égard, on peut le laisser quelques heures dans un four, à plusieurs reprises, lorsque la chaleur est assez modérée pour qu’il n’y noircisse point en se calcinant. Il faut avoir attention de ne point l’y mettre, lorsqu’il est nouvellement coupé, parce qu’étant encore frais, la chaleur subite qu’il éprouveroit, dilateroit trop ses pores pour donner passage à l’eau, ce qui le feroit fendre tout de suite.

Section III.

De la forme des socs & des coutres.

Les diverses figures des socs des charrues peuvent se réduire à trois. Les uns ont la forme d’un triangle isocèle, dont l’angle, qui fait la pointe du soc, est très-aigu ; les deux autres sont repliés en dessous, pour former une espèce de douille où entre le sep. Les autres qui ressemblent à un fer de lance, ont entre les deux ailes un manche rond en forme de douille, pour recevoir la pointe du sep. Les troisièmes enfin sont terminés du côté gauche, en ligne droite, depuis la pointe jusqu’à l’extrémité de la douille ; du côté droit ils ont une aile tranchante, qui commence à la pointe du soc, & qui vient se terminer après avoir fait un angle vis-à-vis la naissance de la douille, à la jonction de la douille même avec le soc.

Toutes ces différentes figures des socs sont relatives à l’espèce de charrue à laquelle ils sont adaptés. Ceux de la première forme sont propres aux charrues les plus légères, comme l’araire & autres de cette sorte. Ceux de la seconde sont employés aux charrues appelées communément tourne-oreille, parce que le versoir est amovible, & qu’on le change de côté toutes les fois qu’on est au bout d’un sillon, & qu’on va en commencer un autre. Ceux de la troisième ne conviennent qu’aux charrues dont le versoir est fixé au côté droit ; c’est pour cette raison qu’il n’a qu’une aile assez large de ce côté ; s’il en avoit une pareille à l’opposé, la terre qu’il souleveroit, retomberoit dans le sillon. Les ailes du soc qu’on adapte aux charrues dont le versoir est amovible, & qu’on change de côté au bout de chaque sillon, sont peu larges, autrement celle qui ne seroit point surmontée du versoir remueroit une trop grande quantité de terre, qui ne seroit point retournée sur le côté, mais qui retomberoit dans le sillon.

Toutes ces formes sont également bonnes, selon l’espèce de charrue à laquelle ces socs sont adaptés.

Quelle que soit l’espèce & la figure des socs, leur pointe, ainsi que le tranchant de leurs ailes, doivent être proportionnés à la qualité du terrein dans lequel ils entrent. Dans un sol pierreux, un soc dont la pointe seroit très-aiguë, & les ailes bien tranchantes, seroit d’abord usé : il est donc nécessaire, dans ces circonstances, que ces parties, parfaitement trempées, aient peu de pointe & de tranchant : ces qualités d’ailleurs sont très-inutiles dans un terrein qu’il est si aisé d’ouvrir. Dans les terres grasses & compactes, un soc bien aigu, à ailes bien tranchantes, entre avec beaucoup de facilité, parce qu’il coupe aisément une terre compacte ; il ne s’use presque pas, parce qu’il ne rencontre point des pierres qui l’émoussent. Si sa pointe, au contraire, n’étoit point aiguë, ni ses ailes affilées, il éprouveroit de grandes résistances pour ouvrir une terre qui, s’opposant continuellement à son action, seroit battue au lieu d’être ameublie.

Le fer des socs doit être d’une bonne qualité, afin qu’il résiste aux efforts qu’il fait pour ouvrir la terre ; & sa pointe d’un très-bon acier, de même que les ailes.

La charrue fait une bonne culture, quand le soc a une largeur convenable, parce qu’elle remue la terre dans une plus grande surface, ce qui avance extrêmement l’ouvrage. Lorsque le soc est assez large, il coupe entièrement la base du parallélipipède du sillon ; il résiste moins au corps du versoir, qui ne laisse point de petites masses de terre en entier au-dessous, comme il arrive ordinairement quand il est étroit. S’il étoit moins large que le corps du sep, on conçoit aisément combien ce dernier auroit d’obstacles à surmonter, pour suivre le soc dans le sillon qu’il traceroit : étant trop étroit, sa marche seroit fort lente, & retardée en raison des obstacles que lui opposeroit la ténacité du terrein qu’il ouvriroit. Au contraire, lorsque le soc est plus large que le sep, celui-ci a peu d’obstacles à surmonter pour le suivre dans sa marche, principalement quand on rend sa surface gauche latérale, & l’inférieure concave.

Le coutre est une espèce de couteau à longue lame, qu’on adapte en avant du soc, à la flèche de la charrue, pour fendre la terre, couper les racines & le gazon. Sa figure, qui est assez généralement uniforme, ressemble à un couteau à gaine, dont la lame ne se replie point pour entrer dans le manche. La lame & le manche du coutre sont en fer ; par ce moyen on les descend à mesure qu’ils s’usent par le bout.

Le tranchant du coutre est proportionné à la qualité de la terre qu’il coupe. Si elle est forte & compacte, la lame du coutre doit être affilée, afin qu’il puisse aisément couper la terre, sans éprouver de trop grandes résistances, qui feroient varier sa position. Quand le terrein, au contraire, est pierreux, la lame du coutre doit avoir peu de tranchant, autrement elle seroit bientôt usée : dans de pareils terreins, leur office, quand on s’en sert, est plutôt d’entraîner les racines des herbes, afin qu’elles ne viennent pas s’embarrasser dans la charrue, que d’ouvrir la surface de la terre.

Il y a des charrues en Angleterre, qui, au lieu de coutres, portent un cercle de fer plein, dont la circonférence est très-affilée. Ce cercle qui est suspendu à la flèche par une tringle de fer assez forte, au bout de laquelle il est arrêté par un bouton plat, vient descendre sur la pointe du soc, où il entre dans la terre : en tournant sur son axe, quand la charrue est tirée, il coupe toutes les racines des plantes qu’il rencontre dans la largeur de sa surface.

Section IV.

Des proportions qu’il faut observer dans la construction des Charrues.

Les proportions qu’il faut suivre dans la construction des charrues, dépendent de tant de circonstances, qu’il est impossible de donner une règle fixe, & des principes invariables à ce sujet. Premièrement, il faut avoir égard à la qualité du terrein, quelle que soit la charrue qu’on veut y employer : selon sa légéreté, ou sa ténacité, il exige une charrue plus ou moins forte. 2o. À l’espèce de culture pour laquelle on destine la charrue ; on conçoit que pour des premiers labours de terres en jachère, ou pour des défrichemens, il faut une charrue d’une espèce différente de celle qu’on emploie pour les seconds labours, ou pour travailler des terres qui sont en bonne culture. 3o. À la force du conducteur, qui souvent n’est pas en état de gouverner toutes sortes de charrues ; à la puissance de l’attelage qu’il faut bien connoître, afin d’en tirer le meilleur parti, sans cependant la détruire faute de ménagement. 4o. À l’espèce de charrue que l’on veut faire construire, parce que chacune a ses dimensions qui lui sont propres.

Ce détail de proportion étant relatif aux principes sur lesquels on construit les différentes espèces de charrues qui sont en usage, nous nous proposons d’en parler dans les différentes descriptions que nous en donnerons. Nous n’indiquerons ici que les principes généraux qu’on peut appliquer dans la pratique, quand on est guidé par l’expérience & les circonstances : ils pourront être de quelque utilité aux cultivateurs qui désireroient de guider les ouvriers peu intelligens qu’ils sont souvent obligés d’employer.

Une des choses les plus essentielles à la perfection de la charrue, consiste à bien déterminer l’angle que forment l’âge & le sep, par leur assemblage. Il a été dit que l’ouverture de cet angle pouvoit être depuis dix-huit jusqu’à vingt-quatre degrés. L’ouvrier doit ménager au laboureur la facilité de l’augmenter & la diminuer, selon qu’il le juge convenable à l’espèce de culture qu’il veut donner à une pièce de terre. Pour cet effet, il tient aux charrues légères, la mortoise qu’il pratique au manche ou au sep, pour recevoir le tenon de l’âge, assez large pour qu’on puisse glisser un coin en dessous & dessus, qu’on enfonce à volonté pour élever ou abaisser l’âge.

Le sep, dans les charrues à avant-train, a assez communément vingt-sept à vingt-huit pouces de longueur, en y comprenant la pointe qui entre dans la douille du soc, sur six pouces de largeur au talon, & trois pouces d’épaisseur. Je ne détermine sa largeur qu’au talon, parce que les surfaces latérales doivent être un peu concaves, comme il a été dit en parlant de la meilleure forme qu’on pouvoit lui donner, pour qu’il parvînt à vaincre plus aisément les obstacles qui s’opposent à sa marche dans le sillon. Pour les charrues légères, un sep de cette longueur seroit trop pesant dans une terre sablonneuse & friable, pour lesquelles on emploie un attelage de deux chevaux seulement : en le faisant de dix-huit à vingt pouces de longueur jusqu’à la douille du soc, avec la même largeur & épaisseur, il produira un meilleur effet.

Le soc, dans sa plus grande largeur, doit toujours avoir deux pouces à peu près de plus que celle du sep, sans cela il ouvriroit un sillon trop étroit, le sep éprouveroit des frottemens considérables, qui ralentiroient la marche de la charrue ; l’attelage & le conducteur fatigueroient beaucoup : sa longueur, sans y comprendre la douille où entre le sep, est de douze à treize pouces.

La longueur des manches, depuis le sep jusqu’à leur extrémité, est de trois pieds neuf pouces : quand le manche est double ou fourchu, l’ouverture des cornes, prise à leur extrémité, doit être de quinze pouces environ, afin que le conducteur ait toute la facilité, en s’appuyant, de tenir le sep dans son assiette au fond du sillon. Leur largeur, dans presque toute leur longueur, est de trois pouces sur un d’épaisseur. Cette longueur, quoique déterminée, ne doit point être constante, elle dépend de la taille du conducteur : si les manches sont trop hauts ou trop bas, il gouvernera mal à son aise sa charrue.

La longueur de la flèche ou de l’âge, est relative à l’espèce de charrue qu’on veut construire, & à la qualité du terrein qu’on a à labourer. Comme sa longueur rend la marche de la charrue plus aisée, & que l’attelage a moins de peine à tirer quand la flèche est longue, que si elle étoit courte, on comprend qu’il est nécessaire qu’elle soit plus longue pour un terrein fort, que pour un terrein léger. Quoique l’ouvrier doive principalement se régler sur la qualité du sol, pour donner à la flèche une longueur convenable, il peut cependant faire usage du principe que je vais indiquer pour déterminer sa longueur : il peut être appliqué assez généralement, sans craindre qu’il en résulte des erreurs essentielles dans la pratique.

Pour déterminer la longueur de la flèche, on prend une ligne horizontale indéfinie, sur laquelle on élève une perpendiculaire de douze pouces : à la distance de huit pieds de cette première perpendiculaire, on en élève une seconde de quarante-quatre ou quarante-cinq pouces : la diagonale qui rasera ces deux perpendiculaires jusqu’à couper l’horizontale, marquera, par son intersection, l’endroit où doit être la pointe du soc ; celle de la première perpendiculaire, l’endroit du bout de la flèche. Par ce principe, on a la longueur de la flèche, depuis sa pointe du soc jusqu’à son extrémité : le reste de sa longueur, c’est-à-dire, depuis la pointe du soc, jusqu’à son assemblage avec le sep ou les manches, ne dépend plus que de la distance qu’il y a entre le talon du sep & la pointe du soc, & de la proportion de la force moyenne du laboureur, pour la tendance du plan incliné de la charrue vers l’horizon, ce qui doit déterminer les deux parties de la flèche.

Dans la longueur de la flèche, il faut avoir encore égard à la hauteur des roues, parce que leur diamètre étant hors des proportions ordinaires, la flèche seroit trop élevée sur la sellette, si elle n’avoit que la longueur commune, qui est de six à sept pieds : le soc alors, dans bien des circonstances, ne pourroit pas prendre assez d’entrure.

La flèche des charrues légères ou sans avant-train, n’a communément que six pieds de longueur, qui est à peu près le double de celle que doivent avoir le sep & le soc réunis.

Le diamètre qu’on donne aux roues de l’avant-train, pris en dessous des jantes, est communément de vingt-deux à vingt-quatre pouces : pour les rendre plus légères, on réduit la longueur de la partie du moyeu qui est en dedans à deux pouces ; par ce moyen on donne plus de longueur à la traverse percée qui reçoit leur essieu, & qui supporte la sellette. Dans la plupart des charrues à avant-train, les deux roues ne sont pas d’un diamètre égal ; celle qui est à droite est plus grande que celle qui est à gauche, parce qu’elle va dans le sillon ; ce qui la met à peu près au niveau de l’autre qui est plus petite. Cette inégalité des roues empêche la charrue de verser : si elles étoient égales, l’une tournant dans le sillon, l’autre sur la surface de la terre, la charrue pencheroit nécessairement du côté de la roue qui est dans le sillon, & souvent tout l’effort du conducteur, ne pourroit empêcher la charrue de se renverser. La différence de leur diamètre est le plus communément de six à sept pouces.

Cette inégalité des roues ne doit jamais avoir lieu quand le versoir est amovible, parce que la charrue culbuteroit nécessairement lorsque le versoir se trouveroit du côté de la plus petite. Dans les terreins absolument plats elle est assez inutile ; l’une des roues n’est jamais si fort élevée au-dessus de l’autre, pour craindre que la charrue soit renversée. Lorsque le versoir est fixé au côté droit de la charrue, comme à celle de Champagne, & que les terres qu’on laboure sont divisées par billons, la roue à droite, ou du côté du versoir, doit être nécessairement d’un diamètre plus grand que celle qui est à gauche, parce que la manière de labourer ces pièces de terre est de commencer à gauche, & d’aller ensuite à droite ; de sorte qu’on entame un billon des deux côtés, & on le termine par le milieu. La roue à gauche, outre qu’elle se trouve plus basse que celle qui est à droite, à cause de la position du terrein, a encore son mouvement de rotation dans le sillon, tandis que l’autre l’a sur la surface du sol ; si le diamètre des roues étoit égal, celle qui est à gauche ne résisteroit point à l’action du versoir qui fait effort pour renverser la terre sur le côté, la charrue par conséquent seroit culbutée à gauche, parce que le conducteur ne seroit point assez fort pour maintenir l’équilibre.

Le patron, ou la traverse percée, dans laquelle passe l’essieu des roues, est de dix à onze pouces de longueur, sur quatre pouces & demi, ou cinq d’équarrissage, ce qui détermine la longueur de l’essieu des roues, parce que le patron arrive exactement jusqu’aux moyeux des deux roues. Il n’est guère possible de réduire cette longueur, les roues seroient alors trop rapprochées, la charrue par conséquent ne seroit point dans une position solide quand elle marcheroit. M. Duhamel du Monceau a réduit la longueur du patron jusqu’à huit pouces ; la distance des roues ne devoit point être assez considérable pour que la charrue fût ferme dans sa marche. M. Tull, au contraire, l’a portée jusqu’à deux pieds ; il est vrai que sa charrue est extrêmement forte, & que sans cette longueur du patron, qui décide de la distance des roues, elle auroit risqué de culbuter à tout instant. La distance d’une roue à l’autre doit toujours être au moins de dix-huit à vingt pouces : ce n’est point trop de deux pieds pour les charrues de la première force.

La sellette placée sur le patron, pour recevoir & supporter l’extrémité de l’âge ou de la flèche, a communément douze à treize pouces de hauteur, & deux pouces & demi d’épaisseur ; sa largeur est de même proportion que la longueur du patron, à peu de chose près : il n’y auroit aucun inconvénient quand elle ne seroit point aussi large que le patron est long.

Le tétard ou limonier doit avoir au moins vingt-cinq pouces, depuis le patron jusqu’à son extrémité. Quand la charrue est extrêmement forte, on peut lui donner trois à quatre pouces de longueur, afin de donner plus d’aisance à l’attelage pour tirer. Son équarrissage est de trois pouces.

L’éparts ou la traverse qu’on passe dans la mortoise pratiquée à l’extrémité du tétard, pour attacher à chaque bout les palonniers qui reçoivent les traits des chevaux, a trente pouces de longueur, trois pouces de largeur, & un pouce & demi d’épaisseur ; ces proportions sont assez constantes pour toutes sortes de charrues.

Les deux palonniers ont chacun vingt-un pouces de longueur, & elle suffit pour tenir les traits à la distance qui est nécessaire, afin qu’ils ne frottent point trop contre les cuisses des chevaux. Quand on veut labourer avec un seul cheval, ou qu’on veut en mettre plusieurs à la queue les uns des autres, on supprime l’éparts, pour mettre un seul palonnier au bout du tétard ; si on veut constamment mettre les animaux de tirage à la file les uns des autres, on peut absolument supprimer le tétard, & le remplacer par deux limons qu’on cloue sur le patron : leur longueur ne doit pas excéder les épaules du cheval limonier ; il est bon qu’ils soient courbés en dehors, afin que dans la marche de la charrue ils ne battent point contre les flancs du limonier.

CHAPITRE III.

Des différentes espèces de Charrues.

Toutes les charrues, relativement à la différence des principes de leur construction, peuvent se réduire à deux espèces : les autres, quoique connues sous diverses dénominations, sont renfermées dans la classe de l’une de ces deux espèces, à cause de l’analogie de leur construction, qui est fondée sur les mêmes principes. La première espèce comprend les charrues simples ; elles sont ainsi appelées, parce que la forme de leur construction, est un assemblage moins composé ; ce qui les rend un instrument de culture assez léger.

La seconde espèce renferme les charrues à avant-train : dans cette classe sont comprises toutes les charrues, dont le soc est précédé de deux roues, sur l’axe desquelles la flèche de l’arrière-train est portée. D’une charrue simple on peut donc en faire une charrue composée ou à avant-train, en faisant porter la flèche sur deux roues : de même toute charrue composée peut devenir une charrue simple, en supprimant l’avant-train qui porte la flèche.

De quelque sorte que soient les charrues, elles doivent donc être comprises dans l’une de ces deux espèces ; qu’elles soient à tourne-oreille, à double oreille, à versoir fixe, à soc pointu, à soc en fer de lance, à soc à double aile, ou aile simple, &c. &c. ; que leur construction soit simple ou composée ; les principes étant les mêmes, elles seront toujours des charrues de l’une de ces deux espèces ; c’est-à-dire, des charrues avec avant-train, ou sans avant-train.

Quoique toutes les charrues ne composent que deux espèces, fondées sur la différence des principes de leur construction ; afin de mettre de l’ordre dans la description que nous allons donner des charrues les plus connues, à cause de l’utilité qu’on en retire pour la culture des terres, selon les différentes qualités de leur nature, nous ajouterons une troisième espèce qui formera une classe séparée des deux autres, non point par rapport aux principes de sa construction, puisqu’ils sont les mêmes ; mais par rapport à son usage qui est différent, dans la culture, de celui des charrues des deux premières espèces. Nous nommerons cette troisième un cultivateur : enfin nous en établirons une quatrième, dont les principes semblent un peu s’éloigner de ceux sur lesquels les autres sont construites. Cependant ce sera toujours moins sur la différence des principes, que sur sa vraie destination, qui n’étant point du tout la même, demande d’être mise dans une classe séparée ; cette espèce sera appellée celle des charrues à défricher.

DEUXIÈME PARTIE.


CHAPITRE PREMIER.

Des Charrues simples.

La charrue simple est le plus ancien instrument de labourage que nous connoissions : c’est de cette espèce de charrue dont parle Virgile dans son premier livre des Géorgiques, où il donne le détail des instrumens propres à l’Agriculture. Pline le naturalise ne parle aussi que d’une seule espèce de charrue, qui n’avoit point d’avant-train, mais dont l’âge étoit portée sur le joug des bœufs, comme on le pratique encore aujourd’hui dans l’attelage de l’araire dont on se sert en Provence, en Languedoc & en Dauphiné. Il y a tout lieu de présumer que les anciens n’en connoissoient pas d’autre, & qu’avec cette seule espèce de charrue, ils labouroient indifféremment toutes sortes de terres. Il est très-probable que cette charrue d’une construction si simple, est le premier instrument de labourage qui ait été inventé ; ce qui confirme cette opinion, c’est qu’elle ressemble beaucoup à la charrue égyptienne que les romains avoient adoptée.

À mesure que l’Agriculture a fait des progrès, ou pour mieux dire, lorsque les hommes ont eu assez de courage pour s’élever au-dessus du préjugé honteux qui leur faisoit regarder les occupations champêtres comme indignes d’eux, ils se sont occupés à perfectionner les instrumens dont ils se servoient pour ouvrir le sein de la terre. La charrue simple, jusqu’alors en usage, parce qu’on n’en connoissoit pas de meilleure, n’a plus paru propre à cultiver indifféremment toutes sortes de terreins. Les obstacles produits par les frottemens considérables qu’elle éprouvoit dans les terres fortes, demandoient un attelage plus nombreux que quand il falloit cultiver des terres légères où le soc, éprouvant peu de résistance, entroit aisément pour ouvrir de larges & profonds sillons. Pour vaincre les frottemens, & afin que l’attelage tirât avec plus de facilité la charrue, on a imaginé de substituer au joug un avant-train composé de deux roues, qui, en supportant le poids de l’âge, donnoit encore l’aisance de tirer avec beaucoup moins de peine. De sorte que les chevaux ou les bœufs qui étoient obligés de porter l’âge en même temps qu’ils tiroient la charrue, étant débarrassés de ce fardeau, n’avoient plus d’autre peine que celle de tirer. La peine étant moindre, on pouvoit sans inconvénient diminuer l’attelage, ce qui rendoit l’Agriculture moins dispendieuse. De cette manière l’industrie a fait une charrue composée ou à avant-train, d’une charrue très-simple dans le principe, mais peu propre à la culture de toutes sortes de terres, sans distinction des différentes qualités de leur nature.

L’invention de la charrue à avant-train n’a point proscrit l’usage de la charrue simple : l’Agriculture a conservé cet instrument dont elle se sert encore avec avantage pour la culture des terres légères, qu’elle fouille & remue assez bien. Dans le Dauphiné, dans la Provence, où la plupart des terres sont assez légères & friables, c’est l’instrument de labourage le plus commun ; il n’y a que dans les cantons, ou les terres sont fortes & grasses qu’on emploie la charrue à deux roues. C’est un très-bon instrument d’Agriculture ; il ne s’agit que de le mettre dans des mains habiles, qui s’en serviront dans la plupart des terres labourables avec le plus grand avantage.

Tout le méchanisme de la charrue simple, consiste dans deux leviers l’un de la première, l’autre de la seconde espèce, qui ont un point d’appui commun, & agissent en même temps pour vaincre la résistance commune que le soc oppose à leur action ; de sorte que sa direction dépend de tous deux. Le premier levier est le manche assemblé avec le sep ; la puissance qui le fait agir, ce sont les mains du laboureur appliquées à l’extrémité du manche pour conduire la charrue ; son point d’appui est au talon du sep & sa résistance première à la pointe du soc : celles qui proviennent des frottemens du sep dans le sillon, ne sont que secondaires, parce qu’elles sont une suite du premier obstacle qu’éprouve le soc en fendant la terre.

L’âge ou la flèche, est le second levier ; il est de la deuxième espèce : la force des animaux, appliquée à l’extrémité, est la puissance qui le fait agir : son point d’appui étant le même que celui du premier levier, il se trouve par conséquent au talon du sep, auquel il est assemblé, s’il ne l’est pas avec le manche : la résistance se trouve aussi à la pointe du soc, puisqu’elle est commune à tous deux.

Le sep & le soc qui ouvrent le sillon, doivent être considérés comme le coin que ces deux leviers soutiennent & mettent en mouvement par l’action réciproque de leurs puissances qui agissent en même temps. Lorsque ces deux leviers sont en mouvement, leurs puissances faisant effort en même temps, le coin surmonte l’obstacle que lui oppose la pression de la terre qui est fendue & ouverte par le soc, soulevée & renversée de côté par le plan de la surface du versoir.

Section première.

Description de l’araire de Provence.

Nous commençons la description des charrues légères par celle qui est d’un usage assez commun dans les provinces méridionales de la France, comme la Provence, le Languedoc, le Dauphiné, où elle est connue sous le nom d’araire, parce que c’est la plus ancienne charrue légère connue dans l’Agriculture, & celle qui a un rapport plus immédiat avec la charrue égyptienne, & la charrue romaine, comme il est aisé de s’en convaincre, en comparant la description que nous en donnons avec ce que Virgile dit des charrues latines dans son premier livre des Géorgiques.

La charrue légère, nommée communément araire ; (Fig. 1, Planche 2), est composée du sep AB, lequel a ordinairement trois à quatre pieds de longueur : la partie qui est en avant, ou le bout antérieur, est terminé en pointe. Le dessous du sep, ou la surface inférieure qui pose sur le terrein quand la charrue est en mouvement, n’est point plat, il forme une courbe peu sensible dans toute sa longueur.

Le talon ou l’extrémité postérieure du sep, est terminé par un fort tenon qui est reçu dans la mortoise pratiquée à l’extrémité de l’âge DE, avec laquelle il s’assemble : pour contribuer à la solidité de son assemblage, il est encore uni à l’âge par deux montans de fer FG, qui sont clavetés sur l’âge comme on le voit en F. Entre l’âge & le sep, c’est-à-dire, de F à G il y a environ quinze pouces de distance. Au lieu de ces montans en fer, on met quelquefois à leur place un morceau de bois ou de fer tranchant, qui peut servir de coutre quand on lui donne l’inclinaison convenable pour cet effet : on peut dire cependant qu’il ne remplit pas sa destination, puisqu’il n’est pas placé de manière à pouvoir ouvrir la terre devant le soc. Toute l’utilité qui peut en résulter, consiste à arrêter les mauvaises herbes & les racines qui viendroient s’embarrasser & s’amonceler contre les oreilles ou le sep.

Le soc de cette charrue, fait en forme de fer de lance ou de dard, qu’on voit représenté par la Figure 2 est fort long : il est placé sur le sep, de manière que son manche DI, entre dans la même mortoise qui est pratiquée à l’extrémité de l’âge, où le tenon du sep est entré. Les ailes KL du soc sont appuyées contre les montans FG de la première Figure. Ce soc, sans être uni au sep, est cependant placé assez solidement pour que son action ne tende pas à lui faire quitter sa position : ces deux ailes étant appuyées contre les montans FG, l’effort qu’il fait pour ouvrir la terre contribue à le maintenir dans la position où il doit être pour agir.

Le manche M, (Fig. 1), est terminé au bout comme une espèce de crosse, dont l’extrémité a un tenon qui entre, de même que celui du sep & le manche du soc, dans la grande mortoise qui est pratiquée à l’extrémité de l’âge, & qui leur est commune. Le manche, ainsi que les deux autres pièces, est assujetti dans cette mortoise, par des coins qu’on enfonce à coups de maillet, pour rendre cet assemblage très-solide. On a attention qu’il y ait toujours un coin en haut & l’autre en bas, afin de pouvoir donner plus ou moins d’entrure à la charrue quand il est nécessaire : si la mortoise étoit trop large vers les côtés, on seroit obligé d’y glisser de petits coins, afin que les pièces qui y sont assemblées ne varient point quand la charrue est tirée. Le manche est quelquefois brisé vers son milieu comme on le voit en N, afin qu’il soit aisé de l’alonger ou de le raccourcir, selon que l’exige la hauteur de la taille du laboureur.

Les coins qui assujettissent le sep, le soc, les manches dans la mortoise qui est à l’extrémité de l’âge, ont encore une autre destination, qui est de faire piquer plus ou moins la charrue, c’est-à-dire, de la faire entrer plus ou moins profondément dans la terre, à mesure qu’on les lâche ou qu’on les enfonce : c’est pourquoi il a été dit, qu’il falloit avoir attention que la mortoise fût assez large pour qu’on pût mettre un coin en dessus & l’autre en dessous. La profondeur du sillon, comme il a été démontré au Chapitre de la construction des charrues, dépend de l’ouverture de l’angle que forment l’âge & le sep assemblés ; si cet angle est bien ouvert, la charrue pique peu, ou prend peu d’entrure, parce que l’attelage tire l’âge trop élevée. Dans cette circonstance, le conducteur dont les mains appuient continuellement sur les manches, fatigue beaucoup pour diriger la charrue, afin que le soc prenne une entrure convenable. Au contraire, quand l’angle est peu ouvert, l’attelage, il est vrai, a plus de peine, parce que l’âge étant plus basse, le soc prend plus d’entrure & fouille la terre à une plus grande profondeur ; mais aussi le laboureur est dispensé d’appuyer sur le manche ; il lui suffit de gouverner simplement sa charrue afin que le soc trace un sillon droit. Pour que cet angle soit peu ouvert, on enfonce fortement le coin supérieur, tandis qu’on enfonce peu celui qui est en dessous. Quand au contraire on veut lui donner plus d’ouverture, afin que le soc pique moins, c’est le coin en dessous qu’il faut enfoncer fortement, lequel doit toujours être entre le sep & l’âge : s’il étoit au-dessous de l’âge, soit qu’on enfonçât celui d’en haut ou d’en bas, l’effet seroit toujours le même, qui est de rapprocher ces deux pièces, c’est-à-dire, l’âge & le sep, parce que c’est de leur plus grande ou moindre distance que dépend l’ouverture de l’angle.

À la partie postérieure du sep, il y a deux petits versoirs PP, qu’on appelle aussi oreilles ou oreillons, qui renversent à droite & à gauche la terre coupée & soulevée par le soc. Ces deux versoirs sont fixés contre le sep par une forte cheville de bois, qui passe dans tous les deux à leur extrémité & dans le sep : ils sont encore assujettis contre l’âge par une autre cheville. Pour que le transport de la terre soit fait du côté où elle a déjà été travaillée, il est à propos que le laboureur, en appuyant sur le manche de sa charrue, la fasse un peu incliner du côté des sillons déjà formés, afin que la plus grande partie de la terre y soit versée.

