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De la prescription contre les hérétiques (trad. Labriolle)/Traduction

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Traduction par Pierre de Labriolle.
Texte établi par Pierre de LabriolleAlphonse Picard et Fils (p. 3-97).

LA PRESCRIPTION CONTRE LES HÉRÉTIQUES

I. La condition des temps présents m’oblige encore à rappeler qu’il ne faut pas nous émouvoir de ces hérésies, tant pour ce qu’elles existent, — puisque leur venue a été prédite, — que pour ce qu’elles renversent la foi de quelques-uns, — puisqu’elles n’ont d’autre fin que d’éprouver la foi en la soumettant à la tentation. [2] C’est donc sans raison et faute de réfléchir que la plupart se scandalisent de voir les hérésies prendre une pareille influence. Quelle influence auraient-elles, si elles n’existaient point ? [3] Quand le sort a décidé que telle chose doit être de toutes façons, de même qu’une cause lui est assignées en raison de laquelle elle existe, pareillement elle reçoit l’essence qui la constitue et qui rend sa non-existence impossible.

II. Ainsi la fièvre est comptée parmi les principes de mort et de souffrance qui tuent l’homme. Nous ne nous étonnons ni de ce qu’elle existe : elle existe en effet ; ni de ce qu’elle tue l’homme : c’est à cette fin qu’elle existe. [2] Donc les hérésies n’étant faites que pour énerver et faire périr la foi, au lieu de nous effrayer qu’elles en aient le pouvoir, nous devrions nous effrayer d’abord du fait de leur existence. Tant qu’elles existent, elles disposent de ce pouvoir, et tant qu’elles ont ce pouvoir, elles ont aussi l’existence. [3] Mais voilà ! comme chacun sait que la fièvre est un fléau et par sa cause et par ses effets, nous l’abhorrons plus que nous n’en sommes étonnés, et nous nous en garons dans la mesure du possible, faute de pouvoir l’extirper à notre gré. [4] Tandis que devant les hérésies qui apportent la mort éternelle et l’ardeur d’un feu autrement redoutable, certaines gens préfèrent s’étonner de leurs grands effets au lieu de paralyser ces effets en s’y soustrayant : ce qui dépend d’eux. [5] Au surplus elles perdront toute leur influence, s’ils cessent de s’émerveiller qu’elles en aient tant. C’est ou bien leur étonnement qui les induit à se scandaliser ; ou le scandale éprouvé qui les incite à se frapper, comme si une force si active ne pouvait venir que de quelque vérité. [6] Il serait surprenant en effet que le mal eût une force qui lui fût propre ; mais les hérésies ne sont si fortes que sur ceux dont la foi est faible. [7] Dans les combats d’athlètes et de gladiateurs, la plupart du temps le vainqueur triomphe non pas parce qu’il est fort ou invincible, mais parce que le vaincu était sans vigueur. Aussi arrive-t-il à ce vainqueur, mis ensuite aux prises avec un solide gaillard, de se retirer vaincu. [8] Il n’en est pas autrement des hérésies : elles tirent toute leur force de la faiblesse de quelques-uns, mais elles sont sans vigueur contre une foi vigoureuse.

