Cours d’agriculture (Rozier)/FRÊNE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 63-66).


FRÊNE. Tournefort le place dans la première section de la dix-huitième classe qui renferme les arbres dont les fleurs sont apétales & attachées aux fruits. Il l’appelle fraxinus. von-Linné lui conserve la même dénomination, & le classe dans la poligamie diœcie.

I. Caractère du genre. Les fleurs sont sans pétale, hermaphrodites ou femelles, sur des pieds différens, mais quelquefois sur le même pied. Les fleurs hermaphrodites sont composées de deux étamines, & d’un pistil conique, divisé en deux à son extrémité supérieure, & elles n’ont point de calice ; les fleurs femelles n’ont qu’un pistil. Le fruit est une semence en forme de langue pointue, comprimée, renfermée dans une pellicule membraneuse, & à une seule loge.

II. Caractère des espèces. 1. Le frêne commun ou grand-frêne. Feuilles ailées, terminée par une impaire. Les folioles oblongues, dentées sur leurs bords, au nombre de cinq ou six paires sur une côte. Cet arbre s’élève fort haut, son écorce est unie, cendrée, son bois blanc, lisse, dur, les branches opposées ; les fleurs disposées en espèces de grappes ou de pannicules à leur sommet ; elles n’ont point de corolle. MM. Tournefort & von-Linné le nomment fraxinus excelsior. Cet arbre se plaît dans les terrains en pente & légérement humides dans les terreins pierreux, & l’on peu dire qu’il vient par-tout, depuis le nord du royaume jusqu’à son midi.

2. Le frêne à feuilles rondes ou de Calabre. Fraxinus ornus, Lin. Fraxinus tenuiore & minore folio. Tourn.

Cet arbre est originaire de Calabre & des pays chauds il réussit médiocrement dans nos provinces du nord, & il s’y élève peu. Sa fleur diffère de celle de la première espèce, en ce qu’elle est pourvue de corolles, & que la foliole impaire qui termine la feuille est plus grande que les autres qui sont ovales, en forme de lance.

3. Le frêne nain de Théophraste, ou frêne de Montpellier. M. von-Linné le regarde comme une variété du N°. 2 ou plutôt le confond avec lui. M. Tournefort en fait une espèce séparée, &i la désigne par cette phrase : Fraxinus humilior, S. altera Théophrasti minore & tenuiore folio. On l’appelle frêne nain, en comparaison de sa hauteur avec celle des deux précédens, & frêne de Montpellier, parce qu’il est commun dans les environs de cette ville, ainsi que dans les autres provinces méridionales. Il diffère des précédens par sa taille, par son feuillage d’un beau vert, par ses folioles plus petites & plus dentelées.

4. Le frêne à fleurs en grappes. M. von-Linné le regarde encore comme constituant la même espèce que le N°.2, & il le rappelle en citant la phrase de Morison, fraxinus storifera botryoides. Ses folioles sont ovales, en forme de lance, rapprochées & luisantes ; ses fleurs sont garnies de longs pétales. Il ne s’élève guère plus haut que le N°. 3, & les branches rapprochées forment une tête agréable.

5. Le frêne de la nouvelle Angleterre… Fraxinus americana. Linn. Ses feuilles sont très-entières, leurs pétioles cylindriques, & l’arbre s’élève de quinze à vingt pieds.

6. Le frêne de la Caroline. M. von-Linné le confond avec le précédent ; il en diffère cependant un peu par ses folioles en forme de lance, finement dentelées, leurs pétioles velus, & son fruit beaucoup plus large. M. Miller le désigne par cette phrase : Fraxinus foliis lanceolatis, minimè ferratis, petiolis teretibus, pubescentibus.

7. Le frêne nain ou noir d’Amérique. Ses folioles sont plus larges que celles des autres frênes, éloignées entr’elles, pointues aux deux extrémités ; celle qui termine est plus large que les autres.

