Critique de la raison pratique (trad. Barni)/P1/L2/Ch2/V

La bibliothèque libre.




V.


L’existence de Dieu, comme postulat de la raison pure pratique.


La loi morale nous a conduite dans la précédente analyse à un problème pratique, qui nous est prescrit uniquement par la raison pure, indépendamment de tout concours des mobiles sensibles, à savoir au problème de la perfection nécessaire de la première et principale partie du souverain bien, de la moralité, et, ce problème, ne pouvant être entièrement résolu que dans une éternité, an postulat de l’immortalité. Cette même loi doit nous conduire aussi, d’une manière tout aussi désintéressée que tout à l’heure, d’après le jugement d’une raison impartiale, à la possibilité du second élément du souverain bien, ou d’un bonheur proportionné à la moralité, à savoir à la supposition de l’existence d’une cause adéquate à cet effet ; c’es ! —à-dire qu’elle doit postuler l’existence de Dieu, comme condition nécessaire à la possibilité du souverain bien objet de notre volonté nécessairement lié à la législation morale de la raison pure. Nous allons rendre ce rapport évident.

Le bonheur est l’état où se trouve dans le monde un être raisonnable pour qui, dans toute son existence, tout est selon son désir et sa volonté, et il suppose, par conséquent, l’accord de la nature avec tout l’ensemble des fins de cet être, et en même temps avec le principe essentiel de sa volonté. Or la loi morale, comme loi de la liberté, commande par des principes de détermination, qui doivent être entièrement indépendants de la nature et de l’accord de la nature avec notre faculté de désirer (comme mobiles). D’un autre côté, l’être raisonnable agissant dans le monde n’est pas non plus cause du monde et de la nature même. La loi morale ne saurait donc fonder par elle-même un accord nécessaire et juste entre la moralité et le bonheur dans un être qui, faisant partie du monde, en dépend, et ne peut, par conséquent, être la cause de cette nature et la rendre par ses propres forces parfaitement conforme, en ce qui concerne son bonheur, à ses principes pratiques. Et pourtant, dans le problème pratique que nous prescrit la raison pure, c’est à-dire dans la poursuite nécessaire du souverain bien, cet accord est postulé comme nécessaire : nous devons chercher à réaliser le souverain bien (qui, par conséquent, doit être possible). Donc l’existence d’une cause de toute la nature, distincte de la nature même et servant de principe à cet accord, c’est-à-dire à la juste harmonie du bonheur et de la moralité, est aussi postulée. Mais cette cause suprême doit contenir le principe de l’accord de la nature, non pas simplement avec une loi de la volonté des êtres raisonnables, mais avec la représentation de cette loi, en tant qu’ils en font le motif suprême de leur volonté, et, par conséquent, non pas simplement avec la forme des mœurs, mais avec la moralité même comme principe déterminant, c’est-à-dire avec l’intention morale. Donc le souverain bien n’est possible dans le monde qu’autant qu’on admet une nature suprême douée d’une causalité conforme à l’intention morale. Or un être, qui est capable d’agir d’après la représentation de certaines lois est une intelligence (un être raisonnable), et la causalité de cet être, en tant qu’elle est déterminée par cette représentation, est une volonté. Donc la cause suprême de la nature, comme condition du souverain bien, est un être qui est cause de la nature, en tant qu’intelligence et volonté (par conséquent, auteur de la nature), c’est-à-dire qu’elle est Dieu. Par conséquent, le postulat de la possibilité du souverain bien dérivé *[1] (du meilleur monde) est en même temps le postulat de la réalité d’un souverain bien primitif **[2], c’est-à-dire de l’existence de Dieu. Or, puisque c’est un devoir pour nous de travailler à la réalisation du souverain bien, ce n’est pas seulement un droit, mais une nécessité ou un besoin qui dérive de ce devoir, de supposer la possibilité de ce souverain bien, lequel, n’étant possible que sous la condition de l’existence de Dieu, lie inséparablement au devoir la supposition de cette existence, c’est-à-dire qu’il est moralement nécessaire d’admettre l’existence de Dieu.