III. La défection de certaines personnes conquises par l’hérésie est ce qui précipite communément la ruine de ces naïfs. [2] Pourquoi cette femme, pourquoi cet homme, si fidèles, si sages, et qui avaient rendu tant de services à l’Église, ont-ils passé au parti adverse ? — [3] Celui qui pose pareille question ne peut-il se répondre à soi-même que ceux que l’hérésie a su pervertir ne doivent donc être considérés ni comme sages, ni comme fidèles, ni comme éprouvés ? Est-il donc si surprenant que des gens d’une vertu qui, d’abord, avait fait ses preuves, tombent finalement ? [4] Saül, bon entre tous, se perd ensuite par jalousie. David, dont la bonté était selon le cœur du Seigneur, se voit ensuite convaincu de meurtre et d’adultère. Salomon, après avoir reçu de Dieu tous les dons de grâce et de sagesse, est entraîné à l’idolâtrie par les femmes. [5] Il n’appartenait qu’au seul fils de Dieu de demeurer constamment sans péché. Eh quoi ? si un évêque, si un diacre, si une veuve, si une vierge, si un docteur, si un martyr même, s’écartent de la règle, faudra-t-il pour cela que l’hérésie devienne vérité ? [6] Jugeons-nous de la foi d’après les personnes ou des personnes d’après la foi ? Nul n’est sage, nul n’est fidèle, nul n’est grand, s’il n’est chrétien ; mais nul n’est chrétien, s’il ne persévère jusqu’au bout. [7] Toi qui n’es qu’un homme, tu ne connais les gens que par le dehors ; tu crois ce que tu vois, mais tu ne vois qu’aussi loin que porte ton regard. Mais « le regard du Seigneur est profond », dit l’Écriture. « L’homme ne voit que la figure, Dieu pénètre jusqu’au cœur. » [8] Et c’est pourquoi « le Seigneur connaît ceux qui sont les siens, et il arrache la plante qu’il n’a pas plantée ». Il nous montre que les premiers sont parfois les derniers et il tient en main un van pour nettoyer son aire. [9] Que la paille de la foi légère s’envole à son gré au premier souffle des tentations, la masse du froment en sera rangée plus pure dans le grenier du Seigneur. [10] N’est-il pas vrai que plusieurs des disciples prirent scandale du Seigneur lui-même et s’éloignèrent de lui ? Les autres pourtant ne pensèrent pas qu’ils devaient pour cela s’écarter de ses traces. [11] Ceux qui surent qu’il était le Verbe de vie et qu’il venait de Dieu persévérèrent dans sa compagnie jusqu’à la fin, bien qu’il leur eût tranquillement offert de s’en aller eux aussi, s’ils en avaient envie. [12] Que Phygellus, Hermogène, Philetus, Hymeneus aient abandonné son apôtre, le fait est de moindre importance : celui qui a livré le Christ fut lui-même un des apôtres. [13] Nous nous étonnons de voir ses Églises abandonnées par quelques-uns : mais ce qui nous désigne comme chrétiens c’est justement ce que nous endurons à l’exemple du Christ même : « Ils sont sortis d’entre nous, est-il écrit, mais ils ne furent pas des nôtres, S’ils avaient été des nôtres ils seraient à coup sûr demeurés avec nous. »

IV. Que ne nous rappelons-nous plutôt tant les paroles du Seigneur que les lettres de l’apôtre, qui nous ont prédit qu’il y aurait des hérésies et qui nous ont enjoint de les fuir ? De même que nous ne nous troublons point de ce qu’elles existent, ne nous étonnons pas non plus de leur pouvoir, qui nous oblige à les fuir. [2] Le Seigneur nous apprend que sous des peaux de brebis viendront beaucoup de loups ravisseurs. [3] Que sont ces « peaux de brebis », sinon la profession tout extérieure et superficielle de christianisme ? Quels sont les « loups ravisseurs », sinon ces idées, ces esprits astucieux qui, dans l’Église même, se dissimulent pour infester le troupeau du Christ ? [4] Quels sont les « faux prophètes », sinon les prédicateurs de mensonge ? Quels sont les « faux apôtres », sinon ceux qui annoncent un évangile adultéré ? Quels sont les antéchrists, maintenant et toujours, sinon ceux qui se rebellent contre le Christ ? [5] Voilà ces hérésies qui ne harcèlent pas moins l’Église par la perversité de leurs doctrines que l’antéchrist ne la déchirera un jour par l’atrocité de ses persécutions, avec cette différence que la persécution fait du moins des martyrs, tandis que l’hérésie ne fait que des apostats !

[6] C’est pour cela qu’il fallait qu’il y eût des hérésies, afin que les justes fussent mis en lumière, tant ceux qui auraient tenu bon dans la persécution que ceux qui n’auraient point dévié vers les hérésies. [7] Car [l’apôtre] ne veut pas que l’on considère comme gens éprouvés ceux qui troquent leur foi contre l’hérésie : telle est pourtant l’interprétation que nos adversaires donnent d’une autre de ses paroles : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon ». Comme s’il n’était pas loisible à ceux qui examinent mal de donner par erreur dans un mauvais choix !

