Dans les limbes/C’est fait littéralement

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Œuvres complètes - Tome IIIVaniervolume III (p. 74-75).

XIV


C’est fait, littéralement je t’adore !
On adore Dieu, créateur géant.
Or ne m’as-tu pas, plus divine encore,
Tiré de toutes pièces du néant ?

Dieu que je bénis puisqu’il est le Père
Du moins pour nous faire avec mieux que rien
Toi tu n’avais rien, mais rien pour me faire
Tel que me voici, ta chose et ton bien.

Rien, pas même du limon comme l’Autre.
Je m’étais éventé dans le Pédant
Plus que mort, pas né, brume qui se vautre
Aux fondrières d’un art décadent.

Fantôme perdu dans des fantaisies.
Fantasques, hélas ! moins encor que quoi
Que ce soit qui fût, vacantes, moisies.
Ah ! c’était du propre et du beau que moi !


Tu parus ! Je naquis sous la prunelle,
Du sang me battit, de la chair me vint,
Par degrés rapides une éternelle
Amour m’investit qui vivait pour vingt.

Amour de latrie et d’idolâtrie
Où s’épura mon pauvre orgueil lettré,
Où la vérité rude, mais chérie
À force de bonté m’a retiré.

Du rêve égoïste et me fait le frère,
Non, le cerf que tu daignes fraternel,
L’esclave de ta volonté sévère
À juste titre en son vœu maternel

Presque, puisque tu me diriges, guides,
Protèges encontre le monde, aussi
Contre moi-même, ô trop, que trop rapides
Délices ! Conjugal, ce vœu si tien ! Si

Que je peux dire, moi, que je t’adore,
Toi qui, comme le Créateur géant,
M’as, plus puissante et meilleure encore,
Tiré de toutes pièces du néant.