Il faut bien remarquer ici que cette nécessité morale est subjective, c’est-à-dire qu’elle est un besoin, et non pas objective, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un devoir ; car ce ne peut être un devoir d’admettre l’existence d’une chose (puisque cela ne concerne que l’usage théorique de la raison). Aussi bien ne faut-il pas entendre par là qu’il est nécessaire d’admettre l’existence de Dieu comme le fondement de toute obligation en général (car ce fondement n’est autre, comme nous l’avons suffisamment montré, que l’autonomie de la raison même). La seule chose ici qui soit un devoir, c’est de travailler à la réalisation du souverain bien dans le monde, dont, par conséquent, la possibilité peut être postulée ; mais, comme notre raison ne peut concevoir cette possibilité qu’en supposant une suprême intelligence, admettre l’existence de cette suprême intelligence est donc chose liée à la conscience de notre devoir. À la vérité ce fait même, d’admettre l’existence d’une intelligence suprême, est du ressort de la raison théorique, et, considéré comme un principe d’explication pour elle seule, il n’est qu’une hypothèse ; mais, relativement à la possibilité de concevoir *[3] un objet proposé par la loi morale (le souverain bien), et, par conséquent, un besoin au point de vue pratique, il est un acte de foi **[4], mais de foi purement rationnelle, puisque la raison pure (considérée dans son usage théorique aussi bien que pratique) est l’unique source d’où il dérive.

On peut comprendre maintenant par cette déduction pourquoi les écoles grecques ne purent jamais arriver à la solution de leur problème de la possibilité pratique du souverain bien ; c’est qu’elles considéraient toujours la règle de l’usage que la volonté de l’homme fait de sa liberté comme le fondement unique et suffisant de cette possibilité, et croyaient n’avoir pas besoin en cela de l’existence de Dieu. Sans doute elles n’avaient pas tort d’établir le principe des mœurs en lui-même, indépendamment de ce postulat, en le déduisant uniquement du rapport de la raison à la volonté, et d’en faire ainsi la condition pratique suprême du souverain bien, mais il ne fallait pas en faire pour cela toute la condition de la possibilité du souverain bien. Les épicuriens avaient pris, il est vrai, pour principe suprême des mœurs un principe entièrement faux, celui du bonheur, et ils avaient donné pour une loi une maxime que chacun peut suivre arbitrairement, suivant son inclination ; mais ils se montrèrent assez conséquents, en abaissant leur concept du souverain bien juste au niveau de leur principe, et en n’espérant point de plus grand bonheur que celui que peut procurer la prudence humaine (à laquelle il faut rattacher la tempérance et la modération), bonheur assez misérable, comme on sait, et variable suivant les circonstances ; je ne parle pas des exceptions que leurs maximes devaient incessamment souffrir et qui les rendaient impropres à servir de lois. Les stoïciens au contraire avaient parfaitement choisi leur principe pratique suprême, en faisant de la vertu la condition du souverain bien, mais, en se représentant le degré de vertu exigé par la loi comme quelque chose de tout à fait accessible en cette vie, non-seulement ils élevèrent, sous le nom de sagesse, la puissance morale de l’homme au-dessus de toutes les limites de notre nature, et admirent une chose que contredit entièrement la connaissance de nous-mêmes, mais ils ne voulurent pas faire du second élément du souverain bien, c’est-à-dire du bonheur, un objet particulier de notre faculté de désirer : leur sage, semblable à un Dieu, se rendait par la conscience de l’excellence de sa personne absolument indépendant de la nature (quant à sa satisfaction) ; exposé, il est vrai, aux maux de la vie, il n’y était point soumis (il était aussi exempt de fautes *[5]). Les stoïciens laissaient ainsi réellement de côté le second élément du souverain bien, notre bonheur personnel, en le plaçant exclusivement dans notre activité et dans la satisfaction liée à notre valeur personnelle, c’est-à-dire dans la conscience de notre moralité, en quoi ils auraient pu être suffisamment réfutés par la voix de leur propre nature.