V. Du reste, s’il blâme les discussions et les schismes qui sans aucun doute sont choses mauvaises, il y ajoute incontinent les hérésies. [2] En les adjoignant à des choses mauvaises, il montre par le fait même qu’elles sont mauvaises et même pires. [3] Quand il déclare qu’il croit ce qu’on lui apprend des schismes et des dissensions [à Corinthe] parce qu’il sait qu’il faut qu’il y ait des hérésies (car il montre qu’en face d’un mal plus grand, il a cru facilement à la réalité d’un mal moindre), cela ne veut évidemment pas dire qu’il a cru à ces maux parce que les hérésies sont bonnes : mais il voulait les avertir, par la perspective de tentations plus graves encore, qu’il ne fallait pas s’étonner de celles-là qui aboutissaient, disait-il, à faire reconnaître les âmes éprouvées, c’est-à-dire les âmes qui y demeuraient rebelles. [4] Enfin, si l’esprit de tout le chapitre tend à maintenir l’unité et à réprimer les dissidences et que les hérésies ne rompent pas moins l’unité que les schismes et les dissensions, il a donc enveloppé les hérésies dans les mêmes censures que les schismes et les dissensions. [5] Et par suite, il ne présente pas comme dignes d’approbation ceux qui se détournent vers les hérésies, puisqu’il exhorte avec force à s’en éloigner et qu’il recommande de parler et de penser tous de même ; or c’est justement ce que l’hérésie ne permet point.

VI. Inutile de nous appesantir sur ce point, si c’est le même Paul qui, ailleurs, dans son Épître aux Galates, compte les hérésies parmi les crimes de la chair, et qui conseille à Tite de rejeter un hérétique après une première admonition, parce qu’un tel homme est perverti et qu’il pèche, étant condamné par son propre jugement. [2] Dans presque toute la lettre, Paul insiste sur le devoir de fuir les fausses doctrines et par là même il blâme les hérésies dont ces fausses doctrines sont l’œuvre ; les « hérésies » sont ainsi appelées en grec dans le sens de choix, le choix par où l’on se met à les enseigner ou à les apprendre. [3] Voilà pourquoi il dit que l’hérétique porte condamnation contre soi-même, parce qu’il s’est choisi ce qui le fait condamner. Pour nous, il ne nous est pas permis de rien introduire de notre chef ni de choisir ce qu’un autre a introduit de son chef. [4] Nous avons l’exemple des apôtres du Seigneur qui n’ont eux-mêmes choisi aucune doctrine pour l’introduire de leur chef, mais qui ont fidèlement consigné aux nations le dépôt de la doctrine reçue du Christ. [5] Aussi quand un ange descendrait du Ciel pour prêcher un autre Évangile, nous lui dirions anathème. [6] Déjà l’Esprit saint avait prévu qu’il y aurait dans une vierge nommée Philoumène un ange de séduction qui, se transformant en ange de lumière, gagnerait Apelle par ses miracles et ses prestiges, et l’amènerait à introduire une nouvelle hérésie.

VII. Ce sont là les doctrines des hommes et des démons, nées de l’esprit de la sagesse mondaine pour les oreilles en prurit. Le Seigneur a traité cette sagesse de folie et il a choisi ce qui est folie selon le monde pour confondre la philosophie du monde même. [2] Car c’est la philosophie qui fournit sa matière à la sagesse mondaine, en se faisant l’interprète téméraire de la nature divine et des plans divins. En un mot, les hérésies elles-mêmes reçoivent leurs armes de la philosophie.

[3] De là, chez Valentin, les Éons et je ne sais quelles formes en nombre infini et la Trinité humaine : il avait été disciple de Platon. De là, le dieu de Marcion, bien préférable parce qu’il se tient tranquille : Marcion venait des Stoïciens. [4] De dire que l’âme est sujette à la mort, les Épicuriens n’y manquent pas. Pour nier la résurrection de la chair, on puise dans les leçons unanimes de tous les philosophes. Là où la matière est égalée à Dieu, c’est la doctrine de Zénon. Là où l’on parle d’un dieu igné, Héraclite intervient. [5] Ce sont les mêmes sujets qui sont agités chez les hérétiques et chez les philosophes, les mêmes enquêtes que l’on enchevêtre. D’où vient le mal, et quel en est la cause ? D’où vient l’homme, et comment est-il venu ? ou encore la toute récente question proposée par Valentin : d’où Dieu vient-il ? Eh bien, c’est de l’enthymèse et de l’ectroma !…

[6] Pitoyable Aristote qui leur a enseigné la dialectique, également ingénieuse à construire et à renverser, fuyante dans ses propositions, outrée dans ses conjectures, sans souplesse dans ses raisonnements, lutte laborieuse qui se crée à elle-même des difficultés et qui remet tout en question de peur de rien traiter à fond !

