Célimare le Bien-aimé
CÉLIMARE
LE BIEN-AIMÉ
COMÉDIE-VAUDEVILLE
EN TROIS ACTES
représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 27 février 1863.
COLLABORATEURS : M. DELACOUR
Acteurs qui ont créé les rôles
Paul Célimare : MM. Geoffroy.
Vernouillet : Lhéritier
Bocardon : Hyacinthe
Colombot : Mercier
Pitois : Lassouche
Madame Colombot : Mme Delille
Emma, sa fille : Mlles Deschamps
Adeline, femme de chambre : Danjou
Deux tapissiers
ACTE I
Un salon très élégant. À gauche, au premier plan, une cheminée. Au deuxième plan, une porte. Au fond, porte d’entrée. Dans les deux pans coupés, à gauche et à droite, deux fenêtres. À droite, deux portes latérales, une au premier plan, communiquant à la lingerie. Divan, chaises, fauteuils, ameublement riche. Un secrétaire au fond, à droite, dans lequel se trouve un petit coffret. Table à gauche près de la cheminée. Pendules, flambeaux, vases, etc.
Scène première
Les deux tapissiers achèvent de poser des rideaux.
Adeline les aide.
Eh bien ? ces rideaux ? Dépêchons-nous, mes enfants !
À neuf heures, Monsieur veut que l’appartement soi débarrassé.
Mais la cérémonie n’est que pour onze heures.
C’est égal… Monsieur m’a défendu de laisser traîner des tapissiers dans l’appartement quand il partira pour la mairie.
Dites donc… entre nous… il est un peu âgé, Monsieur, pour se marier…
Il a quarante-sept ans… Je lui ai fait les observations que je devais lui faire… Il m’a envoyé promener… ça le regarde.
La future n’a que dix-huit ans… C’est bien dangereux !
Ca ne prouve rien… Moi, j’ai épousé une femme qui avait cinq ans de plus que moi… et ça ne m’a pas empêché…
Comment !… vous, monsieur Pitois ?
Parfaitement… Vous ne le saviez pas ?…
Non… je ne suis ici que de ce matin…
C’est donc ça… Du reste, quand il arriverait malheur à Monsieur… ce serait pain bénit… En voilà un qui en a fait de toutes les couleurs… C’était un gandin… On l’appelait le gandin de la rue des Lombards… quand il était jeune et droguiste…
Il a été droguiste ?
Oui… Ah ! on peut dire que cet homme a eu un moment bien brillant !
On entend sonner.
On sonne.
C’est Monsieur… c’est pour le friser… Depuis douze ans, c’est moi qui le frise… Quand je vois un cheveu blanc… crac ! (On sonne plus fort.) Voilà, monsieur ! voilà, monsieur !…
Il entre à droite, deuxième plan.
Scène II
Relevez les rideaux… c’est plus gracieux !
Ne faites pas attention… c’est moi…
Ah ! la nouvelle femme de chambre de ma fille… celle que ma femme a arrêtée hier…
Oui… monsieur…
Où est Célimare… mon futur gendre ?
On le frise…
Tiens… il se fait friser ?… Ah ! le sournois, il nous disait que c’était naturel !…
Je vais le prévenir…
On apportera la corbeille et le trousseau dans la journée… vous disposerez tout ça dans la lingerie.
Oui, monsieur.
Mademoiselle, nous avons fini…
Il y a encore les petits rideaux à poser dans la chambre à coucher. (Prenant les rideaux sur un meuble.) Entrez toujours… je vais vous les porter…
Je vais avec vous… je veux voir si tout est en ordre.
Il fait entrer à gauche les tapissiers et les suit.
Scène III
Oui, monsieur !… Voilà autre chose, à présent… Monsieur qui me dit d’allumer du feu dans ce salon.
Eh bien, puisqu’il vous le dit… faites-le… Ce n’est pas vous qui payez le bois.
Elle entre à gauche avec les rideaux.
Du feu… au mois d’août… et un jour de noces !
Eh bien, ce feu a-t-il pris ?
On le souffle.
Dépêche-toi.
Monsieur a froid ?
Oui… ouvre la fenêtre… et achève de me coiffer.
Il prend la chaise placée près de la table et s’assied en face du souffleur.Il veut que j’ouvre la fenêtre, à présent… Bizarre !… bizarre ! (Haut.) Combien Monsieur veut-il de boucles ?
Il se tient debout derrière Célimare et finit de le coiffer.
Partout… partout… et que ça ait l’air naturel.
C’est égal… un homme qui se marie et qui fait du feu au mois d’août…
Eh bien !… après ?
J’ai fait à Monsieur les observations que je devais lui faire…
Parce que tu as été malheureux avec ta femme, tu vois des sinistres partout… Le fait est qu’on doit passer un mauvais quart d’heure quand on découvre la chose…
Oh ! moi, je m’y attendais… Depuis quelque temps, Pulchérie… se pommadait extraordinairement et mettait de l’eau de Cologne dans son mouchoir… et, quand une femme de chambre se pommade…
Mauvais signe ! (Parlant de sa coiffure.) Fais bouffer ! fais bouffer !… Eh bien, qu’est-ce que tu en as fait, de ta femme ? tu l’as renvoyée ?…
Ah ! c’est une raison… Mais ton rival, tu l’as jeté par la fenêtre ?…
Non, monsieur… d’abord, les règlements de police s’y opposent… et puis il était plus fort que moi.
Ah ! il paraît que c’était un rude gaillard !
Un homme superbe… dans le genre de Monsieur.
Fais bouffer… fais bouffer…
Mais tout ça ne lui a pas porté bonheur.
Il est mort ?
Il est devenu huissier. (Otant le peignoir.) Monsieur est bouclé.
Célimare se relève.
C’est bien… Mets une bûche dans le feu et va-t’en.
Au mois d’août… Bizarre !… bizarre !…
Il sort par la gauche.
Scène IV
Il ouvre le secrétaire au fond, à droite, et y prend un petit coffret très élégant.
Là… est ma petite collection les lettres de ces dames… Je ne le cache pas… j’ai aimé les dames (gracieusement) et je les aime encore, et je les aimerai toujours ; mais, au moment de me marier, je ne puis garder chez moi ces souvenirs charmants… J’ai fait allumer le bûcher… et je vais consommer le sacrifice. Voyons… on dit que le feu purifie tout. (Prenant un paquet de lettres dans le coffre qu’il dépose sur la table, il s’assied.) Ah ! les lettres de Ninette… ma dernière… une grande écriture rageuse… comme son caractère… (Il se lève.) C’est égal ! c’est une femme qui avait de jolis détails ! D’abord elle avait un mari… J’ai toujours aimé les femmes mariées… Une femme qui a un mari… un ménage… cela vous fait un intérieur… et puis c’est rangé, et c’est honnête… et il est si difficile aujourd’hui d’avoir pour maîtresse une femme complètement honnête ! Quant à la dépense… des bouquets… quelques sacs de bonbons… rien du tout ! Par exemple, il y a le mari… une espèce de gêneur qui s’éprend pour vous d’une amitié furieuse… qui vous raconte ses affaires, vous demande conseil, vous charge de ses commissions… ça, c’est le revers ; moi, j’ai toujours soigné le mari… c’est mon système… Ainsi, celui de Ninette… Bocardon… un courtier en indigo… nous nous tutoyons… mais ces liaisons-là n’ont pas de racines… voilà ce qu’il y a de commode… ça se tranche comme avec un couteau… C’est pourtant un brave garçon, que ce Bocardon… très serviable… Ainsi, toutes ces lettres, c’est lui qui me les a apportées… dans son chapeau… Nous étions convenus d’un signal avec Ninette… quand Bocardon me disait : "Ah ! à propos ! ma femme m’a chargé de te demander ce que tu penses des Nord…" ça voulait dire : "Ma femme t’a écrit… regarde sous la coiffe de mon chapeau… à gauche…" Je regardais, et… (Montrant les lettres.) Voilà. C’est une femme d’ordre… elle économisait les timbres-postes !… Pauvres gens ! je vais bien leur manquer… Je décidais tout dans la maison… j’étais leur intendant… côté du cœur. Allons ! brûlons ces souvenirs !… Came fait de la peine… mais bah ! (Il jette les lettres au feu.) Adieu, Ninette !… Adieu, Bocardon. (Prenant une autre liasse dans le coffret.) Passons à une autre !
Scène V
Très bien !… ce sera charmant.
Oh !… mon beau-père.
Bonjour, Célimare.
Monsieur Colombot !… Qui vous amène ce matin ?
J’ai voulu donner un dernier coup d’œil à votre installation. (Il remonte, regardant la cheminée.) Tiens ! vous faites du feu… au mois d’août.
Oui… l’air est frais, ce matin.
Et vous ouvrez la fenêtre ?
Ca fumait.
Ah ! le joli coffret !
Il veut le prendre.
Prenez garde !… c’est très fragile.
Je parie que c’est encore une surprise… pour ma fille…
Précisément.
Nous le mettrons dans la corbeille.
C’est ça… plus tard… (À part.) Quand il sera vide.
Célimare ! il faudra bien l’aimer, ma fille…
Soyez tranquille, beau-père.
J’ai peur que vous ne soyez un peu mûr pour elle.
D’abord, je vous préviens qu’Emma est très enfant.
Moi aussi…
Si vous l’aviez vue hier emballer ses poupées… car elle vous les apportera…
Ah ! tant mieux ! ah ! tant mieux ! (Confidentiellement.) Cependant, entre nous, je tâcherai de les lui faire oublier.
Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Dame… (Lui frappant sur le ventre.) Eh ! eh ! papa Colombot.
Il rit.
Ne riez pas comme ça ! ça vous dessine la patte-d’oie !
Ah ! mais… il est ennuyeux.
Voyez-vous, moi, je suis franc… je ne vous cache pas qu’au premier abord, vous ne me plaisiez pas du tout… Oh ! mais pas du tout.
Ah !
À ma femme, non plus…
C’est le notaire… quand il nous a dit que vous aviez quarante mille livres de rente.
Ah ! vous êtes bien bon… je vous remercie.
Ca ne vous fâche pas ?
Comment donc !… au contraire.
Nous nous sommes dit : "Célimare n’est pas jeune… Célimare n’est pas beau… mais la jeunesse, la beauté !… ça passe… tandis que quarante mille livres de rente… quand on a de l’ordre… ça reste !…" Je suis franc, moi !
Je le vois bien !… Heureusement que votre fille ne partage pas votre opinion…
C’est vrai… vous lui plaisez assez… Je ne comprends pas ça…
Qu’y a-t-il d’étonnant ? j’ai su plaire à bien d’autres…
Vous ?… Laissez-moi donc tranquille !… avec un ventre comme ça !
Mais…
Allons ! je vous quitte… Vous avez votre toilette à terminer… À bientôt.
Ne vous faites pas attendre… à onze heure précises.
Soyez tranquille.
Colombot sort par le fond.
