Cours d’agriculture (Rozier)/MÉTÉOROLOGIE (supplément)

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Marchant (Tome douzièmep. 273-278).


MÉTÉOROLOGIE. M. Rozier, dans l’article Météorologie de son Cours complet d’Agriculture, a donné, d’après un Mémoire que j’avois rédigé pour la Société royale de Médecine, un plan d’observations météorologiques applicable à la médecine et à la physique, avec une méthode pour rédiger ces sortes d’observations. Ce plan, tel qu’il étoit conçu, ne pouvoit pas convenir aux agriculteurs : en effet, on ne peut pas exiger d’eux l’observation exacte et journalière des instrumens, tels que le baromètre, le thermomètre, l’hygromètre, etc. Leur attention doit se fixer principalement sur l’influence des météores à l’égard des différentes espèces de terres, de végétaux qu’ils cultivent ; de cette influence dépendent en grande partie les bonnes ou mauvaises récoltes ; car, a dit un ancien, annus fructificat non terra, Une suite d’observations bien faites dans cet esprit pourra, dans la suite, aider à prévoir la récolte à laquelle on doit s’attendre, lorsqu’on saura par expérience que telle température est ordinairement suivie d’une bonne ou d’une mauvaise récolte, et que l’influence des températures varie selon la nature des terres que l’on cultive.

J’ai donc rédigé un plan d’observations particulièrement applicable à l’agriculture, et que tout cultivateur pourra suivre aisément, ayant l’attention de consigner dans un registre les observations analogues à ce plan, en suivant la méthode que je vais tracer, pour suppléer aux observations des instrumens auxquels un cultivateur ne peut pas s’astreindre ; je donnerai ensuite un calendrier météorologique qui indiquera pour chaque jour le degré moyen de chaleur qui doit avoir lieu dans le climat de Paris, et d’une bonne partie de la France. C’est le résultat d’observations faites à Montmorency pendant vingt ans. J’aurois pu joindre à ce calendrier les élévations moyennes du baromètre, les vents dominans, et l’état du ciel pour chaque jour. Mais on sait que les hauteurs du baromètre varient, selon que les lieux où l’on observe sont plus ou moins élevés ; il en est de même des vents, dont la direction est souvent déterminée par le local : ainsi le voisinage d’une montagne, d’un bois, change la direction du vent, le réfléchit.

Faisons d’abord sentir l’utilité des observations météorologiques appliquées à l’agriculture. On ne peut, en effet, disconvenir que, si les bonnes ou les mauvaises récoltes dépendent de la nature des terres auxquelles on a confié la semence, et des préparations qu’elles ont reçues, elles me dépendent aussi de la température de l’air, de l’influence des météores, des circonstances plus ou moins favorables où ils ont eu lieu. Il est donc intéressant de connoître, autant qu’il est possible, cette influence, bonne ou mauvaise, qu’ils peuvent avoir sur les productions de la terre, en comparant les progrès plus ou moins lents de la végétation avec les variétés observées en même temps dans la température de l’air. Cette comparaison n’est pas un simple objet de curiosité : elle apprendra au cultivateur ce qu’il a à craindre d’une température qui semble d’abord ne faire aucun mal apparent à ses grains, mais dont les suites peuvent cependant leur être très-préjudiciables ; elle l’instruira des précautions qu’il doit prendre pour les prévenir, s’il est possible ; elle fera connoître au naturaliste l’origine des maladies auxquelles les grains sont exposés ; et la cause une fois connue, il sera plus facile d’y apporter remède.

L’utilité de ces sortes d’observations a été sentie par le savant et estimable Duhamel du Monceau. Il avoue, dans la préface de ses Elémens d’agriculture, que les résultats de ses observations lui ont été fort utiles, pour la composition des divers ouvrages qu’il a publiés sur les différentes branches de l’art agricole. Pour familiariser les cultivateurs de son canton avec les instrumens météorologiques, il avoit établi dans la cour de sa ferme, à Denainvillers, un baromètre qu’ils alloient consulter et auquel ils avoient pris confiance. Le savant agronome leur avoit fait comprendre que la condensation et la raréfaction de l’air influoient singulièrement sur les progrès de la végétation, ainsi que son état de sécheresse et d’humidité ; de là, leur disoit-il, la nécessité d’observer le thermomètre dont la marche de la liqueur ascendante ou descendante indique les variations que l’air éprouve dans sa condensation et sa raréfaction. L’observation de l’hygromètre devoit leur faire connoître l’état de sécheresse et d’humidité de l’atmosphère, et l’inspection du cours des nuages ou d’une bonne girouette leur apprenoit à s’assurer de la direction du vent, pronostic le plus certain, et préférable à celui du baromètre, pour prévoir les changemens prochains de température.