[7] De là ces fables, ces généalogies interminables, ces questions oiseuses, ces discours qui s’insinuent comme le cancer. L’apôtre, quand il veut nous en détourner, affirme que c’est contre la philosophie (il la nomme expressément) qu’il faut nous mettre en garde. Veillez, écrit-il aux Colossiens, que personne ne vous trompe par la philosophie et par de vaines séductions, selon la tradition des hommes » et contrairement à la providence de l’Esprit saint. [8] C’est qu’il avait été à Athènes et il avait appris dans le commerce des philosophes à connaître cette pauvre sagesse humaine qui se pique de chercher la vérité, ne fait que la corrompre, et, par la diversité de sectes irréductibles l’une à l’autre, se partage en une foule d’hérésies dont elle est la source.

[9] Quoi de commun entre Athènes et Jérusalem ? entre l’Académie et l’Église ? entre les hérétiques et les chrétiens ? [10] Notre doctrine vient du portique de Salomon qui avait lui-même enseigné qu’il faut chercher Dieu en toute simplicité de cœur. [11] Tant pis pour ceux qui ont mis au jour un christianisme stoïcien, platonicien, dialecticien ! [12] Nous, nous n’avons pas besoin de curiosité après Jésus-Christ, ni de recherche après l’Évangile. [13] Dès que nous croyons, nous n’avons plus besoin de rien croire au delà. Car le premier article de notre foi, c’est qu’il n’y a rien que nous devions croire au delà.

VIII. J’en viens donc à cette phrase que les nôtres allèguent pour autoriser leur curiosité et que les hérétiques enfoncent dans les esprits pour leur inoculer leur méthode pointilleuse. [2] « Il est écrit, disent-ils, cherchez et vous trouverez. » [3] Souvenons-nous du moment où le Seigneur a émis cette parole. C’était, n’est-ce pas, au début même de son enseignement, quand tous doutaient encore s’il était le Christ. Pierre ne l’avait pas encore déclaré fils de Dieu ; et Jean lui-même avait cessé d’être fixé à son sujet. [4] C’est donc avec raison qu’il put dire alors : « Cherchez et vous trouverez. » Il fallait le chercher encore puisqu’on ne l’avait pas encore reconnu. Et d’ailleurs le mot s’adressait aux Juifs. [5] Car c’est eux que regardent toutes ces paroles de reproche, eux qui savaient où chercher le Christ. [6] « Ils ont, dit-il, Moïse et Hélie », c’est-à-dire la loi et les prophètes annonciateurs du Christ. D’après quoi, il dit ailleurs en termes clairs : « Scrutez les Écritures dont vous espérez le salut ; car elles parlent de moi. » [7] Voilà la clef du « Cherchez et vous trouverez ». Il est manifeste que la suite aussi s’applique aux Juifs : « Frappez et l’on vous ouvrira. » [8] Précédemment les Juifs étaient chez Dieu ; mais chassés ensuite à cause de leurs fautes, ils commencèrent à être hors de chez Dieu. [9] Les Gentils, eux, ne furent jamais chez Dieu, si ce n’est « une goutte d’eau d’un vase », « un grain de poussière d’une aire », et toujours au dehors. [10] Mais celui qui est toujours dehors, comment frappera-t-il là où il n’a jamais été ? Connaît-il une porte qu’il n’a jamais franchie ni pour entrer ni pour sortir ? N’est-il pas vrai que celui-là frappera plutôt, qui sait qu’il a été à l’intérieur et qu’il en a été chassé, et qui connaît la porte ?

