Dans la rue (Bruant)/Tzigane

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Ernest Flammarion (Volume IIIp. 69-73).
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TZIGANE


Rasta, crapule, mendigo,
Aussi bien foutu qu’une entorse,
Aussi crasseux qu’un hidalgo,
Bas du cul et trop court de torse,
Il ne doit pas avoir les fesses
Comme le divin Apollon…
Et pourtant, il plaît aux gonzesses
        Avec son violon.


Le cheveu luisant et collé
Sur des pariétaux de carpe,
Le regard fauve, un peu voilé
Du marlou pègre ou de l’escarpe,
Le front bas, fuyant, aplati
Sous la chevelure trop noire,
Cet automate ouistiti
Bistré, teinté, couleur de foire
Au pain d’épice, vient chez nous
Pour séduire nos gigolettes,
Pour mendigoter nos gros sous
Et pour épater nos tapettes ;
Il va, de l’arrière-boutique
Du mastroquet, dans le salon,
Pour y faire de la musique,
        Avec son violon.


Là, son archet victorieux
S’allonge sur la colophane,
Puis va, descend, remonte aux cieux…
On voit alors notre tzigane
S’agiter sans trêve ni cesse,
Et, nerveux comme un étalon,
Vous enlever une princesse,
        Avec son violon.