Scène VI
Il dit qu’il est franc… je le trouve malhonnête, moi. Il me considère comme un fruit sec de la galanterie… c’est à pouffer de rire : j’avais bien envie de lui ouvrir ce petit coffret… (Il l’ouvre et y prend des lettres.) Les lettres de madame Vernouillet… Cette pauvre Héloïse. (Montrant les lettres.) Ceci représente cinq ans d’une passion… C’était une saisissante Bordelaise… mariée à un vieux bonhomme sans éclat ; elle n’avait qu’un défaut… mais un défaut terrible… Comme tous ceux de Bordeaux, elle aimait les champignons… et elle croyait les connaître, la malheureuse ! Si bien que, tous les dimanches, nous partions de Paris le matin, elle, son mari… et un petit panier… et nous allions dans le bois de Meudon herboriser des vénéneux… Elle s’écriait : "Ah ! voilà un cèpe ! ah ! voilà une oronge ! " et elle fourrait tout ça, dans son petit panier… Vernouillet nous suivait de loin, de très loin… c’était charmant… Le soir, on me retenait à dîner. Inutile de dire que je ne touchais pas à cette affreuse fricassée, assaisonnée à l’huile et à l’ail… Certainement, je ne suis pas plus poltron qu’un autre, mais je n’aime pas dîner avec de la mort-aux-rats… Je reprenais du bœuf, et comme j’avais raison !… Un soir, à onze heures, elle me dit : "À demain !…" et, à minuit, j’étais veuf. (Se reprenant.) Vernouillet était veuf… Cet événement changea mes petites habitudes… je ne savais plus que faire de mes soirées… C’est alors que je songeais aux Bocardon… pour m’étourdir… Pauvre Héloïse ! elle avait un style charmant. (Prenant une lettre et lisant avec attendrissement.) "Mon cher ami… n’apportez pas de melon… mon mari en a reçu de la campagne." (Parlé.) Elle pensait à tout. Quelle femme ! (Prenant une autre lettre et lisant.) "Mon cher ami, c’est demain la fête de M. Vernouillet, n’oubliez pas de venir avec un bouquet." (Parlé.) Et j’arrivais le lendemain avec mon bouquet etmon compliment… comme un collégien… L’ai-je assez gâté, ce mari-là ! je le mettais dans du coton… je faisais ses courses le matin… le soir sa partie de dominos. Tous les jours à quatre heures, j’allais le prendre à son bureau… Un jour, il eut mal aux reins… et… non… je l’ai frictionné… Seulement… elle me savait gré de ces petites attentions… un regard bien senti venait me payer de tous mes sacrifices… Allons, c’est bête de s’attendrir, mettons tout cela au feu…
M. Vernouillet.
Le mari !
Il replace vivement les lettres dans le coffret, qu’il referme et dont il cache la clef dans la poche de son gilet.
Vous êtes seul ?
Ah !…
Ah !
Ils se serrent la main.
Enfin, que voulez-vous ? nous n’y pouvons rien.
Mon Dieu… non… nous n’y pouvons rien. (À part.) Il me retarde pour m’habiller.
Célimare… vous ne venez plus me prendre à mon bureau… je vous attends tous les jours jusqu’à quatre heures un quart… je me dis : "Il va venir ! " et vous ne venez pas.
Excusez-moi… mes occupations…
Célimare, je le vois bien, vous ne m’aimez plus comme autrefois.
Oh !… cher ami… quelle idée !
Qu’est-ce que je vous ai fait ?
Rien !… mais je vais me marier… et vous comprenez… les courses… les démarches…
Ah ! je suis allé chez vous la semaine dernière…
Vous n’êtes resté que cinq minutes…
J’étais pressé…
Autrefois, vous passiez toutes vos soirées à la maison… nous faisions, le domino…
S’il croit que ça va continuer !
Certainement… quand j’ai perdu ma femme… ça m’a fait de la peine… mais je me disais : "Célimare me reste."
Ah ! cher ami, cher ami… (À part.) Il est un peu ennuyeux !
Lorsque vous m’avez fait part de votre mariage… je me suis dit : "Tant mieux, cela me fera un intérieur…"
Ah !
"Il venait chez moi… j’irai chez lui…" Mais je vois bien que c’est un rêve… vous ne m’aimez plus !
Vernouillet, voyons, Vernouillet, pas d’enfantillages.
Moi ?…
Vous ne m’avez même pas invité à votre repas de noce.
J’y ai pensé… mais vous êtes dans les larmes.
Je suis dans les larmes… c’est vrai… mais on ne peut pas toujours pleurer… Voilà six mois.
Six mois, déjà !…
Mon Dieu, oui… comme le temps passe !…
Mais, cher ami, du moment que vous y consentez, je vous invite… je compte sur vous !
Vrai ? eh bien, je vais vous prouver que je ne suis point ingrat.
Il cherche des papiers dans sa poche.
Et ma belle-mère qui m’a bien recommandé de n’inviter personne… on ne tient que seize dans la salle à manger… et nous sommes déjà dix-huit… mais bah ! un de plus… un de plus !
Il sourit.
J’ai pensé à vous ce matin.
Quelques couplets que je me suis amusé à griffonner à votre intention.
Comment ! vous avez songé ?… ah ! que c’est aimable !
C’est sur un air connu, un air que ma pauvre femme aimait à chanter quelquefois. (Il soupire.) Ah !
Ah !…
Enfin, que voulez-vous ! nous n’y pouvons rien !…
Fredonnant très gaiement.
Gai, gai, mariez-vous !
Célimare
Jeunes filles
Et bons drilles…
Vous y êtes.
Chantant.
Gai, gai, mariez-vous !
C’est un usage
Fort sage.
Gai, gai, mariez-vous,
Le mariage est si doux !
Notre ami, qui se marie,
Est la crème des amis !
Ils se donnent la main.
Il sera, je le parie,
La crème aussi des maris.
Gai, gai,
Etc.Très joli… mais vous deviez… Vous n’êtes pas dans l’air. (Prenant le papier.) Permettez… Deuxième couplet.
Chantant.
Sa moitié plaît à la ronde.
C’est pour Madame.
Célimare, chantant
L’époux plaît également.
C’est pour vous.
Célimare, chantant.
Ces deux moitiés dans le monde
Doivent faire un tout charmant.
Et tout le monde reprend :
Chantant.
Gai, gai, mariez-vous !
Ensemble
C’est un usage
Fort sage
Gai, gai, mariez-vous,
Le mariage est si doux !
Comme Héloïse enlevait ça… la fin, surtout. (Il soupire.) Ah !…
Enfin… nous n’y pouvons rien… Je cours m’habiller, et je reviens vous prendre.
Il se dirige vers le fond.
C’est pour onze heures.
Soyez tranquille.
Il sort en fredonnant, Célimare
le reconduit et chante aussi.
Gai, gai, mariez-vous,
Etc.
Enfin, que voulez-vous !…
Scène VII
C’est drôle… depuis qu’il est veuf, je le trouve assommant… En voulà un que je négligerai, après la noce !
C’est moi, mon cher ami… je ne reste qu’un instant.
Bocardon ! mon numéro deux.
Quoi donc ?
Ce n’est rien… Croirais-tu que tu as oublié de nous inviter à ton repas de noce ?
Je vais t’expliquer… ma belle-mère…
J’ai arrangé tout cela… Ninette était furieuse… elle disait : "Il me le payera ! il s’en souviendra ! Tiens ! son tabouret !…" Tu sais, ce joli tabouret qu’elle brodait pour toi ?… elle ne voulait pas le finir… Alors, j’ai tout pris sur moi. Tu vas voir comme je suis fin… je lui ai dit que tu m’en avais parlé… que tu m’avais chargé de l’inviter… et que cela m’était sorti de la tête.
Comment !
Ainsi, sois tranquille… nous viendrons tous les deux.
Sapristi ! nous serons vingt et un… et on ne tient toujours que seize.
Ca l’a un peu calmée… Malgré cela, depuis quelques jours, elle est agacée… Tiens, au fait, depuis le jour où tu nous as fait part de ton mariage… elle est d’une humeur… on dirait que cela la contrarie…
Pourquoi serait-elle contrariée ?…
C’est ce que je lui ai dit : "Qu’est-ce que ça te fait ? Célimare se marie… eh bien, tant mieux !… sa femme te fera une amie…" car j’entends que nos femmes se lient.
Oui ! oui ! sans doute… (À part.) Compte là-dessus.
Entre nous… je crois avoir découvert le véritable motif de sa mauvaise humeur.
Hein ?
Tu ne devines pas ?…
Non.
Elle avait des idées sur toi…
Des idées ! Bocardon… je te jure…
Elle n’aurait pas été fâchée de te faire épouser sa cousine… Elodie.
Ah ! tu crois ?
Oh ! je ne suis pas bête ! mais, comme je lui ai dit l’autre jour : "Elodie n’est pas du tout l’affaire de Célimare."
Oh ! du tout ! du tout !
"D’abord, elle louche…" Alors, elle s’est mise en colère… et elle m’a dit que j’étais un imbécile… Preuve que j’avais deviné juste !
Comme tu connais les femmes !
La mienne, surtout ! je la devine… Alors, elle a ajouté que ton mariage n’était pas fait, qu’il ne se ferait pas…
Comment !
Des bêtises ! propos de femme vexée… Elle ne sait à qui s’en prendre… Ainsi la nouvelle cuisinière… celle que tu nous as donnée…
Eh bien ?
Elle ne restera pas… Il y a eu des mots ce matin. Il faudra que tu arranges ça… Nous voulons aussi te consulter pour changer le papier de notre salle à manger.
Ah ! mon ami, permets…
Pas aujourd’hui ! marie-toi d’abord… et reviens-nous bien vite… car tu nous manques… Nous ne savons plus que faire…
Encore un qui croit que ça va continuer.
Ah ! pauvre bête !
Aussitôt qu’il t’apercevrait, il se dressait sur ses pattes de derrière, comme ça… pour avoir un petit morceau de sucre ! Ah ! tu l’avais bien dressé !
Oui… nous étions très amis.
C’est au point qu’à peine si tu entrais sous la porte cochère, il se mettait… comme ça… il te sentait. Il faut que l’homme ait un joli parfum, tout de même !
Non : mais l’odorat est tellement développé chez les chiens…
Enfin, mon pauvre ami, nos soirées sont longues… au lieu de ce bon bézigue que nous faisions tous les soirs…
Ah ! oui… Tu es pour le bézigue, toi ?
J’aime bien ça !
Il y en a qui préfèrent le domino.
Moi pas… Ah çà, je te quitte… je vais acheter des gants… ceux-ci ont craqué… À bientôt.
Il remonte.
Ah !… à propos… ma femme m’a chargé de te demander ce que tu penses des Nord.
Ah bah ! (À part.) Une lettre ! (Haut, voulant prendre le chapeau de Bocardon.) Mais débarrasse-toi donc de ton chapeau.
Non… je m’en vais… il faut que j’aille acheter des gants…
Tu as le temps… tu les achèteras en allant à la mairie… Voyons, donne-moi ton chapeau… je le veux…
Il le prend.
Est-il aimable !… Voilà un ami.
Tu ne m’as rien dit de mon nouveau mobilier.
Tiens ! c’est vrai… des meubles neufs !… c’est charmant !
Il tourne autour de l’appartement qu’il examine.
Sous la coiffe… à gauche… (Tirant un billet.) Voilà… Que peut-elle me vouloir, à présent ? (À Bocardon.) Examine la pendule.
Où as-tu trouvé ça ?
C’est gentil !
"Monsieur, je ne qualifierais pas votre conduite… mais si vous êtes un homme d’honneur, renvoyez-moi mes lettres avant midi…" (Parlé.) Ses lettres ! saprelotte… je viens de les brûler…
Scène VIII
Il faut que je lui parle à l’instant.
Ma belle-mère ! déjà !…
Ah ! c’est vous, monsieur.
Qu’y a-t-il donc ? cet air bouleversé…
J’ai laissé ma fille avec le coiffeur… pour venir vous demander une explication…
À moi ?
Il faut que nous causions… seul à seul.
Intime.
Soit… Monsieur, il s’agit d’une lettre anonyme que j’aie reçue, il y a quelques minutes à peine…
Une lettre anonyme ?
Sans signature ?
Je ne l’ai pas même montrée à mon mari… Je me suis jetée dans un fiacre… Car, dans une heure, il ne serait plus temps de rompre.
Mais de quoi s’agit-il ?
Monsieur Célimare, votre fortune, votre brillante fortune… nous a déjà fait passer par-dessus bien des choses… et, pour ne parler que de votre âge, croyez bien que, sans vos quarante mille livres de rente…
Oui… je sais… M. votre mari a déjà eu l’obligeance de me le dire… Mais cette lettre ?…
Elle nous révèle un fait monstrueux… Vous avez un attachement, monsieur !…
Par exemple !