La doctrine du Christianisme 1[6], quand même on ne l’envisagerait pas comme une doctrine religieuse, nous donne sur ce point un concept du souverain bien (du règne de Dieu) qui satisfait seul aux exigences les plus sévères de la raison pratique. La loi morale est sainte (inflexible *[7]), et exige la sainteté des mœurs, quoique toute la perfection morale à laquelle l’homme puisse arriver ne soit jamais que la vertu, c’est-à-dire la résolution d’agir conformément à la loi par respect pour elle. L’homme en effet a conscience d’être continuellement entraîné par ses penchants à violer cette loi, ou tout au moins voit-il que les principes qui le déterminent à la pratiquer ne sont pas purs, c’est-à-dire sont mêlés de beaucoup de mobiles étrangers (dépourvus du caractère moral), et, par conséquent, l’estime qu’il fait de lui-même ne va pas sans humilité. Relativement à la sainteté, qu’exige la loi chrétienne, la seule chose qui soit permise à la créature, c’est donc un progrès indéfini, et c’est précisément ce qui nous donne le juste espoir d’une durée qui s’étende à l’infini. La valeur d’une intention entièrement conforme à la loi morale est infinie, puisque, dans le jugement d’un sage et tout puissant distributeur du bonheur, toute la félicité dont les êtres raisonnables peuvent jouir n’est restreinte par rien autre chose que par le défaut de conformité entre leur conduite et leur devoir. Mais la loi morale ne promet point par elle-même le bonheur, car le bonheur n’est pas nécessairement lié à la pratique de cette loi, suivant les concepts d’un ordre naturel en général. Or la morale chrétienne répare ce défaut (du second élément indispensable du souverain bien), en présentant le monde, dans lequel les êtres raisonnables se consacrent de toute leur âme à la loi morale, comme un règne de Dieu, où, par la puissance d’un être saint, qui rend possible le souverain bien dérivé, la nature et les mœurs sont dans une harmonie, que chacun de ces deux éléments ne produirait pas par lui-même. La sainteté des mœurs nous est déjà présentée dans cette vie comme une règle, mais le bonheur *[8] proportionné à la sainteté, la béatitude ne nous est présentée comme accessible que dans une éternité. C’est que la sainteté doit toujours être en tout état le type de notre conduite, et que le progrès vers la sainteté est déjà possible et nécessaire dans cette vie, tandis qu’en ce monde le bonheur n’est pas possible (ou n’est pas en notre pouvoir), et ne peut être, par conséquent, qu’un objet d’espérance. Le principe chrétien de la morale même n’est pas pour cela théologique (par conséquent hétéronome), mais il exprime l’autonomie de la raison pure pratique par elle-même, car la morale chrétienne ne donne pas la connaissance de Dieu et de sa volonté pour fondement aux lois morales, mais seulement à l’espoir d’arriver au souverain bien sous la condition de suivre ces lois, et même elle ne place pas le véritable mobile, qui doit nous déterminer à les suivre, dans l’attente des conséquences qui résulteront de notre conduite, mais dans la seule idée du devoir, comme dans la seule chose dont la fidèle observation puisse nous rendre dignes du bonheur.

C’est de cette manière que la loi morale conduit par le concept du souverain bien, comme objet et but final de la raison pure pratique, à la religion, c’est-à-dire nous conduit à regarder tous les devoirs comme des commandements de Dieu. Je n’entends point par là des sanctions, c’est-à-dire des ordres arbitraires et par eux-mêmes contingents d’une volonté étrangère, mais des lois essentielles par elles-mêmes de toute volonté libre, que nous devons considérer comme des commandements du souverain être, parce que nous ne pouvons espérer d’arriver au souverain bien, que la loi morale nous fait un devoir de prendre pour objet de nos efforts, que par l’intermédiaire d’une volonté moralement parfaite (sainte et bonne) et en même temps toute-puissante, et, par conséquent, par notre conformité à cette volonté. Ainsi tout reste ici désintéressé, ou se fonde uniquement sur le devoir, et l’on ne prend point pour mobiles la crainte et l’espérance, lesquelles, érigées en principes, anéantissent toute la valeur morale des actions. La loi morale m’ordonne de faire du souverain bien possible dans un monde le suprême objet de toute ma conduite. Mais je ne puis espérer de le réaliser que par la conformité de ma volonté à celle d’un saint et bon auteur du monde, et, quoique mon bonheur personnel soit compris aussi dans le concept du souverain bien, comme dans celui d’un tout où l’on conçoit le plus grand bonheur possible uni, selon la plus juste proportion, au plus haut degré de perfection morale (possible pour les créatures), ce n’est point cette considération, mais la loi morale (laquelle au contraire soumet à d’étroites conditions mon désir illimité du bonheur) qui doit déterminer la volonté à travailler au souverain bien.