L’âge DFE, formée d’une seule pièce de bois courbée du côté du sep, a huit & quelquefois dix pieds de longueur. Elle a à son extrémité un étrier de fer qui entre aisément dans la mortoise pratiquée au bout de la pièce de bois QR, qui a quatre ou cinq pieds de longueur ; elle passe entre les bœufs & va se reposer sur le joug où elle est attachée par une cheville qui passe dans un trou qui y est pratiqué, & dans celui qui est au milieu du joug. Quand on veut n’employer qu’un seul cheval au tirage, ou qu’on veut en mettre plusieurs à la queue les uns des autres, on enlève la pièce de bois QR, pour lui substituer un brancard qu’on attache au bout de l’âge par l’étrier, ou la boucle de fer qui est toujours passée dans le trou qu’il a à son extrémité.

Cette charrue est très-commode pour labourer entre des sillons de vignes & entre des arbres, parce qu’on peut en approcher assez pour leur donner la culture qui leur est nécessaire, sans craindre de les endommager.

L’araire de Provence est tirée communément par deux bœufs qu’on met sous le joug : quand on la fait tirer par des mulets ou des chevaux on les attèle différemment. La Fig. 3 représente le joug qu’on met sur le front des bœufs : on l’attache à leurs cornes avec des bandes d’un cuir très-pliant, qui ont un pouce & demi environ de largeur. Lorsque le joug est attaché sur leur tête ou repose en A, la pièce de bois QR, qui tient à l’âge par un étrier de fer, on passe une forte cheville dans le trou qui est à son extrémité, qui entre en même temps dans celui pratiqué au milieu du joug. Si l’on met une seconde paire de bœufs devant la première, on l’attache à un autre joug, qui porte une pièce de bois semblable à celle de la première paire : cette pièce de bois a un étrier à son extrémité, dans lequel on passe une corde qu’on attache à un anneau placé à l’âge, à quelques pouces de distance du montant. La manière d’atteler les bœufs varie selon les coutumes locales des différens endroits où l’on se sert de l’araire pour labourer les terres.

Quand on se sert de chevaux ou de mulets, on passe à leur col le châssis représenté par la Figure 4. Pour cet effet on tire en haut les chevilles AA, & quand le col du cheval qui est déjà garni d’un collier afin que le châssis n’appuie point contre ses épaules quand il tire, est passé, on abaisse les chevilles ; on place la pièce de bois QR, qui tient par un étrier au bout de l’âge, entre les deux montans CC, de la Figure 4, qui sont assemblés avec les deux traverses BB ; on lève la cheville D, & on la laisse retomber dans le trou qui est au bout de la pièce de bois QR, d’où elle passe dans celui qui est à la traverse d’en bas.

Section II.

De l’aran de l’Angoumois, & d’une autre espèce de charrue qui y a quelque rapport.

La charrue dont on se sert dans l’Angoumois, qu’on nomme aran, a beaucoup de rapport à l’araire de Provence qui vient d’être décrite : les principes de sa construction sont les mêmes, avec cette différence, que son manche est double, & qu’on n’adapte point de coutre à l’âge. Au lieu de soc, l’aran d’Angoumois a un barreau de fer engagé entre deux pièces de même matière qui s’évasent en arrière : il n’a qu’un versoir, que le laboureur change de côté quand il est au bout du sillon.

Dans quelques provinces on emploie pour labourer les terres, des charrues construites, d’une manière très-défectueuse, sur le modèle des araires. Elles consistent dans un gros bloc de bois formé de plusieurs pièces assemblées sur le sep, qui est fort long, & dont le dessous, ou la partie qui repose sur la terre, est absolument plate. Ce bloc qui forme les deux versoirs de cette charrue, fait avec le sep un gros coin, armé à son bout antérieur d’une pointe de fer qui tient lieu de soc : on a la facilité de l’alonger à mesure qu’il s’use, en frappant sur un barreau qui est entre le sep & le bloc qui répond à cette pointe. L’âge qui ne diffère point de celle de l’araire, entre dans une mortoise pratiquée à l’extrémité postérieure du bloc, dans lequel on fait aussi entrer un long levier qui sert de manche.

Cette charrue a deux défauts essentiels qui doivent en faire proscrire l’usage.

1o. Elle fatigue considérablement le laboureur, parce que son effet en ouvrant la terre étant celui d’un coin, la partie postérieure du sep tend à s’élever & à sortir du sillon, à mesure que le tirage fait effort pour faire entrer la pointe du soc : le laboureur est donc obligé d’appuyer continuellement sur les manches, afin que le sep ne s’élève point trop pour sortir du sillon. Il est par conséquent très-difficile de gouverner cette charrue de manière à faire un labour uniforme & de tracer des raies bien droites.

2o. Cette charrue n’ayant point de coutres, son soc n’étant qu’une pointe de fer sans tranchant, elle doit nécessairement éprouver de grandes difficultés à pénétrer dans la terre, en raison des frottemens considérables que le sep éprouve : l’attelage doit avoir une peine infinie à tirer la charrue pour lui faire tracer des sillons à une profondeur convenable. Si le terrein qu’on veut cultiver est fort, pour peu qu’il soit sec, cette charrue aura beaucoup de peine à l’entamer, à moins d’une force considérable pour vaincre la résistance qu’elle éprouvera, ce qui exige un attelage fort nombreux : si ce terrein qu’on suppose être fort se trouve assez humecté & détrempé par la pluie, la charrue entrera d’abord aisément ; mais que de difficultés n’éprouvera pas le sep pour pénétrer dans une terre qui n’est pas assez ouverte par le soc ? Au lieu d’être divisée, la terre sera pétrie & le second sillon deviendra plus difficile à ouvrir que le premier, parce que la terre aura été battue sur les côtés.

Section III.

Description d’une charrue légère, inventée en 1754.

Cette charrue, dont le Journal Économique du mois d’Avril 1754 donne la description, n’offre qu’un instrument d’Agriculture capable d’exciter la curiosité à cause de sa nouveauté ; mais l’utilité qu’on auroit lieu d’en attendre est bien éloignée de répondre au zèle qu’on doit supposer à son Auteur.

Cette charrue consiste dans un soc emmanché comme le sont les pattes d’oyes du cultivateur de M. Châteauvieux, dont nous donnerons la description dans la suite de ce traité. Il a treize pouces de hauteur depuis la flèche à laquelle il est attaché jusqu’au fond du sillon. Sa figure est courbe, & son côté convexe se trouve en arrière ; il est terminé à peu près comme le tranchant d’une hache à la partie qui entre dans la terre. Son manche de quinze pouces de longueur est parallèle à la surface du terrein, & vient en avant au-dessus du soc : il est emmanché avec l’âge par deux cercles de fer : avec des coins qu’on glisse entre les cercles & l’âge, on fait plus ou moins piquer le soc, à proportion de ce qu’on les enfonce, parce qu’on donne l’ouverture qu’on desire à l’angle que forment l’âge & le soc.

Au-devant du soc il y a un petit coutre d’une figure courbe, qui est placé dans le même sens que le soc ; son manche est dans la mortoise pratiquée à l’âge à côté du talon du manche du soc : on ne voit pas de quelle utilité il peut être étant ainsi placé.

Un autre grand coutre de deux pieds & demi de long, de deux pouces de largeur, & d’un demi-pouce d’épaisseur par le dos, dont la forme est courbe, est placé dans une mortoise pratiquée vers le milieu de l’âge : sa courbure est en avant, & sa pointe vient s’unir au soc en passant dans le trou pratiqué, à cet effet, à son extrémité, dans lequel il est assez solidement fixé, & ne peut point descendre.

L’âge a neuf pieds de longueur pour pouvoir être attelée au joug des bœufs : quand on se sert de chevaux pour tirer cette charrue, on soutient l’âge à leurs colliers avec des éparts ou palons fixés vers le milieu de l’âge, on attache les traits.

L’âge est jointe au manche de la charrue par un étrier ; deux autres unissent le manche avec le soc. Le versoir fixé à la droite est placé entre le petit coutre & le soc : on voit par conséquent que c’est une charrue sans sep.

Cet instrument de culture, qu’on doit plutôt regarder comme un cultivateur que comme une vraie charrue, n’offre point tous les avantages que son auteur s’étoit promis d’en retirer. C’est une imitation défectueuse de l’araire de Provence, peu propre à ouvrir & à diviser la terre par l’assemblage des parties qui doivent opérer ces effets. L’inventeur a beau louer l’avantage qu’il a sur les autres charrues dans les terres fortes, il y entrera avec plus de peine, & jamais il n’ouvrira un sillon aussi profond que l’araire qui est une des charrues les plus légères qu’on connoisse. Cet instrument doit bien retarder l’ouvrage dans la culture des terres, parce qu’il ouvre un sillon trop étroit. Je pense que la description que je viens de donner de cette espèce de charrue suffit pour la faire connoître, sans qu’il soit nécessaire d’en tracer le dessin : elle peut en même temps désabuser les cultivateurs de sa prétendue utilité, sur-tout quand ils n’ont pas assez d’expérience pour se tenir en garde & se méfier des nouveautés qu’on leur offre avec une apparence d’avantage, & dont ils ne sont détrompés assez souvent, qu’après en avoir fait des épreuves qui n’ont servi qu’à les constituer en dépense.

Section IV.

Charrue légère qu’on emploie pour labourer les semis de bois, & pour travailler la terre entre les rangées de froment.

Cette charrue très-simple a beaucoup de rapport avec celles qui sont à versoir, & dont on se sert dans le Gâtinois : l’arrière-train est à peu près le même, excepté qu’il est beaucoup plus léger.

L’âge de cette charrue est rond jusqu’à l’endroit où est placé le coutre ; le reste qui va s’unir au sep est octogone. Le double manche est uni au sep par son tenon qui est reçu dans la mortoise pratiquée à cinq ou six pouces du talon du sep : l’âge traverse le double manche au-dessous de la fourche, & elle va s’assembler au talon du sep, où son tenon est reçu dans la mortoise pratiquée à cet effet. L’âge, dont la courbure est peu considérable, est encore unie au sep par la scie dont les deux tenons sont reçus dans les mortoises pratiquées à l’âge & au sep ; sa figure est courbe & elle est placée de manière que son côté convexe est tourné vers le talon du sep. À l’endroit où l’âge est traversée par le coutre, il est fortifié par deux cercles de fer qui empêchent le bois de se fendre quand on enfonce les coins pour assujettir le coutre en place.

Le sep se termine en pointe, pour recevoir le soc qui garnit son extrémité antérieure.

Au-dessus du sep sont placés les coigneaux ; ils sont faits d’un morceau d’orme en forme de fourche, dont les deux branches s’assemblent sur le sep au moyen d’une cheville de bois ou de fer. La partie où les deux branches de coigneaux se réunissent, couvre le soc qui passe exactement entre le sep & les coigneaux.

L’oreille ou le versoir de cette charrue, est une planche contournée en aile de moulin, placée au côté droit de la charme pour renverser la terre ouverte par le coutre, & coupée par le soc qui le suit. Ce versoir est chevillé à l’extrémité antérieure du sep ; son autre bout est assujetti contre l’âge en dehors, par une forte cheville. Quand il n’est pas attaché à l’âge, on met sur le sep un morceau de bois incliné & appuyé contre les manches, afin de le soutenir & d’empêcher que la pression de la terre le renverse sur le sep.

La surface inférieure du sep qui glisse sur la terre, est garnie d’une bande de fer, qu’on nomme la happe à talon, afin qu’il ne s’use point par les frottemens ; ce qui arriveroit sans cette précaution.

Les charrues à versoir peuvent tenir lieu de celle-ci, qu’on peut se dispenser de faire construire, pourvu qu’on ait des limons selon le modèle qu’on va donner, auxquels on pourra aisément adapter l’arrière-train des charrues à versoir qui sont en usage dans différentes provinces.

Cette espèce de petit avant-train consiste dans les deux limons AA, (Fig. 9. Pl. 2, p. 73.) assujettis par l’entre-toise BB, qui est à une distance convenable, pour qu’un cheval puisse aisément y être attelé. L’éparts CC, est une traverse qui repose sur les limons ; elle y est fixée par deux chevilles de fer : c’est sur elle que repose le bout de l’âge D. En changeant la position de l’éparts, on force la charrue à piquer plus ou moins : en l’approchant de l’entre-toise, la charrue pique davantage dans le terrein, parce que la pointe de l’âge baisse ; en l’éloignant elle pique moins, parce que l’âge se trouve plus élevée. Il est très-facile de changer cette position de l’éparts, en l’avançant ou le reculant à son gré, ce qu’on exécute en l’arrêtant où l’on desire, par le moyen des chevilles qu’on met dans les différens trous pratiqués sur les limons.

Le collet EE, est formé de deux morceaux de bois demi-cylindriques, qui sont pressés l’un contre l’autre par deux tourillons à vis ; deux autres tourillons assujettissent le collet formé des deux demi-cylindres au bout des limons. C’est le collet qui reçoit l’âge dans un trou rond qui lui permet de tourner à droite ou à gauche. L’âge ne peut point sortir du collet, parce qu’elle y est arrêtée par une cheville de fer qui repose sur une hirondelle.

Le collet cylindrique pouvant tourner sur les tourillons qui sont à ses bouts, l’âge par conséquent peut prendre diverses inclinaisons pour faire piquer plus ou moins le soc dans la terre. On peut aussi incliner la charrue à droite ou à gauche, selon qu’il est nécessaire, parce que l’âge tourne aisément dans son collet.

Cette charrue, aussi légère qu’elle est simple, est très-propre à donner une culture à la terre qu’on veut travailler tout auprès des jeunes bois nouvellement semés. Elle est encore très-utile pour travailler les planches entre les rangées de froment.

Section V.

Charrue légère, inventée par M. Tull.

Nous ne donnerons point la description de l’arrière-train de cette charrue, parce qu’il est le même que celui de la charrue à quatre coutres que M. Tull a aussi inventée, & dont il sera parlé à l’article des charrues à avant-train ; il suffit de faire remarquer ici la différence des proportions des mêmes pièces. 1o. Le soc n’est point aussi long, puisqu’il n’a que deux pieds onze pouces & demi. 2o. La flèche est très-raccourcie, puisque sa longueur n’est que de quatre pieds dix pouces : sa largeur & son épaisseur sont telles, qu’elle doit être aussi légère qu’il est possible sans plier.

La tête de cette charrue, qu’on ne peut point nommer avant-train, parce qu’il n’a point de roues, comprend 1o. une planche longue de deux pieds sept pouces & demi sur neuf pouces de largeur, & deux & demi d’épaisseur.

2o. Deux limons attachés aux extrémités de la longueur de la planche : ils ont depuis le bout qui est en avant jusqu’à la barre qui entre dans des mortoises pour les tenir solidement unis, quatre pieds dix pouces de longueur ; depuis la barre jusqu’à la planche sur laquelle ils sont cloués, dix pouces. À la barre, leur équarissage est de trois pouces & demi : il est moins considérable à mesure qu’on avance vers leur bout antérieur.

3o. Un palonnier avec une entaillure à chaque extrémité pour recevoir les traits des chevaux qui tirent. Sa longueur n’est pas déterminée ; on peut la varier selon les circonstances, en le faisant aussi court qu’il puisse l’être, sans que les traits écorchent les jambes des chevaux qui tirent, quand on laboure entre deux rangs de plantes déjà élevées.

La flèche ne devant jamais porter qu’un coutre, on est par conséquent dispensé d’y ajouter une pièce à la droite, qui seroit absolument inutile. Elle n’a point de courbure à son extrémité, mais une au milieu qui est très-peu sensible ; de sorte que d’un bout à l’autre, elle fait une courbe qui peut tout au plus avoir un pouce & demi dans son milieu qui est son plus grand éloignement de la ligne droite qui reposeroit sur ses extrémités. La partie convexe se trouve toujours en haut, quand la charrue est placée sur le terrein.

C’est par la planche sur laquelle sont cloués les limons, que la queue ou l’arrière-train de la charrue est joint à la tête. Cette planche a vers son milieu deux trous en ligne droite de sa largeur, qui répondent à des trous pareils pratiqués à l’extrémité antérieure de la flèche : deux vis qui entrent dans ces trous, & deux écrous attachent très-solidement la planche sur la flèche.

Les deux limons arrêtés par deux vis & leurs écrous, aux extrémités de la longueur de la planche, doivent avoir leurs surfaces inférieures parallèles dans toute leur longueur, à la planche & à la surface supérieure de l’extrémité de la flèche, afin que les surfaces inférieure & supérieure de la planche, le soient aussi avec le soc : il est essentiel de faire cette observation, parce que sans ce parallélisme, le soc ne marcheroit point uniformément lorsque la charrue seroit tirée. Sans ce parallélisme, il pourroit aussi arriver que la charrue piqueroit trop ; alors la force des chevaux ne suffiroit point pour la tirer ; ou bien la pointe du soc s’élèveroit trop, & le sillon seroit très-peu profond. À dix pouces de la planche, on place une traverse dans les mortoises pratiquées aux limons ; elle contribue à les tenir assemblés solidement à la distance qui est nécessaire pour la place du limonier. Le palonnier se trouve entre la barre ou la traverse & la planche ; il est attaché à son milieu par une chaîne qui passe au-dessous de l’extrémité antérieure de la flèche ; une vis à écrou, qui est entre les deux autres qui attachent la planche sur la flèche, le fixe d’une manière très-solide.

Depuis leur extrémité, qui est clouée sur la planche, ces deux limons se courbent en dehors jusqu’à un pied à peu près de la chaîne qui sert de dossière, laquelle n’est éloignée de l’autre bout que d’un pied environ : à l’endroit où la dossière est attachée, ces deux limons se courbent un peu en dedans, de sorte que leurs bouts qui vont absolument en dehors, ne peuvent point frotter contre les épaules du limonier, ni le blesser.

Cette dossière est une chaîne qui peut être alongée & raccourcie, selon qu’il est nécessaire, par un crochet qui entre dans les anneaux de la chaîne. Quand elle est placée sur le dos du cheval, on la raccourcit si la charrue baisse trop, & on l’alonge quand elle est trop élevée. Les traits du cheval limonier attachés à son collier, sont placés dans les entaillures du palonnier, de même que ceux des autres chevaux qui tirent devant lui.

Cette courbure en dehors des deux limons, est absolument nécessaire, parce que la direction du cheval limonier est rarement dans le milieu de la planche clouée sur l’extrémité de la flèche ; s’ils n’étoient pas courbés en dehors, ils battroient continuellement contre les flancs du cheval : par la même raison ils doivent être courbés en dedans à l’endroit où la dossière est attachée, afin que les bouts étant en dehors ne viennent point blesser le poitrail du cheval. Leur force & leur roideur doivent être assez considérables, afin qu’ils ne plient point entre leurs bouts : s’ils étoient foibles, ils céderoient trop aisément à la puissance qui agit sur les manches de la charrue, pour faire piquer le soc à une profondeur convenable dans le sillon ; la pointe du soc s’enfonceroit trop, tandis que la queue s’élèveroit ; pour lors les chevaux auroient beaucoup de peine à tirer ; la charrue par conséquent iroit très-mal. Pourvu qu’il y ait une place suffisante devant la barre ou la traverse, pour le cheval limonier, les limons seront assez longs. À grosseur égale, plus ils sont courts, plus ils sont forts & roides.

La profondeur du sillon dépend de la dossière qui élève ou abaisse les limons : quand on raccourcit la chaîne ou la dossière, en avançant le crochet dans un des anneaux, on élève les limons ; étant cloués sur la planche, qui l’est elle-même sur l’extrémité de la flèche, ils soulèvent par conséquent le soc, qui ne pénètre plus si profondément dans le sillon ; les chevaux pour lors tirent plus aisément, parce qu’ils n’ont pas à vaincre une force si considérable. Quand on alonge, au contraire, la dossière, en retirant le crochet des anneaux, les limons baissent davantage ; le soc qui n’est point soulevé, & dont la direction n’est point contrariée, s’enfonce à une plus grande profondeur dans la terre.

M. Tull ayant imaginé cette charrue légère pour labourer les semis de bois, pour travailler la terre à côté des blés, sans qu’ils fussent endommagés par les pieds des chevaux, il falloit trouver un moyen de faire aller le soc aussi près des plantes qu’il fût possible, sans qu’elles fussent exposées à être foulées par les chevaux qui tirent. Pour y réussir, il chercha à donner au soc une direction différente de celle du cheval : il y parvint, en pratiquant des trous à la planche, sur la même ligne que ceux qui y étoient déjà, dans lesquels entroit une vis pour la fixer solidement sur l’extrémité de la flèche. Il en fit encore plusieurs sur la même ligne que celui qui recevoit une vis pour attacher la chaîne du palonnier, afin de changer sa position, quand celle de la planche le seroit sur le bout de la flèche.

Au moyen de ces trous faits à la planche, il étoit facile de l’ajuster sur la flèche, de manière que le pas du cheval ne fût plus dans la même direction que celle du soc. Quand il est nécessaire que le soc s’approche de la gauche, on pousse la planche à droite, & on la fixe sur la flèche, avec les vis qui entrent dans les trous qu’on y a pratiqués : dans cette position, le cheval tire à la droite ; son pas n’a plus la même direction que celle du soc, qui vient à gauche sillonner la terre aussi près des plantes qu’on le désire, tandis que le cheval qui marche à la droite sur une ligne presque parallèle à celle que trace le soc, ne peut point endommager les plantes, dont il est assez éloigné pour qu’elles soient hors d’atteinte d’être foulées & brisées par ses pieds.

Section VI.

Charrue chinoise, avec laquelle on sème en même temps qu’on laboure.

La charrue chinoise (Voyez Fig. 11, Pl. 2, pag. 73.) est composée des deux brancards AA, aux bouts desquels sont deux chevilles pour arrêter la dossière du cheval limonier. Ils doivent être assez distans l’un de l’autre, pour qu’on puisse aisément y attacher un cheval. Si on vouloit faire usage de cette charrue, il faudroit mettre aux limons des crochets pour les traits du cheval : ils manquent dans la figure que nous donnons, parce que nous avons cru ne devoir rien changer au modèle que le Père d’Incarville a envoyé de la Chine, & sur lequel la présente figure est dessinée.

Quand la charrue est tirée, les deux socs BB, tracent ensemble deux sillons ; ils sont unis, comme on le voit, à deux montans, fortifiés dans le bas par deux traverses : celles du double manche ont des entailles qui reçoivent ces montans, dont les tenons, qui sont à leur extrémité, vont entrer dans les mortoises pratiquées à la traverse supérieure des manches.

Les deux manches CC, assemblés & soutenus par quatre traverses, entrent par leurs tenons dans les mortoises pratiquées à l’extrémité des brancards. C’est par ces manches que le laboureur conduit & dirige la charrue. Il faut observer qu’ils doivent avoir un peu plus de longueur que ne le montre le dessin, & qu’ils doivent aussi être un peu plus inclinés.

La caisse D, qui est assujettie sur des traverses, contient la semence. Maintenant, qu’on suppose la charrue attelée d’un cheval, & qu’elle avance : les socs ouvriront deux petits sillons, la semence contenue dans la caisse tombera par l’ouverture qui est à son fond vers E, dans l’auge F, au fond de laquelle il y a deux trous, dont un communique au conduit G, qui répond au tuyau creusé dans la pièce de bois H, & va aboutir au trou qui est derrière le soc I. L’autre trou est destiné à fournir la semence au soc qui est à droite, par des tuyaux pareils à ceux qu’on vient de décrire, qui sont disposés de la même manière.

Il est aisé de concevoir que la semence contenue dans la caisse, qui tombe dans l’auge à mesure que la charrue avance, continue, par le même mouvement, à descendre dans les tuyaux qui la conduisent jusqu’aux socs, d’où elle s’échappe à mesure qu’ils tracent les sillons dans lesquels elle tombe. Le rouleau L, qu’on voit derrière la charrue, a deux anneaux auxquels sont passées deux cordes qui sont attachées à l’extrémité postérieure des brancards ; lorsque la charrue est tirée, il vient par derrière le laboureur, pour enterrer la semence en comblant les sillons.

Cette charrue, d’une invention très-ingénieuse, a cependant des inconvéniens qui sont cause qu’elle n’est point aussi parfaite qu’elle auroit pu l’être. 1o. Elle n’a point de modérateur qui règle la sortie de la semence : on ne peut donc point semer plus ou moins épais, selon qu’on le voudroit & qu’il peut être nécessaire. Si l’on fait trop large l’ouverture par laquelle elle tombe, ainsi que celle des tuyaux qui la distribuent, elle tombera trop abondamment : si les conduits sont étroits, ils s’engorgeront, & la semence ne pourra point tomber. Un modérateur auroit prévenu ces inconvéniens qui sont inévitables dans l’état où est actuellement cette machine.

2o. Les deux socs ne sont point assez rapprochés l’un de l’autre, ils laissent une distance trop considérable entre les deux sillons qu’ils tracent en même temps : il est vrai qu’après avoir fait un trait avec cette charrue, on peut commencer le second, en plaçant un des socs entre les deux sillons qu’on a déjà tracés : en continuant le labour de cette manière, les sillons seront plus rapprochés.

Les Chinois se servent de cette charrue pour la culture du riz. M. Duhamel prétend que selon les principes de notre Agriculture, on ne pourroit pas s’en servir avec avantage pour travailler & ensemencer nos terres ; je ne vois point sur quelles raisons il peut être fondé.

Il me semble qu’avec quelques changemens qui préviendroient les inconvéniens que j’ai fait observer, on pourroit en tirer parti pour ensemencer le sarrasin ou blé noir, dans les pays où l’on cultive cette espèce de grain. Dès que la moisson est faite, on donne un labour à la terre qui a produit du froment ou tout autre grain ; on y sème tout de suite du sarrasin, qu’on enterre en y passant la herse. On pourroit donc, pour cette culture, employer la charrue chinoise ; elle épargneroit une quantité considérable de semence qui reste sur la terre, qui devient la proie des oiseaux & de la volaille des fermes voisines. Pour employer cette charrue avec avantage, il faudroit, comme il a été dit, rapprocher les socs, afin que les raies fussent moins distantes les unes des autres : cette opération seroit peu difficile, puisque leur assemblage est indépendant du train de la charrue : il faudroit encore trouver un modérateur, afin que la semence fût bien distribuée. Le rouleau qui vient par derrière, pourroit aussi être réduit à une longueur proportionnée à la distance des sillons ; en ne roulant que sur eux pour enterrer la semence, il ne battroit point la terre qu’on veut cultiver. Pour le faire rouler de manière à peu fatiguer les chevaux de tirage, on le perceroit d’un bout à l’autre, pour y passer une verge de fer qui lui serviroit d’essieu.

Section VII.

Charrue de M. Arbuthnot, Anglois.

L’assemblage de cette charrue vue sans le versoir, est représenté par la Figure 2 de la Planche 3. AB est la flèche qui a six pieds de longueur ; il faut observer que le pied anglois, dont il ici est question, & qui est la mesure sur laquelle l’auteur s’est réglé pour les proportions de sa charrue, a un seizième environ de moins que le pied françois ; c’est-à-dire, qu’il faut seize pieds anglois pour faire quinze pieds françois. Si l’on vouloit une proportion plus rigoureuse, on n’auroit qu’à diviser le pied anglois en 100 000 parties ; le pied françois en aurait 106 575. L’élévation perpendiculaire des deux bouts de la flèche sur la ligne horizontale CC, est de quatorze pouces. Elle porte à son extrémité la tête DD, qu’on voit mieux représentée par la Figure 3. Cette tête avance de trois pouces au-delà du bout de la flèche ; elle a huit pouces du haut en bas, c’est-à-dire, depuis E jusqu’à E ; cette tête est en fer, garnie des deux boulons à vis FG, qui servent à l’attacher solidement à l’extrémité de la flèche. Le boulon G sert encore à donner à la tête de la flèche, l’inclinaison nécessaire dans le sens horizontal, afin que la charrue entre plus ou moins latéralement dans la terre, selon qu’il est plus ou moins serré. Les dentelures HH, servent à faire entrer plus ou moins profondément le soc dans le sillon, selon que l’anneau du tirage, qu’on voit représenté par la Figure 4, y est mis à une plus grande ou moindre hauteur verticale.

Le soc qu’on voit tout entier dans la Figure 5, a trois pieds de longueur : il est composé de deux pièces ; la première qui est marquée par 1, 2, 3, 4, est de fer fondu : l’autre est faite d’acier ; elle a une grainure qui reçoit la pointe & le côté de la première, qui y est retenue & bien raffermie par deux vis à tête rase. Cette pièce pouvant être séparée de la première, on a l’avantage de la faire raccommoder, à mesure qu’elle s’use, sans toucher à la figure de l’autre. La partie 2 est pliée en dessous, pour recevoir & tenir ferme le bout de la pièce E, Figure 2, qui forme le front du versoir, sur laquelle le soc est attaché par la vis à tête plate, marquée E, Figure 5. La queue AAA, forme le dessous du talon, ce qui donne beaucoup de fermeté dans le labour, en conservant le corps de la charrue dans la direction du sillon.

La pièce E de la Figure 2, a sept pouces de largeur ; elle fait le front du versoir, & entre par un de ses bouts dans le soc, & l’autre dans la mortoise pratiquée à la flèche à dix-huit pouces de A, qui est le point de son assemblage avec le manche.

Le bout inférieur du manche gauche F est attaché à la pièce E, par la cheville G. Ce manche reçoit le bout de la flèche dans la mortoise A. La pièce triangulaire II est de bois, & forme le talon de la charrue ; elle tient au manche gauche par la cheville H. Le manche droit MM est attaché à la pièce de bois II, & au versoir par une forte cheville qui passe en L.

Les bouts des manches sont parallèles à l’horizon, à la hauteur de trois pieds, & à la distance de quatre pieds deux pouces du bout de la flèche A ; la perpendiculaire qui tomberoit de A, sur la ligne CC, la couperoit en N, à six pouces en arrière du talon II. On voit sur les manches les deux trous PP, où passent les traverses horizontales qui servent à lier ensemble, & à tenir fermes les deux manches. Le coutre O passe dans une mortoise carrée faite à la flèche ; elle est garnie de fer, afin que l’effort des coins, qui l’arrêtent dans la position qu’il doit avoir, ne fassent point fendre le bois.

La Figure 1 représente le corps du versoir, placé à la droite de la charrue, à laquelle il est attaché par des chevilles, dont une entre dans le manche en L, & deux autres dans la pièce E, qui sert de front au versoir, par les trous qui y sont marqués QQ.

