Cours d’agriculture (Rozier)/PÂLES COULEURS

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Hôtel Serpente (Tome septièmep. 387-390).


PÂLES COULEURS, Médecine rurale. Maladie dont le principal symptôme est la pâleur du visage, avec foiblesse habituelle.

Elle a reçu différens noms ; Hippocrate l’a appelée chlorose : les médecins modernes l’ont nommée fièvre blanche des filles : elle est aussi connue sous le nom de fièvre amoureuse, ou de maladie des vierges. En effet, elle attaque particulièrement les filles qui ne sont point réglées, ou qui le deviennent avec beaucoup de peine : elle existe quelquefois après la menstruation chez certaines filles nubiles, ou chez de jeunes veuves dont les désirs n’ont pu être satisfaits. Les pâles couleurs sont une maladie très commune & fort facile à observer : elle survient quelquefois tout à coup. Les jeunes filles qui en sont frappées, sont pâles ; & quand elle est invétérée, elles ont une couleur jaune & terne, quoique leurs yeux soient très-blancs. Elles deviennent bouffies, & à mesure que la pâleur de la peau fait des progrès, les bouffissures se manifestent aux paupières & aux autres parties du visage, ainsi qu’aux parties inférieures. Elles perdent le goût & l’appétit peut ; elles éprouvent des maux de tête, de fréquentes palpitations de cœur, des angoisses & souvent même des défaillances ; leur pouls devient fréquent & petit ; elles se sentent essoufflées au moindre mouvement extraordinaire quelles font ; elles ont du dégoût pour tout ce que l’on peut leur proposer d’agréable. Leurs urines sont épaisses, troubles, rouges & quelquefois noirâtres. La fièvre lente survient, elle redouble, sur-tout le soir. Les frissons s’emparent de tout le corps, les hypocondres augmentent de volume, le ventre se tuméfie & grossit au point qu’on est porté à soupçonner un état de grossesse.

Les filles, dans cet état, sont très paresseuses ; elles passeroient les jours & les nuits à dormir, si on n’avoit le soin de les éveiller. Cette pente au sommeil tient à la foiblesse des organes, & rend cette maladie plus opiniâtre & plus difficile à guérir. Une infinité de causes peut occasionner les pâles couleurs ; Rivière regarde l’obstruction des vaisseaux qui environnent la matrice, comme la cause immédiate de la chlorose ; mais outre cette cause qui est la plus ordinaire, on a vu cette maladie excitée par l’épaississement des humeurs, occasionnée par la foiblesse des fibres, par une boisson chaude trop abondante, par le défaut d’exercice, par un sommeil trop long, par des évacuations périodiques supprimées, par l’abus des boissons échauffantes & spiritueuses, par une pléthore universelle. Les vives passions de l’ame, telles que la colère, le chagrin, un amour malheureux, des désirs vains, ou trop mal satisfaits, lui donnent aussi naissance.

« Sauvage regarde cette maladie comme très-opiniâtre ; & selon lui, elle ne disparoît guère que lorsque le temps de la cessation des règles est arrivé : mais la couleur pâle vient de ce que la lymphe prédomine dans les vaisseaux de la peau & absorbe la couleur rouge du sang. Ce célèbre médecin nous apprend encore que dans cette maladie les digestions se vicient de différentes manières. Les humeurs excrémentitielles retenues, pervertissent de jour en jour la masse du sang, les solides se relachent, le tissu cellulaire s’engorge de cette sérosité vicieuse ; le cœur & tous les muscles s’affoiblissent : de là, la pâleur plombée, la couleur de cire que quelques-uns nomment verte : les pieds se gonflent sur le soir, ils retiennent l’impression des souliers & celle qu’on y fait avec les doigts ; le matin les paupières s’enflent & sont livides, mais les chairs, par exemple celle des joues, sont enflées & non amaigries. Cette maladie dégénère souvent en cachexie & en anazarque ou leucophlegmatie (Voyez ces deux mots) »