Aïe !… (Indiquant Bocardon.) Et l’autre qui est là !
Permettez… C’est impossible !…
Pourquoi ?…
Il passe toutes ses soirées chez moi.
Oui… nous jouons le bézigue.
À deux sous… L’autre jour… j’ai eu le quinze cents… J’aime bien ça !…
Mais pourtant cette lettre affirme…
Pristi !… l’écriture de madame Bocardon.
Voyons voir !
Non, c’est inutile !
Pourquoi ?…
On méprise ces dénonciations anonymes… mais on ne leur fait pas l’honneur de les lire !
Cachez ça : j’aime mieux tout dire… Oui, belle-maman, j’ai aimé une femme : vous pensez bien que je ne suis pas arrivé à mon âge… oui, j’ai été chez elle tous les soirs pendant cinq ans…
Pendant cinq ans…
Tous les soirs… je réclame…
Mais d’un mot je puis dissiper vos inquiétudes : depuis six mois, cette femme n’est plus… une fin tragique et prématurée est venue l’enlever à mon affection… et à l’estime de son mari.
Il y a un mari : je conterai ça à Ninette, ça la fera rire !
Et cette femme, peut-on savoir ?…
Impossible : il faudrait vous la nommer et son mari existe…
Il remonte un peu.
Il ne serait pas content.
Qui m’assure que vous ne me faites pas une histoire ?…
Ah ! belle-maman !
Oh !… je vous en donne ma parole d’honneur !
Paul… je vous crois.
Elle déchire la lettre en deux et en jette un morceau du côté de Célimare et l’autre du côté de Bocardon.
Sauvé ! (Il ramasse vivement le morceau. À part.) La lettre !
Il la froisse et la jette au feu.
Il s’en tire… il n’y a que le mari…
Ceci est entre nous… je n’en parlerai ni à ma fille ni à mon mari.
Je vous en prie… et soyez sûr qu’à l’avenir…
Oh ! je suis tranquille… votre âge me répond de vous.
Mon âge… Décidément ils me prennent pour un infirme.
Je retourne auprès de ma fille, je reviendrai tantôt accompagner le trousseau.
Belle-maman… ah ! j’oubliais : nous aurons trois convives de plus.
Un vieil ami que j’avais oublié… en outre, M. Bocardon et sa femme…
Qu’il avait oubliés aussi… Moi, le jour de mes noces, j’avais oublié le notaire, il est venu tout de même !
Trop flattée, monsieur…
Comment donc, madame, c’est moi au contraire.
Où voulez-vous que je les fourre ?
Vous ferez une petite table… on s’arrangera. (La reconduisant au fond.) À bientôt, belle-maman !
Elle sort par le fond.
Scène IX
Oh ! les lettres anonymes ! je trouve ça hideux. (Regardant l’écriture.) Ciel ! l’écriture de Ninette !
Mais c’est l’écriture de ma femme, monsieur.
Mais non… mais non… que tu es bête !…
Je la reconnais parfaitement.
Je t’assure que tu te trompes !
Cette femme mariée… chez laquelle vous passez toutes vos soirées… plus de doute. Je ne suis pas dupe de l’histoire que vous avez faite à votre belle-mère. (Se boutonnant.) Monsieur, il me faut une explication.
Scène X
Me voilà !
Silence, du monde !
Renvoyez ce monsieur… nous avons à causer.
J’ai passé mon habit noir… et trouvé un nouveau couplet… Voulez-vous que je vous le chante ?
C’est un souvenir pour ma pauvre femme que nous aimions tant.
Hein ?
Car, pendant cinq ans, monsieur… il venait passer toutes ses soirées avec nous.
Cinq ans. Tiens, tiens !
Taisez-vous donc… il est inutile d’ennuyer Monsieur…
Et madame votre épouse ?…
Nous avons eu le malheur de la perdre…
Ah… bah !
Un fin tragique et prématurée…
Ah ! ah ! ah ! alors… c’est vous ?
Moi… quoi ?
Ah ! ah ! ah ! (À part.) J’aime mieux que ce soit lui.
Ne faites pas attention… c’est un tic, c’est nerveux.
On consulte un médecin…
Il remonte vers le fond.
Mon ami… pardonne-moi de t’avoir soupçonné.
Bocardon ! vous m’avez fait mal.
Que veux-tu ! c’est la faute de ma femme avec sa lettre… employer un pareil moyen pour te faire épouser sa cousine.
Il faut lui pardonner.
Du tout !… nous causerons ce soir ! Je n’ai jamais frappé les femmes, mais…
Ah ! Bocardon…
Je ne prends pas d’engagement !
Il est onze heures… partons-nous ?
Monsieur !…
Ils sont bons tous les deux.
Il sort.
Scène XI
Il a tout à fait le physique de l’emploi. (Haut.) C’est un homme bien aimable que Célimare.
Tiens, son tic est passé. (Haut.) Un homme charmant !
Vous devez bien l’aimer…
Oh oui ! C’est mon meilleur ami…
Naturellement… (Il éclate de rire.) Hi hi hi !
Ca le reprend. (Haut.) Vous ne souffrez pas ?…
Moi ?… non. (D’un ton goguenard.) Et comme ça, pendant cinq ans, il venait tous les soirs… tous les soirs chez vous ?
Il faisait la partie du mari… Comme c’est nature !
Mais, depuis six mois… depuis le départ de ma pauvre Héloïse… il m’a un peu négligé…
Ah dame !…
Quoi ?…
Rien !…
Je ne sais pas ce qu’il fait de ses soirées.
Je le sais, moi !
Ma femme avait beaucoup d’estime pour lui… elle lui brodait tantôt une chose… tantôt une autre… un bonnet grec… des pantoufles.
Des pantoufles ! Mon Dieu… que c’est nature ! (Il éclate de rire.) Hi hi hi !
Toujours son tic !… (Haut.) Vous n’avez jamais consulté ?
Consulté ?… pourquoi ?…
Je disais aussi, le mercredi… (À part.) C’est chez nous. (Haut.) Et Madame lui faisait des petits plats sucrés ?
Oui !
Des pommes au beurre ?
Tiens ! vous connaissez son faible…
Parbleu ! (À part.) Il est complet ! O Molière, où sont tes pinceaux ?
Et, comme il a une cave très bien montée…
C’est vrai !
Il apportait toujours une fine bouteille que nous buvions au dessert. Il a surtout un certain kirsch…
Je le connais !
Ah ! Monsieur en a bu ?
Tous les mercredis… C’est du nectar.
N’est-ce pas ? Enchanté, monsieur, d’avoir fait votre connaissance.
Ils se donnent la main.Comment donc ! mais c’est moi…
Ils se serrent la main au moment où Célimare paraît habillé.
Scène XII
Tiens ! ils fraternisent !
Je viens de causer avec lui… il fait mon bonheur.
Je t’assure que tu te trompes… tu supposes des choses.
Laisse-moi tranquille : je m’y connais.
Au fait, il doit s’y connaître.
Monsieur ! monsieur !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Madame Bocardon est là ; dans votre cabinet, elle a passé par la lingerie.
Elle a demandé si Monsieur avait laissé un paquet pour elle…
Ses lettres !
Je lui ai dit que non… elle est furieuse… elle veut vous parler… elle est là… Faut-il la faire entrer ?
Non.
La voilà !
Ciel !
Il se précipite vers la porte, la ferme vivement et met la clef dans sa poche
Qu’y a-t-il ?
Rien !
On entend frapper violemment à la porte.
On frappe !
Ce sont les tapissiers… c’est insupportable… Allons ! partons ! partons !
Attends : je vais les faire taire. (Criant à travers la porte.) Attendez donc qu’on soit parti, vous, là-bas !
Le bruit cesse.Elle a reconnu sa voix.
Je n’entends plus rien.
Ah ! c’est que je sais parler aux ouvriers, moi…
Je m’en vais… il me fait de la peine.
Il sort.
Eh bien, partons-nous ?
Un instant… j’achève de mettre mes gants. (À part.) Donnons-lui le temps de s’échapper par la lingerie.
Scène XIII
Eh bien, mon gendre ! il faut donc venir vous chercher ?… les voitures sont en bas.
Nous partions !…
Comment !
J’y ai fait déposer le trousseau… et, à cause des ouvriers…
Bien ! la voilà bloquée.
Allons, votre bras.
Comment la délivrer ? (Haut.) Pardon, un ordre à donner… par là…
Il indique le cabinet.
Nous n’avons pas le temps… nous sommes déjà en retard. Venez ! venez !
Ils sortent par le fond.
Messieurs… (Apercevant le coffret resté sur la table et courant le prendre.) Ah ! le coffret ! la surprise. (Il le secoue.) Il y a quelque chose… (Le remettant à Adeline qui entre.) On apportera la corbeille ce soir… vous mettrez ça dedans. (À Bocardon et à Vernouillet.) Messieurs, je vous montre le chemin.
Il sort.
Passez donc.
Non… vous êtes le plus ancien.
C’est juste !
Il passe le premier, Bocardon le suit.
ACTE II
Une salle à manger. — Porte au fond, portes latérales. — Table servie à droite, quatre couverts. À gauche, un buffet.
Scène première
Au lever du rideau, il finit de dresser la table.
Quatre couverts… le papa et la maman vont venir déjeuner… Des parents, ça gêne !… de nouveaux mariés, ça a tant de petites choses à se dire ! (Entendant Célimare et Emma qui entrent de gauche en se donnant le bras.) Monsieur et Madame, dérobons-nous !
Il sort sur la pointe des pieds par la droite.
Scène II
Non, monsieur…
Est-ce que vous êtes souffrante ?
Non, monsieur…
Elle est intimidée, pauvre petite caille.
Il l’embrasse vivement.
Eh bien, monsieur, voulez-vous finir !
Puisque nous sommes seuls.
Ca ne fait rien, monsieur…
"Monsieur…" oh ! quel vilain mot !… c’est froid, c’est cérémonieux… j’ai l’air d’un invité…
Mais comment voulez-vous que je vous appelle ?…
Paul… appelez-moi Paul… je vous appelle bien Emma, moi !
Oh ! je n’oserai jamais !
Votre papa ne se gêne pas pour dire à votre maman : "Séraphine…" l’autre jour encore, il lui a dit : "Séraphine, tu m’ennuies ! " et elle lui a répondu : "Tu n’as pas le sens commun ! " Voilà un bon ménage ! un vrai ménage où l’on se tutoie… Emma, est-ce que vous… est-ce que tu craindrais de me tutoyer ?…
Emma, vivement. Oh ! pas maintenant !… plus tard !… nous ne nous connaissons pas assez…
Oh ! par exemple…
Il rit.
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Rien… Oh ! chère petite… ah ! si tu savais comme je suis bon, comme je suis gentil avec les femmes !
Comment, avec les femmes ?… vous avez donc aimé d’autres femmes, monsieur ?
Oh ! saperlotte ! (Haut.) Jamais ! jamais !
Est-ce bien vrai ?
Demande à ton père… il me connaît, lui !
Oh ! quelle folle idée !… Voyons, raisonnons… tu n’as jamais eu d’autre affection, toi ?
Non.
Eh bien, alors, pourquoi veux-tu que je me sois dérangé plus que toi ?
Au fait…
Tu es donc jalouse ?
Dame… je ne sais pas… mais, quand je pense que vous avez pu aimer une autre femme… que vous l’avez embrassée, peut-être…
Allons donc ! est-ce qu’on s’embrasse comme ça ? mais dans le monde, on n’embrasse que sa femme… sa petite femme !
Il l’embrasse.
Monsieur ! (Les apercevant.) Oh !
Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?
Monsieur… c’est les vieux !
Oui… Le papa et la maman de Madame.