[11] Le « Demandez et vous recevrez » convient bien aussi à celui qui savait à qui il fallait demander et par qui une promesse avait été faite, c’est-à-dire au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, que les Gentils ne connaissaient pas plus que ses promesses. [12] Et voilà pourquoi le Seigneur disait à Israël : « Je n’ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël. » [13] Il ne jetait pas encore aux chiens le pain de ses enfants. Il n’avait pas encore ordonné d’aller dans le chemin des Gentils. [14] Si, à la fin, il ordonna à ses disciples d’aller enseigner et baptiser les nations dès qu’ils auraient reçu le Saint-Esprit, le Paraclet qui devait les conduire à toute vérité, cela tend au même but. [15] Si les apôtres eux-mêmes, docteurs destinés aux nations, devaient recevoir pour docteur le Paraclet, ces paroles : « Cherchez et vous trouverez » deviennent encore plus superflues pour nous, puisque la doctrine sainte devait nous arriver par les apôtres, et aux apôtres par le Saint-Esprit. [16] Toutes les paroles du Seigneur s’adressent à tous, c’est vrai, et sont venues à nous par les oreilles des Juifs. Mais la plupart regardaient directement les Juifs en personnes et ne constituent pas tant pour nous une leçon, à proprement parler, qu’un exemple.

IX. Et maintenant j’abandonne spontanément cette position. J’admets que le « Cherchez et vous trouverez » s’adresse à tous. Ici encore la raison veut pourtant qu’on discute en s’aidant du gouvernail de l’exégèse. [2] Aucune parole divine n’est à ce point décousue et incohérente qu’on doive défendre seulement les mots sans en établir la portée rationnelle.

[3] Je pose d’abord ceci en fait : le Seigneur a enseigné une doctrine unique et précise à laquelle il faut absolument que les païens croient et qu’ils doivent donc chercher, pour y croire quand ils l’auront trouvée. [4] Or une doctrine unique et précise ne saurait être indéfiniment cherchée. Il faut chercher jusqu’à ce qu’on trouve, et croire dès qu’on a trouvé. Rien de plus, sinon qu’il faut garder ce qu’on a cru. Ajoutez encore pourtant ceci, qu’il faut ne rien croire d’autre, et par conséquent ne rien chercher d’autre, du moment où on a trouvé et cru l’enseignement du Christ, lequel recommande de ne pas s’enquérir d’autre chose que de ce qu’il a enseigné. [5] Si quelqu’un a des doutes sur cet enseignement, on lui montrera que c’est chez nous que se trouve la doctrine du Christ. [6] En attendant, confiant dans ma preuve, j’avertis dès maintenant certaines gens qu’il ne faut rien chercher au delà de l’objet qu’ils se sont crus obligés à chercher ; car je ne veux pas qu’ils interprètent le « Cherchez et vous trouverez » sans une méthode rationnelle.

X. Pour interpréter cette parole, la méthode se réduit à trois points : le sujet, le temps, la mesure. Le sujet, c’est-à-dire qu’il faut voir ce qu’on doit chercher ; le temps, à quel moment ; la mesure, dans quelles limites. [2] Il faut chercher la doctrine du Christ tant qu’on ne la trouve pas, bien entendu, et jusqu’à ce qu’on la trouve. Dès qu’on a cru, c’est qu’on a trouvé. [3] Car on ne croirait pas si l’on n’avait pas trouvé ; de même qu’on n’aurait pas cherché sans le désir de trouver. [4] Donc si l’on cherche pour trouver et si l’on trouve pour croire, en croyant, on met fin à toute prolongation d’enquête, à toute trouvaille nouvelle. [5] Voilà le terme qu’établit le résultat même de l’enquête ; voilà le fossé dont celui-là a tracé lui-même la ligne, qui défend de croire rien d’autre que ce qu’il a enseigné, et par suite de rien chercher d’autre.

[6] Au surplus si, sous prétexte que mille doctrines ont été enseignées soit par l’un soit par l’autre, nous devons chercher tant que nous pouvons trouver, nous chercherons toujours et nous ne croirons jamais. [7] Où sera le terme de la recherche ? le point fixe de la croyance ? l’aboutissement de la découverte ? Chez Marcion ? Mais voici que Valentin nous propose les « Cherchez et vous trouverez ». [8] Chez Valentin ? Mais alors c’est Apelle qui me poursuivra de la même invite. Ébion, Simon et tous à la file n’ont pas d’autre procédé pour s’insinuer dans mon esprit et me gagner à eux. [9] Point de terme pour moi, puisque partout je rencontre le « Cherchez et vous trouverez », comme si nulle part et comme si jamais je n’avais mis la main sur l’enseignement du Christ, qu’il faut chercher et qu’il est nécessaire de croire.