Les indications à remplir-dans le traitement de cette maladie, sont relatives aux causes qui l’ont produite : la première sera de diminuer la masse du sang, puisqu’il y a une pléthore réelle dans presque tous les sujets, attaqués des pâles couleurs. On ne saignera du pied que les sujets foibles, mais dont le sang est pur & dont les douleur & la pesanteur de tête, ainsi que celle des reins & des lombes, laissent appercevoir une gêne & uni embarras dans la circulation. Mais la saignée doit être proscrite, si le sang a dégénéré, & s’il y a sur-tout une complication scorbutique ; il vaut mieux employer des remèdes propres à combattre une pareille diathèze, tels que le cresson, le raifort sauvage, la roquette & autres antiscorbutiques. Van-Helmont a vu périr subitement de jeunes filles qu’on avoit saignées à contre-temps dans pareille circonstance.

On prescrira les bains de fauteuil lorsque le défaut de menstruation (cause la plus ordinaire des pâles couleurs) dépendra de la tension, & du spasme des solides & des vaisseaux de la matrice. Mais on doit les continuer pendant un certain temps pour pouvoir disposer ces mêmes vaisseaux à s’ouvrir plus complètement, & par cela même hâter l’apparition des menstrues.

Les pédiluves ne doivent pas être négligés ; & pour obtenir d’eux un effet plus révulsif, on n’a qu’à y délayer environ une demi-once de moutarde en poudre, ou y faire dissoudre une certaine quantité de savon ordinaire.

On fera vomir les malades, si elles ont les premières voies remplies de sucs putrides ; on insistera même sur les purgatifs pris dans la classe des drastiques, S’il y avoit un commencement de leucophlegmatie.

On en viendra ensuite à l’usage des emménagogues qu’ont pourra combiner avec les amers & les antispasmodiques, si on en a vue de combattre la foiblesse de toute la construction énervée, de détendre les solides, & de favoriser l’éruption des règles.,

On propose, parmi les amers & les toniques, les eaux minérales ferrugineuses, le quinquina, les différentes préparations de mars, la gentiane, le borax, la serpentaire de Virginie, la teinture de mars tartarisée, l’écorce de Winther ; les emménagogues accélèrent la menstruation, mais ce n’est pas sans causer quelquefois les plus grands désordres dans l’économie animale. Il paroît que les médecins modernes n’insistent pas beaucoup à les donner seuls : ils ont observé sans doute que, combinés avec les relachans, ils opéroient le même effet sans faire le moindre mal. L’exercice à l’air libre, les promenades à cheval doivent être recommandées aux filles chlorotiques : le mouvement qu’on fait en se promenant, les différentes secousses du cheval, sont très-propres à redonner du ton aux organes relâchés ; & comme l’observe très-bien M. Chambon de Montaux, l’écartement des cuisses favorise la circulation. Il y a d’ailleurs, une sorte de chatouillement dans les parties extérieures de la génération, qui est utile aux filles qui ne sont pas réglées, quand elles montent à la manière des hommes : il en résulte un ébranlement le léger des nerfs qui se distribuent à la vulve, au periné & l’anus, & cette commotion donne plus de ressort à cette partie. C’est sans doute pour ces raisons, que certaines femmes aiment beaucoup l’exercice du cheval : s’il ne fait pas une impression semblable sur les jeunes filles qui ne distinguent pas encore les sensations qui ne s’expliquent chez elles que d’une manière obscure, elles ne déterminent pas moins une affluence de liquides dans les organes qui en sont affectés ; & cet état contribue beaucoup à ouvrir les vaisseaux qui sont destinés à verser le sang menstruel. On ne sauroit assez recommander la gaieté, les amusemens de divers genres, si la chlorose reconnoit pour cause une passion naissante. Maïs si les plaisirs de l’amour provoquent les règles, le mariage sera un moyen curatif. C’est aussi pour cette raison qu’Hippocrate recommandoit qu’on mariât les filles chlorotiques ; il avoit aussi observé que, si elles concevoient, leur guérison étoit certaine. M. AMI.