Eh bien, il est poli, votre domestique.
Imbécile !
Le fiacre vient de s’arrêter à la porte…
Je cours au-devant d’eux.
Elle sort vivement par le fond.
Scène III
Approche et parle bas… En rentrant hier soir, j’étais d’une inquiétude… Comment as-tu fait sortir la personne qui était chez moi ?…
Il indique la droite.
Madame Bocardon ?
Plus bas donc.
Tu n’avais pas de clef.
Non ! elle était enfermée des deux côtés, alors j’ai dévissé la serrure.
Ah ! merci !
Ah ! monsieur !
Non… Je me suis trompé… Continue…
La malheureuse mourait de faim… vu qu’il était neuf heures du soir.
Ah ! mon Dieu ! dix heures de lingerie !
Alors, je lui ai offert un restant de nantilles… mais elle est partie comme un coup de vent…
Heureusement Bocardon ne s’est aperçu de rien… Je l’ai occupé toute la journée… à aller conduire et chercher les dames… (Haut.) Pitois… je suis content de toi… Tiens ! voilà vingt francs.
Ah ! monsieur !
Ah !… comme ça, la pièce… c’est pour le bouquet ?
Oui.
Servez donc les grands !
Il s’occupe au buffet.
Scène IV
On entend Colombot à la cantonade.
Beau-père… Belle-maman…
Votre main, mon gendre…
Paul… embrassez-moi !
Ils s’embrassent.
Madame est servie…
Allons, à table ! (À Célimare.) Venez-vous, monsieur ?
"Monsieur" ?
Ne vous inquiétez pas de ça… c’est la timidité…
Ils prennent place autour de le table.À labonne heure ! si j’étais raisonnable, je ne prendrais que du thé…
Tout le monde est assis.
Ah ! vous avez joliment fonctionné hier !… Belle-maman, votre dîner était épatant.
Nous étions trop serrés…
Je connais un de tes voisins qui ne s’en plaignait pas.
Il joue avec sa serviette et cherche à en donner un coup par-dessous la table.
Ah ! très joli !
Il a de l’esprit !
Si nous étions serrés, c’est la faute de ton mari, qui nous a invité trois personnes de plus.
Ah oui ! M. Bocardon ! Il me plaît beaucoup… il est gai !…
Et complaisant… Mais pourquoi donc sa femme n’est-elle pas venue ?
Elle a été retenue… bien malgré elle.
Très gentille… elle a du montant.
Comment ?
Elle a du piquant dans la conversation…
Ah ! par exemple j’aime moins votre autre ami… le vieux…
Vernouillet…
Il a l’air grognon…
Pourquoi diable nous a-t-il chanté un couplet contre les champignons ?
S’il a voulu faire une critique de mon dîner…
Oh ! belle-maman… pouvez-vous supposer ?…
Est-ce que vous le voyez souvent, ce monsieur-là ?
Jamais ! jamais !
Scène V
M. Vernouillet !
Il sort.
Lui !
Qu’est-ce qu’il vient faire ici ?
Ne vous dérangez pas… Tiens ! vous déjeunez déjà ? (Saluant.) Mesdames… messieurs…
M. et Mme Colombo et Emma s’inclinent froidement. Célimare se lève, mais madame Colombot le retient.
C’est ça… soyons froids…
Pauvre homme !… Il vient pour déjeuner. (Haut.) Asseyez-vous donc…
Je vous remercie…
Grand temps pendant lequel on mange sans parler à Vernouillet.
Parfaitement…
Mon gendre… passez-moi les radis…
Ah ! vous n’en êtes encore qu’aux radis !…
Ils sont finis !
Nouveau temps.
Je n’ose pas l’inviter. (Haut.) Et vous allez bien, ce matin ?
Parfaitement… Autrefois, vous ne vous mettiez à table qu’à onze heures…
Mon gendre a changé ses heures…
Oui… j’ai changé… parce que… (Un temps.) Et vous allez bien ce matin ?
Parfaitement… Je me suis dit : "Le temps est beau…" Car il fait très beau aujourd’hui… un soleil !…
Invitation à la promenade !
Alors, j’ai eu l’idée de venir chercher de vosnouvelles (un temps), de vos nouvelles, (nouveau temps), de vos nouvelles. Allons, je vois que vous êtes en parfaite santé !… Je vous laisse…
Il se lève et va prendre son chapeau.
Adieu.
Mesdames… messieurs… ne vous dérangez… (À part, avec amertume.) Pas même un verre d’eau !
Il sort par le fond.
Scène VI
Tous, même position, continuant de manger.
Enfin !… J’ai cru qu’il ne s’en irait pas.
Est-ce qu’il va prendre l’habitude de tomber ainsi chez vous ?
Mais non… C’est un vieil ami… de ma famille… Il voulait avoir de mes nouvelles ; il en a… il est content, il ne reviendra plus…
M. Bocardon !… c’est moi !… Je m’annonce… Mesdames… messieurs…
Toujours gai ! (Haut.) Avez-vous déjeuné ?
C’est fait… (À Célimare.) Je viens te chercher.
Moi ? pourquoi ?
Elle est partie…
Qui ça ?
La cuisinière… Il y a encore eu des mots ce matin… et ma foi !… elle est partie !
Eh bien, qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ?
J’en ai deux en vue… une Picarde et une Bourguignonne. Il faut que tu les voies.
Ah ! mon ami, je n’ai pas le temps… C’était bon autrefois !
Pourquoi, autrefois ?
Parce que… je suis marié !…
Mais mon mari sera toujours heureux de se mettre à votre disposition…
Allons ! tu as la permission… Prends ton chapeau.
Non… Je ne suis pas en train… Je ne sortirai pas aujourd’hui.
Alors, veux-tu que je t’envoie les deux cuisinières ?
Eh ! je ne m’y connais pas, en cuisinières ! (À part.) Est-ce qu’il ne va pas me lâcher ?
Il ne s’y connaît pas ! (Aux autres.) C’est lui qui nous les donne toutes !
Tous se lèvent de table.
Peut-on ôter le couvert ?
Oui.
Il débarrasse la table, met tout dans le buffet, et sort en emportant la table desservie.
En vérité, mon gendre, vous êtes bien peu complaisant pour vos amis…
Je le veux… comme tu voudras !
Mais qu’est-ce qu’il a ? (Regardant le papier.) Tiens ! en voilà un qui est gentil… Qu’est-ce que ça coûte le rouleau ?
Trois francs soixante-quinze.
C’est dans mes prix… Je vous demanderai la permission d’amener ma femme pour le voir.
C’est inutile…
Pourquoi inutile ?
Mais nous serons enchantés de faire connaissance avec madame Bocardon…
Bon ! elle va l’inviter.
Et nous espérons bien lui rendre notre visite…
Oui, prends garde de le perdre.
Ah ! permets !… c’est toi qui as dit cela.
Est-ce moi ?… Après ça, c’est la même chose…
La même chose ? Pas du tout.
Pourquoi ?
Dame !… tu me fais parler… sans savoir…
Tiens, veux-tu que je te dise ?… tu n’as jamais aimé ma femme, toi !
Ah ! par exemple !
C’est elle qui me l’a dit.
Vous êtes injuste… car, ce matin encore, mon gendre regrettait de n’avoir pas vu hier madame Bocardon.
Quand la voiture est allée pour la prendre hier à six heures, elle n’était pas chez elle.
Aïe !
Je sais pourquoi.
Ah !
En tête à tête avec sa névralgie.
Elle est forte, celle-là !
Ah ! la pauvre dame !
Mais elle était à l’église…
Ah ! elle était ?… tu l’as vue ?
Non… mais elle… elle m’a vu…
Ah ! ah ! ah !
Quoi donc ?
C’est une assiette qui a glissé !…
C’est bien, laisse-nous.
Oh ! les maris ! Dire que j’ai été comme ça.
Il disparaît.
Mes amis… il faut que je vous quitte… j’ai un tas de courses. (Tirant un papier de son agenda.) Voici ma liste, l’emploi de ma journée… (Lisant.) "Passer chez Célimare." C’est fait. "Lui parler de la cuisinière." C’est fait. "Lui parler du papier." C’est fait.
Plein d’intérêt.
"Lui parler de la pompe." (Parlé.)Ah ! tu sais bien, la pompe… dans ma maison… rue de Trévise.
Eh bien ?
Elle ne va plus… il faudra que tu examines ça.
Alors, prends-moi tout de suite à l’année.
Ah ! ah ! (Aux autres.) Il n’est pas dans son jour. (Lisant.) "Passer aux Italiens."
Je m’assois.
Il faut vous dire qu’il y a aujourd’hui à trois heures un concert mirobolant. La Patti chante, la Penco chante, l’Alboni chante… tout le monde chante.
Ah ! ce sera charmant.
Tiens… une idée ! Venez-y… je vous présenterai ma femme.
Ah ! oui ! oui !
Quelle bonne idée !
Excellente !
Ah çà ! est-ce qu’il ne va pas nous laisser tranquilles avec sa femme ?
C’est convenu ; n’est-ce pas, mon ami ?
C’est que…
Quoi ?
Je suis extrêmement impressionnable, la musique m’énerve.
Alors, pourquoi donc venais-tu tous les lundis à l’Opéra avec nous ? Ah !
Va-t’en au diable !… Ah !
Il n’est pas dans son jour. Ah ! mesdames, une autre idée, encore meilleure.
Au lieu de nous trouver là-bas aux Italiens… Je mets ma femme dans un fiacre et je l’amène ici.
Bravo !
C’est charmant !
Charmant ! (À part.) Il est à jeter par la fenêtre.
De cette façon, elle fera connaissance avec ces dames, et elle verra ton papier !
Oui… La fête sera complète… (À part.) Elle n’entrera pas, quand je devrais faire démolir l’escalier.
"Renouveler monassurance." (Parlé.) Ca te regarde. (Lisant.) "Passer chez Léon." (Parlé.) C’est un cousin de ma femme. (Lisant.) "Lui demander ce qu’il pense des Nord."
Ah bah ! déjà ?
C’est fait… J’en sors, c’est un bon garçon, pas très fort… mais bon garçon… Impossible de m’en aller… il ne voulait pas me rendre mon chapeau.
Je parie qu’il porte une réponse… Si je pouvais…
Il se dirige tout doucement vers le chapeau de Bocardon, qui est placé sur un meuble à droite.Est-ce que vous opérez sur les Nord ?
Non… pas moi… c’est ma femme… elle aime beaucoup cette valeur.
Il consulte sa liste et, pendant l’aparté de Célimare indique encore ce qu’il a à faire.
Voilà ! Un mot de Léon, au crayon. (Lisant à la dérobée.) "À 5 heures, aux Tuileries…" (Parlé, à part.) J’ai mon affaire. (Tirant un crayon de sa poche.) Le concert est pour trois heures… un 3 au lieu d’un 5… "À 3 heures aux Tuileries…" Elle choisira les Tuileries… je la connais.
Il remet le billet dans le chapeau.
Il ne me reste plus qu’à me faire coiffer.
Encore !…
Quoi… encore ?
Rien.
Scène VII
C’est insupportable.
À l’autre maintenant.
Mesdames, ne vous dérangezpas, je ne vous importunerai pas longtemps… je n’ai qu’un mot à dire à M. Célimare.
Il échange un salut avec Bocardon qui est un peu remonté.
Renvoyez-le.
Débarrassez-nous-en.
Soyez tranquilles, ce ne sera pas long. (À part.) Après, ce sera le tour de l’autre.
Viens, Emma ! nous avons tout juste le temps de nous préparer pour le concert.
Je vous quitte, nous serons ici à deux heures et demie.
C’est convenu. (Lui donnant son chapeau.) N’oublie pas ton chapeau. (À part.) Important.
Ensemble
Air de la Chatte
M. et Mme Colombot et Emma
Mais comprend-on son insistance !