C’est pourquoi aussi la morale n’est pas proprement une doctrine qui nous apprenne à nous rendre heureux, mais seulement comment nous devons nous rendre dignes du bonheur. Or ce n’est qu’en ayant recours à la religion que nous pouvons espérer de participer au bonheur en proportion des efforts que nous aurons faits pour n’en pas être indignes.

On est digne de posséder une chose, ou un certain état, quand le fait même de cette possession s’accorde avec le souverain bien. On voit dès lors aisément que la seule chose qui nous rende dignes d’un objet[9], c’est la conduite morale, puisque dans le concept du souverain bien elle est la condition du reste (de ce qui se rapporte à l’état de la personne), c’est-à-dire de la participation au bonheur. Or il suit de là qu’il ne faut jamais traiter la morale comme une doctrine du bonheur, c’est-à-dire comme une doctrine qui nous enseignerait à être heureux, car elle ne doit s’occuper que de la condition rationnelle (conditio sine qua non) du bonheur, et non du moyen de l’acquérir. Mais, lorsque la morale (qui n’impose que des devoirs et ne fournit point de règles à des désirs intéressés) a rempli sa tâche, alors seulement ce désir moral de réaliser le souverain bien (d’attirer à nous le règne de Dieu), qui se fonde sur une loi, et qui auparavant ne pouvait être conçu par aucune âme désintéressée, s’éveillant, et la religion lui venant en aide, la doctrine des mœurs peut être appelée aussi une doctrine du bonheur, parce que l’espoir d’obtenir le bonheur ne commence qu’avec la religion.

On peut aussi comprendre par là comment le dernier but de Dieu dans la création du monde ne peut pas être le bonheur des créatures raisonnables, mais le souverain bien, lequel au désir du bonheur, inhérent à ces créatures, ajoute une condition, c’est qu’elles s’en rendent dignes, c’est-à-dire qu’elles aient de la moralité, car telle est la seule mesure d’après laquelle elles peuvent espérer de participer au bonheur, par la main d’un sage auteur du monde. En effet, comme la sagesse signifie, sous le rapport théorique, la connaissance du souverain bien, et, sous le rapport pratique, la conformité de la volonté au souverain bien, on ne peut pas attribuer à un être souverainement sage un but qui serait fondé uniquement sur la bonté. On ne peut concevoir l’action de cet être (relativement au bonheur des êtres raisonnables) que sous cette condition qu’elle s’accorde avec la sainteté[10] de sa volonté, comme avec le souverain bien en soi. C’est pourquoi ceux qui placent le but de la création dans la gloire de Dieu (je suppose qu’ils ne l’entendent pas dans un sens anthropomorphique, dans le sens d’amour de la louange) ont trouvé l’expression la plus convenable. Il n’y a rien en effet qui soit plus à la gloire de Dieu que la chose la plus précieuse du monde, le respect de ses commandements, l’observation du saint devoir que sa loi nous impose, s’il a en outre le noble dessein de couronner un si bel ordre par un bonheur proportionné. Si cette dernière considération nous le rend aimable pour parler d’une manière humaine, la première en fait un objet d’adoration, les hommes mêmes peuvent bien se faire aimer par des bienfaits, mais cela ne suffit pas pour leur attirer l’estime et la plus grande bienfaisance ne leur fait honneur qu’autant qu’ils savent la mesurer en mérite.

Que dans l’ordre des fins l’homme et avec lui tout être raisonnable soit fin en soi, c’est-à-dire ne puisse jamais être employé comme un moyen par personne pas même par Dieu, sans être en même temps considéré comme une fin, que, par conséquent, l’humanité soit sainte en notre personne, c’est ce qui va de soi-même, puisque l’homme est le sujet de la loi morale, par conséquent de ce qui est saint en soi et de ̃̃ce qui seul peut donner à quelque chose un caractère sain. La loi morale en effet se fonde sur l’autonomie de sa volonté, c’est-à-dire d’une volonté libre, qui doit nécessairement pouvoir s’accorder, en suivant des lois universelles, avec ce à quoi elle doit se soumettre.


