Valentines et autres vers/Dangereuse

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Valentines et autres vers, Texte établi par Ernest DelahayeAlbert Messein (p. 73-75).
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DANGEREUSE


 
Vous dangereuse ? mais sans doute !
Très dangereuse, c’est certain ;
Comme la peur que l’on écoute,
Comme le bois près de la route
Vers les six heures du matin ;

Comme l’éloquence imagée,
Comme un titre sur parchemin,
Comme le vin et la dragée,
Ou comme l’arme trop chargée
Qui vous éclate dans la main ;

Car toute femme est dangereuse,
Très dangereuse et c’est charmant,
Comme la mer… que le vent creuse ;
Comme la fillette de Greuze,
Qui ne s’en doute aucunement ;


Comme la petite Ingénue
Quand la cruche… va se casser,
Comme une veuve toute nue,
Comme une femme dans la rue,
Une femme qu’on voit passer ;

Oui, toute femme est dangereuse,
Soit qu’elle allaite ses enfants
Avec sa mamelle amoureuse,
Soit qu’elle ait la cruche de Greuze
A ses petits doigts triomphants ;

Qu’elle soit grave ou qu’elle joue,
Plus à craindre encor que le feu,
Que l’aviron ou que la roue,
Que le commandement : en joue !
Que le cri : commencez le feu !

Dangereuse comme la plume,
La plume au vent, et l’eau qui dort,
Et l’obus… un obus qui fume ;
Comme la guerre qu’elle allume,
Elle peut amener la mort.

Si vous êtes la plus aimée,
Ne seriez-vous point ici-bas
Plus dangereuse… qu’une armée
Victorieuse et parfumée
Des lauriers de trois cents combats ?


Vous êtes la plus redoutable,
Moi, c’est pour cela que je veux…
C’est pour ta grâce… épouvantable
Qui ferait à la Sainte Table
Tous les saints se prendre aux cheveux.

Oui, vous êtes la plus à craindre,
Car votre lit est le plus doux,
C’est pour ça que j’aime à T’étreindre,
Toi qu’un Homère pourrait peindre
Avec du sang jusqu’aux genoux !