Revenir sans être invité.
Troubler ainsi par sa présence,
Les plaisirs de l’intimité.
Célimare, seul
Moi, je comprends son insistance,
Il se croit, sans être invité
En droit de partager, je pense,
Les plaisirs de l’intimité.
Vernouillet, toujours au fond
De leur part quelle indifférence,
J’en ai le cœur tout attristé,
Car je nourrissais l’espérance
Par eux d’être autrement traité.
Bocardon
Je suis pressé, l’heure s’avance,
Bientôt avec ma liberté
Le concert nous rendra, je pense,
Les plaisirs de l’intimité.
Bocardon sort par le fond. Emma, M. et Mme Colombot entrent par la gauche.
Scène VIII
Allons ! il s’agit de trancher cela comme avec un couteau… je vais lui faire comprendre que ses visites sont par trop multipliées. (Haut.) Mon cher Vernouillet, j’ai à vous parler.
Moi aussi… je suis venu pour ça.
Vernouillet, je n’ai pas besoin de vous dire combien je vous aime… je crois vous avoir donné assez de preuves de mon amitié.
Oui… jadis.
J’ai toujours infiniment de plaisir à vous voir… mais, vous comprenez, ma nouvelle position… je suis marié.
Eh bien ?
Vous plaisez beaucoup à ma femme… certainement… mais, entre nous… c’est une petite sauvage… elle n’aime pas les nouvelles connaissances, et alors, vous savez… un mari doit faire des concessions ; mais, soyez tranquille, j’irai vous voir.
Très bien, c’est un congé.
Ah ! Vernouillet, voilà un mot cruel.
Au reste, je devais m’y attendre… après ce qui s’est passé hier, à la noce.
Quoi donc ?
Vous avez trouvé convenable de me faire placer tout au bout de la table, avec les enfants.
Vous les aimez.
Ce n’est pas ma faute… c’est ma belle-mère qui a disposé le couvert.
Au dessert… quand j’ai chanté… on parlait, et vous n’avez pas réclamé le silence… vous-même, vous avez causé…
Moi ?… permettez…
Je vous dis que vous avez causé !
Hein !… est-il exigeant, cet animal-là, voilà ce que c’est que de les gâter.
Tout à l’heure… vous étiez à table, et vous ne m’avez pas même offert un verre d’eau.
Nous avions presque fini…
Non, monsieur… vous en étiez aux radis.
Vous croyez ?…
J’en suis sûr… je me suis retiré le cœur ulcéré.
Célimare - Voyons, Vernouillet !…
Non…
Je suis allé déjeuner, à vingt-cinq-sous… à votre porte…
Vraiment ?… on dit qu’on n’est pas mal.
Deux plats au choix… un carafon de vin et un dessert… On m’a servi, en guise de bifteck, un morceau de caoutchouc durci…
Hein !… faut des dents !
Et, comme je ne pouvais pas en venir à bout… je me suis mis à faire des réflexions.
Sur l’état de la boucherie en France.
Je me suis dit : "Autrefois… quand ma femme vivait… Célimare était aux petits soins pour moi… Maintenant qu’elle n’est plus, il me lâche. Pourquoi ?…"
Que le diable l’emporte avec ses réflexions !
"Mais, s’il me lâche, ai-je ajouté, ce n’est pas moi qu’il aimait, et, si ce n’est pas moi… c’était donc ma femme ? "
Alors, un soupçon horrible a traversé mon cerveau, je me suis rappelé toutes les circonstances de notre intimité…
Voyons !… ne vous montez pas la tête.
Ah ! si cela était vrai…
Oui… mais c’est faux !
J’ai déjà choisi mes armes.
Un duel ?
Non… je ne me battrai pas. Le duel est un préjugé barbare… mais je vous attendrai le soir au coin de votre rue… avec des pistolets…
Un meurtre ?
Oh ! je serais acquitté… On acquitte toujours pour la jalousie.
Vernouillet… mais vous êtes fou ! Vous, mon ami… mon vieil ami… (À part.) Il faut le chauffer.
Mais c’est vous seul.
Alors, pourquoi me négligez-vous ?…
Moi ?… mais je me jetterais dans le feu pour vous… Tenez… demandez-moi un service, un petit service.
Des phrases ! J’ai acquis aujourd’hui la preuve de votre parfaite indifférence.
Comment ?
Vernouillet, avec amertume - Célimare… c’est aujourd’hui ma fête !
Allons, bien !… (Haut, voulant l’embrasser.) Cher ami, permettez…
J’ai attendu votre bouquet ce matin…
Ah ! bigre !…
Depuis cinq ans… c’est la première fois que vous l’avez oublié.
Oublié ?… par exemple !… Je l’ai commandé… il va venir.
Scène IX
Tenez ! le voilà…
Est-il possible !… Célimare…
Cher ami… permettez-moi…
Il le donne au vieux.
Ah ! mon ami… mon excellent ami… et des roses blanches !… Ah ! j’étais bien injuste… et cependant, quand j’y songe… car enfin, vous ne quittiez pas ma femme…
Ca va recommencer.
Et je me rappelle qu’un jour… (Se prenant tout à coup les reins.) Aïe !…
Quoi donc ?…
Ah ! pauvre ami… permettez… (Il le frictionne.) Vous voyez, comme autrefois… comme autrefois…
Il le bouchonne.
Qu’il est bon !
Condamné aux frictions forcées à perpétuité.
Hein ?…
Qu’est-ce qu’il fait donc là ?
Il le frotte !
Merci ! ça va mieux. (Apercevant Emma et lui montrant son bouquet.) Voyez donc, madame, comme il est joli ; c’est un présent de votre mari.
Comment ?
Oui… oui… un petit bouquet.
Il faut vous dire que c’est ma fête.
Mais vous ne m’en avez jamais donné d’aussi beau.
Ce n’est pas le premier ?
Tous les ans… à ma fête. (Remontant à droite, à Pitois.) Tiens, mon garçon, va le mettre dans l’eau.
Pitois sort.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Si c’est comme cela qu’il le met à la porte.
Vous m’avez fait une surprise… À mon tour… J’ai fait faire ma photographie. (Il tire des portraits-cartes de sa poche.) Et je n’ai point oublié ces dames… il y en aura pour tout le monde.
Trop bon.
Voilà !… ou plutôt, non, pas encore… je veux y mettre une dédicace… de ma main.
C’est ça… (Lui montrant la porte de droite.) Entrez dans mon cabinet.
Ne vous dérangez pas… je connais l’appartement.
Il entre dans le cabinet
Scène X
Ah çà ! mon gendre, qu’est-ce que cela veut dire ?
Vous deviez le renvoyer.
Et vous lui donnez des bouquets.
C’est sa fête.
Bien plus… vous le frictionnez… pour sa fête.
Est-ce que vous lui devez de l’argent ?…
Moi ? (À part.) Oh ! quelle idée (Haut.) Mieux que cela : il m’a rendu un service… oh ! mais un de ces services…
Lequel ?
Lequel ?
Lequel ?
Attendez-donc… (À part.) Il faut que je le trouve. (Haut.) C’était un soir… non… un jour… il faisait extrêmement chaud… j’étais allé vaguement à l’école de natation… Tout à coup mes deux pieds se prennent dans les filets, au fond.
Ah ! mon Dieu !
Je tirais… je tirais… impossible de me dégager… je commençais à faire des réflexions sérieuses… "Mourir si jeune ! " m’écriai-je, (se reprenant) me disais-je, parce que, au fond de l’eau, on ne peut pas crier…
C’est vrai !
J’en étais là… lorsqu’un homme… pourquoi ne le nommerais-je pas ?… Vernouillet ! l’intrépide Vernouillet, se précipite dans les flots.
Comment ?…
Et il venait de manger… notez ce détail ! il plonge… il me rejoint, il me serre la main en me disant : "Courage, Célimare, ne désespérez pas de la Providence."
Dans l’eau !
Son regard semblait me dire : "Courage, Célimare !…" puis, avec une énergie… qu’on ne lui soupçonnerait pas… il déchire le filet.
Avec son couteau… (Se reprenant.) Avec sesongles… avec ses dents… dans ces moments-là, on prend ce qu’on trouve… bref, il m’empoigne par le bras… et me ramène à la surface aux applaudissements de la populace.
C’est superbe !
C’est magnifique !
Quel brave homme !
Alors, c’est un très fort plongeur ?
Lui ?… il resterait vingt-deux minutes sous l’eau, sans boire ni manger.
Tiens ! ça me rappelle qu’il y a huit jours, en pêchant, j’ai laissé tomber ma montre près du Pont-Neuf… il serait peut-être capable de la retrouver.
Lui ?… il est capable de tout… Et voilà l’homme auquel vous ne voulez pas que j’offre un misérable bouquet le jour de sa fête !
Mais nous ignorions…
Très bien, mon gendre.
Parbleu ! si nous l’avions su… Pourquoi ne pas nous avoir conté ça plus tôt ?
Vernouillet n’aime pas qu’on en parle… ça le contrarie… modeste comme tous les plongeurs.
Ca suffit, nous ne lui en ouvrirons pas la bouche.
Monsieur…
Quoi ?
Il y a là deux cuisinières qui demandent à vous parler.
Celles de M. Bocardon.
Ah ! mais ils ne me laisseront donc pas tranquille… ces deux escargots-là.
Escargots ?
Oui, j’ai mes raisons. (À Pitois.) Dis que je n’y suis pas.
Ce serait malhonnête !
Oui ?… Eh bien, j’y vais. (À part.) Je vais leur donner de mauvais conseils.
Scène XI
En vérité, ton mari n’est guère complaisant.
Ah ! monsieur Vernouillet !
Noble cœur !
Mesdames… permettez-moi… c’est un peu barbouillé, mais la plume était mauvaise.
Madame Colombot, gracieusement. C’est surtout à votre portrait que nous tenons.
Je le placerai en tête de mon album.
Voici votre dédicace. (Lisant.) "À celle dont la destinée est de faire le bonheur de Célimare."
C’est de la prose, ça.
Je m’en doutais.
Maintenant, voici des vers.
Lisant.
"À vous qui des vertus nous offrez l’assemblage…"
Il s’arrête.
Eh bien ?
Je n’en ai fait qu’un… j’attends l’autre… oh ! je le trouverai.
Ne vous fatiguez pas !
Voici la vôtre.
"Au père de l’ange ! au mari des grâces."
L’ange, c’est vous ; les grâces, c’est Madame.
Il indique madame Colombot.
On n’est pas plus galant.
C’est très ressemblant… Vous auriez dû vous faire faire en costume de bain.
Oui.
Moi ?… pourquoi ?
En plongeur.
En plongeur ?…
Nous savons tout.
Seriez-vous de force à retrouver une montre au fond de la Seine ?
Ca ne doit pas être plus difficile que de retrouver un homme.
Non… Cependant, un homme, c’est plus gros… généralement.
Mais comment faites-vous pour rester si longtemps sans respirer ?
Moi ?… mais je respire chaque fois que j’en ai envie.
Il respire.
Oui… mais quand vous plongez… pas moyen.
Par exemple, le jour où vous avez repêché Célimare.
Qui se noyait.
Moi ?… je ne sais pas nager.
Ah ! bah !…
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Mouvement général.
Je n’y comprends rien.
Il ne veut pas l’avouer, modeste comme tous les plongeurs.
"À vous qui des vertus nous offrez l’assemblage…"
Il semble compter la mesure sur ses doigts.
Scène XII
Pas une de plus !… Allez vous promener !
Ce sont les cuisinières… nous ne sommes pas d’accord pour le vin, elles demandent huit bouteilles par semaine.
C’est trop.
C’est de l’intempérance… J’en ai offert trois.
Dites donc… il prétend qu’il ne sait pas nager.
Qui ça ?…
Lui.