M. Arbuthnot, après bien des considérations sur les différentes espèces d’instrumens de culture, ne balance point à donner la préférence à cette charrue simple de son invention, pour le labourage ordinaire en général. Le seul inconvénient qu’il trouve dans la pratique, est de rencontrer des laboureurs qui veuillent s’accoutumer à observer le juste équilibre qu’elle demande dans son opération : toute la manœuvre dépendant de leur intelligence, plus encore de leur bonne volonté, il est certain qu’elle peut très-bien réussir, s’ils veulent prendre la peine de la bien gouverner.

TROISIÈME PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

Des Charrues composées, ou autrement appelées à avant-train.

La charrue à avant-train est préférable à toute autre, lorsque les circonstances permettent de l’employer. 1o. On peut la construire de manière qu’on n’ait pas besoin d’une si grande force de la part des chevaux, comme dans la charrue simple, parce que la ligne de direction n’étant point tirée de la pointe du soc, comme dans la charrue simple, mais de l’axe des roues de l’avant-train jusqu’aux épaules des chevaux, il n’y a pas de doute qu’en augmentant l’axe des roues jusqu’à un certain point, on aura l’avantage d’employer un levier plus long, qui sera la flèche, dont la longueur doit toujours être proportionnée à la hauteur des roues, contre les mêmes obstacles ; & de se servir de l’angle du tirage le plus favorable pour la force de l’attelage. La charrue à avant-train est donc la plus propre pour les labours difficiles des terres dures & fortes, ou pleines de racines & de pierres.

2o. Malgré l’addition de l’avant-train, qui, au premier coup d’œil, semble rendre cet instrument de labourage fort pesant, il fatigue moins les chevaux & le laboureur, que la charrue simple, parce que la flèche qui repose sur l’avant-train, est un régulateur fixe, absolument indépendant de l’attelage, qui ne permet au soc de s’enfoncer qu’à la profondeur donnée, laquelle ne peut plus varier, tant que la flèche demeure à la même hauteur sur l’avant-train. Par cette raison, le labour de cette charrue est plus régulier, plus uniforme que celui de la simple. Outre cela, la flèche étant posée sur l’avant-train, elle fait un seul levier avec les manches, & sert à enfoncer le soc quand on les presse ; au contraire, en les soulevant, on le fait sortir du sillon. Il n’en est pas ainsi de la charrue simple, elle entre plus dans la terre en soulevant les manches, & quand on les presse elle s’enfonce moins ; ce qui provient du point d’appui, qui, dans la charrue simple, est dans le talon & dans l’autre sur l’avant-train.

3o. La charrue à avant-train est beaucoup plus ferme que la charrue simple, parce que la profondeur du sillon est toujours réglée par l’avant-train sur lequel pose la flèche : d’ailleurs l’axe des roues étant le point d’appui de la flèche qui y est fixée solidement, l’arrière-train est bien moins sujet à verser à droite ou à gauche, que quand la flèche n’est pas fixée sur un point d’appui solide, tel que celui des charrues simples. Cette construction épargne les efforts extraordinaires qui sont quelquefois requis de la part de l’attelage, ainsi que du conducteur, en bien des circonstances, lorsqu’on laboure avec la charrue simple, particulièrement si le laboureur ne fait point garder l’équilibre entre les deux leviers dont la charrue simple est composée, ou quand la variété du sol, la résistance des racines, les trop grandes pressions latérales qu’éprouve le sep, s’y opposent. La résistance perpendiculaire des obstacles enfonce la pointe du soc tout d’un coup, & exige un effort proportionnel pour le soulever. La charrue à avant-train, au contraire, est constamment soutenue dans le même angle de tirage avec le sillon ; par conséquent c’est alors la seule partie du mouvement progressif, parallèle à la ligne horizontale, qui exige la force de l’attelage.

Il est des circonstances dans le labourage, où la charrue à avant-train est d’un usage désavantageux, qui provient à la vérité de la position du terrein, & non point de la charrue elle-même : par exemple, quand on laboure en billons ou planches trop hautes & étroites, afin de prévenir les inconvéniens que la surabondance des eaux cause dans les terres fortes. Dans une pareille circonstance, l’inégalité de la surface fait changer fréquemment de position horizontale les roues de l’avant-train ; pour lors la charrue sort du plan vertical, & elle est cause que le soc coupe de côté avec des irrégularités fort considérables dans le fond du sillon : ces irrégularités, dans le labour, sont très-désavantageuses aux terres fortes, parce que les eaux s’arrêtent dans le fond de ces sillons irréguliers battus par le soc, & ne peuvent plus avoir leur écoulement : les labours suivans sont beaucoup plus difficiles, parce que l’eau s’étant évaporée, la terre qui a été pour ainsi dire pétrie, reste extrêmement dure. Un laboureur intelligent pourroit obvier à ces inconvéniens par la manière de conduire sa charrue ; mais la meilleure qualité d’un instrument doit être celle de pouvoir être employée indifféremment par toutes sortes d’ouvriers.

Le seul moyen de parer à ces inconvéniens, seroit de former des billons ou planches de trente à quarante pieds de largeur, en leur donnant une convexité régulière, de façon que le milieu des planches tombât de dix-huit à vingt-quatre pouces de hauteur : c’est ce qu’on pratique dans quelques provinces de l’Angleterre, & assez généralement dans toute la Flandre françoise. Par la convexité de ces billons ou planches, les eaux s’écoulent & se déchargent dans les rigoles qui sont au bas de chaque billon : en pratiquant cette méthode, la terre devient plus friable, elle est moins sujette aux effets de la grande sécheresse & de la grande humidité : il n’y a pas de doute qu’une terre forte qui a été long-temps sous l’eau, se pétrit & devient extrêmement dure quand l’eau s’est évaporée ; c’est ce qu’on éprouve dans toutes les manufactures de briques.

Lorsque les billons sont étroits, que leur convexité est trop considérable, comme les roues de l’avant-train changeroient fréquemment de position horizontale, & que la charrue seroit jetée à tout instant hors du plan vertical, on est absolument obligé, pour corriger cette irrégularité, de faire les roues de l’avant-train d’un diamètre inégal, pour que la plus haute se trouve toujours dans l’endroit le plus bas du billon, afin de conserver l’équilibre. Dans cette circonstance on est obligé d’entamer un billon des deux côtés, c’est-à-dire, par la droite, & ensuite par la gauche pour revenir à la droite, afin que la roue la plus haute se trouve toujours du côté le plus bas. Cette inégalité des roues est indispensable, quand les billons sont étroits & fort élevés dans le milieu.

L’avant-train des charrues composées n’est pas constamment formé de deux roues : des agriculteurs ingénieux, instruits par la pratique, ont imaginé, pour rendre la charrue plus légère, de ne mettre qu’une seule roue à l’avant-train. Nous allons commencer par la description de celles dont l’avant-train est formé de deux roues, ensuite nous donnerons celles dont l’avant-train n’a qu’une roue.

CHAPITRE II.

Des Charrues dont l’avant-train est composé de deux roues.

Section Première.

Description de la Charrue ordinaire à avant-train, avec les changemens que M. Duhamel y a faits pour la perfectionner.

Cette charrue avoit des défauts essentiels, que M. Duhamel a tâché de réformer en partie, pour la rendre plus propre à l’Agriculture. La voie des roues étoit beaucoup trop large ; en diminuant leur essieu, il a aussi raccourci leur moyeu en dedans ; par ce moyen, leur voie a été bien moindre qu’auparavant ; l’avant-train a donc acquis une solidité qu’il n’avoit pas. Le forceau étoit prolongé assez loin derrière la sellette pour recevoir le collet ; c’étoit par conséquent une surabondance de bois qui rendoit cet avant-train fort lourd, & qui étoit cause que le coutre & le soc se trouvoient entre les deux roues.

L’arrière-train de cette charrue, représenté par la Fig. 6, Pl. 3, pag. 83, est composé du sep AA, il est plat en dessous, afin qu’il puisse aisément couler sur le terrein : il a vingt-sept à vingt-huit pouces de longueur, sa largeur à sa partie postérieure où l’âge est assemblée, est de six pouces, & son épaisseur de trois : il diminue insensiblement jusqu’à sa pointe qui entre dans le soc. Le côté opposé au versoir est garni d’une bande de fer, afin qu’il ne s’use point trop vite par les frottemens. Son bout antérieur est garni d’un soc plat B, qui est acéré & tranchant : il a quatre pouces un quart de largeur à l’endroit où il embrasse le sep, & huit dans sa plus grande largeur ; sa longueur est de treize pouces & demi ; il se termine en pointe pour entrer plus aisément dans la terre. On le voit représenté par la Fig. 8.

Le double manche CC entre dans une mortoise pratiquée au bout postérieur du sep, où il est enfoncé très-solidement : depuis le sep jusqu’à son extrémité, il a trois pieds neuf pouces de longueur ; sa plus grande largeur est de trois pouces sur un pouce & un quart d’épaisseur : la plus grande ouverture de ces deux manches, qui est à leur extrémité est de quinze pouces ; ils sont soutenus dans le haut par une traverse qui rend leur assemblage plus solide, quand même ils ne sont faits que d’une seule pièce de bois.

L’âge DD passe, de toute son épaisseur, dans un trou pratiqué au bas des manches, qui est rond ou carré, selon la forme de l’âge qui est assez indifférente : pour rendre l’assemblage de l’arrière-train plus solide, l’âge est soutenue par la scie E, & l’attelier F : ce sont deux pièces de bois qui ont à chaque extrémité un tenon qui entre dans les mortoises pratiquées au sep & à l’âge. De cette manière, ces trois pièces essentielles qui forment l’arrière-train de la charrue, c’est-à-dire le sep, l’âge & le double manche, sont assemblées très-solidement. La longueur de l’âge est de six pieds environ ; son diamètre, au bout qui est assemblé avec les manches, est de trois pouces & demi ou quatre pouces ; le bout qui repose sur la sellette, est beaucoup plus mince ; à peine son diamètre est-il de deux pouces.

À quelque distance de la scie, on pratique à l’âge une mortoise pour recevoir le coutre qu’on assujettit avec des coins, en lui donnant une direction inclinée, de manière que sa pointe soit toujours devant le soc, auquel il doit ouvrir la terre. Pour qu’il ait l’inclinaison nécessaire à sa marche, la mortoise qui le reçoit doit être pratiquée obliquement ; de sorte que les coins doivent plutôt contribuer à la tenir en place, qu’à lui donner l’inclinaison qu’il doit avoir.

Le coutre G, qui est une espèce de couteau de fer à long manche, doit être bien fixé dans la mortoise par les coins qu’on met de côté & d’autre, afin qu’il ouvre la terre dans la direction du soc, & que la résistance qu’il éprouve ne change point sa marche.

L’arrière-train de la charrue est terminé par le versoir HH, qui doit toujours être proportionné à la grandeur du soc : sa forme est assez indifférente, pourvu qu’elle soit telle que la terre soit renversée dans le sillon précédemment formé. Il n’en est pas de même de sa grandeur, qui doit toujours être proportionnée à la largeur du soc, parce que, quand il ouvre un large sillon, si le versoir étoit trop étroit, il ne soulèveroit qu’en partie la terre divisée ; une plus grande quantité retomberoit sur le sep, & de-là dans le sillon : elle ne seroit donc point parfaitement renversée sens dessus dessous. Lorsque le soc est large, le versoir doit donc l’être à proportion, afin qu’il puisse soutenir toute la terre que le soc soulève, & la renverser dans le sillon qui est à côté.

M. Duhamel n’a point assez fait attention aux frottemens que le versoir éprouve par la cohésion des particules de la terre ; c’est pourquoi il regarde la forme qu’on lui donne, comme indifférente, pourvu qu’il renverse la terre sur le côté. Dans le chapitre où il a été traité de la construction des charrues, nous croyons avoir suffisamment démontré que la forme, tant du versoir que du sep, est très-essentielle à la perfection de la charrue, puisqu’elle contribue à rendre sa marche plus aisée.

L’avant-train de cette charrue, représenté par la Fig. 7 de la Pl. 3, est composé, 1o. des deux roues AA, d’une égale grandeur, qui ont vingt ou vingt-deux pouces de diamètre : elles sont en bois. Pour rendre leur assemblage plus solide, & d’une plus longue durée, on met sur le contour extérieur des bandes de tôle, qui les rendent peu pesantes, & qu’on cloue comme aux roues des charrettes. La partie du moyeu, qui est en dedans, a deux pouces un quart environ de longueur ; elle est entourée, ainsi que la partie extérieure, d’un cercle de fer très-mince.

2o. Du patron B, qui est une pièce de bois carrée de quatre pouces d’équarrissage, & de dix pouces & demi de longueur ; elle reçoit l’essieu de fer qui passe dans les moyeux des roues qu’il recouvre, dans toute sa longueur, au moyen d’une rainure qui est pratiquée en dessous : il est fortifié à ses bouts par deux frettes de fer plates.

3o. Du tétard C, qui est une pièce de bois un peu courbée & relevant sur le devant ; elle est appuyée sur le patron, où elle est fixée par une ou deux fortes chevilles : depuis le patron jusqu’à son extrémité, le tétard a vingt-cinq pouces six lignes de longueur ; son équarrissage est de trois pouces.

4o. D’une pommelle DD, qu’on nomme l’éparts, qui passe dans une mortoise pratiquée à l’extrémité antérieure du tétard : cet éparts a trente pouces de longueur sur deux pouces trois lignes de largeur, & un pouce trois lignes d’épaisseur.

5o. De deux palonniers EE, qui sont attachés par deux chaînettes aux deux bouts de l’éparts ; ils servent à mettre les traits des chevaux qui tirent : ils ont vingt-un pouces de longueur ; leur grosseur est assez considérable, pour qu’ils ne cèdent point aux efforts de l’attelage qui tire.

6o. Du forceau FF, qui est placé sur le patron à côté du tétard : depuis le patron jusqu’à son bout antérieur il est entaillé, afin d’occuper moins de place au-dessus de l’essieu ; il s’étend assez loin derrière la sellette, pour recevoir l’extrémité inférieure du collet. Depuis son bout antérieur jusqu’au bord de l’entaille qui reçoit la sellette, il a seize pouces & demi, & autant sur le derrière ; sa face horizontale est de deux pouces trois lignes, & la perpendiculaire de trois pouces neuf lignes.

7o. De la sellette G qui s’élève sur le patron ; elle est formée de plusieurs planches couchées les unes sur les autres, de deux pouces & demi d’épaisseur ; la plus élevée fait une saillie, parce qu’elle est un peu plus longue que les autres. Ces planches sont retenues les unes sur les autres par les deux chevilles de bois ou de fer HH, qui traversent toute la hauteur de la sellette, & entrent dans le patron : elles sont jointes en haut par la traverse M. Au milieu de la sellette, il y a une échancrure en arc de cercle où l’âge repose : quoiqu’elle soit assujettie par le collet, elle peut encore l’être par la traverse des chevilles qu’on peut baisser & faire appuyer par-dessus. Cette sellette a communément un pied neuf lignes d’élévation, dix pouces & demi de largeur, & deux pouces & demi d’épaisseur : au lieu de la faire de plusieurs planches, on pourroit la construire avec une seule pièce de bois qui auroit toutes les proportions qui sont requises.

Le collet NN qui embrasse l’âge & le forceau, unit l’avant-train à l’arrière-train ; sa hauteur depuis N jusqu’à N, est de dix-sept pouces. Par le moyen d’une cheville qui peut entrer dans les différens trous pratiqués à l’âge, on avance ou on recule le collet à volonté, pour donner à l’angle que forme l’âge avec le sep, l’ouverture qui est nécessaire pour que la charrue pique plus ou moins. Ce collet peut glisser sur l’âge tant qu’on veut ; mais s’il n’étoit point retenu par une cheville qui entre dans un trou fait à l’extrémité du forceau en F, il quitteroit le forceau. Tout l’effort de l’attelage porte donc sur ces deux chevilles, qui doivent être assez fortes pour résister à la puissance qui agit sur elles.

Le grand avantage de cette charrue, qui lui est commun avec celles qui ont un avant-train, consiste à faire piquer plus ou moins le soc ; c’est-à-dire, à tracer un sillon plus ou moins profond, selon la sorte de culture qu’il convient de donner à la terre qu’on laboure. La profondeur du sillon, comme on sait, est toujours proportionnée à l’ouverture de l’angle que forment le sep & l’âge ; de sorte que le soc s’enfonce dans le sillon à une plus grande profondeur, quand cet angle est peu ouvert, que lorsqu’il pèse beaucoup : à mesure qu’on élève l’âge sur la sellette, le soc s’élève en même proportion ; par conséquent il s’enfonce moins, tandis que la partie postérieure du sep s’abaisse, ce qui donne un angle d’une plus grande ouverture. Au contraire, en abaissant l’extrémité de l’âge sur la sellette, la partie postérieure du sep s’élève, tandis que le soc s’enfonce pour entrer plus profondément dans le terrein. Or rien n’est plus aisé que d’élever ou de baisser l’âge, en faisant glisser en avant ou en arrière le collet que l’on fixe où l’on désire, par le moyen des chevilles.

Lorsqu’une puissance fait effort à l’extrémité de l’âge pour tirer la charrue, qu’en outre il y a une résistance à vaincre au bout du soc, il est évident que le bout de l’âge tend à baisser, tandis que le talon du sep tend à s’élever ; tous ces mouvemens auroient lieu, si la direction de la force qui est au bout de l’âge ne s’y opposoit continuellement, ainsi que celle du charretier, qui appuie sur les manches, afin que le talon du sep ne s’élève point. C’est pour cette raison qu’on élève le tirage des charrues qui n’ont point d’avant-train, afin que les chevaux de trait fatiguent moins. En donnant beaucoup de longueur à l’âge, pour qu’elle puisse aisément être élevée, on fait aussi les manches de la charrue fort longs ; par ce moyen, le charretier a plus de puissance pour arrêter l’effort du talon du sep, qui tend toujours à s’élever : le sep de ces sortes de charrues est ordinairement fort long ; il est plus aisé alors de le tenir dans son assiette au fond du sillon. Dans les terreins légers, on parvient à surmonter les efforts du soc ; mais il est très-difficile de le gouverner comme il faut dans les terres fortes. Si le talon du sep s’élève trop, le soc entre plus profondément dans la terre qu’il ne convient ; s’il baisse, il n’entre pas assez. Le charretier continuellement occupé d’un travail forcé, ne peut point conduire le soc comme il conviendroit : il pique donc trop, ou pas assez ; le labour par conséquent est inégal, puisque le versoir retourne tantôt de petites mottes, tantôt de grandes.

Les charrues à avant-train, en général, ne sont point sujettes à ces inconvéniens, qui sont d’un grand préjudice à l’agriculture : l’âge, par sa position sur la sellette, déterminant toujours l’entrure du soc dans la terre, il est certain qu’en l’abaissant à la hauteur qu’on juge convenable pour faire piquer la charrue, l’effort qu’elle feroit pour s’enfoncer davantage seroit inutile, puisqu’il est supporté par un point fixe, qui est la sellette. Au moyen de ce point constant & déterminé, l’angle que forme l’âge avec la ligne horizontale du terrein, ne peut point varier ; la charrue par conséquent pique toujours de la même quantité. On doit donc considérer la sellette de l’avant-train comme un régulateur exact & immobile, qui est d’une très-grande utilité, pour faire un labour selon la sorte de culture qu’il convient de donner à une terre quelconque.

Lorsqu’une charrue à avant-train est bien construite, que le charretier, sans être bien intelligent, fait cependant disposer l’arrière-train avec l’avant-train, de manière que l’angle que fait l’âge avec la ligne horizontale, soit d’une ouverture convenable pour faire piquer la charrue de la quantité qu’il désire, il est maître alors d’entamer la terre de la quantité qu’il juge à propos, de labourer exactement à la profondeur qu’il veut, & de tracer des sillons très-droits.

Il seroit à désirer que le versoir des charrues à avant-train fût amovible, de sorte qu’on pût le changer de côté quand on est au bout du sillon. Lorsqu’il est fixé à la droite de la charrue, le laboureur est obligé d’entamer une pièce de terre par deux côtés opposés, pour la travailler : outre la perte du temps qu’emploie le charretier pour aller d’un côté à l’autre tracer son sillon, quand il est arrivé au milieu de la pièce de terre, il y a toujours nécessairement un très-grand sillon qui n’est point comblé. Il n’est pas possible d’obvier à cet inconvénient quand le versoir est fixe, parce que le laboureur ne peut pas se dispenser d’entamer un sillon des deux côtés opposés : s’il conduisoit son labour du même côté, le versoir qui auroit d’abord jeté la terre à la droite, en retournant la jeteroit à la gauche ; il y auroit donc entre ces deux sillons, un vide qui équivaudroit deux fois à la largeur du soc ; ce qui feroit un très-mauvais labour : afin de prévenir cet inconvénient, il est obligé, après avoir commencé d’un côté, d’aller ensuite à l’opposé, afin qu’en revenant à son premier sillon, qu’il a laissé découvert, le versoir le comble à mesure que la charrue en trace un second. Un versoir amovible remédieroit à tout cela, & procureroit un petit soulagement à l’attelage, qui reprendroit haleine au bout de chaque raie, tandis qu’on transporteroit le versoir d’un côté à l’autre ; au lieu qu’il est forcé de marcher continuellement.

Section II.

De la Charrue à tourne-oreille.

La charrue à tourne-oreille diffère peu de la charrue à versoir, dont on vient de voir la description. Dans la Figure 9 de la Planche 3, elle est représentée sans avant-train, parce que celui qui lui est propre est le même qu’on a vu pour la charrue à versoir. Dans bien des pays, on en fait une charrue légère, en supprimant l’avant-train ; alors l’âge est portée par le joug des bœufs, ou soutenue au collier des chevaux, comme l’araire de Provence.

Le sep AA, l’âge II sont des pièces absolument semblables à celles de la charrue à versoir, excepté qu’elles sont moins fortes, parce que la charrue à tourne-oreille n’est employée que pour travailler les terres qui sont en bon état de culture. Les manches, qui sont construits dans les mêmes proportions, sont plus inclinés sur le sep auquel ils sont assemblés vers sa partie antérieure. L’âge, après avoir traversé le manche, vient s’emboîter dans le talon du sep. La scie G passe dans une mortoise pratiquée à l’âge, & vient entrer dans une autre qui est au bout antérieur du sep, pour unir solidement ces deux pièces. Le soc B, Fig. 10, est à deux tranchans symétriques, terminés par une douille dans laquelle entre la pointe du sep ; aussi cette charrue renverse la terre tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, selon la position de son versoir qu’on change au bout de chaque raie : ce déplacement successif du versoir exige que le soc ait cette forme ; s’il n’avoit qu’un tranchant, quand il seroit placé au côté opposé, il n’auroit point de terre à soulever, & celle de l’autre retomberoit toujours dans la raie.

Le fourchet de bois CC, qu’on nomme le coyau, fait presque l’office de versoir, dont il pourroit absolument tenir lieu : son extrémité est appuyée sur la douille du soc, son angle repose sur la scie G, & les deux branches de la fourche qu’il forme, sont en l’air : ce coyau est fixé sur le sep par deux fortes chevilles qui le traversent de chaque côté, & qui entrent dans le sep. Son principal office est d’écarter la terre qui a été coupée par le coutre & le soc, & de la verser sur les côtés, afin qu’elle ne tombe pas dans le sillon.

La Figure 11 représente l’oreille de la charrue, dans la position où elle est quand elle est en place. La Fig. 12. la montre à plat avec les chevilles qui servent à l’attacher. Cette oreille, qu’on doit considérer comme un versoir amovible, est une espèce de triangle de bois, dont le plus petit angle est garni d’une douille de fer terminée en crochet. Au milieu de cette douille, on voit une cheville à talon, qui y est fortement enfoncée ; à l’autre extrémité de l’oreille, il y en a une autre courte & grosse, qui est enfoncée solidement dans le trou pratiqué à cet effet.

Pour attacher l’oreille à un des côtés de la charrue, on passe le crochet, qui est au bout de la douille, à un crampon placé en M, au bas de chaque côté du sep ; on enfonce la cheville à talon dans le trou du sep qu’on voit en N, jusqu’à ce que le talon touche l’ouverture du trou ; l’autre cheville va appuyer sur les manches ou contre l’extrémité de l’âge. La ligne ponctuée marque le contour de l’oreille mise en place, sur un des côtés de la charrue.

La charrue à tourne-oreille n’a ordinairement qu’un seul coutre, qui est placé dans une mortoise pratiquée à l’âge, autour de laquelle on met deux cercles de fer. Sa position est oblique, sa direction est devant le soc auquel il ouvre la terre, ainsi qu’aux autres charrues qui en sont fournies. La pointe du coutre doit toujours être inclinée du côté opposé à l’oreille : comme on est obligé de la changer de place à tous les tours de charrue, c’est-à-dire, de la mettre tantôt à droite, tantôt à gauche, il faut aussi changer l’inclinaison du coutre, afin que sa pointe soit toujours du côté opposé à l’oreille.

Pour changer la position du coutre à volonté, il faut qu’il soit à l’aise dans la mortoise où il est placé, sans y être assujetti par des coins, mais par la seule disposition du ployon DD. Supposons que l’oreille est placée du côté gauche, on pose alors le bout du ployon contre la face gauche de la cheville de fer qui est enfoncée dans l’âge près des manches, le milieu du ployon vient passer derrière le coutre, & se reposer sur son côté droit ; ensuite on fait effort pour le courber, afin que son extrémité antérieure vienne passer & s’appuyer à la gauche de la cheville qui est sur l’âge devant le coutre. La pression du ployon contre le coutre, l’assujettit solidement dans sa mortoise ; mais cette mortoise étant large, la force du ployon qui agit sur la droite du coutre, porte son manche à gauche, tandis que son tranchant s’incline vers la droite qui est le côté opposé à l’oreille. Quand on transporte l’oreille du côté droit, on change absolument la disposition du ployon, afin que sa pression agisse de manière à porter la pointe du coutre vers la gauche : pour cet effet on a une seconde cheville de fer, qui est dans l’âge, à côté de celle qu’on voit près des manches, de sorte qu’à cet endroit, le bout du ployon est toujours entre deux chevilles : lorsqu’on veut changer sa position, relativement à celle que doit avoir le coutre, on sort de son trou la cheville qui est en avant du coutre, qui, pour cet effet, y doit être à l’aise, afin qu’on puisse la tirer avec facilité ; alors on dispose le ployon comme il doit l’être, & on remet la cheville en place pour l’assujettir. C’est une petite manœuvre qu’on est obligé de faire toutes les fois qu’on change l’oreille de côté, ce qui arrive au bout de chaque raie.

La charrue à tourne-oreille est un des meilleurs instrumens d’agriculture, sur-tout pour les labours en terrein plat : il est vrai que pour cultiver les terres qui sont en pente, elle est moins avantageuse, parce que son sep est très-large, & que le charretier fatigueroit beaucoup pour le retenir dans son assiette. Dans toutes sortes de terres légères, on peut l’employer avec succès : dans les terres fortes, elle avanceroit moins l’ouvrage, parce que la forme de son sep doit lui faire éprouver des frottemens considérables, qui doivent beaucoup retarder sa marche dans le sillon. On peut considérer le coyau qui repose sur le sep, comme un double versoir arrondi, qui est d’un usage merveilleux pour empêcher que la terre ne retombe sur le sep, & pour écarter les racines des plantes qui viendroient s’embarrasser dans les manches & à l’extrémité de l’âge : sa forme arrondie le rend bien plus utile que le gendarme qui n’offre qu’une petite surface, peu capable de produire les mêmes effets que le coyau : il seroit à désirer que son angle fût plus rapproché de l’âge, afin de prévenir la chute de la terre sur le sep.

En conservant la forme de construction de cette charrue, & sans toucher à l’assemblage de ces pièces, on pourroit la rendre propre à cultiver toute sorte de terreins indifféremment ; il ne faudroit pour cela que travailler le sep, qui est d’une forme très-défectueuse, selon les principes de construction dont il a été parlé dans la deuxième section du deuxième Chapitre sur la construction des charrues : ce changement peu considérable, la rendroit propre à entamer toute espèce de terrein, au lieu que telle qu’elle est, il est très-difficile qu’on puisse l’employer dans les terres extrêmement fortes & compactes, parce que le talon du sep étant plus large que le soc, il doit éprouver des frottemens très-grands en dessous & latéralement, en proportion de la cohésion des particules de la terre & de leur ténacité.

Malgré ce défaut, elle est préférable, pour la culture d’un terrein léger, à la charrue à versoir, parce que le laboureur qui entame une pièce de terre, continue son labour du même côté, en ayant attention, lorsqu’il est au bout de la raie, de changer l’oreille de place, afin qu’elle renverse la terre dans la raie précédemment formée : de cette manière, il n’est point obligé, comme avec la charrue à versoir fixe, de labourer d’un côté, & d’aller ensuite tracer un autre sillon au côté opposé, pour revenir ensuite au premier. Il n’y a donc que le dernier sillon qui reste à vide ; ce qui est indispensable, à moins qu’on n’entame la pièce voisine pour le combler. Quant au second labour, on ne change pas la direction des raies, il sert d’enréageure, & on le remplit en traçant la première raie.

Section III.

De la Charrue à double-oreille.

La charrue à double oreille, dont on se sert en Anjou, & dans plusieurs autres provinces où l’on laboure les terres en billons, est plus ou moins grande, plus ou moins large, en divers endroits, selon la profondeur & la force des terres. Le sep, qui est semblable à celui des charrues à versoir, est armé à sa pointe d’un soc de fer à deux oreilles, tel qu’on le voit représenté par la Figure 13 de la Planche 3, ce qui est cause qu’on nomme cet instrument de labourage, une charrue à double oreille. Ce soc est plus ou moins large & fort, sa pointe plus ou moins longue, selon la qualité des terres pour lesquelles il est employé : assez ordinairement d’une oreille à l’autre, c’est-à-dire de A à B, il est plus large que le sep, afin qu’il ouvre un sillon plus large que le talon du sep, autrement il éprouveroit trop d’obstacles dans le manche. C’est dans sa douille C qu’on fait entrer de force la pointe du sep ; ce soc à double aile ou double oreille, est quelquefois accompagné d’un coutre de fer ; d’autres fois on n’en met point ; cela dépend de la qualité du terrein qu’on laboure : s’il est léger, le coutre est fort inutile, au contraire s’il est fort, & rempli de mauvaises herbes, il devient absolument nécessaire : pour le retenir, on y place une bande plate de fer qu’on appelle le coutriau, qui se termine par un bout en crochet qui entre dans un trou situé vers le milieu du soc ; l’autre bout de cette bande est percé de plusieurs trous, elle passe au travers de l’âge de la charrue percée également pour cet usage ; on la retient à l’âge avec un clou passé dans l’un de ses trous, ou avec des coins de bois qu’on ôte aisément quand on veut.