8. Le frêne à très-large folioles, terminées par le bout en pointes inclinées. Je n’ai jamais vu ces deux dernières espèces de frêne, ainsi je ne puis rien en dire de plus, & encore moins décider si on doit les regarder comme des variétés.

III. Culture. Les frênes se multiplient par le semis. Tous les auteurs conseillent de recueillir la graine après les premières gelées d’automne, & de faire aussitôt un lit de graine & un lit de terre ; sans quoi, disent-ils, si on l’a tenue dans un lieu sec, & qu’on la sème au mois de mars suivant, elle ne lèvera qu’un ou deux ans après. Leur conseil peut être très-bon ; mais voici ce qui m’est arrivé. J’ai cueilli des graines dès que la membrane qui les enveloppe est devenue noire, au commencement & vers le milieu d’octobre ; elles ont été tenues dans un lieu très-sec, & semées à la fin de février ; elles sont parfaitement sorties. Pendant deux années de suite l’opération a été répétée avec le même succès ; cette réussite dépendroit-elle de la chaleur de la province que j’habite aujourd’hui ? Certainement le sol n’y contribue pour rien, puisque j’ai semé dans des terrains caillouteux & maigres, dans de bons fonds, &c. Dans incertitude si l’expérience réussiroit ailleurs, on ne risque rien de stratifier la graine, de la manière qu’on le conseille ; je crois même qu’on peut la semer aussitôt qu’elle est mûre, c’est imiter la marche de la nature, & on ne doit pas craindre que, confiée à la terre, elle soit dévorés par les taupes, les souris, les mulots, ou par les insectes ; son odeur forte les en éloigne. J’en ai la preuve la plus complette, ou du moins je sais très-positivement qu’elle n’est pas attaquée en terre.

Il est très-important de former des pépinières de frênes, sur-tout dans les provinces ou le chêne blanc réussit peu, & qui sont dépourvues de bois. Cet arbre prospère sur les lisières des champs, sur les croupes des vallons, dans les terrains secs, & très-bien dans ceux qui ont du fond, qui sont humides, &c. On verra bientôt de quelle utilité il peut être.

Les jeunes frênes qu’on achète chez les marchands d’arbres, réussissent rarement dans la transplantation, parce que le semis est fait sur un sol trop substantiel, trop chargé d’engrais, & trop travaillé. Ce n’est pas ainsi que doit être élevé un arbre destiné à être par la suite transplanté dans toute sorte de sol ; ce plant trop délicat se ressentira long-temps de cette molle éducation.

On ne sauroit faire les semis de trop bonne heure, relativement au pays que l’on habite, surtout des graines qui pourrissent difficilement en terre. Elles ne végéteront que lorsque l’air de l’atmosphère sera au degré de chaleur convenable à leur développement. En semant trop tard on court risque d’avoir une germination trop précipitée. Si on désire une règle infaillible, que l’on consulte la nature, & que l’on épie le moment où le frêne commence à entrer en sève. Alors hâtez-vous de semer. Un bon labour de huit à dix pouces suffit, & quelques serfouissages pendant les deux premières années. Le point le plus important est la destruction des mauvaises herbes.

Si on trouve l’opération du semis très-longue, on peut aller au pied des gros ormeaux, & dans son voisinage, où l’on trouvera une infinité de jeunes pieds venus de graine. Soit que vous les enleviez de ces lieux agrestes ou des pépinières, ménagez le pivot & les racines ; je l’ai déjà dit cent fois, & je le répéterai aussi souvent que l’occasion s’en présentera, parce que la grande beauté de l’arbre dépend principalement de ces deux objets.

Il en coûtera plus pour l’ouverture des fosses, pour déraciner les sujets, & l’excédent de cette dépense se réduira à zéro, si on le compare à ce qu’il en coûte ensuite pour le remplacement des arbres morts. On ne voit jamais que le moment présent, & on ne porte jamais sa vue sur l’avenir. Ou plantez bien, ou ne plantez point du tout.

