Dans la rue (Bruant)/Les Culs gelés

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Ernest Flammarion (Volume IIIp. 195-199).


LES CULS GELÉS


Bon Dieu !… V’là l’hiver !… Et pis mince !…
Et pis qu’ça souffle !… Et pis qu’ça pince !…
Les purotins sont désolés.
Le vent gicle sous les jaquettes
Et va mordre, sous les liquettes,
            Les pauv’ culs g’lés.


Et pis, v’là la neig’qui s’en mêle !…
Et pis du givre !… Et pis d’la grêle !…
On march’ sur des glaçons pilés…
Ils ont l’nez rouge et les mains gourdes
Et du frio plein les esgourdes,
            Les pauv’ culs g’lés.

Le soir, quand les fontain’s Wallace
Et les ruisseaux sont à la glace,
I’ r’gard’nt passer les gens calés
Engoncés dans des bath pelures…
Pendant qu’i’s attrap’nt des eng’lures.
            Les pauv’ culs g’lés.


I’s s’les roul’nt pas dans des étoiles
Eux autr’… Ils n’ont qu’des philosophes
Ou des ripatons éculés…
Et, les pieds nus dans leurs savates,
Ils ont toujours l’onglée aux pattes,
            Les pauv’ culs g’lés.

I’s sont des centain’ et des mille,
Sans culotte… sans domicile…
Perdus sous les cieux étoilés,
Courbés en deux… les coud’ aux hanches,
Qui vont comm’ ça, dans les nuits blanches,
            Les pauv’ culs g’lés.