Cette charrue, qui renverse la terre des deux côtés, a deux épaules de bois, façonnées exprès par un ouvrier en forme de planches, envoilées des deux côtés en dehors, par le haut, pour mieux renverser la terre : ces planches ou épaules, qu’on pourroit appeler des versoirs, sont plus ou moins épaisses, longues & hautes, selon la force de la charrue, qui est toujours proportionnée à la qualité du terrein pour lequel on l’emploie. Le manche de cette charrue, & son âge ou sa flèche, qui porte sur des roues dont l’essieu est en fer, & qui est emboîté dans une traverse de bois creusée pour cet effet, sont dans les mêmes proportions que celles qui sont propres aux charrues à versoir. La flèche est posée sur des encochures, ou entre de grosses chevilles de bois, placées sur la traverse qui emboîte l’essieu, afin de la faire aller ou à droite ou à gauche, selon qu’il est nécessaire pour l’espèce de culture qu’on donne à une terre, sur-tout si elle est bordée de plantes qu’on veut ménager : elle est attachée à l’avant-train par un grand anneau de fer dans lequel elle passe, & qui est au bout d’une grosse & courte chaîne de fer qu’on attache à l’avant-train. La flèche a plusieurs trous, dans lesquels on passe une forte cheville de fer qu’on appelle jauge, pour l’assujettir avec l’anneau, & lui donner plus ou moins de jeu & d’aisance, selon qu’il est nécessaire, c’est-à-dire, pour l’avancer ou la reculer sur l’avant-train, afin de faire piquer le soc plus ou moins, & de la quantité qu’on désire.

Enfin, cette charrue à double oreille, est construite & montée comme les charrues à versoir, aux différences près qu’on vient de faire remarquer, qui consistent dans le soc à double oreille, & dans les épaules de bois en forme de versoir, dont elles tiennent lieu.

Dans l’Anjou, où la charrue à double oreille est d’un fréquent usage, on ne l’emploie que pour ensemencer les terres ; tous les autres labours qui précèdent sont faits, ou avec la charrue à versoir, ou avec celle qu’on nomme tourne-oreille : lorsque la terre a été bien préparée par plusieurs labours, on étend les engrais sur toute la surface, ensuite on jette la semence, qu’on enterre d’abord avec la charrue à double oreille, qui n’est employée que dans cette circonstance.

Section IV.

De la Charrue Champenoise.

Cette charrue, qui est une des meilleures dont l’agriculture fasse usage, & une des plus parfaites que nous connoissions pour le labour des terres fortes, est composée d’un avant-train beaucoup plus simple que celui des charrues ordinaires à versoir, & d’un arrière-train à peu près semblable au leur, & presque disposé de la même façon.

L’arrière-train, représenté par la Figure 14 de la Pl. 3, consiste dans un soc A, dont le côté gauche est en ligne droite avec le sep, parce que le versoir étant fixé à la droite, le soc ne doit point avoir d’aile au côté opposé, afin qu’il ne soulève point la terre qui retomberoit ensuite dans le sillon. L’autre côté forme une aile tranchante, qui est plus en dehors que le versoir qui est au-dessus. Il a une douille à son extrémité, formée par le fer replié en dessous, dans laquelle on fait entrer le sep. À quatre ou cinq pouces de sa pointe, il est percé en B, d’un trou rond, dans lequel la pointe du gendarme C est reçue. On voit le soc représenté en entier dans la Fig. 16.

Ce gendarme est une pièce de fer de quatre pouces de largeur, à peu près, repliée à angle aigu, dont la pointe, qui est à son bout, entre dans le trou pratiqué au soc ; son côté gauche, plus élevé que le droit, est percé d’un trou à son extrémité, auquel on passe un clou à vis, qui l’attache, d’une manière solide, à la flèche ; l’autre côté, un peu moins élevé, passe dessous la flèche. La destination du gendarme est d’arrêter les herbes, les broussailles qui iroient s’embarrasser dans les jambettes qui soutiennent l’âge ou la flèche sur le sep.

Le double manche D porte à son extrémité inférieure un tenon, qui est chevillé dans la mortoise pratiquée au bout postérieur du sep, pour le recevoir : il est formé d’une seule pièce de bois fourchu, ou de deux pièces assemblées solidement, comme aux autres charrues dont on a déjà vu la description. On met entre les cornes de ce double manche, une traverse assez forte, qui les soutient & les empêche de se briser, comme il pourroit arriver lorsque le conducteur est obligé d’appuyer sur le côté pour tourner la charrue.

La flèche E est bien plus longue que celle des charrues ordinaires ; elle a, assez communément, neuf ou dix pieds de longueur. Cette charrue est employée à la culture des terres fortes, & à ouvrir de profonds sillons, malgré la grande inclinaison de sa flèche sur le sep, qui forme un angle très-aigu, & presque au-dessous des proportions données : cette extrême longueur étoit nécessaire, afin qu’en donnant beaucoup d’entrure au soc, l’attelage ne fût point autant fatigué qu’il le seroit si la flèche étoit plus courte ; ce qui auroit eu lieu, si le point de résistance eût été plus rapproché de la puissance qui agit pour le vaincre. Depuis le coutre jusqu’aux manches, la flèche est carrée avec les arrêtes abattues ; elle est ronde dans le reste de sa longueur : cette différence n’est point du tout essentielle ; la figure ronde ou carrée ne contribue en rien à sa solidité, pourvu que la partie qui repose sur l’échancrure de la sellette, soit ronde, on peut tenir le reste comme on voudra. La flèche porte à son extrémité postérieure un tenon, qui, après avoir traversé la mortoise qui est au bout du double manche, va aboutir dans l’entaille qui est pratiquée à l’extrémité du sep, au-dessous & derrière le double manche.

Le versoir F, placé à la droite de la charrue, est une longue pièce de bois un peu convexe en dehors, au-dessus de l’aile du soc, & concave en dedans ; la surface extérieure au-dessus de l’aile du soc, a une convexité plus saillante que celle qui est plus éloignée du soc : la surface intérieure est concave, excepté la partie opposée à celle qui est au-dessus de l’aile du soc, laquelle est tout-à-fait pleine. L’extrémité de ce versoir qui est très-solidement uni au sep, est placée dans l’angle intérieur du gendarme ; il est soutenu par les trois jambettes GGG, dont une se trouve directement sous la flèche, & entre dans la surface supérieure du sep ; les deux autres, placées en arc-boutant, prennent dans la surface intérieure du versoir, & viennent entrer dans les trous à la surface latérale du sep, à sa droite. Sa largeur n’est point égale d’un bout à l’autre ; la partie antérieure, c’est-à-dire, celle qui entre dans l’angle intérieur du gendarme, est plus large que la partie postérieure qui se trouve un peu plus étroite : dans le haut, il est terminé en ligne droite, ce n’est que par le bas que sa largeur diminue insensiblement.

Cet arrière-train est construit très-solidement ; toutes les pièces parfaitement assemblées se soutiennent mutuellement. Par cette forme de construction, la flèche se trouve soutenue au-dessus du sep, avec lequel il fait un angle assez aigu, 1o. par le gendarme sur lequel elle appuie, & dont un côté est cloué sur elle-même ; 2o. par le versoir dont le bout antérieur passe en dessous, pour entrer dans l’angle du gendarme qui se trouve précisément au milieu de la flèche ; 3o. par l’attelier H, qui est une espèce de jambette, ou forte cheville qui passe dans un trou de la flèche, & vient aboutir dans un autre pratiqué à la surface supérieure du sep ; 4o. par le double manche dans la mortoise duquel elle entre, & qui est lui-même assemblé solidement avec le sep ; 5o. par le sep même, dont l’entaille, qui est à son extrémité postérieure, reçoit son tenon au sortir de la mortoise du double manche.

Cette charrue n’a qu’un seul coutre II, dont le manche est percé de plusieurs trous, afin de l’élever ou de l’abaisser, selon que les circonstances l’exigent. Ce coutre, placé dans la mortoise qui est à la flèche en avant du soc, y est assujetti par deux petits coins de bois, dont un de côté, & l’autre en avant, qui sert à lui donner l’inclinaison qu’on désire, en l’enfonçant plus ou moins dans la mortoise. Une cheville en fer, passé dans un de ses trous, le tient à la hauteur nécessaire, & l’empêche en même temps de varier, parce qu’il y a sur la flèche, de chaque côté du coutre, deux anneaux qui y sont fixés, dans lesquels on passe la cheville.

L’avant-train de la charrue champenoise, qu’on voit représenté dans la Figure 15 de la Planche 3, consiste dans deux roues AA d’inégale grandeur ; le diamètre de celle qui est à gauche, a trois ou quatre pouces de moins que celui de la roue à droite : leur essieu, qui est en fer, passe dans une traverse carrée, qui est percée, pour cet effet, d’un bout à l’autre, & qu’on voit désignée par BB.

Le tétard CC est une pièce de bois fourchue, dont les deux cornes sont clouées à vis sur la traverse dans laquelle passe l’essieu des roues.

La sellette D s’élève, au-dessus du tétard, de dix à douze pouces ; elle est assujettie immédiatement sur ses deux cornes, par deux fortes chevilles qui l’y clouent d’une manière fort solide, qui ne lui permet aucun mouvement quand la charrue est tirée : elle n’est point tout-à-fait aussi longue que la traverse qui couvre l’essieu des roues. Dans son milieu elle est échancrée en demi-cercle, pour recevoir, dans cet endroit, la flèche qu’elle doit porter.

À l’extrémité antérieure du tétard, il y a une mortoise latérale dans laquelle passe la traverse EE, qui doit porter les palonniers : elle est fixée solidement en place par une forte cheville qui traverse d’une surface à l’autre.

Les deux palonniers FF, auxquels on attache les traits des chevaux, pendent par une petite chaîne de chaque bout de la traverse. Quand on veut supprimer la chaîne, on met un morceau de fer plat & terminé en crochet, à chaque bout de la traverse, auquel on passe un simple anneau qui pend de chaque palonnier.

L’arrière-train & l’avant-train de la charrue champenoise, sont joints ensemble par deux chaînes. La première a un anneau, à un de ses bouts, plus grand que les autres, dans lequel on passe la flèche ; il est retenu par une cheville qui l’empêche de glisser ; c’est ce qu’on voit en E, à l’extrémité de la flèche. L’autre bout de cette chaîne est terminé par un crochet, qui prend dans un anneau qui est fixé au-dessous du têtard vers son milieu. Cette seule chaîne suffiroit pour joindre ensemble l’arrière-train & l’avant-train : mais pour mieux fixer la flèche dans l’échancrure de la sellette, & afin de tenir le tétard au niveau de la traverse, pour que l’attelage n’ait point son poids à supporter, on met une seconde chaîne assez courte, qui est attachée, par un de ses bouts, à la surface supérieure du tétard, assez près de la traverse qui recouvre l’essieu des roues ; son autre bout porte un grand anneau, dans lequel on passe la flèche, & qu’on arrête, comme le premier, par une cheville qui entre dans un des trous pratiqués dans la longueur de la flèche.

Par le moyen de cette seconde chaîne, la flèche qui est retenue & fixée dans l’échancrure pratiquée au milieu de la sellette, ne peut point tomber sur les roues, ni d’un côté ni de l’autre ; outre cela, le tétard est soutenu dans un plan parallèle à celui de la traverse qui recouvre l’essieu des roues : de cette manière, les chevaux tirent sans avoir à supporter une partie de l’avant-train de la charrue, & une partie du poids de la flèche, qui seroient pour eux un surcroît de peine & de fatigue. Le tirage de cette charrue est donc peu pénible pour les chevaux, puisque tout le poids de l’avant-train, & une partie de l’arrière-train portent sur l’essieu des roues, par le moyen de la traverse qui le recouvre.

Le laboureur peut aussi très-aisément donner à la charrue l’entrure qu’il juge à propos en faisant exactement piquer le soc de la quantité qu’il désire : il n’a qu’à avancer ou reculer la flèche sur la sellette, & la fixer à la hauteur qu’il veut, par le moyen de la cheville qui retient l’anneau : étant ainsi fixée, la charrue continuera le labour en piquant toujours de la même quantité, jusqu’à ce qu’on change la position de la flèche sur la sellette.

L’inégalité que nous avons remarquée dans les roues est indispensable, à cause de la position du terrein. Toutes les pièces de terre étant arrangées en billons, ou en planches fort élevées dans le milieu, si les roues étoient d’un diamètre égal, celle qui se trouve à la droite où est le versoir fixe, étant toujours dans l’endroit le plus bas, & au fond du sillon, tandis que l’autre seroit élevée, auroit tout le poids de la charrue à supporter, & nécessairement elle culbuteroit en entraînant la charrue dans sa chute, parce que quelque fort que fût le charretier, il ne le seroit point assez pour la retenir : il seroit obligé de diriger son effort à la gauche, & précisément c’est à la droite qu’il doit le plus appuyer, afin que le tranchant du soc ouvre un sillon assez large.

Par l’arrangement des terres en billons fort élevés dans le milieu, pour procurer un prompt écoulement aux eaux, la charrue champenoise est exactement ce qu’elle doit être pour la culture de ces terres ainsi disposées. Si on s’en servoit dans un terrein plat, l’inégalité des roues seroit assez inutile : quoiqu’il y en ait une qui soit toujours plus enfoncée que l’autre, cette différence, dans le parallélisme, n’est point assez considérable pour qu’on doive craindre que la charrue soit renversée sur le côté : d’ailleurs le plus petit effort, de la part du conducteur qui appuie un peu sur les manches, du côté opposé à celui où il craint que la chute ait lieu, suffit pour la remettre.

Quand on laboure avec cette charrue, il faut entamer une pièce de terre quelconque, par le côté droit, & aller ensuite à la gauche tracer le second sillon, pour revenir à la droite où l’on a commencé. La Fig. 17, Pl. 3, représente un billon à labourer avec la charrue champenoise ; le charretier doit commencer en A le premier sillon ; arrivé en B : il soulève la charrue, & va par la ligne ponctuée en C, où il donne l’entrure à la charrue pour ouvrir le sillon CD ; arrivé en D, il transporte encore la charrue en E, pour ouvrir le sillon EF, afin de combler celui qu’il avoit précédemment tracé, & qui étoit resté ouvert ; de-là il retourne en G, & successivement jusqu’à ce qu’il soit arrivé au milieu du billon où il finit son labour. Le versoir étant fixé à la droite de la charrue, cette manœuvre est indispensable, autrement les raies ou les sillons resteroient à découvert.

Le versoir étant toujours fixé à la droite, c’est par conséquent de ce côté que le soc doit pénétrer plus avant dans la terre, afin de la remuer, & de la soulever pour que le versoir la jette sur le côté ; c’est pour cette raison que le soc n’a qu’une aile tranchante à la droite, tandis qu’à la gauche il se termine en ligne droite avec le sep : un tranchant seroit donc inutile de ce côté, puisqu’il n’y a point de versoir pour jeter la terre qu’il soulèveroit. Afin que le soc ouvre un large sillon, le conducteur doit appuyer continuellement sur les manches, en dirigeant sa puissance à droite : alors l’aile du soc coupera la terre dans une plus grande surface ; le sillon sera par conséquent plus large, & le labour d’une pièce de terre sera plutôt fini & mieux fait, que s’il laissoit aller la charrue sans la gouverner de cette manière, après lui avoir donné l’entrure qu’il juge à propos.

Section V.

De la Charrue à quatre coutres, de M. Tull.

La Figure 1, de la Planche 4, représente la charrue à quatre coutres, que M. Tull, qui l’a inventée, regarde comme la meilleure pour toutes sortes de terres, excepté celles qui sont glaises & bourbeuses, parce qu’elles s’attachent aux roues, & les embarrassent tellement, qu’elles tournent ensuite difficilement. Pour remédier à cet inconvénient, il conseille d’entourer les cercles de fer & les raies des roues avec des cordes de paille d’un pouce d’épaisseur : les roues pressant la terre, les cordes s’applatissent & s’écartent des deux côtés, pour repousser la boue & l’empêcher de s’attacher aux roues.

L’avant-train de cette charrue consiste dans les deux roues AA, unies par un essieu de fer qui passe dans la traverse fixe B, qui est percée, pour cet effet, dans toute sa longueur ; il tourne par conséquent dans la traverse comme dans le moyeu des roues. Ces deux roues sont d’une grandeur inégale ; celle qui est à droite a deux pieds trois pouces de diamètre, & celle de la gauche vingt pouces seulement.[1] La distance de l’une à l’autre, prise à leur circonférence, est de deux pieds cinq pouces & demi.

Les deux montans CC tombent perpendiculairement sur la traverse fixe, qui recouvre l’essieu des roues ; ils y sont joints par le tenon qui est à leur bout, & qui entre dans la mortoise pratiquée pour les recevoir. Leur hauteur, depuis cette première traverse jusqu’à celle qui les assemble à leur bout supérieur, est de vingt-trois pouces, & la distance de l’un à l’autre, prise intérieurement, de dix pouces & demi. Chacun de ces montans est garni, depuis la traverse qui recouvre l’essieu des roues, jusqu’à la traverse d’assemblage EE, d’un rang de trous parallèles, pour recevoir les chevilles qui fixent la traverse mobile D, afin de tenir la flèche à la hauteur qu’on désire : de sorte qu’en élevant ou abaissant la traverse mobile, on élève ou on abaisse la flèche, selon qu’il est nécessaire de donner plus ou moins d’entrure à la charrue, afin que le soc trace un sillon plus ou moins profond, en le faisant piquer exactement de la quantité qu’on veut.

La traverse d’assemblage EE est reçue dans les mortoises pratiquées aux bouts des montans, où elle est chevillée d’une manière solide : on a soin de la tenir assez longue, afin qu’elle déborde, de deux pouces à peu près, les montans de droite & de gauche, pour qu’on puisse y passer le grand anneau qui est au bout de la chaîne, & l’y arrêter.

Le châssis F, qu’on voit représenté en entier dans la Figure 2, sert pour attacher le palonnier qui est au bout des traits des chevaux : comme il ne seroit point assez solide en bois, on le fait en fer. La jambe gauche A, & la barre où sont les entaillures pour recevoir les crochets, ne sont qu’une même pièce ; cette dernière passe dans la jambe droite, où elle est fixée dans un trou pratiqué pour la recevoir. Les jambes de ce châssis traversent la caisse G, qui est une espèce de sellette clouée sur la traverse qui recouvre l’essieu ; elles sont arrêtées derrière la caisse avec deux clous en forme de crochet, tels qu’on les voit dans la Figure 2. Afin que le haut des montans ne penche point en arrière quand la charrue est tirée, il est nécessaire que la partie antérieure du châssis où sont les entaillures, soit plus élevée que les jambes qui entrent dans la caisse : pour cet effet il faut avoir soin que les trous qu’on pratique à la caisse, pour les faire passer, ne soient point à angle droit avec elle, mais qu’ils biaisent en haut, pour que le châssis ait à peu près la position qu’on a cherché à lui donner dans la Figure 1, où il est en place.

Les entaillures qu’on a faites à la barre du châssis, ne sont point destinées seulement à arrêter où l’on veut, les crochets & les chaînons qui servent au tirage de la charrue ; c’est encore pour faire tracer au soc un sillon plus large ou plus étroit. En mettant les chaînons du côté droit, les roues vont à gauche, le soc alors ouvre un sillon assez large, parce que le soc porte de toute sa largeur sur le terrein : quand on les met, au contraire, du côté gauche, les roues vont plus à droite ; le sillon par conséquent est plus étroit, parce que le soc ne porte point parfaitement à plat sur le terrein.

On a soin de tenir la barre & les jambes du châssis assez fortes, pour qu’elles résistent à la puissance des chevaux. Les chaînons qui servent à tirer, doivent être placés dans les entaillures éloignées les unes des autres, afin que les roues avancent en même temps, & qu’elles marchent sur la même ligne ; ce qui n’aurait point lieu, si elles étoient placées trop près, ou dans la même entaillure, à moins que ce ne fût à celle du milieu : mais la marche de la charrue sera toujours plus uniforme, quand les chaînons seront placés dans des entaillures éloignées, & qu’ils seront également distans des jambes du châssis. Ces chaînons ont six pouces & demi de longueur. La distance qu’il y a entre les jambes du châssis, est de huit pouces.

L’arrière-train de la charrue de M. Tull, est composé de la flèche HH, dont la longueur est de dix pieds quatre pouces. Sa dimension, soit en épaisseur & en largeur, n’est point constante ; elle varie selon la nature du sol qu’on doit labourer. On conçoit qu’il est nécessaire que la flèche ait en épaisseur, de même qu’en largeur, une plus grande dimension quand la terre est forte que quand elle est légère. Celle qu’on voit représentée dans la Figure 1 a cinq pouces d’épaisseur au trou du premier coutre, & quatre de largeur. Elle est faite assez communément de bois de frêne, qui est fort léger, ou de chêne, parce que c’est un bois propre à durer longtemps ; quand elle est en chêne, on ne lui donne point autant d’épaisseur que si elle étoit d’un bois léger ; elle seroit trop pesante en ayant la même proportion.

Cette flèche pourroit être droite, comme celle des charrues ordinaires ; mais il faut observer qu’elle est beaucoup trop élevée au-dessus de l’essieu des roues, pour qu’elle puisse avoir cette forme, qui seroit peu favorable pour donner l’entrure à la charrue, & faire piquer le soc à une grande profondeur : en la faisant absolument droite, il faudroit aussi qu’elle fût plus longue ; elle deviendroit donc un poids énorme, & la charrue seroit embarrassante quand il faudroit tourner au bout du sillon. Il est donc beaucoup plus avantageux de lui donner une courbure, depuis le quatrième coutre jusqu’à son extrémité : étant moins élevée au-dessus du sol, on obvie non-seulement à l’inconvénient dont il vient d’être parlé, mais on en évite encore un autre, qui seroit la trop grande longueur des derniers coutres, qui est nécessaire quand la flèche est trop élevée. Quand les coutres sont fort longs, & que les pointes qui fendent la terre sont fort éloignées de l’emboîture des manches, ils sont exposés à se fausser, à moins qu’ils ne soient fort épais, & alors ils rendroient la charrue très-pesante : d’ailleurs, en supposant qu’ils ne se faussent point par l’effort qu’ils font pour ouvrir la terre, il est toujours à craindre que la résistance qu’ils éprouvent, ne les déplace, parce que la pointe étant à une trop grande distance de l’emboîture du manche, il y a une force presque insurmontable, pour lâcher & faire échapper les coins qui le tiennent assujetti.

Les coutres 1, 2, 3, 4, servent à ouvrir la terre, à couper le gazon & les racines des mauvaises plantes, afin que le soc de la charrue, ne trouvant point ces obstacles dans sa direction, puisse entrer avec plus de facilité dans la terre pour la bien diviser. Ces coutres en fer sont semblables à un couteau à gaine, dont la lame ne se replie point pour entrer dans le manche. Leur longueur, quand ils sont neufs, est de deux pieds huit pouces ; laquelle est divisée en deux parties égales pour le manche & la lame, qui ont par conséquent seize pouces. La largeur du manche est d’un pouce & sept huitièmes ; son épaisseur de sept huitièmes de pouce dans toute sa longueur : la lame est à peu près d’un tiers plus large que le manche.

En faisant les mortoises pour placer le coutre dans la flèche, il faut observer que les plans imaginaires que leurs tranchans sont censés décrire lorsque la charrue est tirée, doivent tous être parallèles les uns aux autres, au moins à peu près, afin qu’ils entrent tous ensemble en même temps dans la terre : pour cet effet, on fait la mortoise du second coutre, deux pouces & demi plus à la droite que la première, de même celle du troisième & du quatrième, conformément aux quatre incisions qu’ils doivent faire pour ouvrir un sillon de dix pouces de largeur.

Pour placer les coutres à cette distance mesurée les uns des autres, la flèche n’est point assez large ; c’est pourquoi on est obligé d’ajouter à la droite, la pièce de bois II, telle qu’on la voit dans la Figure : elle est attachée solidement à la flèche par trois vis & leurs écrous. La mortoise du premier coutre est taillée entièrement au milieu de la largeur de la flèche ; celle du second, en partie dans la flèche & dans la pièce ajoutée ; celles du troisième & du quatrième sont tout-à-fait dans la pièce ajoutée.

La distance de deux pouces & demi, à laquelle les coutres doivent être placés plus à la droite les uns des autres, doit être comptée du milieu d’une mortoise au milieu de l’autre : chacune doit avoir un pouce & un quart de largeur, & les côtés opposés parallèles : elles doivent être taillées obliquement dans la longueur de la flèche, afin de déterminer la position du coutre qui y est enchâssé avec le coin.

La position oblique des coutres ne doit point être uniforme : le second doit moins s’éloigner de la perpendiculaire que le premier ; le troisième que le second, & le quatrième que le troisième. Les mortoises doivent donc être taillées obliquement, en proportion de l’inclinaison du coutre qui y est enchâssé. Il faut qu’ils ne soient jamais aussi bas que le soc. Ils sont fixés dans les mortoises par trois coins, dont un devant, un autre à la gauche, & le troisième à la droite.

Le soc de la charrue représenté séparément par la Figure 4, doit être d’un acier fort dur en bas : il a trois pieds neuf pouces de longueur depuis la pointe A, jusqu’au talon B ; la pointe A, jusqu’à l’angle C, a environ trois pouces & demi de longueur ; elle est plate en dessous & ronde en dessus. L’aileron D & la pointe A, forment un angle en C, qui ne doit jamais être plus petit que celui qu’on voit dans la Figure. La douille E, est une mortoise, d’environ un pied de long à la partie supérieure, ayant à peu près deux pouces de profondeur ; son extrémité antérieure doit être oblique, comme l’est celle de la planche qui y entre.

Le côté AB du soc doit être parfaitement droit : la surface inférieure qui repose sur le terrein, doit être un peu creuse en G ; mais jamais plus d’un demi-pouce, & même d’un quart dans la charrue à quatre coutres. Quand le soc est posé sur son fond, il ne doit toucher une surface unie que par trois endroits, c’est-à-dire, à la pointe A, au talon B, & au-dessous du coin de l’aileron en G. Depuis la pointe A, jusqu’au bout de l’aileron, le soc représente une surface arrondie, qui est creuse au-dessous de l’aileron jusqu’à l’angle C ; cette cavité de l’aileron doit être proportionnée à la qualité du terrein ; elle doit être plus considérable pour un terrein pierreux, que pour un autre qui ne l’est pas du tout, ou qui l’est moins.

On voit au talon du soc la plaque F, elle est en fer assez mince ; c’est par cette plaque rivée au bout du soc, que son talon est attaché à l’étançon, par le moyen d’une petite cheville de fer qui a une vis au bout avec son écrou, lequel est monté du côté droit à l’étançon.

La planche K, qu’on voit dans la Fig. 1, est représentée par la Fig. 5, telle qu’elle est avant d’être mise en place : elle a sept pouces de largeur, on y voit les deux tenons de fer à vis AA, qui la tiennent attachée à la flèche par le moyen de leurs écrous, quand une fois elle est assemblée dans la mortoise, où elle est encore assujettie par des chevilles qui passent dans les trous BB : son extrémité CC, est reçue dans la douille du soc, qui par cet effet, doit être oblique sur le devant. Les tenons de fer qui l’assujettissent dans la flèche, servent encore à lui donner l’inclinaison qu’il est nécessaire qu’elle ait sur le soc ; pour cela, il suffit de dévisser leurs écrous, quand on veut qu’elle soit plus inclinée, ou les visser fortement, si elle l’étoit trop. Il y a un juste milieu duquel il ne faut pas s’écarter pour que la charrue aille bien ; il consiste à placer la planche de façon que son côté postérieur, incliné vers le talon du soc, forme avec le plan supérieur du soc un angle de quarante-deux ou quarante-trois degrés au plus. Si cet angle étoit plus ouvert que le quarante-cinquième, la charrue iroit certainement mal.

L’angle BCC, de la Figure 5, formé par la coupe même de la planche, peut donner la mesure exacte de celui qu’elle doit faire avec le soc, quand elle est assemblée avec la flèche ; parce que la ligne CC, supposée parallèle avec celle qui est au fond de la douille du soc dans laquelle on la place, venant à se toucher dans toute leur longueur, elles formeront nécessairement l’angle selon l’ouverture requise, de sorte qu’il suffira de visser les tenons, de cheviller la planche dans la mortoise de la flèche, pour l’assujettir en place. Les trois trous DDD, servent à passer des chevilles, qui vont entrer dans les trous qui sont vis-à-vis dans le manche qui est à sa droite, afin que ces deux pièces soient mutuellement soutenues.

L’étançon L (Figure 1) est attaché au talon du soc, par une cheville qui entre dans un trou pratiqué à son extrémité, & dans celui qui est à la plaque M ; il passe ensuite dans la mortoise pratiquée à l’extrémité de la flèche, où il est fixé par une autre cheville : il sort à une hauteur convenable au-dessus de la flèche, pour que le manche de la charrue puisse appuyer contre lui.

Le manche N, qu’on voit sans être en place dans la Figure 6, est attaché au bas de la planche par deux chevilles qui passent dans les trous AB, il traverse la flèche par la même mortoise de la planche, & l’autre trou C reçoit une cheville qui sert à le tenir appuyé fortement contre l’étançon L. Il a, comme on voit, peu d’épaisseur, eu égard à sa largeur ; c’est pourquoi il étoit nécessaire qu’il fût bien soutenu en haut & en bas.

Le montant O, qu’on peut considérer comme un second étançon, appartient au côté droit du talon du soc : attaché au soc d’une manière aussi solide que l’est l’étançon L, il vient s’appuyer sur le côté droit de la flèche, vis-à-vis l’étançon ; pour rendre son assemblage solide, il est chevillé contre la flèche ; outre cela, deux chevilles, dont une en dessous, l’autre en dessus de la flèche, le tiennent uni à l’étançon.