Savez-vous combien ça fait par an, huit bouteilles ? Quatre cent seize ?
Mais…
C’est révoltant.
Il le quitte. On entend un bruit de voiture.
Une voiture !
C’est sans doute M. Bocardon qui amène sa femme.
Pourvu qu’elle ait fouillé dans le chapeau.
Mais je ne suis pas prête ?… Mon mantelet…
Fausse sortie.Maman, et mes bracelets ?
Où sont-ils ?
Dans ma corbeille.
Fais attendre cette dame… je reviens.
Elle sort par la droite.
Scène XIII
Il est trop long à monter l’escalier, il y a une femme.
M. Bocardon.
Me voilà.
Il est seul.
Eh bien, et Madame ?
Ah ! la pauvre dame !
Quel contre-temps !
Nous qui nous faisions une fête… (À part.) Elle a choisi les Tuileries…
Je lui ai offert de rester pour lui tenir compagnie… elle n’a jamais voulu.
Parbleu !
Tu dis ?…
Rien.
C’est vraiment désolant ! Est-ce que madame Bocardon ne songe pas à faire quelque chose ?
Si !… je suis décidé à consulter… (À Célimare.) Peux-tu, demain ?
Comment ? (À part.) Il me fourre de la consultation, à présent.
Voilà le coupon ; une très bonne loge.
J’ai bien un second vers, mais il a quatre pieds de trop.
Scène XIV
Ma chère enfant, impossible de mettre la main sur tes bracelets… J’ai fouillé partout et je n’ai rien trouvé que ce coffret.
Ah ! mon Dieu ! (Haut.) Où avez-vous pris ça ?
Dans la corbeille…
Tiens ! il y a quelque chose dedans !
Les lettres d’Héloïse.
Eh bien, où est donc la clef ?
Je ne sais… (Se fouillant.) Je l’avais hier… (À part.) Pas de clef, je suis sauvé !
Butor !… animal !…
Quoi donc ?
Et Vernouillet ! Vernouillet qui est là !
Des lettres !
Patatras !
Une écriture de femme !… elles sont signées !…
Taisez-vous !… pas devant lui !
Comment ?…
Le mari ! silence !… c’est le mari !
Hein ?
Ah ! monsieur, c’est indigne !…
Vous ne le saviez donc pas ? Moi, je le savais.
Monsieur Vernouillet, il faut que je vous parle,… que je vous fasse enfin connaître votre ami…
Emma !
Tais-toi !
Monsieur Vernouillet !…
Je vous écoute, belle dame !
Oh non ! pauvre homme ! (Haut, changeant d’idée.) C’est mon mari… un excellent ami…
Oh ! je le sais…
Il serait bien heureux… si vous vouliez nous accompagner au concert… il reste une place…
Hein ?
Elle l’invite ; elle a un bon petit caractère.
Mon Dieu ! je ne demanderais pas mieux…mais, dans ma position… c’est encore trop récent… Le mois prochain, je ne dis pas…
Mais vous ne le pouvez pas non plus, monsieur.
Célimare, bas - Pourquoi ?
C’est encore trop récent.
Permets, chère amie…
Voilà M. Célimare qui insiste pour vous tenir compagnie…
Moi ?
Ah ! qu’il est bon ! Mais je ne souffrirai pas…
Mon mari connaît ses devoirs… il restera !
Mais…
Il ne vous manquerait plus que d’avoir le courage de l’ingratitude… Je vous défends de m’accompagner.
Elle remonte, ainsi que M et Mme Colombot.
Bon ! nous voilà brouillés !
Une partie ?
Je vais chercher la table.
Venez-vous, monsieur Bocardon ?
C’est que… la musique italienne… (À part.) Une partie !… (Haut.) Ma femme est encore bien souffrante !… je vais chercher la table.
Elle rentre à gauche.
Voyons… Emma…
Laissez-moi, monsieur.
Ah !… mon gendre !
Voilà la table !
Ils la posent au milieu du théâtre, Pitois est entré apportant divers effets pour la sortie de ses maîtres.
Scène XV
Ah çà ! est-ce que je vais traîner toute ma vie ce cabriolet à deux roues ?
Emma, madame Colombot et Colombot font leurs préparatifs de sortie. Pitois se tient au fond, à gauche ; Vernouillet et Bocardon s’occupent à la table de jeu. Célimare est remonté près d’Emma et cherche à se soustraire à la partie proposée.
Ensemble
Air d’Offenbach
Emma et Célimare
Lorsque je rêvais un plaisir,
Quelle insupportable journée !
Voilà l’affreuse destinée
Que me réserve l’avenir.
M. et Mme Colombot et Pitois
Lorsqu’elle rêvait un plaisir,
Quelle insupportable journée !
Voilà la triste destinée
Que lui réserve l’avenir.
Bocardon et Vernouillet
Ah ! pour nous quel charmant plaisir.
Et quelle agréable journée !
Comme autrefois la destinée
À pris soin de nous réunir.
Célimare, à part, continuant l’air
C’est le châtiment qui commence !…
Allons !
Bocardon, le forçant à s’asseoir
Place-toi là !
Célimare, s’asseyant
Bravo !
Me voilà condamné d’avance
À trois heures de domino !
(S’asseyant. Parlé, pendant que Vernouillet remue les dominos.) Je boude !
Pendant la reprise, Célimare s’est assis avec humeur. Emma, M. et madame Colombot sortent par le fond. Célimare veut les suivre et fait divers mouvements pour partir ; mais Vernouillet et Bocardon le forcent à rester assis.
ACTE III
Portes latérales, au premier et troisième plan ; une table à ouvrage, à gauche ; chaises et tabourets. — À droite, chaises, fauteuils, etc. — Deux jardinières dans les pans coupés.
Scène première
Ah ! j’ai bien déjeuné !
Vous avez mangé comme un ogre…
Oui !… l’air de la campagne me fait du bien… Excellente idée qu’a eue mon gendre de louer cette maison…
Ca n’a pas été long : en cinq minutes tout a été conclu…
Et, depuis huit jours, nous voilà installés ici… à Auteuil !…
En pleine lune de miel !… ils roucoulent ! Ca me rappelle le temps où nous…
Taisez-vous donc !…
Oui… Où est le journal ?
Le Constitutionnel ?… Le voilà !
Encore sous bande… Célimare est si amoureux, qu’il n’a même plus le temps de décacheter son journal… Ca me rappelle que, dans les commencements de notre mariage, je lisais, un soir, ce même Constitutionnel, ça t’ennuyait, tu l’as jeté au feu… et alors…
Mais taisez-vous donc !… je ne sais pas ce que vous avez aujourd’hui…
C’est la campagne !
Vois donc, maman, les belles fleurs que je viens de cueillir… et dans notre jardin, s’il vous plaît !…
Il achève de prendre son café… près du bassin… je le quitte !…
Alors, il va venir !… (Apercevant Célimare qui paraît au fond.) Tiens ! le voilà !
Comment ! ma petite femme, tu me laisses seul ?…
Dame ! tu n’en finis pas de prendre ton café.
Je n’en finis pas… parce que je te regarde…
Il est étonnant pour son âge !
J’avale une gorgée… comme ça… et je te regarde comme ceci !… c’est moins sucré !
Ah ! que tu es ridicule !…
Elle me tutoie, maintenant !
Sont-ils gentils ! ça me rappelle…
Monsieur Colombot, laissez-moi tranquille !
Ah ! oui… voyons… Si nous allions nous asseoir à l’ombre ?
Non ! non ! il faut marcher !
Alors, je propose une promenade en bateau…
Oh oui ! une promenade en bateau !
Nous en prendrons deux… un pour papa et maman Colombot… et l’autre…
Pourquoi deux ?
Comme à Venise… chacun sa gondole… vous passerez devant…
Mais non… il vaut mieux être ensemble… Nous descendrons la Seine jusqu’à Saint-Cloud.
Ah ! ce sera charmant !
C’est convenu ! à deux heures, nous levons l’ancre… (Tirant un morceau de pain de sa poche.) Ah ! tenez, beau-père, une croûte de pain pour vos poissons rouges…
Vous faites des études sur le poisson rouge ?
C’est un peuple très intéressant… ils me reconnaissent…
Vraiment ?
Ils approchent quand j’arrive… et ils me regardent avec des yeux d’un doux… Quand ils seront apprivoisés, nous jetterons le filet, et nous les mangerons.
Oh ! papa !
Est-ce que ça se mange, les poissons rouges ?
Pourquoi pas ?… on mange bien des écrevisses… (À sa femme.) Viens avec moi… tu verras leurs petits yeux…
Et, en revenant, nous compterons les pêches.
M. et Mme Colombot sortent par le fond.
Scène II
Il me semble que ça nous arrive souvent.
Je m’applaudis tous les jours d’avoir loué cette campagne !… Un jardin charmant… un rocher… et un labyrinthe… Veux-tu venir dans le labyrinthe ?…
Non !…
Tu ne sais pas, je rêve une construction dans notre jardin…
Comment ?
Oh ! une petite construction… Une volière… J’ai fait demander l’architecte…
Qu’est-ce que tu veux faire d’une volière ?
C’est une bêtise… une superstition, si tu veux… Je voudrais y mettre des tourterelles…
Voilà une autre idée, à présent !
Ton père a ses poissons rouges !… J’aurai mes tourterelles… Chaque âge a ses petits vices.
Il y a de quoi le devenir… Je suis si heureux, ici… loin du bruit… loin du monde…
Loin de M. Vernouillet, surtout…
Célimare, demi-ton de reproche. Ah ! Emma !… c’est de la méchanceté !… Tu m’avais promis de ne plus m’en parler.
Moi ?
Oui… tu m’as pardonné… Lundi, tu m’as pardonné !…
Je vous ai pardonné… mais je vous en veux toujours… Une pareille conduite…
D’abord, je ne te connaissais pas… Et puis, j’étais jeune… j’ai été entraîné… Mais, c’est ma seule faute… mon seul crime… car c’en est un !
Est-ce bien vrai, monsieur ?
Je l’ai juré… sur la photographie de ta mère… Veux-tu que je recommence ?
C’est inutile !…
Ca, je le crois… Dis donc, j’ai fait un drôle de rêve cette nuit…
Ah ! en étais-je ?
Non… j’ai rêvé que M. Vernouillet venait te relancer jusqu’ici… avec un jeu de dominos à la main !
Par exemple !… je l’en défie bien !…
Pourquoi ?
Voici ce que je lui ai écrit en partant : "Cher ami, j’ai été pris cette nuit d’un violent accès de fièvre…"
Menteur !
"Mon médecin m’ordonne de changer d’air…Je pars pour la campagne… Venez me voir dès que vous aurez un moment."
Eh bien !… il va venir…
Non… (Riant.) J’ai oublié de lui donner mon adresse…
Comment ?
Et ton autre ami, M. Bocardon ?
Je lui ai envoyé la même circulaire.
Oh ! pourquoi ?
Ce que j’ai fait pour l’un, je l’ai toujours fait pour l’autre.
Scène III
Pitois, entrant. Monsieur… une visite !
Une visite !
Quelque voisin de campagne, sans doute… Je n’y suis pas !
Monsieur… c’est votre rhumatisme… le numéro un.
Vernouillet !
M. Vernouillet !
Tenez !…voyez plutôt !
Scène IV
Ah ! mon ami ! mon ami !
Cher Vernouillet ! (À part.) D’où tombe-t-il ?
Vous êtes levé… Quelle imprudence !… Mais où avez-vous pris cette mauvaise fièvre ?
Dame !… vous savez… Je ne pensais à rien, et tout à coup… (Frissonnant.) Brrr !
Vous êtes rouge… c’est l’accès qui va venir… Il faut vous coucher.
Permettez !
Mon ami, veux-tu qu’on bassine ton lit ?