XI. C’est impunément qu’on vagabonde ainsi, si l’on ne commet point de faute (bien que le fait même de vagabonder soit déjà une faute) ; c’est impunément, dis-je, qu’on vagabonde, quand on n’abandonne rien. [2] Mais si j’ai cru ce que je devais croire, et qu’après cela je m’imagine que je doive chercher autre chose encore, c’est donc que je compte trouver autre chose ; et je n’aurais point pareil espoir, s’il n’était pas vrai qu’avec les dehors de la foi je n’ai jamais cru ou que j’ai cessé de croire. [3] Si je déserte ainsi ma foi, je mérite le nom d’apostat. Pour tout dire d’un mot, quand quelqu’un cherche, c’est ou bien qu’il n’a rien encore, ou bien qu’il a perdu. [4] Elle avait perdu une de ses dix doubles drachmes, cette vieille femme : voilà pourquoi elle la cherchait ; mais dès qu’elle l’eut retrouvée, elle cessa de la chercher. [5] Il n’avait pas de pain, ce voisin : voilà pourquoi il frappait à la porte ; dès qu’on lui eut ouvert et qu’il en eut reçu, il cessa de frapper. [6] La veuve demandait à être entendue du juge parce que celui-ci refusait de la recevoir. Dès qu’il l’eut écoutée, elle cessa ses instances. [7] Il y a donc une limite, soit qu’on cherche, soit qu’on frappe, soit qu’on demande. « Car on donnera, est-il écrit, à celui qui demande, on ouvrira à celui qui frappe, et quiconque cherche trouvera. » [8] Tant pis pour celui qui cherche toujours ; il ne trouvera rien, car il cherche là où il ne peut rien trouver. [9] Tant pis pour celui qui frappe toujours ; on ne lui ouvrira pas : car il frappe où il n’y a personne. [10] Tant pis pour celui qui demande toujours, on ne l’écoutera pas : car il demande à qui ne peut l’écouter.

XII. Admettons qu’il nous faille chercher encore et toujours : où cependant faut-il chercher ? chez les hérétiques, où tout est étranger et hostile à notre foi et dont il nous est interdit de nous approcher ? [2] Quel est le serviteur qui attend sa nourriture d’un étranger, pour ne pas dire d’un ennemi de son maître ? Quel soldat, s’en va demander des largesses et sa solde à des rois qui ne sont pas alliés, pour ne pas dire à des rois ennemis, s’il n’est un déserteur, un transfuge, un rebelle ? [3] C’est à l’intérieur de son habitation que cette vieille femme cherchait la drachme ; c’est d’un voisin que cet homme frappait la porte ; le juge que sollicitait cette femme pouvait bien être dur, ce n’était pas un ennemi. [4] Nul ne saurait être édifié par celui qui ne sait que détruire ; nul n’est éclairé par celui qui n’est que ténèbres. [5] Cherchons donc chez nous, auprès des nôtres et pour les choses qui sont nôtres ; et cela seulement qui peut tomber en question sans que la règle de foi soit entamée.

XIII. La règle de foi, — car il nous faut faire connaître dès maintenant ce que nous défendons — est celle qui consiste à croire : [2] « qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui n’est autre que le Créateur du monde ; que c’est lui qui a tiré l’univers du néant par son Verbe émis avant toutes choses ; [3] que ce Verbe fut appelé son fils, qu’au nom de Dieu il apparut sous diverses figures aux patriarches, qu’il se fit entendre en tout temps dans les Prophètes, enfin qu’il descendit par l’esprit et la puissance de Dieu le père dans la Vierge Marie, qu’il devint chair dans son sein et que né d’elle il revêtit la personne de Jésus-Christ ; [4] qu’il prédit ensuite une loi nouvelle et la nouvelle promesse du royaume des cieux, qu’il fit des miracles, qu’il fut crucifié, qu’il ressuscita le troisième jour, qu’enlevé aux cieux il s’assit à la droite de son Père ; [5] qu’il envoya à sa place la force du Saint-Esprit pour conduire les croyants ; qu’il viendra dans une gloire pour prendre les saints et leur donner la jouissance de la vie éternelle et des promesses célestes, et pour condamner les profanes au feu éternel, après la résurrection des uns et des autres et le rétablissement de la chair ».