Le second manche P, semblable au premier, est attaché au montant par une cheville, & par une autre assez forte, à la flèche ; son extrémité est reçue dans la même douille que la planche ; d’autres fois elle est clouée contre le côté droit du soc, quand on a ménagé un trou à vis pour cet effet.

La Figure 6, représente le manche absolument droit, parce que souvent on ne lui donne l’inclinaison qu’il doit avoir, que par la manière dont on le place, & en sciant obliquement son extrémité. La Figure 1, où on le voit assemblé au corps de la charrue, le montre oblique par la coupe du bois au sortir de la flèche ; il est assez ordinaire de lui donner cette forme avant de l’assembler au corps de la charrue.

L’avant-train & l’arrière-train de la charrue de M. Tull, sont unis par deux chaînes de fer, l’une en dessus, l’autre en dessous de la flèche. Pour attacher celle qui est en dessous, on met au côté droit & au côté gauche de la flèche, entre le premier & le second coutre, un anneau de fer, auquel on accroche un châssis en fer, semblable à peu près à celui que nous avons décrit pour le tirage, excepté que les jambes se terminent en crochets, pour entrer dans les anneaux fixés de chaque côté de la flèche ; on le voit représenté dans la Figure 3, avec le crochet qui est dans une des entaillures. La caisse qui repose sur la traverse fixe, est percée pour laisser passer un des anneaux de la chaîne qui se trouve en devant, entre les jambes du châssis pour le tirage. La tringle Q, appuyée en dedans contre la traverse d’assemblage des montans & la traverse mobile, passe dans l’anneau au sortir de la caisse, & retient par ce moyen la chaîne qui resortiroit sans cela.

La seconde chaîne a son premier anneau passé dans un crochet, enfoncé dans le morceau de bois ajouté au côté droit de la flèche entre le troisième & le quatrième coutre ; elle porte à son extrémité un grand anneau long, qui va embrasser l’extrémité supérieure de la tringle, celle du montant gauche & de la traverse d’assemblage. Quelquefois un seul & gros anneau, auquel la flèche est passée, & qui est arrêté à la distance qu’on désire, par une forte cheville de fer, suffit pour attacher les deux chaînes qui, pour lors, sont terminées par un crochet, dont l’un prend l’anneau en dessous de la flèche, & l’autre en dessus. Le châssis, (Figure 3), devient alors inutile.

M. Tull donne la description d’une autre charrue également de son invention, qui ne diffère de celle-ci que par la forme de la flèche, qui est absolument droite & ronde, & qui n’a qu’un seul coutre devant le soc : toutes les autres pièces y existent avec les mêmes dimensions.

M. Tull assure qu’avec la charrue à quatre coutres, on remue la terre à dix, douze & quatorze pouces de profondeur, ce qui est un très-grand avantage ; parce qu’en faisant de profonds sillons, & des billons fort élevés, la terre est bien plus en état de profiter des influences de l’air. Les quatre coutres placés devant le soc, coupent la terre, qu’il doit ouvrir, en bandes de deux pouces de largeur, puisqu’ils sont placés à cette distance les uns des autres vers la droite de la charrue. Le soc ouvrant un sillon de sept à huit pouces de largeur, la terre est jetée sur le côté bien divisée ; elle ne forme donc plus ces grosses mottes plates, comme il arrive avec les charrues ordinaires. Quand on donne un second labour, le soc de la charrue entre alors dans une terre meuble & bien divisée, sans rencontrer ces mottes & ces gazons, qui sont aussi difficiles à diviser au second labour, qu’ils l’avoient été au premier.

M. Tull veut qu’on n’emploie la charrue à quatre coutres, que pour les principaux labours ; c’est-à-dire, pour donner une bonne culture aux terres qu’on n’a pas travaillées depuis long-temps, ou qui ont été mal cultivées, ou pour défricher les terreins qu’on veut mettre en état de culture. Quoique cette charrue corroie & aglutine moins les terres fortes que les charrues ordinaires, puisque le soc renverse, sans pétrir, une terre déjà coupée par les coutres, il est bon cependant de ne l’employer dans les terres qui sont bien travaillées, c’est-à-dire, dans un bon état de culture, que quand elles ne sont pas trop humides ; dans cette circonstance même, il faut avoir soin de mettre les chevaux à la file les uns des autres, afin que, marchant tous dans le même sillon, ils ne pétrissent pas tant la terre : au contraire, quand on emploie cette charrue dans une terre en friche, ou qui n’a pas été labourée depuis long-temps, il faut qu’elle soit bien détrempée par la pluie, sur-tout si elle est forte, autrement la charrue éprouveroit de très-grands obstacles & ne pourroit point ouvrir des sillons à la profondeur qu’on désire.

On peut considérer la charrue de M. Tull, comme un de ces instrumens dont l’invention prouve l’intelligence & le zèle de l’auteur, sans cependant procurer tous les avantages qu’on espéroit en recueillir. La position des coutres est certainement bien entendue, mais leur nombre exige une flèche fort large, qui, étant très-longue, devient un poids énorme, avec la pièce qu’on est obligé d’ajouter au côté droit pour l’emplacement des coutres. Il est impossible que cette charrue renverse, aussi parfaitement que l’assure M. Tull, la terre sur le côté ; ce renversement ne peut s’effectuer que par l’aileron du soc ; outre qu’il n’est pas assez élevé pour cette opération, sa forme n’est pas absolument propre à produire cet effet : la planche qui soutient l’assemblage du soc & de la flèche, ne peut tout au plus que repousser la terre qui vient tomber sur elle en très-petite partie, de même que le côté droit du soc, qui, d’ailleurs étant au fond du sillon, ne peut point produire cet effet. On ne peut donc point concevoir qu’une charrue qui n’a point de versoir, & qui ouvre un sillon de douze à quatorze pouces de profondeur, puisse parfaitement renverser une terre remuée par le soc.

La marche de cette charrue doit être extrêmement lente dans le sillon, 1o. parce qu’un soc selon les dimensions de celui-ci qui est tout en fer, devient un poids très-considérable ; 2o. parce que l’assemblage de toutes les pièces qui composent l’arrière-train, n’est point disposé de façon à diminuer les frottemens qu’elles sont dans le cas d’éprouver.

Cette charrue n’ayant point de sep en bois comme les charrues ordinaires, mais un soc de trois pieds neuf pouces de longueur, portant une flèche de dix pieds de longueur sur quatre à cinq pouces d’équarrissage, on conçoit que quatre coutres de deux pieds huit pouces de longueur, sur une épaisseur proportionnée, doit être un poids énorme qui exige un attelage très-considérable, pour le tirer dans des terres fortes & tenaces. Le conducteur, obligé de soulever & de porter l’arrière-train de la charrue, quand il faut tourner au bout du sillon, doit avoir une force peu commune pour en venir à bout.

CHAPITRE III.

Des Charrues dont l’avant-train n’a qu’une roue, qu’on appelle autrement des cultivateurs.

Toutes les charrues dont il a été parlé dans les articles précédens, sont destinées pour les principaux labours ; soit pour préparer la terre à recevoir la semence, soit aussi pour la couvrir quand elle a été répandue sur toute la surface du terrein qu’on vouloit ensemencer. Celles dont nous allons maintenant donner la description, n’ont qu’une roue à l’avant-train ; on les nomme des cultivateurs, parce que dans leur invention, on n’a eu en vue qu’un instrument propre à donner une culture aux plantes, sans les endommager ; ce qui étoit difficile à exécuter avec les charrues ordinaires, qui n’approchoient point assez des plantes, & qui les froissoient ou les brisoient, quand on les conduisoit trop près. La nouvelle manière de cultiver les terres, & de les ensemencer par planches ou bandes étroites, a introduit le cultivateur dans l’Agriculture. M. Tull, qui a pratiqué cette méthode, & qui, au lieu de cultivateur, se servoit d’une charrue légère, dont nous avons donné la description dans la première Partie, prétend que les récoltes qu’il a faites en suivant ses procédés, ont été beaucoup plus abondantes qu’elles ne l’avoient été précédemment.

Quoique la charrue à une seule roue, ne soit destinée que pour donner aux plantes une culture qui est nécessaire à leur végétation & à leur prompt accroissement, on peut cependant s’en servir & l’employer pour les principaux labours, dans les terreins légers, où elle fera d’aussi bonnes cultures que les autres charrues légères, qui n’ont point d’avant-train ; dans ceux qui n’ont qu’un fond de terre peu considérable, par exemple, de quatre, cinq ou six pouces : comme le soc du cultivateur ne fouille la terre qu’à cette profondeur, cette charrue est très-propre pour cultiver ces sortes de terreins, dans lesquels il seroit dangereux de faire de profonds sillons, parce qu’on s’exposeroit à ramener à la surface, la mauvaise qualité de terre qui se trouve en dessous.

Cet instrument propre à remuer la terre à peu de profondeur, qui, dans le principe, n’étoit qu’un simple cultivateur, a été perfectionné au point qu’on en a fait exactement un instrument de labourage, dont on peut retirer la même utilité que des charrues ordinaires, pour donner les premiers labours aux terres, & les préparer à recevoir la semence. M. de la Levrie a fait des labours avec la charrue à une seule roue, qu’il a inventée, dont les sillons étoient aussi profonds que ceux qu’auroit tracé la meilleure charrue. Nous allons faire connoître son cultivateur ou sa charrue à une seule roue, par la description qu’il en envoya lui-même, dans le temps, à M. Duhamel du Monceau.

Section Première.

Description de la charrue à une seule roue, imaginée par M. de la Levrie.

La Figure 5, Planche 2, représente la charrue de M. de la Levrie, assemblée de toutes ses pièces. Le sep A a quatre pouces de largeur, trois d’épaisseur, deux pieds sept ou huit pouces de longueur ; en sorte qu’il y ait du talon du sep à la pointe du soc en place, trois pieds ou trois pieds un pouce : on aura soin que le dessous du sep soit creux dans sa longueur, depuis le talon jusqu’à la pointe du soc, d’environ un pouce dans son milieu, en diminuant la cavité de côté & d’autre, à mesure qu’on s’approche des extrémités.

Le soc est fait comme celui des autres charrues de même espèce, c’est-à-dire, comme ceux des charrues légères ; il a douze à treize pouces de longueur, huit pouces de largeur, de la pointe de l’aile au côté gauche ; il n’a qu’environ deux pouces de hauteur de ce côté, à l’endroit de la douille où il est un peu creux en dessous.

Le côté gauche du sep, depuis le soc jusqu’au talon, est garni d’une bande de fer de quinze lignes de largeur, sur deux lignes d’épaisseur, encastré de son épaisseur dans le bord inférieur, & arrêté avec des clous à tête rasée.

L’âge ou la flèche C, de cinq pieds de longueur, sur deux pouces & demi d’équarrissage, est assemblée avec le sep & la souche des manches, comme à l’ordinaire ; c’est-à-dire, qu’après avoir passé dans la mortoise des manches, son tenon va entrer dans celle qui est au talon du sep. L’angle du sep & de l’âge doit être de trente degrés justes, autant qu’il est possible : s’il s’y trouve quelque erreur, il vaut mieux qu’elle soit en plus qu’en moins. Un grand nombre d’ouvriers ne sachant point ce que c’est qu’un angle de tant de degrés, voici la manière dont ils s’y prendront pour le faire juste.

On prendra deux fois l’épaisseur du sep, qui est de trois pouces, ce qui donnera par conséquent six pouces : on portera cette mesure de six pouces, depuis l’angle inférieur du sep A, (Figure 6) jusqu’au bord supérieur D : de A à D, on tirera un trait sur le côté, sur la pente duquel on fera la mortoise ; il ne sera plus difficile de tracer le tenon de l’âge sur ce trait ; mais comme il n’a pas de longueur, peu de chose pourroit occasionner de l’erreur. Voici comment on la corrigera.

On mettra l’âge en place, on tirera un trait à l’angle inférieur d’un de ses côtés, à une distance connue de l’angle du talon : de l’extrémité inférieure de ce trait, on prendra la longueur d’une ligne, qui soit d’équerre avec le dessous du sep supposé n’être point creusé ; cette longueur doit être la moitié de la première, prise sur l’âge. La longueur prise sur l’âge de A en E, est de deux pieds, & la ligne ponctuée d’équerre avec le dessous du sep F a un pied. Ces deux pièces étant ajustées dans cette situation, on marquera la place, l’inclinaison, & la longueur de la scie G, dont le côté droit sera arrasé au même côté de l’âge, pour soutenir la joue.

On tracera de même l’assemblage des manches, suivant le dessin de la Figure 7, ou autrement, si l’on veut ; M. de la Levrie ne prescrit rien là-dessus, mais il détermine à deux pieds au moins la distance AH, (Fig. 5) du talon du sep, à la perpendiculaire de l’extrémité des poignées ; & la hauteur HI, au-dessus du terrein, à vingt-huit pouces, ayant remarqué qu’un grand homme a moins de peine à se plier, pour appuyer sur les manches quand ils sont bas, qu’un petit homme n’en a à porter la charrue, lorsqu’il faut tourner, quand ils sont trop hauts pour sa taille.

À gauche, on applique une planche de neuf lignes d’épaisseur, nommée la joue, qui couvre tout l’assemblage du sep & de l’âge, elle porte sur le bout du sep, & d’une partie du soc auxquels elle est arrasée ; elle est arrêtée contre l’âge & la scie avec des clous. Sa forme est comprise entre les angles cotés 1, 2, 3, 4, 5, (Fig. 6.)

Le versoir est à gauche, il se termine derrière à la longueur du sep, où il y a dix pouces d’ouverture entre lui & le talon ; il se termine devant à trois pouces de la pointe du soc, en suivant le bord de l’aile, à peu près à la même distance, d’où il remonte en gorge creuse. À deux ou trois pouces de l’aile du soc, il reprend l’aplomb jusqu’à son extrémité postérieure ; il est seulement arrondi vers le haut. Par devant il fait un angle fort aigu avec la joue, jusqu’à quelques pouces près de l’âge, autour de laquelle il tourne pour se joindre à la joue ; ce qui rend l’angle moins aigu à cet endroit ; mais on y aide un peu, en écartant l’angle de l’âge dans son épaisseur.

L’angle que le versoir fait avec la joue, est recouvert avec une bande de fer mince, pliée à angle vif de deux pouces de largeur de chaque côté, arrêtée avec des clous à tête rasée, 3, 4, (Fig. 5) Pour le mieux, cet angle devroit être acéré ; mais cela deviendroit une pièce de forge qui pourroit être coûteuse : il en coûtera moins à la campagne de la faire en fer, & de la renouveler quand elle sera usée.

Lorsque la charrue est droite, le versoir doit porter de toute sa longueur sur le terrein ; on y met une bande de fer en dessous, pour empêcher que le frottement ne l’use : on peut, si l’on veut, la mettre à côté comme un sep. Le versoir a onze pouces de hauteur perpendiculaire par devant, & douze pouces par derrière.

Dans l’angle intérieur du versoir & de la joue, on passe une tringle de fer de six ou sept lignes de diamètre NN, (Figure 6) qui traverse le sep, le soc & l’âge ; elle a une tête encastrée sous le bout du sep, & à l’autre bout un écrou sur platine, serrée sur l’âge pour empêcher l’écartement de ces deux pièces, ce qui en fait la solidité. On la voit en ligne ponctuée, à la Figure 6, NN, ainsi que toutes les parties des pièces qui sont couvertes par la joue.

L’avant-train est composé de deux brancards OO, (Figure 5) de quatre pieds quatre pouces de longueur, deux pouces & demi de hauteur sur champ, & d’un pouce & demi d’épaisseur ; ils sont allongés & relevés du devant par les deux pièces PP, & soutenus par la jambette Q ; ils ont une pomette au bout pour attacher les traits. On peut encore les relever comme l’indiquent les lignes ponctuées OPQ ; on choisira des deux façons, quand on ne voudra pas les faire avec des bois courbes.

Ces brancards sont assemblés à dix-huit pouces de distance intérieurement, par une traverse au-devant, à trois ou quatre pouces de la roue ; derrière par une traverse, dont la face postérieure est à six pouces du bout : la face supérieure inclinée, faisant, avec la ligne de dessous des brancards, le même angle que l’âge avec le sep. Comme les brancards doivent toujours être parallèles à la terre quand on laboure, il n’est pas plus difficile de tracer l’inclinaison de cette traverse, que celle de l’âge.

Sur chaque bout de derrière des brancards, on assemble solidement avec des clefs & une cheville à écrou R, (Fig. 5) un tasseau marqué 5, dont on ne donne ni la figure ni les dimensions, parce qu’on peut les prendre sur les dessins. On y assemble une traverse parallèlement à celle qui est déjà en dessous à la mortoise T, & à telle distance que l’âge puisse couler librement entre deux.

À un pied en avant on met un autre tasseau V, de bois de bout, mortoisé & chevillé dans les brancards, au haut duquel on assemble une autre traverse, dont la face supérieure doit être, sur la ligne, prolongée du plan incliné de la première : ces traverses ont deux pouces & demi de largeur, sur vingt-deux lignes d’épaisseur. Il y a un pied du bord supérieur de devant de la première traverse, au bord supérieur de devant de cette dernière, qui par conséquent est à six pouces de distance perpendiculaire du dessus des brancards.

Ces traverses servent à unir l’avant-train à l’arrière-train, par le moyen des deux trempoirs VV ; celle de devant tient lieu de sellette ; la supérieure de derrière fait l’office du collet des charrues ordinaires.

Ces trois traverses sont percées, dans le milieu de leur largeur, de sept trous d’un demi-pouce, dont un précisément dans le milieu de leur longueur, les autres à droite & à gauche de celui du milieu, à des distances égales les uns des autres, pour pouvoir mettre à droite l’âge, quand on veut, ce qui est fort rare, ou à gauche, ce qui est bien plus ordinaire. Comme il faut que les trous de l’âge répondent à ceux des traverses de devant & de derrière, il faut mettre l’âge en place, la roue & le sep portant sur un terrein supposé uni, comme on le voit dans la Figure 5, on entretiendra les brancards parallèles à la terre ; dans cette situation on marquera la place d’un trou par-dessus la traverse de derrière ; un autre par-dessous celle de devant, où l’on fera un trait qu’on tournera pour l’avoir dessus : il doit y avoir un pied entre ces deux marques ; on divisera cet intervalle en six, pour avoir les trous à deux pouces l’un de l’autre : il suffira d’en faire cinq ou six au-dessus de la traverse de devant, & deux au-dessous de celle de derrière ; en mettant les trempoirs, ces deux trains n’en feront plus qu’un tout d’une pièce.

On trouvera sans doute assez singulier qu’une seule roue soit placée de côté plutôt que dans le milieu : quand on voudra elle sera au milieu, il est même à propos qu’elle y soit quelquefois, comme lorsque l’âge y est aussi : mais on se sert plus souvent de cette charrue, l’âge étant plus ou moins placée à gauche ; alors la charrue est plus solide, elle s’entretient plus aisément droite, elle est plus facile à gouverner, la roue étant à droite : il est vrai qu’il est plus difficile de la soutenir levée, lorsqu’on veut tourner ; mais un laboureur adroit, en levant le manche de la main gauche plus que celui de la droite, la met sur son aplomb, & en fait tout ce qu’il veut.

Cette roue a deux pieds de diamètre ; le moyen, les jantes, les rayons, ont les mêmes dimensions du va-vient, dont il sera parlé à l’article des semoirs, & un bandage tout-à-fait semblable. On la fait écouer pour deux raisons, 1o. parce que les charrons trouvent plus de difficulté à faire les roues droites, & les vendent plus cher ; 2o. parce que le bout du moyen à droite étant fort court, il lui reste plus de force en faisant la roue écouée : le moyeu doit avoir treize pouces de longueur, dont il y en a trois & un quart ou trois & demi, à droite du plan de la roue au petit bout.

Du côté gauche on met la flotte X, (Figure 8) sur l’essieu ; elle est de deux pièces creusées en goûtière ronde, unies ensemble par une courroie à boucle qui y est clouée pour la retenir sur l’essieu ; si l’on veut mettre la roue au milieu, on la fait couler le long de l’essieu, & on met la flotte de l’autre côté.

L’essieu passe tout au travers du moyeu ; ce n’est qu’une broche ronde sans tête, de huit ou neuf lignes de diamètre tout au plus : il a vingt pouces de long ; on fait la place de ses bouts sous les brancards, dans le petit tasseau Y, (Figure 5) qu’on a épargné en les faisant de la même épaisseur que le diamètre de l’essieu : on l’arrête dessous de la même façon qu’il sera expliqué dans le va-vient : en creusant la place de l’essieu, il faut laisser une joue en dehors de chaque brancard, pour l’empêcher de sortir.

Si l’on veut avoir un cultivateur, on fera un arrière-train semblable à celui de la charrue à versoir, dont on supprimera la joue & le versoir ; on y ajoutera le soc à deux ailes, que tout le monde connoît à présent, & les deux oreilles, sur la jonction desquelles on mettra la bande de fer pliée à vive-arrête, comme à la charrue à versoir, & le même avant-train servira.

Toutes les charrues ont cela de commun, qu’à quelque profondeur qu’elles entrent en terre, le sep doit porter de toute sa longueur dans le fond de la raie, & être par conséquent parallèle à la superficie de la terre. Il en est de même de celle-ci ; mais on doit s’appercevoir, que dans la situation où on la voit dans le dessin, elle ne pourroit faire aucun effet dans un terrein qui ne seroit point encore entamé ; il faut donc, pour l’entamer faire couler l’âge en arrière, ce qui fera descendre l’arrière-train du nombre de pouces dont on voudra que le sillon soit profond.

Ce nombre est toujours connu par celui des trous dont on recule l’âge ; car la perpendiculaire de l’angle, que l’âge fait avec le sep, est la moitié de la diagonale. De même l’intervalle qui est entre deux trous de l’âge, étant de deux pouces, on ne peut la reculer de cette distance, que tout l’arrière-train ne descende d’un pouce, ou de plus, à proportion du nombre de trous dont on la tirera en arrière.

Il n’est donc question que d’ajuster la charrue suivant l’ouvrage qu’on veut faire : ce n’est pas une nouveauté, puisqu’on en use de même avec les autres charrues.

Je suppose, par exemple, qu’on veuille commencer un labour à plat, on mettra la roue & l’âge dans le milieu du châssis ; on tirera l’âge en arrière de trois trous, qui feront six pouces, pour faire un sillon de trois pouces de profondeur : ce qui suffit, si la charrue n’est attelée que d’un cheval : si la terre est un peu dure, on fera quelques premiers traits dans la largeur de la pièce, à quelque distance l’un de l’autre, sur lesquels on passera une seconde fois, si l’on veut que les autres soient plus profonds.

Ces premiers traits étant faits on mettra la roue à droite, & l’âge à gauche, plus ou moins loin du milieu, à proportion de la dureté du terrein, & de la largeur de la bande de terre qu’on veut prendre, ce qui dépend de la profondeur dont on veut faire le labour, & de la force qu’on applique à la charrue. On comprend bien qu’un seul cheval, n’enlèvera pas une quantité de terre aussi pesante que le feroient deux chevaux.

Tout le reste du labour se fera, le cheval & la roue étant dans le fond du sillon dernier fait : mais si on laisse l’arrière-train dans la situation où il étoit pour les premiers traits, on aura une plus grande épaisseur de terre, qui augmentera toujours à chaque trait ; ce qui deviendroit bientôt impossible : il faut donc relever l’arrière-train, afin que tous les sillons soient d’une profondeur uniforme.

Si l’on veut former des planches, on en usera de même : en les commençant à la place où doit être leur sommet, on aura une enrayure entre deux planches, ou un large sillon qu’on approfondira tant qu’on voudra par la suite.

Si l’on forme des planches sur un labour à plat, le laboureur se conduira par le nombre des rayes qu’il lui faudra pour la largeur de ses planches ; ce qui lui donnera une grande facilité. Pour les avoir bien relevées, ce qui est un avantage, il convient de les faire par deux labours, en les reprenant au second par le sommet, principalement quand on les fera à la même place où étoit auparavant une plate-bande.

Pour les labours de culture, il n’y a point de difficulté ; on a toujours, pour commencer ces labours, ou le grand sillon du milieu, ou un de chaque côté le long des bords des planches : c’est au laboureur intelligent à s’arranger suivant les circonstances.

M. de la Levrie a mis cette charrue à une seule roue, à toutes sortes d’ouvrages, avec beaucoup de succès : il a fait labourer des terres qui étoient en repos depuis un an, avec deux chevaux seulement attelés l’un devant l’autre ; les sillons avoient neuf à dix pouces de profondeur. Dans une friche assez dure, qui étoit le long d’une rangée d’arbres, il a ouvert des sillons à la même profondeur, sa charrue n’étant attelée que de deux chevaux.

Section II.

Charrue à une seule roue, de M. de Châteauvieux.

Cette charrue à laquelle on peut donner autant de légéreté que la qualité du terrein peut le permettre, est composée de l’avant-train, & de l’arrière-train qui porte le coutre & le soc : elle est représentée dans la Fig. 10 de la Pl. 2, p. 73. L’avant-train comprend la roue AA, dont le diamètre ne doit jamais excéder trente-quatre pouces, ni être au-dessous de trente, à cause des inconvéniens qui en résulteroient. On a attention de la faire très-légere, quand on veut la ferrer de bandes, ou d’un cercle de fer, qui doit être très-mince.

Cette roue est placée entre les deux limons BB, dont la distance de l’un à l’autre, prise en dedans, est de dix-huit pouces, laquelle détermine la longueur du moyeu de la roue. Ces limons qui ont quatre pieds huit pouces de longueur, peuvent être réduits à quatre pieds quatre pouces, en diminuant leur longueur par le bout antérieur : on a soin d’abattre les arrêtes de ces limons : leur équarrissage est de deux pouces un quart.

Ces deux limons sont assemblés par les deux traverses CC, de deux pouces & demi de largeur, sur un pouce environ d’épaisseur ; elles sont fixées par des chevilles au limon qui est à droite : de l’autre côté il faut qu’on puisse démonter le limon, pour enfiler aux traverses, l’âge ou la flèche de la charrue ; après quoi, on met en place le limon, en faisant entrer les traverses dans les mortoises qui y sont pratiquées, & qu’on arrête avec des chevilles mobiles de fer.

On introduit la roue entre les limons ; son moyeu est percé dans son centre, d’un trou proportionné à la grosseur de l’essieu de fer, dont le diamètre est d’environ huit lignes. L’essieu ne doit point excéder les montans ou les limons en dehors, afin qu’il n’accroche point les plantes, lorsqu’on en approche pour les cultiver.

Au bout antérieur de chaque limon on pose sur la surface supérieure les deux crochets DD, où doivent être attachés les traits des chevaux : à leur bout postérieur on place deux anneaux, dont on verra l’usage dans la suite.

Les deux limons sont percés de quatre ou cinq trous, afin de pouvoir avancer ou reculer la roue, pour faire piquer plus ou moins la charrue, selon la profondeur qu’on veut donner au sillon.

L’arrière-train est composé des pièces suivantes, qui sont, la flèche ou l’âge EE, le sep F, les manches G, l’attelier H, l’oreille II, le coutre L, & le soc M. La Figure 10 représente la charrue assemblée de toutes ses pièces, vue du côté droit, afin qu’on puisse mieux juger de la position de l’oreille, qu’on n’appercevroit pas sans cela.

L’âge ou la flèche a quatre pieds huit pouces de longueur, sans y comprendre la partie qui entre dans le double manche & le traverse. Sa grosseur, à la partie la plus épaisse qui est du côté du manche, est de trois pouces un quart d’équarrissage, le reste va en diminuant un peu d’épaisseur. On a soin de pratiquer les mortoises où doivent passer les traverses, assez justes pour qu’il n’y ait point de ballottement ; il faut cependant qu’elles soient telles, que la flèche puisse glisser sur les traverses, lorsqu’on veut la placer entre les limons, ou à la gauche ou à la droite, selon qu’il est nécessaire. On peut fixer la flèche par un de ces deux moyens : 1o. avec des clefs qu’on met à la flèche & qu’on serre contre les traverses. 2o. Par deux chevilles de fer, dont une est mise à gauche dans un des trous pratiqués à la première traverse, & l’autre à droite, dans un des trous pratiqués à la seconde : par ce moyen il est impossible que la flèche change de position, lorsque la charrue est en mouvement.

On a soin dans la taille du bois, tant des limons que de la flèche, de tenir l’endroit où doivent être les mortoises, un peu plus épais que dans le reste de leur longueur, afin qu’en creusant les mortoises, le bois soit moins exposé à se fendre.

Le sep a vingt-deux ou vingt-trois pouces de longueur, sans y comprendre la partie qui entre dans le soc : sa grosseur est de trois pouces ou trois pouces & demi en quarré : son extrémité du côté du soc doit avancer de six à sept pouces par-dessous : on l’ajuste de manière que le soc porte sur ce bout du sep. Pour diminuer les frottemens que le sep est dans le cas d’éprouver au fond du sillon, il faut avoir attention de lui donner un peu de concavité en dessous, quand on le taille.

La flèche & le sep sont assemblés par l’attelier & le manche. Ce manche à deux branches, entre dans une mortoise taillée à l’extrémité postérieure du sep, assez près de son talon, où il est fixé par deux boutons ou chevilles de fer. La flèche passe dans la mortoise pratiquée au-dessous de la fourche du manche, où elle est assujettie par deux coins, dont un en dessus & l’autre en dessous. L’attelier traverse la flèche, en passant dans une mortoise qui y est pratiquée ; elle vient ensuite entrer dans une autre, qui est à la partie antérieure du sep, presque à la naissance du soc.

Pour faire le double manche, il est bon d’avoir du bois naturellement fourchu, afin qu’il soit d’une seule pièce. On dispose ce manche de façon qu’un tiers du vide qui se trouve entre les deux cornes, soit du côté gauche & les deux autres tiers du côté droit : par ce moyen on facilite la marche du laboureur dans le sillon. Quand on n’a pas de bois fourchu, on peut faire ce double manche avec deux pièces solidement assemblées, que l’on dispose comme il vient d’être dit.