Heureusement, me voilà ! Je me constitue votre garde-malade… car je vois que Madame n’y entend rien… Je coucherai dans votre chambre.
Ah ! non !
J’ai dans ma malle une petite pharmacie de voyage : de l’émétique, de la magnésie, de l’arnica, du taffetas d’Angleterre. Nous vous donnerons tout cela… pas à la fois.
J’ose l’espérer…
En attendant, je vais vous faire préparer une petite tisane… du miel, de la laitue et une pomme de reinette coupée en quatre.
Pourquoi en quatre ?…
C’était la tisane de ma femme. (Il soupire.) Ah ! pauvre Héloïse !
Chut ! chut !
Quoi ? vous souffrez ?
Non !
Moi ?… Ah bien, vous ne me connaissez pas !
Mais ce n’est pas ma faute… Votre lettre me disait bien : "Venez me voir !…" mais vous avez oublié de me donner votre adresse.
Ah bah !… pas possible !…
Quelle étourderie !…
Voilà huit jours que je vous cherche ! Mais j’ai eu un éclair… un éclair du cœur !… Je me suis rappelé que vous étiez abonné au Constitutionnel.
Bon !
Je me suis dit : "Il doit se faire envoyer son journal à la campagne" ; je suis allé au bureau… On a refusé de donner votre adresse sans un mot de vous… Je leur ai expliqué que je ne pouvais pas apporter un mot devous, puisque je ne savais pas où vous étiez… Alors, on m’a fermé le guichet sur le nez.
Très bien, voilà un bon journal ! Je vais renouveler mon abonnement.
Je ne me suis pas rebuté… j’ai demandé un rendez-vous au rédacteur en chef… pour une communication importante… Il m’a reçu… Je lui ai exposé ma demande ; il m’a renvoyé au gérant, qui m’a renvoyé au chef des départs de la province, qui m’a renvoyé à celui de Paris, qui m’a renvoyé à celui de la banlieue… Ca a duré quatre heures… Enfin, j’ai vu votre bande : Auteuil, rue La Fontaine, 44… Votre abonnement finit le 1er octobre… Et me voilà !…
Oh ! merci ! (À part.) Je me désabonne.
L’amitié rend l’homme ingénieux !… il faut tâcher de transpirer.
Scène V
Entrez donc, monsieur Bocardon.
À la porte ! Minotaure ! couchez là ! couchez là !
M. Bocardon !
Très bien ! nous voilà au complet !
M. Vernouillet !
Eh bien, tu peux te vanter d’être un joli étourneau !… tu m’écris : "Viens me voir !…" et tu ne me donnes pas ton adresse !
Comme à moi !
Alors, comment as-tu fait pour me découvrir ?
C’est un miracle… tu as de la chance, toi !… Je cherche une maison de campagne pour ma femme… Alors, ce matin, je me promenais dans Auteuil, m’arrêtant à chaque porte devant les écriteaux… lorsque tout à coup… au numéro 44… Minotaure… mon chien… se dresse sur ses deux pattes de derrière… comme ça. Jel’appelle… il refuse d’aller plus loin… et il me regarde toujours comme ça… Alors, je me dis : "Célimare est ici ! " Je sonne, je reconnais Pitois… Minotaure t’avait senti !
C’est prodigieux !
Quel instinct !
Il t’aime bien, Minotaure !
Je lui réserve une boulette, à celui-là !
Puisque je t’ai retrouvé… je passe la journée avec toi…
Je devais aller chez Léon pour lui demander des renseignements… j’irai demain…
Mon ami, il ne faut pas te gêner…
Non… il s’agit des Nord… ce n’est pas pressé…
De mon temps, il était plus exact… C’est un facteur qui se dérange !…
Monsieur… c’est l’architecte qui vient pour la volière…
Très bien ! j’y vais…
Où est ma chambre ?…
Par ici… venez…
Nous allons vous installer.
M. et Mme Colombot, Emma
Air du Pince-nez
Sans perdre un seul instant
Entrez dans cet appartement ;
Vous y bien recevoir
Est notre plus fervent espoir.
Vernouillet
Sans perdre un seul instant
Entrons dans cet appartement ;
Aujourd’hui, j’ai l’espoir
Qu’ils doivent m’y bien recevoir.
Sans perdre un seul instant,
Entrez dans cet appartement ;
Ayez donc bon espoir,
On va vous y bien recevoir.
Ils sortent par la droite, excepté Célimare, qui sort par le fond.
Scène VI
Je viens de voir une maison ravissante… à côté de la vôtre… J’attends Célimare pour la louer…
Comment !… nous serions voisins ?
Porte à porte… Le soir, ma femme viendrait… elle travaillerait pendant que nous ferions notre petit bézigue…
Oh ! ce serait charmant !…
Ce n’est pas pour la vanter… mais je crois que Ninette vous plaira… elle est tout à fait dans votre genre… c’est une femme d’intérieur… (Confidentiellement.) Elle raccommode !
Vraiment ?
Je ne lui reproche que d’être un peu timide… Nous ne voyons personne… excepté Léon… Et encore, c’est moi qui l’ai exigé… Elle le trouve nul, ce jeune homme.
Alors, pourquoi le recevez-vous ?
Oh !… un parent ! La première fois que je vous amènerai Ninette, je suis sûr qu’elle aura peur… elle est bête pour ça !
Mais c’est à moi à lui faire la première visite… Je la lui dois… et depuis longtemps…
Faut-il vous parler franchement ?… Eh bien, allez-y plus tôt que plus tard…
Pourquoi ?
J’ai mes raisons… je ne dis rien… mais j’y vois clair… Chaque fois que je prononce le nom de Célimare,… elle élude… elle me répond par celui de Léon… qu’elle ne peut pas souffrir… Je crois qu’elle est vexée de n’avoir pas encore reçu votre visite.
Oh ! mais j’irai aujourd’hui même.
Justement, c’est son jour.
Monsieur, c’est votre dogue…
Minotaure ?… c’est un terre-neuve !
Il est dans l’antichambre, en train de ronger le manteau gris.
Le manteau de maman !
Et tu ne l’as pas empêché ?…
Non monsieur : il montre les dents…
Attends !… je vais l’attacher. (Il sort par le fond avec Pitois, en criant :) Minotaure !… Minotaure !
Scène VII
Eh bien, maman va être contente… un manteau tout neuf !…
Mon ami, j’ai une bonne nouvelle à t’apprendre… Nous allons avoir un nouveau voisin…
Tiens !… Qui ça ?
Tu ne devines pas ?… M. et madame Bocardon !
Comment !… Où ça ?
Ici !… ils vont louer la maison à côté de la nôtre.
C’est de la glu !
Nous leur devons une visite… il faut la leur faire…
Ca ne presse pas…
Aujourd’hui… j’ai promis…
Aujourd’hui !…
Nous prendrons une voiture… c’est l’affaire d’une heure… Va t’habiller.
Tu n’y penses pas… tu vas chagriner de vieux amis… blesser madame Bocardon, une si excellente dame, simple, timide même…
Elle, timide ?… comme un carabinier !
Décidément, mon ami, M. Bocardon disait vrai l’autre jour… tu n’aimes pas sa femme…
Pas beaucoup… je l’avoue… et, s’il faut te le dire, je ne tiens pas à ce que tu fasses sa connaissance…
Pourquoi ?
Pourquoi ?… pourquoi ?… parce que…
Mais encore ?…
Madame Bocardon n’est pas une personne à voir… Là !
Elle !… une femme de ménage… une femme d’intérieur !…
Et d’extérieur !…
Qu’est-ce que tu dis ?…
Qu’est-ce que tu entends par là ?
Elle a des intrigues…
Comment !…
Ne le répète pas !… avec Léon… mon successeur… (Se reprenant vivement.) Son cousin !
Allons donc ! c’est impossible !…
Je te dis qu’ils s’écrivent… ils sont en correspondance.
C’est une calomnie !
Tu ne me crois pas… Où est le chapeau ?… (Apercevant le chapeau de Bocardon sur un meuble.) Il est là… très bien ! (À Emma.) Qu’est-ce que tu dirais si je faisais apparaître, à l’instant même, une lettre de la timide madame Bocardon… adressée à son cousin ?
Tu as surpris une lettre ?…
Fais-moi le plaisir d’aller chercher cet imperturbable chapeau gris qui s’épanouit là-bas…
Ce chapeau… le voilà… mais je ne comprends pas…
Maintenant, regarde sous la coiffe… (L’arrêtant.) Attends… il faut te dire, auparavant, que Ninette… que madame Ninette Bocardon, manque complètement de confiance dans l’administration des postes… alors elle glisse ses petits épanchements… franco… dans le chapeau de son mari.
Ah !… comment le savez-vous ?
Moi ?… c’est… c’est Léon… ce bavard de Léon qui me l’a dit !… Maintenant, fouille et tu trouveras…
Je ne vois rien…
C’est impossible !… (À part.) Il a parlé des Nord !… (Haut.) Sous la coiffe… à gauche !… à gauche !…
Ah ! si !… un billet !
Allons donc ! (Voyant sa femme qui déplie le billet.) Eh bien, que fais-tu ?
Il faut absolument que je sache…
Ne lis pas le post-scriptum !… (À part.) Ils sont généralement très vigoureux !
"Mon doux Célimare…"
Hein ?
Sapristi ! son chapeau de l’année dernière !… une vieille lettre oubliée !
Oh ! monsieur ! c’est affreux ! c’est indigne !
Non… je vais t’expliquer…
Laissez-moi ! je ne veux plus vous parler ! je vous déteste !
Animal, va ! tu ne peux pas acheter un chapeau neuf.
Il le jette tout aplati sur un meuble.
Hier, M. Vernouillet !… aujourd’hui, M. Bocardon !… Ah çà ! monsieur, tous vos amis ont donc été… mis à contribution ?…
Oh ! quelle idée !
Donnez-moi tout de suite la liste de ces messieurs… je saurai à quoi m’en tenir…
C’est la fin… je te jure que c’est la fin !
Elle est donc bien jolie, cette madame Bocardon ?
Eh bien, alors ?…
J’étais jeune… j’ai été entraîné…
Après huit jours de mariage !
Mais tu n’as pas compris… le chapeau… c’est le chapeau de l’année dernière ! Voyons… réfléchis seulement une minute… Depuis huit jours, je ne te quitte pas… je ne suis pas sorti une seule fois… (Prenant la lettre des mains de sa femme.) D’ailleurs, regarde ce papier, il est vieux il est jaune, il est fané… (Apercevant la date.) Tiens !… 62 !… elle a daté !… (Embrassant le papier.) Oh ! merci !
Comment, monsieur !
C’est la date que j’embrasse !… (Vernouillet paraît à la porte de droite.) Es-tu convaincue, maintenant ?
Oui !… mais vous n’en avez pas moins été l’amant de madame Bocardon !
Ah bah !… lui ?
Silence !…
Bien ! ça se répand !… tout à l’heure on va le faire afficher !
Ce pauvre M. Bocardon !… Du reste, il a bien une tête à ça !
Vernouillet, je vous jure que vous avez tort de rire de ça… vous surtout !
Pourquoi, moi surtout ?
On entend Bocardon crier après son chien.
Chut !… le mari !…
Célimare se dirige vers la table de gauche, où Emma vient de s’asseoir et travaille à une tapisserie.
Scène VIII
Je viens d’attacher Minotaure… il ne voulait pas me suivre… il te sentait. Ah ! il t’aime bien, Minotaure !
La vue de ces deux hommes m’est insupportable !
À propos de Minotaure !… ça me rappelle une histoire bien drôle. (À Emma.) Vous allez rire… Un soir, je rentrais chez moi avec mon chien… que je venais de promener… Je le promène tous les soirs… j’arrive dans la chambre de ma femme… Tout à coup, Minotaure s’élance contre la porte de l’armoire… il se met à gratter… à aboyer ! Je me dis : "C’est un rat… ou un voleur…" J’ouvre l’armoire… c’était Célimare !