Notes de Kant[modifier]

  1. * des höchsten abgeleiteten Guts.
  2. ** ein höchsten ursprünglichen Guts.
  3. * Verständlichkeit. Proprement intelligibilité.
  4. ** Glaube. Voyez la critique de la Raison pure, Méthodologie, et la critique du Jugement, §§ 89 et 90, traduct. franç., vol. II, p. 188 et suivantes. J. B.
  5. * vom Bösen.
  6. 1 On pense généralement que la doctrine morale du Christianisme ne remporte pas en pureté sur le concept moral des stoïciens ; mais la différence est pourtant très-manifeste. Le système stoïcien faisait de la conscience des forces de l’âme comme le pivot de toutes les intentions morales, et, quoique les partisans de ce système parlassent de devoir, et même les déterminassent exactement, ils plaçaient néanmoins le mobile et le véritable principe déterminant de la volonté dans une certaine grandeur d’âme qui élève l’homme au-dessus des mobiles inférieurs de la sensibilité, lesquels ne sont puissants que par notre faiblesse. La vertu était ainsi pour eux une sorte d’héroïsme, par où le sage s’élève au dessus de la nature animale de l’homme, se suffit à lui-même, impose aux autres des devoirs, au-dessus desquels il se place lui-même, et n’a pas à craindre d’être désormais tenté de violer la loi morale. Mais ils n’eussent point pensé ainsi, s’ils s’étaient représenté cette loi dans toute sa pureté et toute sa sévérité, comme le fait l’Évangile en ses préceptes. Quoique j’appelle idée une perfection à laquelle rien dans l’expérience ne peut être adéquat, les idées morales ne sont pas pour cela, comme les idées de la raison spéculative, quelque chose de transcendant, c’est-à-dire quelque chose dont nous ne pouvons pas même déterminer suffisamment le concept, ou dont il est incertain s’il y a en général un objet correspondant ; mais, comme types de la perfection pratique, elles fournissent la règle indispensable à la moralité de la conduite et servent en même temps de mesure de comparaison. Si l’on considère la morale chrétienne par son côté philosophique, et qu’on la rapproche des écoles grecques, on peut les caractériser en disant que les idées des cyniques, des épicuriens, des stoïciens et des chrétiens sont la simplicité de la nature, la prudence, la sagesse et la sainteté. Quant au chemin à suivre pour y arriver, les écoles grecques se distinguaient entre elles, en ce que les cyniques se contentaient du sens commun, tandis que les deux autres ne croyaient pouvoir se passer de la science ; mais les uns et les autres trouvaient suffisant l’usage des forces naturelles. La morale chrétienne au contraire, par la pureté et la sévérité qu’elle donne à ses préceptes (comme il convient en effet), ôte à l’homme la confiance d’y être parfaitement adéquat, du moins dans cette vie, mais en revanche elle nous laisse espérer que, si nous agissons aussi bien qu’il est en notre pouvoir, ce qui n’est pas en notre pouvoir aura lieu d’une autre manière, que nous sachions ou non comment. Aristote et Platon ne se distinguent que relativement à l’origine de nos concepts moraux.
  7. * unnachsichtlich.
  8. * das Wohl.
  9. alle Würdigkeit.
  10. Je ferai encore remarquer ici, pour bien mettre en lumière la nature propre de ces concepts, que, tandis qu’on attribue à Dieu diverses qualités qu’on trouve aussi dans les créatures, appropriées à leur condition et que l’on conçoit en Dieu élevées au plus haut degré, par exemple, la puissance, la science, la présence, la bonté, etc., qui deviennent alors l’omnipotence, l’omniscience, l’omniprésence, la toute-bonté, etc., il y en a trois qui lui sont attribuées exclusivement et sans désignation de quantité, et qui toutes sont morales. Il est le seul saint, le seul bienheureux (Der allein Selige.), le seul sage, car ces concepts impliquent déjà l’infinitude ('Unendlichkeit.). Suivant l’ordre de ces attributs, Dieu est donc aussi le saint législateur (et créateur), le bon maître (der gute meister.) (et conservateur), et le juge équitable. Trois attributs par lesquels Dieu est l’objet de la religion, et auxquels les perfections métaphysiques, qu’ils supposent, s’ajoutent d’elles-mêmes dans la raison.


Notes du traducteur[modifier]