M. Duhamel savoit très-bien que l’observation assidue de ces différens instrumens ne pouvoit pas s’accorder avec les travaux des cultivateurs ; aussi prit-il cette tâche sur lui, et il l’a remplie pendant plus de quarante ans. Il fit plus, et pour prêcher d’exemple, il tint pendant le même temps un registre exact de l’état des végétaux, relativement à la température, et il en publioit tous les ans les résultats, soit dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, soit dans un ouvrage relatif à la culture des terres, et qui étoit le journal exact de ses travaux, de ses expériences en agriculture, de ses observations et de ses réflexions.

Le plan d’observations botanico-météorologiques que je vais donner est calqué sur celui que M. Duhamel suivoit lui-même. On trouvera les résultats généraux de toutes les observations de ce genre dans mon Traite de Météorologie, publié en 1774, et dans un Mémoire que j’envoyai, en 1775, à la Société royale des Sciences de Montpellier, qui partagea, avec celui de M. Toaldo, le prix proposé par cette Société, et dont le sujet étoit l’application de la météorologie à l’agriculture. On peut consulter aussi la Météorologie des cultivateurs, volume in-12, publié en 1798, par M. Dumont-Courset. L’Année rurale, ou le Calendrier des cultivateurs, année 1788 ; l’Almanach météorologique de M. Senebier, de Genève ; Assemblées publiques de la Société royale des Sciences de Montpellier, année 1772, page 55, où l’on trouvera un plan d’observations appliquées à l’agriculture, par M. Mourgue, etc.

Plan D’observations Botanico-Météorologiques.

I. Terres. On indiquera les effets de la gelée, des pluies, de la sécheresse sur les terres, selon leurs différentes natures, c’est-à-dire selon qu’elles sont plus ou moins mélangées de terre franche, d’argile ou de glaise, de sable, de marne, de craie, de tourbe, etc. On notera aussi les températures qui ont concouru avec les différens labours qu’on a donnés à ces terres.

II. Froment et seigle. Quelles ont été les circonstances de la température froide ou chaude, sèche, humide ou pluvieuse, les vents dominans, à l’époque des semailles et pendant l’hiver.

Quelle a été la température générale de chaque mois du printemps, celle qui a concouru avec les époques du développement des tuyaux et des épis ; époques que l’on notera, ainsi que celles des brouillards, et les effets qu’ils ont produits sur les grains.

Quels ont été et la température générale et les vents dominans de chaque mois de l’été, celle qui a concouru avec la floraison des grains et avec leur récolte. On en marquera les époques ; on parlera de leur produit et de leurs qualités.

III. Orge, avoine, et autres grains connus sous le nom de Mars. Quelle a été la température correspondante a l’époque de leurs semailles, à celle de la levée de ces grains, du développement des épis, de la fleur et de la récolte. Chaque espèce de grains cultivés formera une section particulière de cet article.

On tiendra note des différentes maladies des grains qui se manifesteront, et des températures qui y auront concouru et auxquelles on croira devoir les attribuer.

IV. Fourrages et plantes légumineuses. On notera les températures qui ont été plus ou moins favorables aux prairies tant naturelles d’artificielles, en distinguant les différentes espèces de ces dernières, soit relativement aux progrès de leur végétation, soit à leur récolte. On fera les mêmes observations sur les plantes légumineuses, telles que pois, haricots, fèves de marais, lentilles, etc. On fera la note de l’époque de leur fleuraison, de leur récolte, de la quantité et de la qualité de leurs produits.

V. Pommes de terre, topinambours, etc. Quelle a été la température correspondante à l’époque de leur plantation, de leur fleuraison et de leur récolte, dont on notera la quantité et la qualité.

VI. Plantes propres à la filature et à la teinture, etc. On fera les mêmes observations sur l’influence de la température à l’égard du chanvre, du lin, du safran, de la garance, de la gaude, du chardon des bonnetiers ou à foulon, du houblon, etc.

VII. Arbres fruitiers. On indiquera les époques de la feuillaison, de la fleuraison et de la maturité des fruits de chacune des différentes espèces d’arbres fruitiers que l’on cultive ; les effets que les gelées de l’hiver et celles du printemps, plus dangereuses, ainsi que les vicissitudes de la température de l’été, ont produits sur chacun d’eux ; la multiplication plus ou moins grande des insectes qui les attaquent ; l’époque de la chute de leurs feuilles, les causes favorables ou non à la conservation des fruits, dont on fera connoître la qualité et la quantité plus ou moins abondante de chaque espèce.