Que le diable t’emporte !
Il est maladroit de raconter ça !
C’est ma femme qui l’avait fait cacher pour voir si Minotaure le sentirait… (Gaiement.) Il l’a senti !…
Ah !… c’est très plaisant !
N’est-ce pas qu’elle est drôle ?
Taisez-vous donc !
Pourquoi ?…
Ma femme avait un perroquet encore plus extraordinaire que votre chien… Célimare prenait plaisir à l’instruire…
Allons, le perroquet maintenant !
Sa cage était dans l’antichambre… et, chaque fois qu’il me voyait rentrer, il criait : "Voilà Monsieur ! voilà Monsieur ! "
En effet… c’était très commode…
Il conte ça à la femme… Est-il bête !
Je n’avais pas besoin de me faire annoncer…
Taisez-vous donc ! taisez-vous donc !
Pourquoi ?
Avez-vous vu les nouvelles constructions de l’Opéra ?
Non !… je ne suis pas allé à l’Opéra depuis notre pari…
Bien !… le pari !… Pas de chance !
Quel pari ?
Rien ! ça ne peut pas se raconter.
Figurez-vous, madame, que j’avais reçu d’Alger un burnous arabe…
Mais non… que j’irais m’asseoir à l’orchestre de l’Opéra.
C’est un autre pari, ça…
Je me présentai au contrôle en disant : "Mamamuth… karamba…"
Arrivé à l’École militaire… un monument superbe, en pierre de taille.
Permets…
Allons faire un tour de jardin !…
Bref… il perdit…
Eh bien, oui !… j’ai perdu !… Allons voir les poissons rouges…
Et, comme nous avions parié une discrétion,il fut obligé de conduire Ninette à Chalon-sur-Saône… chez sa tante… Il était furieux !
Oh ! c’est intolérable !
Il n’a aucun tact ! aucun tact !
Quoi donc ?
Ce tabouret… c’est l’ouvrage de Ninette… (Emma se lève et le repousse violemment.) Aïe !
Oh ! je n’y tiens plus !
Qu’a-t-elle donc ?…
Une crampe ! c’est Vernouillet qui l’agace !
Je comprends ça !…
Emmène-le !
Papa Vernouillet… je vous propose une partie de billard…
Oh ! merci !… le billard…
Acceptez !… il exaspère ma femme !
Je comprends ça…
Emmenez-le…
L’honneur ! l’honneur !
Oui, l’honneur !…
Ils sortent par la droite.
Scène IX
Enfin !… ils sont partis !
Oui… ils sont un peu… ennuyeux !
Ennuyeux ?… ils sont odieux !… avec leurs souvenirs !… il m’a fallu essuyer pendant une heure le récit de vos fredaines !…
Voyons, Emma…
C’est intolérable ! vous devriez au moins m’épargner la vue de vos… de ces messieurs !
Mais je ne tiens pas plus que toi à les recevoir !
Alors, renvoyez-les…
Cela vous regarde ! Mais je vous déclare que je ne veux plus me trouver avec eux… S’ils restent… je partirai !…
Mais…
Eux ou moi… choisissez !…
Elle sort.
Choisissez !… Parbleu !… je choisis ma femme !… Mais le moyen ? Si je donne congé à Vernouillet… ses soupçons vont lui revenir… il a des idées si larges sur l’emploi du pistolet… Après tout, moi, je ne peux pas lui en vouloir, à ce bonhomme… (Souriant.) Pendant cinq ans, il a été très hospitalier.
Monsieur !…
Quoi ?
Le dogue a mangé sa corde… et il gratte dans les corbeilles…
Eh ! qu’est-ce que ça me fait ?
Voilà le fruit d’une jeunesse passionnée… on vous amène des chiens qu’on n’a pas le droit de renvoyer… C’est le châtiment !
Puisqu’il a le droit de gratter… qu’il gratte !
Scène X
Mon gendre… j’ai à vous parler.
Laisse-nous ! (Pitois sort.) De quoi s’agit-il, beau-père ?
Monsieur, je quitte ma fille… elle m’a tout appris… c’est révoltant ! Un… passe encore !… mais deux… Ah çà ! c’était donc une profession chez vous ?
Ah permettez, beau-père, mon passé n’appartient pas à ma femme…
Soit !… mais il ne faut pas qu’il vienne s’installer dans votre ménage… votre passé ! et qu’il yraconte des histoires de chien et de perroquet… biscornues !
Qu’y faire ?
Je vous préviens que ces dames font leurs paquets.
Autorisez-vous ma fille à emporter les bijoux de la corbeille ?
Eh ! qu’elle emporte tout… mais qu’elle reste !
Comment voulez-vous qu’elle emporte… si elle reste ?
Mais je ne veux pas qu’elle parte !
Voici son ultimatum : "Si dans dix minutes vous n’avez pas congédié vos deux…"
Allez ! dites le mot !
Non, monsieur, je ne le dirai pas ! vos deux commensaux, c’est nous qui partirons !…
Mais comment ? que leur dire ?
Dites-leur la chose…
C’est ça… après dîner… au dessert ! Vous êtes fou, beau-père !
Est-ce que ces gens-là m’intéressent ! Voulez-vous que je m’en charge ?
Comme vous voudrez ! Mais ma fille ne doit pas souffrir de vos déportements, et, dès que les paquets seront faits, nous partirons !
Bocardon et Vernouillet entrent sur ces derniers mots.
Scène XI
Des paquets ?
Qui est-ce qui part ?
Attendez !… j’ai un moyen ! (Haut.) Mes amis… vous me voyez navré… il va falloir nous séparer…
Nous séparer ?
Jamais !
Merci… merci… pour cemot !… Mon médecin me quitte à l’instant… il m’a trouvé quelque chose dans les voies respiratoires.
La poitrine ?
Ce n’est pas précisément… là… C’est une sueur des bronches… et il m’a ordonné un séjour de quelques mois sous le beau ciel de l’Italie… à Venise !
C’est très adroit !
Ah ! mon pauvre ami !
Quel coup !…
Mais j’y pense… vous n’avez personne pour vous soigner.
Ma femme…
Elle n’y entend rien !… moi, je suis libre, je suis en vacances… je pars avec vous !
Comment ?
Un crampon !
Une idée ! Ninette me tourmente depuis longtemps pour voir l’Italie… Si, au lieu de louer une maison de campagne… oui… nous partons avec toi !
Ah ! il n’est pas possible… ils sont vissés !…
Il remonte un peu.
Non ! laissez-moi leur dire…
Quoi ?
Je les tiens. (Haut à Vernouillet et à Bocardon.) Mes amis, vous saurez tout… ce voyage dont je vous parlais tout à l’heure… c’est une fuite… une fugue !…
Comment ?
Je suis ruiné, poursuivi, traqué ! la Bourse…
Comment ! mon gendre… ?
Célimare, bas à Colombot. Taisez-vous donc ! vous ne comprenez rien. (Aux autres.) Enfin je dois… neuf cent soixante-quatorze mille francs… sans compter les frais !
Diable !
Oh ! je ne vous demande rien !
Ah ! mon pauvre ami !
Mon brave ami !
Merci, merci pour ce mot… mais je me relèverai… on me propose une affaire magnifique… il s’agit de fabriquer du zinc avec de la terre de bruyère… c’est un secret… n’en parlez pas !
Oh !
Soyez tranquille.
Et c’est ici que j’ai besoin de toute votre amitié.
N’en doutez pas !…
Compte sur moi… à la vie, à la mort !
Merci, merci pour ce mot !… Il me faudrait cent mille francs ! (Bocardon et Vernouillet retirent doucement leurs mains. Voyant leur mouvement et à part.) Allons donc ! (Haut.) J’aurais pu les chercher à droite… ou à gauche, mais vous m’en auriez voulu…
Oh ! oh !
Je suis en train de les dévisser… (Haut.) Alors, je vous ai fait à chacun votre part… cinquante mille francs à l’un, cinquante mille francs à l’autre… comme ça il n’y aura pas de jaloux.
Certainement… un vieil ami…
Et dans le malheur encore ! c’est sacré !
Ils remontent un peu.Diable ! diable !
Vous allez voir qu’ils vont vous les prêter.
Ah ! s’ils font ça… je les garde ! (Haut.) Du reste, je ne suis pas pressé, pourvu que j’aie cette somme avant cinq heures. (Tirant sa montre.) Il en est trois.
Deux heures et demie, vous avancez…
Moi, j’ai le quart…
Trois heures dix !…
Enfin, peu importe !…
Comment ! peu importe ?… c’est-à-dire qu’il n’y a que votre montre qui aille bien !
Oui… faut toujours lui céder… c’est fatigant à la fin !
Qu’est-ce qu’ils ont ?
Remarquez que ne je leur dis rien !
Il fait le potentat ; je soutiens, moi, qu’il est deux heures un quart.
Alors… dites tout de suite que ma montre est une patraque !
Patraque ! la montre de ma mère !
Il insulte nos mères !
Remarquez que je n’ai rien dit !
Certes, monsieur… je ne suis pas susceptible, mais il est de ces mots…
Qu’un galant homme…
Ne saurait supporter…
Sans s’abdiquer soi-même !…
Et si c’est une façon de nous faire sentir que notre présence vous gêne…
Oh ! il nous flanque à la porte.
Partons, monsieur !…
Ils remontent.
Remarquez…
Je n’eusse pas cru que nos relations dussent finir ainsi…
Ni moi… certes ! Allons-nous en !… je souffre trop !
Oh ! les amis !
Ils sortent tous les deux par le fond, au moment où Emma et madame Colombot paraissent à gauche. Colombot et Célimare dansent et rient.
Scène XII
Ils dansent !
Ils partent ?
Et pour toujours !…
Je leur ai administré une potion calmante.
Quoi donc ?
C’est bien simple ; j’ai voulu leur emprunter de l’argent…
L’éteignoir de l’amitié !
Et cela a suffi !
Règle générale… on peut tout demander… tout prendre à un ami… (a part) même sa femme ! (Haut.) Mais il ne faut pas toucher à sa bourse.
Monsieur !… le dogue emporte votre caoutchouc.
Ah ! mon Dieu ! il faut courir.
Non ! ils n’auraient qu’à revenir…
Et puis… je ne suis pas fâché qu’ils me prennent quelque chose… nous sommes quittes !
Et allez donc ! il me fait rougir !
Eh bien, monsieur ?
Non ! si jamais j’ai un fils… (Regardant Emma qui baisse les yeux.) Pourquoi n’aurions-nous pas un fils ?
Chut ! chut ! chut !
Le jour où il viendra au monde… voici ce que je lui dirai : (il semble tenir un enfant sur son bras, et fait le geste de lui donner de petites claques) "Jeune homme, ne faites jamais la cour à une femme mariée. Si vos passions désordonnées vous entraînent, je ne vous gronderai pas pour ça… mais respect à la femme mariée… à moins qu’elle ne soit veuve ! "
Chœur
Air : Mon maître a des châteaux (Chatte.)
Les beaux jours vont fleurir,
Plus d’ennuis, plus de nuage,
Rien ne viendra, je gage,
Les assombrir
À l’avenir.
Emma, au public
Air d’Yelva
De leur départ, ce soir ma joie est grande.
Célimare
Moi, sans regrets, je les ai vus partir.
Au public.
Au premier mot d’argent qu’on leur demande
Les vrais amis ne doivent pas s’enfuir.
Voilà, messieurs, quelle est ma théorie :
Or, dussiez-vous me trouvez exigeant,
Montrez-vous tous mes amis, je vous prie,
En revenant nous porter votre argent.
Tous
Montrez-vous tous nos amis, je vous prie,
En revenant nous porter votre argent.
Reprise du chœur
Les beaux jours,
Etc.
RIDEAU