L’attelier ne doit point être assemblé à angle droit avec la flèche & le sep : en lui donnant un peu d’inclinaison sur le sep, on contribue à rendre plus solide l’assemblage de l’arrière-train de la charrue. Le tenon de l’attelier qui entre dans la mortoise oblique, pratiquée sur le sep, doit avoir environ deux pouces & demi de largeur & un bon pouce d’épaisseur. La mortoise de la flèche dans laquelle il passe, doit être taillée dans le même sens oblique que celle du sep.

Le versoir ou oreille, a environ trente-un pouces de longueur, sur dix de hauteur ou de largeur. Il doit être placé de façon qu’il fasse un angle aigu à sa jonction à l’aile du soc où il aboutit. Son autre extrémité doit être un peu prolongée au-delà du talon du sep, contre lequel il doit incliner, de manière qu’en supposant le sep aussi prolongé que lui, il s’y trouve douze à treize pouces de distance, à compter de la face latérale extérieure de l’un à la face latérale extérieure de l’autre : le versoir ainsi placé, formera la largeur du sillon à chaque trait de charrue. L’extrémité du versoir, c’est-à-dire, la partie opposée au soc, doit être chantournée, ainsi qu’elle est représentée dans la Figure : il doit être un peu concave en dehors & convexe en dedans ; pour lui donner cette forme, on prend un bois de trois pouces d’épaisseur ; on l’allège en dehors pour lui donner la concavité nécessaire, & en dedans on amincit les bords afin qu’il soit convexe dans le milieu.

On arrête le versoir d’une manière solide contre le double manche, afin qu’il ne soit point déplacé par la résistance des terres : pour cet effet on pratique un trou à son extrémité, dans lequel on fait passer une forte cheville, qui va aboutir dans le trou qui est pratiqué vis-à-vis dans le double manche, ce qui le soutient puissamment. On met sous le côté du versoir qui frotte contre la terre une bande de fer, assez mince, qui le conserve, sans laquelle il seroit usé très-promptement.

Le coutre doit être de bon fer bien acéré, & ne peser au plus que six livres de dix-huit onces ; quand même il ne pèseroit que trois à quatre livres, il pourroit servir. Le manche est percé de plusieurs trous qui servent à le monter & à le descendre selon qu’il est nécessaire. Il est placé dans une mortoise pratiquée à la flèche, à peu près à un pied de l’attelier : on fait un trou rond sur le côté de la flèche qui traverse la mortoise, auquel on passe un boulon de fer à tête quarrée & perdue dans la flèche ; son autre bout est à vis pour recevoir un écrou au moyen duquel on serre fortement le coutre dans sa mortoise. On peut faire mettre à l’écrou le manche qui sert pour le tourner, & qui porte la clef avec laquelle on pose les écrous des boulons qui tiennent le soc ; de cette manière on a toujours la clef des écrous quand même on est à l’ouvrage.

L’effort continuel du coutre, quand la charrue est en action, useroit bientôt par les frottemens le bois de la flèche, contre lequel il est appuyé lorsqu’il est placé dans sa mortoise : pour prévenir cet inconvénient il est à propos de poser dans l’intérieur de la mortoise qui reçoit le coutre, en devant & derrière, deux petites pièces de fer, de deux à trois lignes d’épaisseur, & de les attacher avec des vis : outre que ces plaques de fer conservent le bois de la flèche, elles empêchent aussi le coutre de varier dans sa position. On a attention, en plaçant le coutre, que sa pointe soit d’un pouce environ, hors de l’alignement du soc.

On peut considérer le soc comme étant composé de deux parties, qui sont la pointe & la partie postérieure par laquelle il est attaché au sep : le talon ou la partie postérieure a vingt-deux pouces de longueur depuis B, jusqu’à A, (Voyez la Figure 12 de la Planche 2) où le soc est vu en son entier & séparé du corps de la charrue. Depuis A, jusqu’à la pointe, il a environ quinze pouces. La partie AC doit être de bon acier ; le reste de bon fer, qui ne soit point trop doux ni trop aigre, afin de n’être point sujet à casser ou à plier. La queue AB doit être plus épaisse depuis A, jusqu’à C, parce que c’est la partie du soc qui supporte le plus grand effort ; elle diminue ensuite d’épaisseur jusqu’en B, pour pouvoir attacher plus aisément le soc au sep.

La queue du soc est percée de deux trous ronds en F & D ; on y passe les boulons de fer EG, à tête quarrée & perdue, qui traversent le sep ; on les arrête à sa surface supérieure avec des écrous. Avant de faire ces trous à la queue du soc, il faut prendre les dimensions de manière que les boulons de fer ne traversent pas les tenons de l’attelier ni du manche, ce qui affoibliroit leur assemblage.

Quoique les frottemens que le soc éprouve dans la terre, usent moins sa pointe qui est d’un bon acier, qu’avec les autres charrues, on est obligé malgré cela, de porter le soc de temps en temps à la forge, pour rétablir la pointe : il faut alors faire attention de la battre de façon qu’elle soit toujours un peu inclinée contre la terre, afin que le soc ne touche point, de toute la longueur de sa surface, sur le terrein, pour que les frottemens soient moins considérables.

Du côté opposé au versoir on applique une planche assez mince N, (Fig. 10) qui vient joindre le versoir au-dessus du soc à l’extrémité antérieure du sep ; son autre bout appuie contre la flèche : cette planche empêche la terre de tomber entre le soc & le versoir.

L’arrière-train ainsi formé est uni à l’avant-train, en enfilant les traverses dans les mortoises pratiquées à la flèche, & qu’on fixe solidement comme il a été dit. On attèle les chevaux en faisant prendre les traits du premier aux crochets qui sont aux bouts des limons : les traits du second cheval prennent aux crochets : quand ils sont fort longs, on a soin de les soutenir dans leur milieu au collier du premier cheval : si on ajoute un troisième cheval, ses traits prendront à ceux du second.

L’oreille étant toujours du même côté de la charrue, elle renverse par conséquent la terre du même côté, qui est la droite du laboureur. Il faut donc labourer avec cette charrue, comme avec celles dont le versoir est fixé à la droite.

Pour bien labourer avec cette charrue, il ne faut point prendre une bande de terre trop large : on doit proportionner sa largeur à la qualité du terrein, & à son état actuel d’humidité ou de sécheresse. Pour ce qui est de la profondeur du sillon, on a soin de gouverner la charrue, pour le faire tel qu’on désire. Quand on veut tracer un sillon d’un pied de profondeur, il faut prendre la bande de terre peu large, afin de proportionner la résistance à la force des chevaux ; pour lors ce travail ne leur est pas plus pénible que si le sillon n’avoit que six pouces de profondeur & que la bande de terre fût plus large.

Dès qu’on a fait le premier trait de charrue, on est en état de la conduire : ainsi, pour ouvrir le premier sillon on place la roue au dernier trou de l’extrémité antérieure des limons, le soc incline contre la terre, la charrue pique profondément pour ouvrir le sillon. Si l’on veut éviter la peine de changer la roue de place, il faut, en commençant le premier sillon, pencher les manches de la charrue à droite ou à gauche ; la charrue étant penchée vers un des ces côtés, elle prendra l’entrure sans qu’on soit obligé de déplacer la roue, & le soc piquera très-bien pour ouvrir le premier sillon. En ayant ouvert trois ou quatre, en différentes places, le laboureur connoîtra parfaitement ce qu’il doit faire pour y réussir. Le premier trait de charrue étant fait, on continuera les suivans avec la plus grande facilité ; alors on tiendra la charrue droite ; si le terrein exige qu’elle soit penchée, on appuiera très-peu sur les manches pour la faire pencher ou à droite ou à gauche.

La charrue pique plus ou moins, à proportion que la roue est avancée ou reculée. En la reculant, elle pique moins ; en l’avançant, elle pique davantage. Quand on veut que le soc entre plus ou moins dans la terre, que ce que peut produire le changement de place de la roue, on y réussit de cette manière, qui est de desserrer le coin de dessus qui entre dans la mortoise pratiquée au manche pour recevoir la flèche, tandis qu’on enfonce celui qui est en dessous, la charrue piquera moins après cette opération, parce qu’on aura élevé la flèche : au contraire elle piquera davantage, si on desserre le coin qui est en dessous, & qu’on serre en même temps celui qui est en dessus.

Les deux anneaux qui sont aux bouts postérieurs des limons, sont placés pour faciliter le transport de la charrue aux champs : on a pour cet effet un petit train de transport composé d’un essieu de bois, de deux roues de vingt-un à vingt-quatre pouces de diamètre, distantes l’une de l’autre de trois pieds six pouces, & même quatre pieds si l’on veut ; elles doivent être fort légères parce que le fardeau qu’elles ont à porter est peu considérable. L’essieu porte deux pièces de bois clouées sur lui à angle droit par un de leurs bouts, à une distance égale à celle des limons assemblés ; leur autre bout est terminé par un crochet qu’on passe aux anneaux qui sont à l’extrémité postérieure des limons. Le sep de la charrue portant sur l’essieu des deux roues, on conduit aisément la charrue où l’on veut.

Section III.

Autre Charrue à une seule roue, de M. de Châteauvieux, appellée un Cultivateur.

Cette charrue ou cultivateur ne diffère de la précédente que par l’arrière-train : nous n’en donnons point de dessin, parce que celui de la première suffit pour comprendre parfaitement celle-ci. L’avant-train étant absolument le même, il n’en sera point parlé.

L’arrière-train de ce cultivateur est composé d’une flèche qui a trois pieds & demi ou quatre pieds de longueur, sur trois pouces d’équarrissage au plus ; les angles en sont abattus. On y pratique des mortoises pour pouvoir l’adapter à l’avant-train de la charrue précédente, qu’on voit représentée par la Figure 10, Planche 2, auquel elle est assujettie par des clefs ou des chevilles posées en sens contraire, ainsi qu’il a été dit.

Le double manche qui doit être plus léger que le précédent, est placé dans le milieu de la largeur de la flèche, à un pied à peu près de son extrémité postérieure ; en sorte que le vide qui est entre ses deux cornes, se trouve également partagé, & qu’il n’y en ait pas plus d’un côté de la flèche que de l’autre. Ce double manche est assemblé avec la flèche par son tenon taillé obliquement, & reçu dans la mortoise de la flèche qui est creusée de même en sens oblique. Son inclinaison sur l’extrémité postérieure de la flèche, forme avec elle un angle, plus petit d’un cinquième au moins, que dans les charrues ordinaires ; il doit être ainsi, parce que le manche étant plus élevé, le laboureur auroit de la peine à gouverner la charrue, s’il n’avoit pas plus d’inclinaison que dans les charrues ordinaires. Son assemblage avec la flèche est fortifié par une jambette placée dans un trou au bout de la flèche, d’où il va dans celui qui est au-dessous de la fourche du manche.

Le soc qu’on voit représenté par la Figure 13, Planche 2, est très-aplati en dessous à son extrémité ; ses deux ailes sont aussi aplaties ; son manche est un peu recourbé, & très-angulaire en devant, pour tenir lieu de coutre. Au bout de la courbure, le manche est continué par un autre à angle droit, de la longueur de quatre pouces & demi, à l’extrémité duquel s’élève un petit pivot d’un pouce & demi. La hauteur du soc, en y comprenant son pivot, est de neuf à dix pouces environ ; sa longueur, depuis l’angle que forme le manche avec l’aile jusqu’à sa pointe, de quinze à seize pouces.

Ce soc est placé sous la flèche, dans une entaille de la longueur du manche AA, Fig. 13, pratiquée pour cet effet : à son extrémité, du côté de l’avant-train, on y fait un trou où entre le pivot B du manche : il est fixé & arrêté à la flèche par une seule virole ou cercle de fer, qu’on empêche de glisser par de petits coins de bois qu’on met entre la virole & la flèche. Si le soc pique trop dans le terrein, on le modère par le changement de la roue, comme on fait à la charrue précédente. On peut encore mettre un petit coin entre le manche du soc & la flèche, qui dispense de changer la roue de place, quand on veut faire piquer plus ou moins la charrue. Si le soc ne pique pas autant qu’on voudroit, on met le coin entre la flèche & le manche du soc du côté de l’avant-train ; s’il pique trop, on le met du côté de l’arrière-train : par ce moyen, qui est assez simple, on est dispensé de changer la roue de place, & le soc pique exactement de la quantité qu’on désire, ce qui est toujours proportionné à la manière dont on enfonce le coin.

Pour se servir de cette charrue, il ne faut que l’adapter à l’avant-train de la précédente, en enfilant la flèche par ses mortoises dans les traverses des limons. Cette charrue est très-aisée à conduire ; le laboureur la tient droite ou penchée du côté qu’il veut, & qu’il juge nécessaire pour la culture du terrein qu’il laboure. Si l’on veut donner une culture profonde, le soc & son manche sont absolument dans la terre, & la partie postérieure de la flèche glisse sur le terrein.

Quelque petit que soit ce soc, il remue cependant la terre dans une surface d’un pied de largeur : sa pointe, qu’il faut tenir inclinée vers la terre quand on la forge, doit être d’un très-bon acier. Quoique cette charrue ne renverse point la terre, puisqu’elle retombe à la même place, après avoir été soulevée par le soc, elle la divise cependant, & l’ameublit assez bien, en l’entretenant légère & friable ; les racines des plantes qu’on cultive, peuvent donc aisément la pénétrer & s’étendre, pour trouver les sucs qui sont propres à leur végétation. Cette charrue est par conséquent comme un mineur qui fouille la terre en dessous, qui la divise, & l’ameublit en la coupant.

Cette charrue n’étant point destinée à faire les gros labours, pour préparer les terres à être ensemencées, mais seulement à donner une culture aux plantes pour disposer la terre à recevoir les influences de l’air, il suffit de l’atteler d’un seul cheval, qui aura peu de peine à la tirer.

Section IV.

Description du double Cultivateur de M. de Châteauvieux, qu’il nomme les Pattes d’oies.

Cette charrue est un cultivateur à deux socs, semblables à celui qu’on voit représenté dans la Figure 13 de la Planche 2. Nous n’en donnons point le dessin, parce que la gravure du premier cultivateur qu’on voit dans la Figure 10, Planche 2, & le soc, Figure 13, suffisent pour comprendre la construction de celui-ci, dont l’avant-train est toujours le même.

La flèche de ce double cultivateur a douze ou quinze pouces de longueur de plus que celle du cultivateur simple. Le manche des mêmes dimensions est assemblé avec la flèche, comme dans l’autre cultivateur : à un pied environ de la mortoise qui reçoit le tenon du double manche, on fait une mortoise latérale à la flèche, & une seconde distante de la première de huit ou dix pouces, pour recevoir deux traverses comme celles qui assemblent les limons. On a des morceaux de bois de vingt à vingt quatre pouces de long, & d’une épaisseur un peu moindre que celle de la flèche, auxquels on fait des mortoises qui répondent à celles de la flèche. Lorsqu’on a placé les deux traverses dans les mortoises de la flèche, on les y attache solidement, en les chevillant de manière qu’elles ne puissent point remuer en place quand la charrue est en mouvement : on enfile ensuite, de chaque côté de la flèche, les deux morceaux de bois dont il vient d’être parlé, qu’on peut regarder comme les manches des socs, ou deux petites flèches latérales : elles doivent être mobiles dans les traverses, où elles ne sont arrêtées que par des clefs ou des boulons tournans & mobiles : par ce moyen on augmente ou l’on diminue, à sa volonté, la distance d’un soc à l’autre, en avançant ou reculant ces deux morceaux de bois sur les traverses.

On fait une entaille à chaque extrémité postérieure de ces flèches latérales pour y placer le manche du soc, en observant d’y faire un trou où puisse entrer le pivot qui est au bout du manche du soc, qu’on arrête & qu’on fixe comme au cultivateur simple.

Pour se servir de ce double cultivateur, il faut l’adapter, comme le cultivateur simple, à l’avant-train à une roue, qu’on voit représenté dans la Figure 10 de la Planche 2.

Avec ce double cultivateur on fait une très-bonne culture & beaucoup d’ouvrage en très-peu de temps. Chaque soc ayant environ quinze pouces de largeur d’un bout de l’aile à l’autre ; la distance du bout intérieur d’une aile à l’autre étant de six pouces à peu près ; à chaque trait que font ces deux socs on cultive environ deux pieds de terre en largeur tout au moins, principalement quand ils sont enfoncés dans la terre jusqu’à la flèche.

On ne peut point se dispenser d’atteler deux chevaux à ce double cultivateur ; la résistance étant une fois plus grande que celle qu’éprouve le cultivateur simple, il faut donc une puissance double pour la vaincre.

On doit se ressouvenir qu’il ne faut point trop charger l’épaisseur des bois, en faisant les pièces plus fortes qu’elles ne doivent être selon les dimensions données, parce que plus cette charrue sera légère, moins les chevaux auront de la peine à la tirer.

Section V.

Charrue à une seule roue, de M. Duhamel du Monceau.

La charrue représentée par la Figure 7 de la Planche 4, est celle que M. Duhamel a fait construire, après avoir connu celle de M. Châteauvieux dont nous avons donné la description : on diroit que l’une & l’autre ont été faites presque sur le même modèle.

L’âge AA, est courbée depuis l’emplacement du coutre jusqu’à son assemblage avec le double manche : l’âge, au contraire, de la charrue de M. de Châteauvieux est droite dans toute sa longueur, ainsi qu’on l’a vu dans le dessin qui en a été donné. Cette courbure de l’âge rend l’arrière-train de la charrue de M. Duhamel extrêmement solide, puisqu’après avoir passé dans la mortoise pratiquée au double manche, il entre dans une autre qui est à la partie postérieure ou au talon du sep : de même la scie B, qui est assez large, après avoir traversé la mortoise qui est à l’âge, tout auprès de l’assemblage du double manche, vient s’unir au sep par une autre mortoise qui reçoit son tenon. Dans la charrue, au contraire, de M. de Châteauvieux, l’âge n’est point unie au sep directement ; ce n’est que par l’assemblage des manches, de la scie & de l’attelier.

Le versoir CC, est beaucoup plus léger, parce que le bois dont il est fait a beaucoup moins d’épaisseur, il n’est point contourné à son extrémité, mais il est terminé en ligne droite, comme on le voit au-dessus du talon du sep. Sa forme qu’on peut varier à son gré n’est pas d’une grande conséquence, & ne contribue point à la perfection d’une charrue qu’on n’emploie point aux premiers & principaux labours, mais seulement à cultiver des plantes. Pourvu qu’il verse assez bien la terre sur le côté, voilà le point essentiel.

Le double manche, qui doit sa forme à la taille du bois, ou à l’assemblage de deux pièces, a son extrémité également éloignée de la ligne prolongée du sep, comme en peut s’en assurer par la perpendiculaire. Les deux branches de ce manche sont soutenues à leur bout par une traverse chevillée dans sa mortoise.

Le soc CC est plus court & plus étroit que celui de la charrue de M. de Châteauvieux, parce que M. Duhamel est persuadé qu’un soc qui trace un sillon étroit, fait un meilleur labour que quand il ouvre des sillons très-larges.

Le coutre F passe dans la mortoise pratiquée à l’âge, à la naissance de la courbure : afin que les coins qu’on enfonce pour l’assujettir, ne fassent point fendre le bois, l’âge est fortifiée à cet endroit par deux cercles de fer qui l’entourent.

M. Duhamel préfère l’arrière-train de la charrue pour les terres légères, à l’arrière-train de la charrue de M. de Châteauvieux : il convient cependant que dans un terrein fort, sa charrue ne sera point d’aussi bon labour que celle de M. de Châteauvieux, qui est plus propre à bien verser la terre sur le côté.

L’arrière-train composé de la seule roue G, & des deux limons HH, est uni à l’avant-train par les deux traverses II qui enfilent l’âge, en passant dans les mortoises qui y sont pratiquées pour cet effet : des vis & des écrous la fixent aux traverses.

Les limons sont affermis en avant par la traverse L qui contribue infiniment à rendre l’avant-train plus solide. C’est un avantage que M. de Châteauvieux n’a point pu donner à sa charrue, 1o. parce que la roue est trop grande, & qu’une traverse l’auroit empêché de tourner ; 2o. parce qu’elle n’est pas toujours fixée à la même place, puisqu’il y a des circonstances où il faut l’avancer ou la reculer, pour faire piquer plus ou moins la charrue.

Quoique la roue soit plus petite, les limons sont cependant aussi élevés que ceux de la charrue de M. de Châteauvieux, parce que l’essieu ne passe point dans l’épaisseur des limons, mais il est reçu dans les chantignoles MM qui sont au-dessous : elles y sont attachées par des boulons de fer à vis & à écrou. La roue étant plus petite, il est évident que la charrue doit se tenir droite plus aisément, & qu’elle est par conséquent moins sujette à déverser : l’avant-train en est plus solide, parce qu’on peut faire les limons plus courts, & mettre une traverse d’assemblage à leur extrémité antérieure ; au lieu que quand il faut déplacer la roue, on est nécessairement obligé de supprimer la traverse, & d’avoir des limons assez longs.

Les chantignoles sont un morceau de bois taillé, selon qu’il est représenté par la Figure 8 ; il doit être de la même épaisseur que les limons, auxquels on fait des trous ronds qui répondent à ceux des chantignoles, pour y faire passer les boulons AA qui sont à vis : lorsque la chantignole est placée au-dessous du limon, & que les boulons sortent par les trous qu’on leur a fait, on les visse avec les écrous pour les tenir solidement en place. La chantignole a un trou au milieu, proportionné au diamètre de l’essieu qui doit y passer.

Pour faire piquer la charrue plus ou moins, il ne faut que visser ou dévisser les écrous des chantignoles : par exemple, quand on veut que le soc ouvre le sillon à peu de profondeur, on dévisse les écrous, & on met des cales de bois plus ou moins épaisses entre les limons & les chantignoles : de cette manière on élève l’âge, sans toucher à la roue qui a toujours la même hauteur sur le terrein ; l’élévation de l’âge entraîne celle du soc qui alors pique moins que quand il n’y a point de cale entre les limons & les chantignoles : on peut donc par ce procédé élever l’avant-train autant qu’il est nécessaire, afin que le soc ne prenne exactement que l’entrure qu’on veut lui donner. Cette manœuvre assez simple, est plus prompte que celle de changer la roue de place, en faisant passer son essieu dans d’autres trous ; ce qu’on ne peut point exécuter sans démonter l’assemblage de l’avant-train en partie, à moins que l’essieu ne fût point arrêté à ses extrémités.

M. Duhamel a encore imaginé, pour élever l’avant-train, de faux limons à charnière, qu’on voit représentés dans la Figure 9 ; on cloue à demeure ces faux limons sous ceux de l’avant-train ; comme ils portent la chantignole qui est mobile, c’est-à-dire, qu’on peut abaisser ou élever comme on veut, on élève ou on abaisse l’avant-train à son gré, en arrêtant la chantignole avec une cheville, qu’on passe dans les trous pratiqués à la pièce qui est à son extrémité.

Quand on veut donner plus ou moins d’entrure au soc, il faut faire glisser l’âge plus ou moins à droite ; ce qu’on exécute en dévissant les boulons qui la fixent à un endroit déterminé des traverses. Comme il y a plusieurs trous sur ces mêmes traverses, on l’arrête où on juge à propos. Il est certain qu’en portant l’âge à la droite, le soc prendra plus d’entrure, parce que la roue passera dans le sillon précédemment formé, ce qui produira le même effet que si on avoit abaissé l’âge.

Les chevaux sont attelés par leurs traits qu’on passe dans les crochets qui sont aux bouts antérieurs des limons.

Section VI.

Cultivateur à versoir, de M. Duhamel du Monceau.

Le cultivateur à versoir de M. Duhamel, ne diffère du cultivateur simple de M. de Châteauvieux, que par le double versoir qu’il y a ajouté. Pour concevoir cet instrument, il faut se ressouvenir de la description que nous avons donnée du cultivateur simple.

Pour faire un cultivateur à versoir, il faut avoir exactement, selon les proportions requises, l’arrière-train du cultivateur simple de M. de Châteauvieux, auquel on ajoute un versoir de chaque côté du soc, qu’il nomme la patte d’oie.

Ces deux versoirs sont construits avec des plaques de tôle, de fonte, ou de fer battu, de l’épaisseur d’une ligne, laquelle suffit pour résister à la pression de la terre : si ces versoirs étoient plus épais, ils appésantiroient trop le soc, & la charrue n’iroit point aussi bien.

Ces deux versoirs sont joints l’un à l’autre en recouvrement d’un pouce, qui forme au point de leur réunion un angle de quatre-vingt dix degrés, qui est suffisamment aigu pour tenir lieu de coutre. L’angle de ce double versoir est appuyé contre le manche du soc, de manière que les ailes viennent en arrière. Ces deux versoirs sont un peu convexes en dedans, & ils renversent la terre par leur surface concave extérieure. Pour que la terre remuée par le soc soit bien retournée, ils doivent descendre au-dessous, ou tout au moins à fleur de l’aile du soc, dont ils suivent la direction.

Ces deux versoirs sont arrêtés & soutenus en arrière, par une bride dont la courbure doit être exactement semblable à celle qu’on donne aux versoirs, sur laquelle ils sont solidement rivés ; ils sont soutenus par une autre, près du manche du soc, qui prend deux pouces au-dessous de leur ligne supérieure ; elle est également rivée, & fortifie leur assemblage. La principale destination de cette bride, est d’empêcher que les versoirs ne s’élèvent, lorsque la terre les presse fortement à leur extrémité, c’est-à-dire, au bout de leurs ailes : si cela arrivoit, leur angle de réunion seroit chassé en avant & le soc seroit dérangé. Cette seconde bride empêche que cet accident n’ait lieu, parce que si le double versoir s’élève, elle l’arrête contre le manche du soc, ou contre la flèche ; de sorte que l’angle de leur réunion, quoi qu’il arrive, ne peut pas être poussé assez en avant pour déranger l’assemblage de ces pièces.

L’éloignement des ailes des deux versoirs dépend de l’angle qu’ils forment au point de leur réunion : en donnant à cet angle quatre-vingt-dix degrés, comme il a été dit, il y aura la distance convenable d’une aile à l’autre des deux versoirs. Si l’angle étoit plus grand, le sillon resteroit trop à découvert, parce que la terre seroit renversée plus loin du soc qu’il ne conviendroit : si cet angle, au contraire, étoit plus petit, une partie de la terre retomberoit dans le sillon & le combleroit.

L’extrémité des ailes des versoirs, c’est-à-dire, la partie opposée à leur angle de réunion, doit être échancrée presqu’en portion de cercle, parce que cette forme contribue à opérer une plus grande division des terres, qui est l’objet qu’on doit se proposer dans la culture.

Ces versoirs ont à peu près quinze pouces de longueur, sur quatorze de hauteur ou de largeur, prise dans le milieu. Leur grandeur & leur courbure doivent être relatives au terrein qu’on veut cultiver : pour les terres légères, on peut leur donner un peu moins de courbure, & ne les pas faire tout-à-fait si grands que pour les terres fortes.

Le soc, avec son double versoir, est adapté à la flèche du cultivateur simple dont nous avons donné la description.

Quand on se sert du cultivateur à versoir dans les terres qui ne sont pas bien ameublies, il est bon de mettre un coutre en avant du soc : quand on a fait plusieurs labours avec cette sorte de charrue, le coutre devient inutile, parce qu’elle divise la terre assez parfaitement.

Le cultivateur à double versoir est principalement destiné pour travailler les plates-bandes qui sont entre les rangées de froment : on a attention de n’approcher des plantes que de six pouces, afin que le sillon étant fait à cette distance, les racines ne soient point découvertes ; ce qui nuiroit beaucoup aux plantes qui dessécheroient visiblement.

Section VII.

Autre Cultivateur de M. Duhamel du Monceau.

Ce cultivateur sans avant-train, ainsi que les précédens, parce qu’on l’adapte à un avant-train à une roue, tel qu’il a été décrit, est composé d’un sep absolument plat, taillé selon les proportions qu’on observe pour ceux des charrues légères. La flèche faite avec les mêmes dimensions que celles des précédens cultivateurs, s’élève, au-dessus du sep, de quatorze à quinze pouces. Elle est assemblée avec le double manche, en entrant dans la mortoise qui y est pratiquée & où elle est chevillée ; de ce premier point d’assemblage elle s’élève peu à peu pour aller porter son extrémité sur la sellette de l’avant-train d’une charrue ordinaire, ou pour être enfilée aux traverses de l’avant-train à une roue d’un cultivateur : dans cette dernière circonstance, c’est-à-dire, si elle est arrangée pour être enfilée aux traverses d’un avant-train à une seule roue, sa direction, ou son alignement est presque parallèle au sep ; elle est soutenue au-dessus du sep par l’attelier & la scie, dont les tenons qui sont à leurs extrémités, sont reçus dans les mortoises qui sont au sep & à la flèche.

Le soc, semblable à celui de la charrue à double oreille, a une douille à la partie opposée à sa pointe, dans laquelle entre celle du sep : à trois ou quatre pouces de sa pointe, le soc est percé d’un seul trou pour y attacher une pièce de fer plat d’un pouce & demi ou deux de largeur ; l’autre bout de cette pièce de fer est attaché vers le milieu de la hauteur de la scie, au côté droit. Cette pièce qu’on nomme le gendarme, tient lieu de coutre ; son assemblage forme un angle, dont elle seule fait un des côtés ; l’autre est fait en partie par le soc & par le sep. Le vide de cet angle qui reste entre le sep & le gendarme, est rempli par une pièce de bois triangulaire qui embrasse la scie à droite & à gauche, & n’excède point la largeur du sep : elle est en arrière de la scie, de deux pouces à peu près, pour qu’elle puisse embrasser la scie, & appuyer contre elle, afin d’être assemblée solidement. Cette pièce de bois est échancrée de la largeur de la scie, au côté opposé à son plus petit angle, qui est placé dans celui que forme le soc avec la pièce de fer qui est clouée près de sa pointe. Cette pièce de bois triangulaire, ainsi placée, recouvre parfaitement la douille du soc, & elle se termine en arrête au gendarme.