VIII. Vignes. On parlera de l’effet de la température de l’hiver sur le bois de la vigne ; de celle qui a concouru avec la taille ; des époques des pleurs de la vigne, du développement de ses bourgeons, et de la température qui a accompagné cette circonstance critique de sa végétation ; de l’époque de sa fleuraison et de la température correspondante ; de celles qui ont régné pendant les différentes façons qu’on a données à la vigne. On observera les effets que produit la température sur les différentes espèces de vignes, et relativement à leur exposition, sur-tout dans les mois de thermidor et fructidor, (août et septembre) époque de la maturité des raisins. On notera, à l’époque des vendanges, la température qui a concouru avec la récolte, la durée plus ou moins longue de la fermentation du moût dans les cuves, la quantité la qualité du vin récolté.

Dans les pays où l’on cultive les pommiers pour convertir les pommes en cidre, on fera de pareilles observations sur les époques de la végétation comparées avec les températures régnantes, et sur les produits en cidre.

La culture du houblon, de l’olivier, du noyer, donnera lieu aussi à des observations du même genre.

IX. Bestiaux. Si quelque maladie dépendante de la température se manifestoit sur les bestiaux, on noteroit le caractère de la maladie propre à chaque espèce d’animal ; le rapport de cette maladie avec la température correspondante, ses symptômes, le traitement suivi, et les succès qu’on en a obtenus.

X. Oiseaux de passage et insectes. On tiendra compte des époques du départ, du retour, ou de l’apparition, ou du premier chant des oiseaux connus sous le nom d’oiseaux de passage, quoique plusieurs d’entre eux ne quittent pas notre climat, tels que l’alouette, le loriot, la grive, le coucou, le rossignol, l’hirondelle, la caille, les canards et les oies sauvages, etc.

On fera mention de la multiplication plus ou moins grande des insectes malfaisans, comme les chenilles, les pucerons, les limaçons, les hannetons, les cantharides, les fourmis, etc., et des dégâts qu’ils auroient faits.

XI. Abeilles. Ces insectes laborieux et précieux doivent occuper une place distinguée dans le registre du cultivateur ; il parlera de l’effet de la température de l’hiver sur les ruches ; de celle du printemps sur la récolte de la cire et du miel, de celle de l’été plus ou moins favorable à la multiplication des essaims ; de celle de l’automne, temps où les abeilles font leurs provisions d’hiver ; des maladies que les abeilles éprouveront, et de leur cause présumée ; de la quantité de la récolte de miel et de cire, de leurs qualités relatives à la nature des plantes qui sont à leur disposition.

XII. Hauteur des eaux. Il sera bon de noter, dans les différentes saisons, la hauteur des eaux, soit de rivière, soit de source, et de puits, en disant seulement qu’elles ont été ou hautes, ou basses, ou à leur niveau moyen.

XIII. Observations diverses. Les cultivateurs n’oublieront pas de noter aussi,

1°. Les époques des gelées, leur durée, les effets qu’elles auront produits sur les végétaux et les animaux ;

2°. Les époques des grêles, les effets dont elles seront suivies, leur fréquence plus ou moins grande dans le pays qu’ils habitent ; les orages et les tempêtes considérables, les grandes pluies d’orage, etc. ;

3°. Les époques des inondations des rivières qui sont dans leur voisinage, les ravages qu’elles occasionneront, la durée et les retours plus ou moins multipliés de ces inondations, les temps de l’année où elles ont lieu plus souvent.

Ils auront un registre divisé en autant de sections qu’il y en a dans le plan que je leur propose ; ils écriront journellement les notes relatives aux différentes indications contenues dans ce plan, auxquelles ils ajouteront les autres remarques qu’ils croiront devoir faire à la fin de chaque année ; ils feront le relevé de leur registre, et le feront passer à la Société d’Agriculture de leur département.

Je crois avoir parcouru les points d’agriculture les plus intéressans, qui doivent fixer l’attention des cultivateurs. Les Sociétés d’Agriculture établies dans chaque département réuniroient toutes les observations qui leur seroient adressées chaque année par les cultivateurs, et, de cette réunion, résulteroit nécessairement une masse de lumières qui nous éclaireroient plus sur le véritable objet de la météorologie, que toutes les théories qu’on a publiées jusqu’à présent sur cette branche de la physique.

La Société de Médecine qui vient de s’établir dans le sein de l’École de Médecine, à Paris, se propose de rétablir la correspondance météorologique que la Société royale de Médecine avoit organisée, et de publier un plan d’observations relatives à l’application de la météorologie à la médecine, semblable à celui que l’ancienne société m’avoit demandé, et que ses correspondans ont rempli avec beaucoup de zèle jusqu’à l’époque de la révolution.