Le meilleur temps pour la transplantation, est, à mon avis, huit à quinze jours après la chute des feuilles, dans leur ordre naturel, & non par accident, à moins qu’on veuille boiser un terrain aquatique, ou submergé pendant l’hiver. Je crois que la glace & l’eau trop abondantes nuiroient à l’arbre. Je ne l’ai pas essayé. Les transplantations tardives mettent dans le cas de craindre les sécheresses du printemps, sur-tout dans les provinces méridionales ; & dans ces provinces les racines-mères poussent des petits chevelus pendant l’hiver, qui les mettent dans le cas de pomper l’humidité de la terre, & par conséquent d’avoir plus de sève lors du développement des premiers bourgeons : l’expérience m’a démontré la nécessité des transplantations précoces.

Pendant les deux premières années, après la transplantation, laissez pousser toutes les branches, sans les retrancher sous prétexte de former la tige de l’arbre. À la troisième année, supprimez celles qui ont poussé pendant la première ; à la seconde, celles de la troisième, & ne conservez que celles de la tête ; par ce moyen la tige prendra une forte consistance, elle formera une belle tête, & n’aura pas besoin de tuteur, parce qu’elle ne sera pas effilée. La nature a mis un équilibre entre les branches & les racines. Plus vous retranchez les premières, plus vous appauvrissez les secondes. Laissez donc subsister les petites branches qui poussent le long de la tige, jusqu’à ce qu’elle soit forte, & que les branches du sommet ayent de la consistance, ce qui arrive ordinairement, puisqu’il ne faut point étêter les frênes en les replantant.

Les mouches cantharides sont le plus grand fléau de toutes les espèces de frênes, excepté celle du N°. 4 ; elles sont quelquefois en si grand nombre, qu’elles dépouillent l’arbre de toutes ses feuilles, mais elles n’endommagent point le fruit, & c’est précisément de la graine de ces arbres dépouillés que j’ai semée, & dont j’ai parlé plus haut ; mais au milieu de l’été, il est très-désagréable de voir un arbre nu comme au gros de l’hiver.

IV. Propriétés économiques. On peut établir des forêts de frêne dans les provinces où le bois est rare, en garnir la lisière des champs, en faire des avenues. Ses racines ne sont pas pernicieuses comme celles des ormeaux ; elles aiment à s’enfoncer en terre, & non à sillonner lorsqu’elles trouvent du fond. Si on désire planter cet arbre dans les bosquets d’agrément, on doit préférer le N°. 4.

Le bois de frêne est le meilleur de tous les bois pour charronnage, & sur-tout pour les brancards des voitures, comme carrosses, chaises de poste, cabriolets. Il est également bon pour les roues, les essieux ; il est très-utile aux tourneurs. Les branches coupées, ainsi qu’il est dit au mot Bétail, tome II, page 224, sont de la plus grande ressource pendant l’hiver, pour tous les animaux d’une ferme. On dit que ce fourrage sec donne un goût désagréable au beurre ; je ne m’en suis jamais apperçu, & cependant je ne nie pas cette assertion ; mais rien n’empêche de le donner aux bœufs ou aux moutons.

V. Propriétés médicales. On retire par incision, du frêne N°. 2, la manne appellée de Calabre ; l’opération sera décrite au mot Manne. Les feuilles & l’écorce du frêne commun ont une saveur légèrement amère, âcre & piquante. La semence est fort aromatique ; les feuilles vulnéraires ; la seconde écorce un diurétique puissant, fébrifuge ; le bois dessiccatif & styptique ; le fruit & les feuilles sont rarement employés. Le sel tiré des cendres de l’écorce est un fort diurétique. Sa dose pour l’homme, est, dissous dans une liqueur convenable, depuis cinq grains jusqu’à quinze, & pour les animaux, à la dose d’une drachme jusqu’à une drachme & demie.