Le soc, depuis sa pointe jusqu’à son extrémité opposée où se trouve la douille, a treize à quatorze pouces de longueur : la distance d’un angle à l’autre de ses ailes est de huit ou neuf pouces seulement. Ce soc, quoique semblable à celui de la charrue à double oreille, est bien plus petit, puisque sa grande largeur n’est que de huit pouces à peu près ; aussi leurs destinations sont très-différentes : l’un fouille la terre pour les principaux labours ; il doit, par conséquent, ouvrir de larges sillons : l’autre, au contraire, ne doit remuer la terre que légèrement pour lui donner une simple culture, qui la dispose à recevoir les influences de l’air nécessaires à la végétation des plantes qu’on cultive.

Le double manche de ce cultivateur a les mêmes proportions que ceux dont il a été parlé ; il est uni au sep par le tenon qu’il porte à son extrémité inférieure, qui est placé & chevillé dans la mortoise qui est au talon du sep.

Ce cultivateur fouille & remue la terre sans la renverser, il peut être d’un usage utile & commode pour donner des labours de culture entre les rangées de luzerne, de trèfle & autres plantes. Si l’on veut qu’il renverse la terre, il est très-aisé d’y adapter un petit versoir qu’on peut rendre mobile.

Quand on est dans l’usage de se servir de la charrue à tourne-oreille, on ne peut se dispenser d’avoir des cultivateurs, parce qu’en retranchant l’oreille à cette sorte de charrue, on a un cultivateur tout formé.

CHAPITRE IV.

Des Charrues sans soc.

Quoique la charrue à coutres sans soc, paroisse, au premier coup d’œil, d’une qualité différente de celle des autres charrues dont il a été parlé, il est cependant vrai que la forme de sa construction doit la faire placer dans la classe des charrues de la seconde espèce : elle n’a point, il est vrai, de soc, mais les coutres dont la flèche est fournie, en tiennent lieu & en font l’office, puisqu’ils ouvrent & fendent la terre ainsi que le fait un soc ; sa flèche est portée sur un avant-train, à une ou deux roues indifféremment, de même que les charrues de la seconde espèce. Sa destination est absolument différente : les charrues ordinaires ne sont employées que pour les principaux labours où il s’agit de renverser la terre sens dessus dessous, pour la disposer à recevoir la semence, ou simplement à des travaux de culture pour faire profiter les plantes des influences de l’air : la charrue sans soc, au contraire, ne pourroit point du tout remplir ces objets, puisqu’elle fend seulement la terre sans la fouiller ni la renverser : elle n’est donc point propre pour ces différentes sortes de cultures ; mais aussi elle a un genre d’utilité qui lui est propre, qui ne peut point du tout convenir aux charrues ordinaires.

Ce genre d’utilité consiste à défricher les terres incultes, à couper les gazons d’une prairie qu’on veut renouveler, parce qu’elle est trop vieille, ou abonde en mousse qui étouffe l’herbe. Dans ces différentes circonstances la charrue ordinaire ne peut point rendre de grands services : qu’on la mette dans une terre remplie de bruyères ; quelque fort & nombreux que soit l’attelage qui la tire, à tout instant elle sera arrêtée par les racines que le soc aura bien de la peine à couper : si l’on force l’attelage à tirer malgré la résistance qu’éprouve le soc, on court risque de le faire casser & de rompre une partie des pièces qui composent l’arrière-train. Dans une prairie, elle sera moins exposée à se briser, parce qu’elle ne rencontrera pas des obstacles aussi considérables que dans une terre en friche ; mais sa marche sera bien plus lente, & le soc soulèvera difficilement les larges gazons ; il ne fera exactement que sillonner, en renversant un gazon sur le côté qui ne sera coupé qu’en longueur & non point en largeur. Si les racines des plantes forment un gazon extrêmement serré, il opposera une résistance assez grande au soc, pour qu’il y ait du danger qu’il casse si l’on force l’attelage à tirer.

La difficulté de défricher avec la charrue ordinaire, quelque forte & bien construite qu’elle soit, a été connue de tout-temps : outre les risques qu’on court de la briser, il est certain qu’elle ne peut point faire ce genre de culture avec avantage, parce que le soc ne peut point fouiller ni renverser une terre en friche, comme il fouille & renverse une terre qui est en bonne culture, & dans laquelle il ne rencontre que des obstacles qui proviennent de la ténacité du terrein, ou de sa dureté lorsqu’il a éprouvé une trop grande sécheresse. Aussi faut-il convenir que les bons agriculteurs, persuadés de la difficulté de défricher des terres incultes, & de renouveler des prairies avec la charrue ordinaire, avoient recours à la bêche pour ces sortes de cultures. La bêche est sans doute préférable à tout autre instrument pour défricher ; aucune charrue, quelque parfaite qu’elle soit, ne peut la remplacer avec tous ses avantages ; mais il faut avouer que si elle fait l’ouvrage assez parfaitement, il faut aussi y employer beaucoup plus de temps qu’avec la charrue à coutres. Cet inconvénient qui, dans la pratique, exige qu’on y fasse attention, parce qu’il n’est pas toujours aisé de se procurer autant de bras qu’il seroit nécessaire pour exploiter de vastes prairies, ou de grandes terres en friche, est cause qu’on a imaginé la charrue à coutres sans soc, qui supplée en partie à la bêche, mais qui demande moins de bras, & fait beaucoup plus d’ouvrage en très-peu de temps. Lorsqu’on a une assez grande étendue de terrein à défricher, on ne peut guère se dispenser d’employer, pour cette opération, la charrue à coutres, autrement l’ouvrage traîneroit en longueur. Au contraire, quand on n’a qu’une très-petite étendue à défricher, il vaut beaucoup mieux se servir de la bêche, parce qu’il n’est pas difficile de se procurer des ouvriers quand on a peu de travail à faire : d’ailleurs l’ouvrage est toujours mieux fait.

Section première.

Charrue à coutres sans soc, inventée par M. de Châteauvieux.

Nous ne donnons que la description de l’arrière-train de la charrue à coutres sans soc, parce qu’on y adapte l’avant-train des autres charrues. La Figure 10 de la Planche 4, représente l’arrière-train de la charrue à coutres, tel qu’il est disposé pour être joint à l’avant-train de la charrue à une seule roue, que M. de Châteauvieux a imaginée, & dont nous avons donné la description. Quand on veut faire porter la flèche sur un avant-train à deux roues, il est inutile de pratiquer des mortoises à son extrémité ; pour lors on la fait selon les dimensions que doivent avoir celles destinées pour les charrues dont l’avant-train a deux roues, qui sont un peu plus longues, & plus minces au bout qui porte sur la sellette. Étant portée sur un avant-train à deux roues, la charrue sera beaucoup plus solide, & les obstacles qu’elle rencontrera dans sa marche, ne la feront point tourner si facilement, comme il peut arriver avec un avant-train à une seule roue, sur-tout quand on tourne, ou qu’on veut faire prendre l’entrure aux coutres.

L’arrière-train de cette charrue, (Fig. 10) est composé de la flèche AB, du double manche CD, dont le tenon, qui est à son bout inférieur, entre dans une mortoise pratiquée à l’extrémité de la flèche, pour le recevoir. Outre que le tenon du manche est chevillé dans la flèche, il est encore soutenu par la petite jambette E, qui le traverse, & va entrer dans un trou qu’on fait à la flèche pour cet effet. Il est essentiel que cet assemblage soit très-solide, à cause des secousses continuelles qu’éprouve le manche, quand il est empoigné fortement par le conducteur, & que la charrue rencontre quelque grand obstacle.

Les trois coutres ne pouvant point être placés à la flèche, à la distance les uns des autres, à laquelle il est nécessaire qu’ils soient, parce qu’elle est trop étroite ; on est obligé d’y ajouter de chaque côté les deux pièces de bois FF, qu’on y attache solidement par des boulons à vis, qu’on voit en GG ; on peut en mettre un troisième au milieu, si l’on craint que les deux qui sont de chaque côté ne suffisent pas. Ces deux pièces de bois & la flèche sont percées d’autant de mortoises qu’on veut y placer de coutres : on a soin, en faisant les mortoises, de les tenir très-justes à la mesure des coutres qui doivent y être placés, afin qu’il soit fort aisé de les assujettir.

Pour couper les gazons par bandes égales, on espace les coutres à telle distance que leurs pointes soient écartées parallèlement les unes des autres de trois pouces, ou trois pouces & demi ; ce qui donnera la largeur des bandes du gazon coupé par les coutres.

On n’a mis que trois coutres dans le dessin de l’arrière-train de la charrue sans soc, afin d’éviter la confusion de plusieurs pièces dans une gravure, qui souvent est cause qu’on ne la comprend point : cependant si l’on fait construire une charrue sur ce modèle, il est à propos d’y mettre cinq coutres, pour expédier plus promptement la culture qu’on se propose : pour lors on conçoit qu’il est nécessaire que les pièces de bois ajoutées de chaque côté de la flèche, soient plus larges, afin que les cinq coutres puissent y être placés à la distance les uns des autres, qui est désignée. Les trois coutres qu’on voit placés dans la Figure, sont absolument semblables ; quand on en ajoute deux, ils doivent aussi être pareils aux autres : leur lame qu’on doit tenir fort mince, sera d’une étoffe d’acier bien corroyée.

Pour élever & abaisser les coutres selon qu’on le juge à propos, ou qu’il est nécessaire pour la culture, on perce leurs manches de plusieurs trous, auxquels on passe un boulon de fer en dessus & en dessous de la flèche, qui les arrête à la hauteur qu’on désire, sans qu’ils puissent s’élever ou s’abaisser plus qu’il ne convient ; ce qui ne manqueroit pas d’arriver sans cette précaution, parce que la pression de la terre les porteroit à remonter dans leurs mortoises. Il faut aussi observer qu’ils soient tous d’une longueur égale au-dessus de la flèche, afin qu’ils coupent la terre à une égale profondeur.

M. de Châteauvieux, faisant porter la flèche de cette charrue à coutres sur l’avant-train de sa charrue à une seule roue, a fait pratiquer deux mortoises à l’extrémité de la flèche qu’on voit en HH, qui servent à l’enfiler aux traverses de l’avant-train. On l’arrête comme l’arrière-train de la charrue ordinaire.

Section II.

Charrue à coutres pour défricher, inventée par M. de la Levrie.

M. de la Levrie ne jugeant pas que la charrue à coutres sans soc, de M. de Châteauvieux, fût propre à couper & à arracher les racines des bruyères des terres en friche, en fit construire une selon le modèle qu’il avoit imaginé lui-même. La Figure 11 montre l’arrière-train de cette charrue assemblé de toutes ses pièces. La Figure 12 représente la table qui supporte tout l’attirail de l’arrière-train ; la Figure 13 fait voir le double manche soutenu & assemblé par deux traverses. La position de la flèche, telle qu’on la voit dans la Figure 11 indique que l’avant-train de cette charrue est le même que celui de la charrue à une seule roue, de M. de la Levrie, dont nous avons donné la description : il ne seroit pas difficile de la faire supporter par un avant-train à deux roues ; il faudroit seulement avoir attention, en l’assemblant dans sa mortoise, de faire en sorte que son extrémité antérieure fût moins élevée, afin qu’elle pût porter sur la sellette d’un avant-train à deux roues, de façon qu’on pût l’élever & l’abaisser à volonté.

La table qui supporte l’attirail de l’arrière-train, n’est disposée que pour recevoir trois coutres : la flèche, au contraire, de la charrue de M. de Châteauvieux, par le moyen des deux pièces de bois qu’on met de chaque côté, de la grandeur qu’on juge convenable, peut en porter jusqu’à cinq. Les coutres qu’on voit dans la Figure 11 sont beaucoup plus forts que ceux des charrues ordinaires, & même que ceux de la charrue de M. de Châteauvieux. L’extrémité qui entre dans les mortoises de la table, est forgée en forme de tenon, de sorte que le coutre ne peut point remonter. Ce tenon est percé pour recevoir un boulon qui, en le fixant sur la table, l’empêche en même temps de descendre. Il n’est donc point possible d’élever & d’abaisser les coutres pour leur donner plus ou moins d’entrure ; cette manœuvre dépend de la flèche qu’on élève ou qu’on abaisse sur l’avant-train, selon qu’on le juge à propos.

La forme selon laquelle M. de la Levrie a fait forger les coutres de sa charrue, lui a paru plus propre que tout autre à remplir son objet, qui étoit de bien couper les racines qui se trouvent dans une terre en friche : ils doivent en effet éprouver moins de résistance en coupant des racines, que s’ils avoient la forme d’une lame de couteau, comme l’ont les coutres ordinaires, parce que la racine est coupée en glissant sur le tranchant du coutre.

Dans les Figures 11 & 12, AA est la table qui supporte toutes les pièces qui composent l’arrière-train de la charrue pour défricher : BBB (Figure 12.) sont les mortoises où passent les tenons des coutres HH, (Fig. 11.) CC sont les deux mortoises qui reçoivent le double manche qu’on voit dans la Figure 13. D est une grande mortoise dans laquelle on fait passer le bout de la flèche II (Figure 11.) EE sont des trous ronds dans lesquels on met les boulons NN. (Figure 11) pour assujettir la flèche solidement sur la table qui supporte tout l’attirail. FF sont deux autres trous qui reçoivent les étriers qui soutiennent les manches, & fortifient leur assemblage avec la table.

Avec cette charrue à trois coutres que M. de Villefavin fit construire sur le modèle qu’il avoit reçu de M. de la Levrie, il assure que l’ayant attelée de six paires de bœufs il est parvenu à défricher une terre remplie de bruyères, dont les racines étoient très-grosses, & qu’après ce premier labour on avoit donné aisément les autres avec les charrues ordinaires.

Section III.

Des différens usages auxquels sont employées les charrues à coutres sans soc, & de la manière de s’en servir.

La charrue à coutres sans soc, est un instrument tout nouveau, dont l’agriculture ne fait usage que pour préparer les terres à la culture qu’on fait avec les charrues ordinaires. Elle est employée 1o. à défricher les terres qu’on veut mettre en état de culture. 2o. À couper les gazons des prairies qu’on veut renouveler. 3o. À donner une culture aux prés, afin de détruire la mousse en partie, & de faciliter le passage des engrais jusqu’aux racines des plantes.

Quand on se sert de la charrue à coutres pour une terre en friche, on ne doit point s’en tenir à un premier labour, parce qu’il peut rester dans la distance d’un coutre à l’autre des racines qui ne soient point coupées, surtout si leur direction est parallèle à celle que suivent les coutres : il faut dans un second labour, fait avec la même charrue, croiser les raies qu’on a faites au premier : de cette manière il sera difficile qu’il y ait quelques racines qui ne soient point coupées par les coutres. Après cette double opération, qui est nécessaire dans un terrein rempli de bruyères, on ramasse toutes les plantes & les racines que les coutres ont ramenées à la surface ; ensuite on donne un troisième labour avec la charrue ordinaire. La terre étant bien divisée & coupée dans tous les sens, il est très-aisé de la renverser sens dessus dessous avec la charrue ordinaire, qui exécutera ce labour avec autant de facilité & de succès que dans un terrein qui est en bon état de culture, puisqu’elle ne rencontrera aucun des obstacles qui auroient rendu son travail infructueux.

Si l’on veut mettre une prairie en terre labourable, la charrue à coutres est très-utile pour cet effet, parce que tous les traits qu’elle fait sont parallèles les uns aux autres : on réduit donc, par cette opération, toute la surface du terrein en bandes de gazons de trois pouces de largeur, qui est la distance d’un coutre à l’autre. Le gazon est entièrement coupé dans toute sa longueur, parce que les coutres entrent dans la terre à cinq ou six pouces de profondeur, ce qui suffit pour la diviser absolument. Cette culture, qui n’exige que deux chevaux d’attelage, parce que la charrue ne fait que couper la terre sans la soulever, est faite assez promptement, puisque chaque trait de charrue divise en bandes, au moins quinze pouces de terrein. Quoiqu’une prairie oppose de moindres obstacles à la charrue, qu’une terre en friche remplie de bruyères, il ne seroit cependant pas à propos de donner un second labour avec la charrue ordinaire, en croisant les premières raies, parce que les coutres ont coupé, il est vrai, le gazon, mais seulement en longueur, de sorte que la charrue ordinaire qui viendroit croiser ces premiers traits, éprouveroit encore beaucoup de résistance pour entrer & soulever le gazon. Il est donc à propos de croiser les premiers traits par d’autres qui soient faits avec la charrue à coutres. Après avoir coupé le gazon dans sa longueur & largeur, la charrue ordinaire soulève aisément & renverse sens dessus dessous, un gazon divisé en petites mottes. Pour bien diviser la terre, on a soin au troisième labour qu’on fait avec la charrue ordinaire, de ne prendre que six pouces de largeur à chaque sillon ; de cette manière toute la prairie sera réduite en très-petites pièces de gazon.

Lorsqu’on fait ces défrichemens avant l’hiver, qui est le temps le plus propre pour cette sorte de culture, toutes les pièces de gazon, humectées par la pluie ou la neige, & frappées ensuite par la gelée, sont bien divisées, & presque réduites en poussière après l’hiver : après cette saison, on peut travailler ces terres avec la charrue ordinaire, comme celles qui sont dans le meilleur état de culture.

La charrue à coutres sans soc est préférable, pour défricher les terres incultes, ou les prairies, à celle de M. Tull, dont nous avons donné la description : 1o. parce qu’elle est infiniment plus légère, & qu’il faut par conséquent moins de chevaux pour la tirer ; 2o. parce que les coutres ne sont point disposés de manière à couper le gazon à six pouces de profondeur, comme le font ceux de la charrue à coutres sans soc. Celle de M. Tull peut à peine labourer des terres moins fortes que des prairies.

La charrue à coutres sans soc n’est pas destinée uniquement à défricher les terres qu’on veut rendre labourables & mettre en état de culture ; elle est encore très-utile pour bonifier les prairies, pour rétablir celles qui sont en mauvais état, ou étouffées par une trop grande quantité de mousse. Les fumiers qu’on répand sur les prairies, ne sont pas d’un grand secours pour multiplier les fourrages ; ils font croître l’herbe en plus grande abondance, à moins que ce soit de la cendre ou du fumier de colombier : les autres, principalement quand ils sont mal divisés, étouffent les plantes : les parties humides, qui seules peuvent contribuer à la végétation quand elles parviennent aux racines des plantes, s’évaporent, parce qu’elles ne peuvent point entrer dans la terre, étant retenues à la surface par les gazons.

Pour ne point rendre ces engrais inutiles aux prairies, & empêcher même qu’ils ne leur soient nuisibles en étouffant le gazon par un trop long séjour, on ouvre, avec la charrue à coutres sans soc, toute leur surface, qu’on fend en bandes de trois pouces. On fait cette opération dans les mois de Novembre ou Décembre, & après on transporte les fumiers qu’on étend avec soin par-tout, en observant de ne point laisser de ces petits tas qui étouffent l’herbe. Il résulte de cette opération trois effets très-avantageux à la végétation des plantes. 1o. Le passage des coutres, qui coupent toute la surface d’une prairie en bandes, détachent & arrachent en même temps beaucoup de mousse, dont les anciens prés sont ordinairement très-fournis ; 2o. les coutres en entrant dans la terre à cinq ou six pouces de profondeur, coupent nécessairement beaucoup de racines, ce qui leur en fait produire de nouvelles qui poussent avec plus de vigueur que les anciennes ; 3o. la partie humide des fumiers trouve des ouvertures pour s’insinuer dans la terre, & aller porter aux plantes des sucs qui rendent leur végétation plus abondante. Il n’y a plus d’évaporation à craindre, parce que l’eau de la pluie ou de la neige qui délave le fumier, ne reste plus sur le gazon, mais elle entre dans la terre par les fentes qu’on y a faites en passant la charrue à coutres sans soc.

QUATRIÈME PARTIE.

De l’attelage des Charrues ; manière de les conduire et d’exécuter les différens labours pour lesquels on les emploie, &c. &c.

CHAPITRE PREMIER.

Quels sont les animaux qu’on emploie le plus ordinairement à l’attelage des Charrues ? Quels sont ceux qui peuvent être plus utiles, & quelle est la meilleure manière de les atteler ?

L’attelage des charrues, selon les différentes coutumes locales, est composé, assez ordinairement, de chevaux ou de bœufs, ou de mulets. Dans les pays où la terre est sablonneuse, friable, une charrue très-légère n’est souvent tirée que par deux ânes. Cette sorte d’attelage est fort commune dans la Calabre & la Sicile ; mais il faut convenir que les ânes y sont aussi forts que nos bons mulets d’une taille moyenne : d’ailleurs le terrein est si fertile dans ces contrées, qu’il a besoin de peu de culture pour produire d’abondantes récoltes.

Dans plusieurs endroits de la Campagne de Rome, la plus grande partie des terres est labourée par des buffles : quand on parvient à les dompter & à les accoutumer au joug, il n’y a pas d’attelage dont on puisse retirer autant de service pour donner une bonne culture aux terres : un travail pénible & difficile ne les rebute point ; jamais ils ne refusent de tirer, à moins que les obstacles qu’ils ont à surmonter ne soient au-dessus de leurs forces. On les conduit avec des rênes attachées à un anneau qui pince la séparation de leurs narines. C’est aussi de cette manière qu’on conduit les bœufs, soit à l’attelage, soit au tirage des charrettes.

Anciennement on n’employoit point les chevaux à la culture des terres ; on faisoit tous les labours & tous les travaux relatifs à l’agriculture, avec des bœufs. Cette méthode est encore en usage dans une grande partie de l’Italie ; mais dans nos provinces, il y en a où il seroit difficile de trouver un ou deux attelages de bœufs. Les chevaux & les mulets font l’ouvrage plus promptement ; c’est, sans doute, ce qui les a fait préférer pour les travaux de la campagne : le bœuf, au contraire, dont la marche est plus lente, n’expédie pas aussi vîte le travail qu’on lui impose ; mais aussi son labour est plus uniforme, & cet avantage dédommage bien du temps qu’il emploie de plus : la lenteur de sa marche permet au laboureur de guider sa charrue comme il veut, sans beaucoup se fatiguer ; de sorte que le soc fouille la terre à la profondeur qu’il désire, sans qu’il soit obligé d’être continuellement attentif à examiner si la raie est droite, ou si elle est continuée à la même profondeur, comme il doit y faire attention lorsque la charrue est tirée par des chevaux ou des mulets, parce que la vîtesse de leur marche, souvent peu mesurée, donne des secousses à l’arrière-train de la charrue, qui dérangent la direction du soc, en le faisant aller de côté, ou en le soulevant, ce qui diminue son entrure.

Dans les terreins forts, difficiles, inégaux, un attelage de bœufs est préférable à un attelage de chevaux, parce que le bœuf est plus propre à résister à un travail pénible, que le cheval qui seroit bien plutôt fatigué. L’espèce de culture qu’exigent ces sortes de terres, est plus aisée à faire avec des bœufs, parce que, à nombre égal, outre qu’ils sont plus forts au tirage que les chevaux, ils sont plus patients dans le travail, quelque pénible qu’il soit : d’ailleurs la lenteur de leur marche rend le conducteur absolument maître de gouverner sa charrue d’une manière propre à faire un labour uniforme ; il ouvre des sillons à la profondeur qu’il désire, en leur donnant une largeur proportionnée. Les chevaux, beaucoup plutôt fatigués, ne tirent plus que par secousses ; le conducteur doit donc avoir de la peine à gouverner sa charrue de façon que le soc ait toujours autant d’entrure dans la même direction, pour que le labour soit égal. Quand une terre est bien friable, & que les résistances qu’elle oppose sont uniformes à peu près, le cheval tire assez bien sans se dégoûter ; mais s’il est dans une terre argileuse, pour peu qu’elle soit glissante, ses pas ne sont point assurés ; il ne tire plus alors qu’avec négligence & par secousses. Il en est de même des mulets, qu’on ne gouverne pas toujours comme on désire, sur-tout quand on en rencontre de vicieux & rétifs, comme il arrive quelquefois. Dans les pays de coteaux ou de montagnes, la difficulté de cultiver les terres, ne rend point les chevaux fort propres à être mis au tirage des charrues ; ils ne résisteroient pas long-temps à un genre de travail qui épuiseroit leurs forces, & les mettroit dans peu hors de service. Les mulets supporteroient mieux la fatigue qu’ils auroient à tirer dans de tels pays, & ils ne seroient pas sitôt hors d’état de servir. Cependant on préfère encore les bœufs avec raison, parce qu’ils rendent la culture plus aisée, & qu’ils résistent plus long-temps aux différens travaux qu’on exige d’eux.

Les accidens qu’il y a à craindre pour les animaux qu’on emploie à la culture des terres ; la plus grande ou moindre facilité de les nourrir ; le parti qu’on peut en tirer lorsqu’ils sont hors de service ; toutes ces considérations doivent influer dans le choix qu’on veut faire, parce qu’elles peuvent diminuer les frais d’agriculture. L’attelage de deux ânes est, sans contredit, le moins dispendieux qu’on puisse choisir ; celui dont l’entretien & la nourriture soient moins à charge au cultivateur, & pour lequel il y ait peu d’accidens à craindre ; mais on ne peut point s’en servir pour exploiter indifféremment toutes sortes de terreins : il n’est guère possible de les employer que dans les terres sablonneuses ; par-tout ailleurs ils ne feroient qu’effleurer la superficie de la terre : nous n’avons pas cette bonne espèce qui laboure une partie des terres de la Calabre & de la Sicile, & qui rend les mêmes services à l’agriculture, que peuvent rendre les mulets d’une taille moyenne que nous employons au labourage. Nous ne pouvons donc point les compter parmi les animaux dont nous avons le choix pour l’attelage des charrues.

Un attelage de bœufs est plus avantageux pour un agriculteur, qu’un attelage de chevaux ou de mulets. 1o. Les bœufs ne sont point aussi sujets à être malades que les chevaux & les mulets, qu’une journée un peu forcée peut mettre hors de service pour le lendemain ; 2o. leur entretien est moins onéreux au laboureur, qui ne les nourrit la plupart du temps qu’avec la mêlée faite avec de la paille & du foin, encore souvent n’est-ce que le second, dans les pays où l’on fauche les prairies plusieurs fois : rarement il est nourri avec du foin sans être mêlé, à moins que ce ne soit dans des temps où il a beaucoup de peine. Les chevaux & les mulets ne se trouveroient pas bien d’une nourriture aussi simple ; outre qu’ils veulent du bon fourrage, de temps en temps il faut leur donner de l’avoine ou de l’orge ; 3o. quand le bœuf n’est plus en état de servir, on peut l’engraisser dans une ferme, & le vendre ensuite presque pour le même prix qu’on l’a acheté : le cheval & le mulet, au contraire, dès qu’ils sont incapables de nous rendre service, on ne peut plus en tirer aucun parti. Les fermiers qui entendent bien leurs intérêts à cet égard, ont soin de changer leurs attelages en chevaux ou en mulets, tous les trois ou quatre ans, afin de prévenir la perte entière du prix qu’ils auroient coûté, s’ils les gardoient tant qu’ils peuvent encore servir au labourage.

La manière d’atteler les bêtes de tirage à la charrue, n’est point la même par-tout ; on se règle à cet égard sur la pratique locale, sans considérer si elle est bonne ou mauvaise. Dans certains pays on attèle les chevaux, les mulets, à la file les uns des autres ; dans d’autres on les attèle deux à deux : quand on n’a que trois bêtes de tirage, si elles ne sont point à la file, on en met deux de front, la troisième est en flèche devant les deux autres qui sont au timon.

Assez communément les bœufs sont attelés deux à deux, parce qu’on les fait tirer par la tête ; alors l’âge repose sur le joug qui est attaché à leurs cornes au-dessus de leur tête. Dans quelques endroits on les fait tirer l’un devant l’autre ; le joug étant alors inutile, on passe un collier à leur col auquel on attache les traits du timon ou du palonnier. Quoiqu’on les fasse tirer deux à deux, on ne les met pas toujours pour cela sous le joug : en Italie, on les fait presque tous tirer à la manière des chevaux, c’est-à-dire, par les épaules de devant, en leur mettant un collier pour attacher les traits.

Dans la manière d’atteler les bêtes de tirage aux charrues, il faut les disposer de façon qu’elles tirent toutes également autant qu’il est possible. Quand l’effort qu’il faut faire est bien partagé, il est moindre pour chaque bête ; au contraire s’il tombe plus sur l’une que sur l’autre, celle qui a plus de peine, fatigue par conséquent davantage, & elle n’est point capable de soutenir le travail aussi long-temps. En attelant les bêtes de tirage deux à deux, il faut nécessairement qu’elles tirent avec égalité & en même temps, si elles sont de la même force ; quand même il y en a une plus foible, elle tire autant qu’elle peut, & plus que si elle étoit en avant, parce qu’elle est forcée de suivre sa compagne. Quand elles sont, au contraire, à la queue les unes des autres ; celle qui est au timon fait toujours un plus grand effort, elle fatigue continuellement, tandis que les autres tirent avec négligence, & ne donnent quelques coups de collier que de temps en temps, quand elles sont excitées par le fouet de celui qui les conduit.

Quand l’attelage d’une charrue est de quatre chevaux, par exemple, il faut avoir soin de mettre au timon, dans l’après-dîner, ceux qui ont été devant dans la matinée : de cette manière la peine sera partagée également, & ils ne fatigueront pas plus les uns que les autres. Pour pouvoir faire cela, il est nécessaire, quand on commence à les mettre au tirage, de les accoutumer à être tantôt au timon & tantôt devant, afin qu’ils ne prennent point de fantaisies en contractant l’habitude d’être toujours attelés de la même manière. Cette précaution est sur-tout essentielle pour les mulets, dont l’humeur rétive ne se prête pas toujours à ce qu’on exige d’eux. Si dans un attelage de quatre chevaux, il y en a deux qui soient jeunes & pleins de vigueur ; afin de les dompter un peu on doit les mettre dans la première demi-journée au timon : si on les atteloit devant quand ils sont tout frais & bien reposés, pour peu qu’ils fussent excités, ils se livreroient à leur ardeur & ceux du timon auroient bien de la peine à les retenir : le labour ne seroit point égal, parce que le conducteur gouverneroit difficilement sa charrue.

Quand les bêtes d’attelage sont bien exercées au tirage de la charrue, un laboureur en conduit aisément quatre attelées deux à deux : les deux premières, averties par un coup de fouet, avancent & tournent sans peine quand elles sont arrivées au bout de la raie. Si elles ne sont pas bien exercées, on ne peut point se dispenser de mettre deux hommes pour conduire une charrue, dont l’un doit tenir les manches pour la gouverner, & l’autre marcher à côté des deux premières, pour les exciter & les faire tourner à propos.