Voici maintenant le calendrier météorologique que j’ai promis. Les cultivateurs qui seront à portée d’observer ce thermomètre pourront juger, d’après le calendrier, de combien la température actuelle s’éloignera ou s’approchera du terme moyen que j’indique pour chaque jour : il résulte de trois observations faites au matin, à midi et au soir.

CALENDRIER MÉTÉOROLOGIQUE,
INDIQUANT LA TEMPÉRATURE MOYENNE DE L’ATMOSPHÈRE
DANS UNE GRANDE ÉTENDUE DE LA FRANCE.


JOURS
du
mois.
janvier février mars avril mai juin juillet août septembre octobre novembre décembre
1 1,9 4,1 4,8 7,4 10,0 11,6 15,2 17,4 17,2 12,1 7,0 4,0
2 1,6 5,5 6,1 8,0 10,1 13,3 16,4 17,9 16,9 12,5 6,9 3,4
3 0,3 3,6 5,7 8,3 10,3 14,3 15,9 16,8 14,8 11,8 7,8 3,1
4 [1]−0,5 2,6 5,0 8,3 10,8 14,8 17,2 17,9 17,4 11,8 8,9 2,6
5 −0,8 3,0 4,7 8,0 11,8 16,0 17,9 18,9 16,0 11,0 8,5 2,9
6 −0,8 2,8 4,8 8,4 13,0 15,8 18,0 19,4 16,0 10,6 7,6 3,1
7 −0,5 2,7 4,7 7,1 14,1 15,7 17,3 18,5 15,6 11,3 7,1 3,3
8 0,1 2,5 4,0 6,5 13,7 15,7 17,2 17,8 14,3 11,4 7,4 4,2
9 0,3 2,0 4,1 7,4 13,3 16,6 17,3 18,8 13,6 11,3 7,7 4,0
10 −0,1 2,9 4,6 7,9 13,3 16,0 16,8 17,9 13,6 10,6 7,4 3,4
11 1,2 3,2 4,1 7,7 12,2 15,7 15,7 18,0 14,1 9,5 6,9 3,8
12 1,0 3,8 5,0 8,8 11,6 15,1 16,1 16,6 14,9 9,0 7,2 4,4
13 1,7 3,9 5,6 9,0 12,4 15,0 16,5 16,9 14,5 9,0 7,2 4,2
14 2,0 4,7 5,5 9,1 12,7 14,9 17,4 17,0 14,0 9,1 6,2 3,6
15 1,5 4,5 5,5 8,9 13,2 15,7 17,5 15,7 15,6 8,5 5,9 4,4
16 2,2 4,7 4,9 8,4 13,9 15,7 18,1 15,7 13,3 9,1 5,4 5,4
17 0,5 5,0 6,1 6,8 13,1 15,2 18,4 15,0 14,4 8,4 4,8 4,4
18 −0,1 4,7 5,5 6,8 13,0 14,8 17,8 16,7 14,9 8,8 4,1 4,1
19 0,3 4,2 4,6 6,7 12,2 14,9 16,7 17,3 15,0 8,9 3,4 4,1
20 0,5 4,3 6,0 7,0 14,0 16,2 17,2 15,8 15,3 9,5 4,0 3,8
21 1,1 5,1 4,4 8,6 14,5 15,9 17,8 16,3 14,4 8,6 3,7 4,0
22 1,2 4,4 4,4 9,8 14,7 16,3 17,0 16,6 13,7 9,2 2,2 2,9
23 2,6 4,4 4,2 9,0 15,3 16,3 17,9 17,0 13,1 8,3 3,8 2,9
24 3,4 4,8 4,2 9,3 15,3 17,5 18,1 17,0 12,5 8,2 3,1 1,9
25 4,2 4,8 5,5 9,5 15,2 17,8 18,9 16,7 13,0 8,7 3,5 2,5
26 3,2 4,8 5,6 9,6 14,8 18,6 17,5 17,2 12,3 8,4 4,6 1,4
27 3,1 5,9 4,0 9,8 14,5 18,0 17,0 17,0 12,6 8,3 5,2 2,6
28 4,4 5,8 5,0 9,7 12,4 16,0 18,1 17,2 11,9 8,0 4,6 0,6
29 3,8 5,4 6,1 11,5 12,5 15,4 17,6 17,7 12,0 8,1 3,9 1,3
30 3,2 6,0 11,1 12,2 15,3 17,1 17,5 11,7 8,4 4,2 1,4
31 3,9 6,8 12,5 17,4 17,1 8,4 1,6
Cotte.
  1. La barre − indique les degrés au-dessous du terme de la congélation.