Dans un attelage nombreux, toutes les bêtes ne sont pas également exercées à tirer la charrue ; il y en a qui sont fort jeunes & qui ont beaucoup de vivacité ; il seroit dangereux par cette raison de les atteler toutes seules. C’est une attention qu’il faut avoir, de ne point composer l’attelage d’une charrue avec des bêtes trop jeunes : sans être trop excitées elles se laisseroient entraîner à une ardeur fougueuse qu’on auroit de la peine à modérer ; il seroit alors difficile de gouverner la charrue comme il faut : le labour seroit inégal, étant fait avec trop de précipitation. Quand on veut exercer de jeunes chevaux ou de jeunes mulets ou de jeunes bœufs, au labourage, on les attele avec d’autres qui sont bien accoutumés à tirer la charrue : ceux-ci qui sont faits au tirage, modèrent, par leur marche réglée, la trop grande vivacité des autres, qu’il seroit difficile de retenir s’ils étoient attelés avec d’autres de la même humeur.

Il y a plus d’avantage à faire tirer les bêtes d’attelage deux à deux, que de les faire tirer à la queue les unes des autres, non-seulement pour mettre à profit tout l’effort qu’elles peuvent faire, relativement à la résistance qu’il faut vaincre, mais encore par rapport au conducteur, & à la perfection du labour. 1o. Quand les chevaux tirent deux à deux, le conducteur fatigue moins à gouverner sa charrue, parce que l’attelage tirant également, il n’y a pas de ces secousses qui dérangent la direction du soc, & diminuent ou augmentent l’entrure. 2o. Quand l’attelage est bien exercé, un seul charretier peut conduire quatre bêtes attelées deux à deux : étant toutes sous sa main, le moindre signe les fait avancer & tourner quand il faut : il n’a pas besoin d’un second qui marche à côté des premières bêtes pour les exciter & les faire tourner ; ce qui est absolument nécessaire quand elles sont à la queue les unes des autres, les premières se trouvant trop éloignées de celui qui gouverne la charrue. 3o. La culture est plus uniforme, toutes les raies sont également larges & profondes, parce que l’entrure du soc continue à être uniforme à cause de l’égalité du tirage.

Quand on attèle plusieurs bêtes à la queue les unes des autres ; outre qu’il faut employer deux hommes à chaque charrue, ce qui est un objet de dépense ; il est plus difficile de les faire tourner quand on est arrivé au bout de la raie : il est rare que les terres limitrophes de celle qu’on laboure, ne soient endommagées, si elles sont ensemencées, par les pieds des chevaux, qu’on ne peut se dispenser d’y faire passer quand l’attelage est trop long : d’ailleurs, l’effort qu’il faut faire pour vaincre la résistance qu’oppose la pression de la terre à la charrue, est toujours peu supporté par les premières bêtes du tirage ; celle qui est au timon a presque le double de peine, en raison de la négligence des autres. Cette manière d’atteler les chevaux à la suite les uns des autres, ne convient que dans la culture des terres qu’on est obligé de labourer quand elles sont bien détrempées par la pluie ; dans cette circonstance la terre est moins pétrie & battue quand l’attelage est en file. Si l’on veut cultiver la terre qui est entre des rangées de plantes, afin d’en approcher davantage on met les bêtes de tirage à la queue les unes des autres ; c’est assez l’usage dans les pays où la vigne est en treillage, séparée par des bandes de terre ; sans cette méthode on n’approcheroit point assez de la vigne pour remuer la terre autour des seps.

CHAPITRE II.

De la manière de conduire la Charrue pour labourer les terres.

L’égalité du labour, la profondeur du sillon, le renversement de la terre sens dessus dessous, dépendent de la manière de conduire & de gouverner la charrue. On fait un labour égal, lorsque toutes les raies que trace le soc, sont parallèles & qu’elles ont la même profondeur. Quand la terre est bien remuée, que la superficie est renversée parfaitement, le labour a ce degré de perfection qu’exige l’agriculture.

Le laboureur doit connoître l’espèce de charrue dont il se sert, & la qualité des terres qu’il cultive. Cette connoissance est nécessaire pour gouverner la charrue, de façon à donner à un terrein la culture qui lui convient. Avant d’entamer une pièce de terre, il arrange sa charrue, comme elle doit être pour prendre une entrure convenable à la qualité du terrein qu’il veut labourer : pour cet effet, il place l’âge sur l’avant-train à la hauteur où il faut qu’elle soit pour donner au soc l’entrure qu’on désire : c’est-à-dire, que s’il veut que son labour soit profond, l’âge doit être peu avancée sur l’avant-train, parce que l’ouverture de l’angle que forme l’âge avec la superficie du terrein étant plus petite, le soc prend plus d’entrure ou s’enfonce plus avant. Au contraire, s’il ne veut faire qu’un labour peu profond, il avance l’âge sur l’avant-train ; l’angle étant plus ouvert, le soc ne fouille point la terre à autant de profondeur que quand il l’est moins, parce que en élevant l’âge, on élève aussi le soc. À mesure qu’on trace la première raie, on s’apperçoit si on a trop élevé l’âge, ou pas assez. Lorsque la charrue n’a point d’avant-train, on élève ou on abaisse l’âge en enfonçant dans la mortoise où entre son tenon, les coins qui l’assujettissent : pour l’élever on donne quelques coups de maillet sur le coin qui est en dessous, laissant celui de dessus sans être serré ; pour l’abaisser au contraire, on frappe celui de dessus pour l’enfoncer assez avant afin de ramener l’âge en bas.

Cette disposition étant faite, le laboureur entame sa pièce de terre, & commence la première raie en soulevant & appuyant en même temps sur les manches, de manière que l’effort qu’il fait soit dirigé en avant, afin de forcer le soc à piquer. Dès qu’il est entré, à mesure que la charrue avance, il juge s’il fouille la terre à la profondeur qu’il veut ; s’il n’est point entré assez avant, il arrête sa charrue pour lui faire prendre plus d’entrure, en reculant l’âge de dessus l’avant-train ; de même qu’il l’avance, si l’entrure est trop forte. Lorsque la charrue pique de la quantité qu’il désire, il cesse d’appuyer ; il s’occupe alors à diriger le soc en droite ligne, en tenant toujours le manche de la charrue, afin qu’il ne s’écarte ni à droite ni à gauche, en raison des obstacles qu’il peut rencontrer, qui le détourneroient nécessairement, s’il n’étoit point assujetti dans sa direction par cette espèce de gouvernail.

Quoique la charrue ait bien pris l’entrure, & que le soc suive la direction qu’on lui a donnée, le conducteur ne doit point cesser d’appuyer sur les manches, mais plus légèrement qu’il n’avoit fait d’abord pour entamer le terrein, en dirigeant son effort sur le côté du versoir, afin qu’il renverse la terre comme il faut sens dessus dessous. Quand le soc n’a qu’une aile du côté du versoir, c’est-à-dire, à la droite, l’action du conducteur qui appuie sur les manches, est d’autant plus nécessaire, que c’est le moyen le plus certain d’ouvrir une raie fort large, & de bien fouiller la terre pour la diviser & l’ameublir.

Quand le laboureur s’apperçoit, dans le cours de son travail, que la charrue pique trop ou pas assez, c’est-à-dire, que le soc s’enfonce plus qu’il ne devroit, ou qu’il ne fouille pas la terre à la profondeur qu’il désire, ce qui peut arriver, quoiqu’il ait dans le commencement disposé sa charrue comme elle devoit être ; il doit tout de suite y remédier en enfonçant les coins qui se sont lâchés, ou en remettant l’âge sur l’avant-train à la hauteur qu’il convient, afin de donner à l’angle que fait l’âge avec la superficie du terrein, l’ouverture qu’il doit avoir pour que la charrue pique de la quantité convenable. Cet expédient est le seul qu’il doive employer pour faire un labour égal. La plupart des laboureurs négligent ce soin, par la paresse d’arrêter un instant leur charrue : ils se contentent d’appuyer sur les manches, en dirigeant leur effort en avant, s’il faut donner plus d’entrure au soc, ou d’appuyer sur l’extrémité des manches, en portant l’effort en arrière, afin de soulever le soc pour qu’il prenne moins d’entrure. Cette méthode supplée, il est vrai, à la première pour un instant ; mais comme cet effort de la part du charretier ne peut pas être continu, parce qu’il se fatigue d’appuyer toujours de la même manière, le labour qu’il fait est nécessairement inégal, cette puissance n’étant point un régulateur fixe comme le premier. Dans la même raie il y aura donc des inégalités dans la profondeur du labour ; la terre ne sera point par conséquent fouillée & remuée par-tout à la même profondeur. Outre que cette méthode rend le labour inégal, elle retarde & rallentit la marche de la charrue ; l’attelage a beaucoup plus de peine, par ce qu’il a plus d’effort à faire pour vaincre les résistances qu’on oppose à sa puissance.

Pour donner plus ou moins d’entrure à la charrue, le laboureur doit se régler sur la qualité du terrein qu’il entreprend de cultiver. Il est des terres qu’on peut fouiller plus profondément que d’autres : dans celles qui ont un fonds considérable, on ne doit point craindre de donner beaucoup d’entrure à la charrue, pour qu’elle ouvre un sillon de dix, douze & même quatorze pouces de profondeur. Celles au contraire, qui ont à quelques pouces de leur surface, des couches graveleuses, des tufs, des craies, des terres rouges, &c., il est bon de connoître à quelle distance de la surface elles sont placées, afin que le soc ne les entame point, & ne mêle pas la bonne terre avec le cailloutage, ou la craie, &c. Dans ces sortes de terreins, il faut bien avoir attention de donner à la charrue une entrure proportionnée à la quantité de bonne terre qui s’y trouve : quelquefois il suffit que la charrue pique de cinq ou six pouces au plus.

Quelle que soit l’espèce de charrue dont un laboureur se sert, au bout de chaque raie, avant de prendre l’enrayure pour en tracer une autre, il doit 1o. détacher la terre qui s’est attachée au versoir & au sep ; pour cet effet, il a un curon à la main, qui est une espèce de ratissoire de fer au bout d’un bâton ; il débarrasse de même les roues & les pièces d’assemblage de l’arrière-train, des racines, des herbes ou des broussailles qui souvent s’y arrêtent. 2o. Si le versoir de la charrue est amovible, il le change de côté, afin qu’en traçant une autre raie, la terre soit renversée dans la précédente qui est restée ouverte. 3o. Il examine si la charrue, dans le cours du travail, ne s’est point dérangée ; un coup d’oeil suffit à cet examen quand on tourne pour commencer une autre raie : quand on s’apperçoit qu’elle est bien disposée pour piquer de la quantité qu’on désire, on continue le labour sans y toucher. 4o. Il ramène la pointe des coutres du côté du versoir, afin que leur action ne soit point inutile, mais au contraire, qu’elle serve à couper la terre, pour que le soc éprouve moins de résistance à la soulever.

CHAPITRE III.

De la manière d’exécuter les différens labours, dans les terres qui sont en état de culture.

La manière de labourer varie, 1o. selon l’espèce de charrue qu’on emploie ; 2o. selon la qualité du terrein : cependant le but est toujours le même, parce que la culture de la terre consiste à la mettre en état de recevoir la semence.

Les charrues dont on se sert pour labourer les terres, sont ou à tourne-oreille, c’est-à-dire, que la planche, qu’on nomme le versoir, est amovible, parce qu’on la met tantôt à la droite, tantôt à la gauche de la charrue, ou à versoir fixe, parce qu’il est toujours à la droite. Avec la charrue à tourne-oreille, on entame une pièce de terre du côté qu’on désire, & on finit toujours par celui qui lui est opposé. Je suppose qu’on veuille labourer avec la charrue à tourne-oreille la pièce de terre AA, BB, (Fig. 8, Pl. 3, pag. 83) on commence la première raie en prenant l’enrayure en AA ; on continue les autres toujours du même côté & on pourroit de même commencer par AB, à droite, & finir par AB, à gauche. Lorsqu’on commence un labour, la première raie est découverte, parce que le versoir a jetté la terre de côté : en traçant la seconde raie, il faut remplir la première ; on y réussit en plaçant le versoir qui étoit à droite pour la première raie, à la gauche pour tracer la seconde : par ce moyen, la terre que soulève le versoir, à mesure que le soc trace une seconde raie, est jettée dans la première : en changeant l’oreille de côté au bout de chaque raie, elles sont successivement toutes comblées, il n’y a que la dernière qui ne l’est point, parce qu’il faudroit prendre sur la terre voisine : mais elle peut servir d’enréageure pour un second labour ; c’est-à-dire, qu’en commençant par le côté où l’on a fini la première fois, on comble, en ouvrant la première raie, celle qui étoit restée à découvert ; c’est ce qu’on appelle servir d’enréageure. L’enréageure est donc une raie profonde, dans laquelle on verse la terre de la raie qu’on forme actuellement, d’où vient le mot de réage, qui signifie la longueur d’une pièce suivant la direction des raies. Ainsi quand on dit au bout du réage, cela signifie au bout de la pièce : quand on dit un long réage, cela s’entend d’une pièce de terre qui est longue dans le sens des raies.

Quand on veut labourer avec la charrue à versoir fixe, il faut labourer successivement les deux rives d’une pièce de terre ; c’est-à-dire, qu’après avoir fait une raie d’un côté, on va tout de suite en tracer une autre au côté opposé : si on continuoit les raies à la même rive où l’on a commencé la première, celle-ci resteroit sans être comblée ; le versoir étant toujours à la droite, à mesure qu’on traceroit la seconde, la terre seroit renversée par conséquent à droite, & la première ne seroit point comblée : la seconde le seroit par la troisième raie. Ainsi, sur trois il y en auroit toujours une qui seroit vide. Avec cette espèce de charrue, le laboureur commence sa première raie à la rive droite d’une pièce de terre ; il va ensuite tracer la seconde à la rive gauche, pour revenir après à la droite. Je suppose qu’on veuille labourer la pièce de terre ABCD, (Fig. 17 Planc. 3.) Le laboureur prend l’enréageure en A, pour faire la raie AB ; quand il est au bout, il appuie sur les manches de la charrue pour soulever le soc, & il dirige l’attelage en C, pour tracer la raie CD : arrivé au bout, il vient en E, pour tracer la raie EF, d’où il va ensuite en G ; il continue le labour de cette façon, en traçant une raie d’un côté, ensuite une autre au côté opposé : il finit son labour au milieu de la pièce de terre, où il y a nécessairement une raie qui n’est point comblée : quand elle se trouve parfaitement au milieu, elle peut, si l’on veut, servir d’enréageure au second labour.

Le réage, ou la direction des raies, dépend de la position du terrein. Quand une pièce de terre est en plaine, on donne au labour le réage qu’on veut, c’est-à-dire, on commence les raies, ou en longueur ou en largeur de la pièce de terre ; mais si elle est située sur la pente d’un coteau, le laboureur n’est plus libre de prendre le réage selon sa fantaisie ; il faut qu’il se conforme nécessairement à la position du terrein. Dans cette circonstance il n’entame jamais une pièce de terre du haut en bas, il ne viendroit pas à bout de la labourer, pour peu que la pente fût considérable : l’attelage auroit une peine infinie à remonter ; l’ouvrage demanderoit beaucoup plus de temps, & les bêtes courroient des risques continuels par les efforts qu’elles seroient obligées de faire pour vaincre les trop grandes résistances qu’elles trouveroient dans un travail de cette espèce. Dans la supposition qu’on parvînt à labourer une pièce de terre en pente, en prenant le réage de bas en haut, on feroit une culture au détriment du sol : l’eau des pluies ne seroit point retenue dans les sillons ; ils seroient au contraire autant de conduits pour son écoulement ; elle entraîneroit les engrais en bas, & la terre même, si elle étoit bien ameublie.

Quand une pièce de terre est située sur la pente d’un coteau, il n’est guère possible de la labourer avec la charrue à versoir fixe : de quelque côté qu’on commençât le réage, il seroit toujours très-difficile d’aller à la rive opposée pour continuer le labour. On ne peut donc labourer ces sortes de terreins qu’avec les charrues à tourne-oreille, ou à versoir amovible, parce qu’en changeant le versoir de côté au bout de chaque raie, on continue à labourer une pièce de terre par la rive où l’on a commencé, & on finit par celle qui lui est opposée.

Puisqu’il y a des charrues de plusieurs espèces, & qu’elles ne sont pas toutes également propres pour les différentes sortes de cultures, on peut donc dire que toutes les terres ne doivent point être labourées de la même façon. L’uniformité de culture supposeroit tous les terreins d’une égale qualité : or, il est certain que la nature, la qualité, le degré de profondeur des terres font extrêmement variés.

o. Il y a des terres maigres & légères, qui n’ont presque point de fond, c’est-à-dire, qu’à quatre ou cinq pouces de profondeur, on trouve des couches graveleuses, des tufs, des craies, quelquefoi, même le rocher. Quoiqu’on ne puisse pas espérer que ces sortes de terres produisent beaucoup, cependant on les cultive, on les ensemence ; & quand on n’épargne point les engrais, elles dédommagent un peu de la peine & des frais de culture. Or toutes sortes de charrues ne conviennent pas pour cultiver ces terres, qu’on ne doit point labourer comme celles qui ont beaucoup de fond. Le laboureur, en se servant d’une charrue fort légère à laquelle il attèle un cheval ou deux seulement, doit se contenter de labourer la superficie, afin de ne point ramener à la surface la mauvaise terre qui est en dessous. S’il employoit une forte charrue, il ne seroit point maître de l’entrure qu’il ne pourroit pas toujours donner de la quantité qu’il voudroit, parce que la seule pesanteur du sep & du soc, suffiroit pour enfoncer la charrue plus avant qu’il ne faut, de sorte qu’elle piqueroit trop, relativement à la qualité du terrein.

2o. Il y a des terreins qui n’ont que six ou sept pouces de fond, après lesquels on trouve des couches d’une terre rouge stérile : malgré cela, ces terreins sont très-propres pour produire du blé ; mais pour profiter de la bonne qualité de terre qui est au-dessus d’une autre terre stérile, il faut donner peu d’entrure à la charrue, afin qu’elle ne pique exactement que dans le fond de la bonne terre : comme ces sortes de terreins ne sont pas difficiles à cultiver, puisqu’il ne faut point les fouiller à une grande profondeur, il est bon de ne se servir que des charrues légères : la charrue à tourne-oreille, par exemple, est très-utile pour cette culture ; on peut encore se servir, avec avantage, des cultivateurs dont nous avons donné la description, parce qu’ils n’ouvrent pas la terre à une grande profondeur.

3o. Les terres fortes & argileuses, ou dont la qualité est un sable gras, doivent être labourées le plus profondément qu’il est possible. Comme elles ont un fond de terre considérable, on peut faire les sillons à la profondeur qu’on désire ; par conséquent on peut donner douze ou quatorze pouces d’entrure à la charrue. La terre n’étant féconde qu’autant qu’elle est bien remuée & ameublie, il est donc essentiel de la fouiller à une profondeur considérable, lorsque rien ne s’y oppose, afin de la diviser, de la retourner, pour que toutes les parties qui doivent contribuer à la végétation des plantes, reçoivent les influences de l’air. Le labour qu’exigent ces sortes de terres, seroit impossible à exécuter avec des charrues légères : outre qu’on ne pourroit point leur faire prendre assez d’entrure pour tracer des raies assez profondes, la ténacité du terrein, la cohésion de ses parties seroient des obstacles insurmontables pour des charrues légères, quand même l’attelage seroit assez fort : une charrue à versoir, ou tout autre de cette espèce, armée de bons coutres pour couper la terre verticalement, est le seul instrument de labourage qui puisse faire une bonne culture dans ces sortes de terreins. On a soin de proportionner l’attelage à la difficulté du labour, qui est relative à la résistance qu’éprouve le soc dans une terre plus ou moins tenace.

Enfin, pour exécuter toutes sortes de labours, & dans toutes sortes de terreins, il ne faut jamais perdre de vue ce principe, qui est que le laboureur doit connoître la qualité du terrein qu’il veut entreprendre de cultiver, afin de savoir l’espèce de culture qu’on peut lui donner, & avec quelle sorte de charrue il peut le labourer.

L’expérience du laboureur, relativement aux différentes sortes de terreins qu’il cultive, ne doit pas se borner simplement à connoître la qualité & le plus ou moins de profondeur de terre, afin de savoir l’espèce de charrue qu’il doit employer, & de quelle manière il doit la gouverner pour faire un labour convenable : il faut encore qu’il connoisse les terres qui boivent ou qui retiennent l’eau. Il y en a qui sont de vraies éponges ; l’eau est filtrée à travers leurs molécules, de façon qu’il n’en reste jamais à la surface : d’autres, au contraire, étant argileuses retiennent l’eau. Il ne suffit pas d’entourer de fossés ces sortes de terreins pour procurer l’écoulement des eaux, il faut encore que le réage & le labour soient faits de manière que l’eau trouve assez de pente pour s’écouler dans les fossés.

Pour procurer l’écoulement des eaux, dont le séjour est nuisible à la semence & aux plantes, il y a deux manières de labourer les terres, 1o. en planches ; 2o. en billons. Le labour à plat ne leur convient point, il n’est propre que pour les terres spongieuses, dans lesquelles l’eau ne séjourne point à la surface. Si une terre argileuse ou qui retient l’eau, a un peu de pente, on se dispense de la labourer en planches ou en billons, en conduisant le réage selon la pente, parce qu’alors toutes les raies sont autant de sillons par lesquels l’eau s’écoule dans les fossés qui entourent la pièce de terre. Quand il y a beaucoup d’inégalités, il seroit difficile de former des planches ou des billons : dans ce cas on laboure à plat, ensuite on profite des inégalités pour former des sillons qui reçoivent l’eau des raies, & la conduisent dans les fossés. Quand une pièce de terre est entièrement en plaine, il n’y a point de ressource pour l’écoulement des eaux, il faut nécessairement la labourer en planches ou en billons.

Je suppose qu’on veuille labourer en planches la pièce de terre représentée par la Fig. 14, de la Pl. 4, pag. 100, & qu’on veuille placer les sillons en EEEE, le laboureur ouvre la raie marquée 1, ensuite il ouvre celle marquée 2, qui remplit la première. Il revient faire la raie marquée 3, en renversant toujours la terre du côté de la première raie ; il forme, par ce moyen, le milieu de la planche qui se trouve plus élevé, ayant reçu la terre des deux raies adjacentes. Il continue à labourer en traçant la raie 55, ensuite 44, jusqu’à ce qu’il ait formé sa planche de la largeur qu’il juge convenable pour l’écoulement des eaux ; il finit de chaque côté par un grand sillon qui borde la planche, & dans lequel les eaux s’écoulent. Quand les terres ne sont pas extrêmement sujettes à être inondées, on fait les sillons qui bordent les planches à une plus grande distance les uns des autres ; quelquefois ils sont à cinq toises, d’autres fois à six ou sept.

Souvent on ne distribue en planches une pièce de terre qu’après l’avoir labourée à plat : quand elle est ensemencée & hersée, l’on fait de distance en distance des sillons, selon la largeur qu’on veut donner aux planches. Cette méthode est moins bonne que celle que nous venons d’indiquer, parce que les planches se trouvent absolument plates, outre qu’elles sont bordées d’une petite élévation, par la terre qu’on a jetée en formant le sillon. Par la première méthode on donne assez de pente aux eaux pour leur écoulement dans le sillon qui borde les planches, parce qu’en traçant la première raie au milieu de la planche, celles qu’on fait ensuite à côté, ramenant la terre dans le milieu, & ayant soin, dans un second labour, de bien creuser les premières raies, on peut aisément donner à une planche toute la pente qui est nécessaire.

Quand on laboure par billons, on commence par ouvrir un grand sillon AA, (Fig. 15, Planche 4) ensuite on va de B en C, & de D en E : de cette manière on remplit le premier sillon, en formant une éminence qu’on nomme le billon. On fait la même chose en FG, la pièce alors est labourée en billons : on a soin de tenir le réage, c’est-à-dire, de diriger les sillons suivant la pente du terrein qu’on laboure, afin que l’eau puisse plus aisément & plus promptement s’écouler.

CHAPITRE IV.

Du labour des terres en friche, et des espèces de charrues propres à cet effet.

Sous la dénomination de terres en friche, on comprend toutes celles qui ne sont point en état de culture ordinaire, & qu’on veut labourer pour les mettre en valeur, ou pour les ensemencer. Telles sont, 1o. les terres couvertes de bois qu’on veut détruire ; 2o. les landes ; 3o. les prairies & les terres ensemencées de sain foin, de luzerne, de trèfle ; 4o. les terres qui sont en jachères depuis long-temps. On conçoit qu’il n’est point possible de cultiver ces sortes de terreins, pour la première fois, comme ceux qu’on laboure régulièrement tous les ans.

1o. Quoique les bois d’une terre qu’on veut cultiver soient coupés ou brûlés, on ne peut point y passer la charrue, qu’on n’ait auparavant arraché les souches & les racines : s’il n’y a pas de broussailles, on est dispensé d’avoir recours à la charrue à coutres sans soc, même pour le premier labour. Les fouilles qu’on est obligé de faire, retournent & remuent assez bien la terre, pour qu’on soit dispensé de la couper avec la charrue à coutres, avant d’y mettre la charrue ordinaire. Quand toutes les fouilles sont faites, on égalise, autant qu’il est possible, le terrein ; ensuite on y donne un labour avec la charrue à versoir ; quelque léger que soit le terrein, on ne doit point le travailler, pour la première fois, avec une charrue légère, parce qu’elle ne fouille point la terre à une profondeur aussi considérable que la charrue à versoir, ou tout autre de même espèce, n’étant pas possible de lui faire prendre autant d’entrure qu’à une forte charrue : d’ailleurs, quelque exactitude qu’on ait mise à arracher toutes les souches & les racines, il est possible que quelques-unes soient restées, sur-tout celles qui sont cachées entre deux terres, & qu’on n’apperçoit pas pour cette raison : elles seroient donc un obstacle très-grand pour une charrue légère qui les rencontreroit dans le cours de sa marche ; le conducteur ne connoissant point toute la résistance qu’elles peuvent opposer, forceroit l’attelage de tirer, & la charrue n’étant point assez forte se briseroit.

2o. On appelle des landes, des terres qui sont couvertes de genêts, de joncs marins, de fougère, de bruyères, de ronces, de genièvre & de quelques broussailles que ce soient. Dans cet état de friche où sont les terres, il est impossible d’y mettre aucune espèce de charrue : quelque considérable que fût l’attelage, il parviendrait difficilement à tirer, & on courroit risque de tout briser. Avant l’opération de la charrue, il faut donc ou brûler ou arracher. Quand les plantes ne sont pas fortes, comme la fougère, le jonc marin & de jeunes bruyères, on peut simplement y passer la faux ; cependant le meilleur expédient est celui de brûler, parce qu’on détruit par le feu la semence qui germeroit l’année suivante.

Après avoir brûlé toute la superficie d’une lande, ou coupé toutes les plantes, on ne passe point la charrue, qu’on n’ait auparavant arraché les principales & grosses racines à la pioche ; telles, par exemple, que celles des genièvres, des houx, des buis, des épines & des autres arbustes. Quand cette opération est faite, on passe la charrue à coutres sans soc, lorsque le terrein a été un peu détrempé par la pluie : en la passant une seconde fois, on croise les premières raies, afin de couper exactement toutes les racines. Toute la superficie du terrein étant bien coupée par les coutres, la charrue l’entamera aisément, elle n’aura presque pas plus d’obstacles à surmonter que dans une terre en état de culture. Quoique ce terrein soit assez bien défriché par cette première opération de la charrue à coutres sans soc, quelque léger qu’il soit, les premiers labours doivent être faits à grands sillons, bien ouverts & assez profonds, parce qu’il faut bien diviser la terre, & renverser en dessous la superficie qui a été long-temps exposée aux influences de l’air. La charrue à versoir, ou tout autre de cette espèce, est le seul instrument qui convienne pour cette sorte de culture qui est toujours difficile dans les premiers labours. Avec une charrue légère on ne fouilleroit pas la terre à une profondeur assez considérable ; on ne la renverseroit point aussi parfaitement qu’elle doit l’être après avoir été si long-temps inculte ; les sillons n’auroient ni la largeur ni la profondeur requises, pour bien diviser & ameublir une terre qui doit former de grosses mottes, attendu son état de friche.

3o. Quand on veut réduire en état de culture des terreins qui sont en prés naturels ou artificiels, & qu’on ne veut point leur donner la première culture à la bêche, parce qu’il faudroit employer à cet ouvrage beaucoup de temps, on les laboure avec une forte charrue tirée par un bon attelage. Ces terres ayant demeuré long-temps en repos, le premier labour doit être très-difficile, & former de grosses mottes, quoiqu’il soit fait après un temps de pluie. On évite beaucoup de peine, & la culture en est meilleure, quand on commence par passer deux fois, la charrue à coutres sans soc, en croisant les premiers traits la seconde fois, le terrein étant bien coupé, une forte charrue prend plus d’entrure, & ne traverse que de petites mottes. Le labour exécuté de cette manière, c’est-à-dire, en premier lieu avec la charrue à coutres sans soc, & en second lieu avec une forte charrue, en est beaucoup mieux fait : quoique cette multiplicité d’opérations semble exiger bien des journées, il est certain qu’on emploie moins de temps, parce qu’étant peu difficiles, l’ouvrage va assez vîte.

4o. Les terres qui sont en jachères depuis plusieurs années, sont quelquefois plus difficiles pour les premiers labours que les anciennes prairies, sur-tout si elles ont servi de chemin. Quoiqu’on ait attendu qu’elles fussent bien détrempées par la pluie, on risque souvent de briser les plus fortes charrues en les labourant pour la première fois : c’est pourquoi il est essentiel de n’y passer la charrue ordinaire, c’est-à-dire, la charrue à versoir, ou tout autre de cette espèce, qu’après avoir bien coupé la terre avec la charrue à coutres sans soc. M. D. L. L.


  1. Dans la Planche 4, Figure 1, la grande roue doit se trouver à la place de la petite.