[6] Telle est la règle que le Christ a instituée (comme je le prouverai) et qui ne saurait soulever parmi nous d’autres questions que celles que suscitent les hérésies et qui font les hérétiques.

XIV. Du reste, pourvu que la teneur en demeure inaltérée, vous pouvez autant qu’il vous plaira chercher et discuter, et donner pleine licence à votre curiosité, au cas où quelque point vous paraîtrait ambigu ou obscur. Vous avez bien quelque docte frère doué du charisme de science, ou qui fréquente les gens habiles, et qui, comme vous, cherche avec un peu trop de curiosité. [2] Tout compte fait, mieux vaut ignorer que de connaître ce qu’on ne doit pas, du moment qu’on sait ce qu’on doit savoir. [3] « C’est votre foi qui vous a sauvé », a dit le Christ ; il n’a pas dit : « C’est votre habileté dans les Écritures ». [4] La foi consiste dans une règle ; elle a sa loi, et son salut dans l’observation de cette loi. Mais l’habileté scripturaire n’est faite que de curiosité ; sa seule gloire lui vient du désir qu’on a de passer pour habile homme. [5] Que la curiosité le cède à la foi, que la gloire le cède au salut ! du moins qu’elles n’y fassent pas obstacle, ou qu’elles se taisent. Ne rien savoir contre la règle, c’est savoir tout.

[6] Admettons que les hérétiques ne soient pas les ennemis de la vérité, que nous ne soyons pas avertis de les fuir à quoi bon conférer avec des hommes qui avouent eux-mêmes qu’ils cherchent encore ? [7] Si réellement ils cherchent encore, c’est donc qu’ils n’ont encore rien trouvé de certain ; et quels que soient les points où ils paraissent se tenir pour le moment, tant qu’ils cherchent, ils trahissent leur incertitude. [8] C’est pourquoi vous-même qui cherchez comme eux et qui tournez les yeux vers des gens qui cherchent aussi, vous dont le doute se tourne vers leur doute et l’incertitude vers leur incertitude, fatalement vous serez l’aveugle conduit par des aveugles dans le précipice.

[9] Ils prétendent bien pour vous tromper qu’ils cherchent encore, afin de nous glisser leurs écrits à la faveur de l’inquiétude qu’ils nous auront communiquée ; mais dès qu’ils ont pris contact avec nous, aussitôt ce qu’ils prétendaient seulement chercher, ils se mettent à le soutenir. Réfutons-les donc de telle façon qu’ils voient que c’est eux et non le Christ que nous renions. [10] Car du moment qu’ils cherchent encore, ils n’ont donc rien en main ; n’ayant rien en main, ils n’ont donc jamais cru ; et n’ayant jamais cru, ils ne sont pas chrétiens. [11] Même croyant et en possession du vrai, ils disent qu’il faut chercher, pour défendre leur foi. [12] Mais avant même de la défendre, ils la renient, puisque, en cherchant, ils avouent qu’ils ne croient pas encore. [13] Ils ne sont pas chrétiens, même pour eux-mêmes, à plus forte raison pour nous. Ceux qui s’approchent en fraude, sur quelle foi peuvent-ils discuter ? Quelle vérité peuvent défendre des gens qui nous la suggèrent par le mensonge ? — [14] Mais ils parlent d’après les Écritures et c’est d’après elles qu’ils persuadent. — Parbleu ! comment parleraient-ils des choses de la foi sans s’appuyer sur les livres de la foi ?

XV. Nous voilà donc arrivés à notre objet principal : c’est vers ce point que nous tendions et tout ce qui a été dit n’était qu’un préambule en vue de préparer ce que nous avons à dire. Venons-en maintenant aux mains sur le terrain même où nos adversaires nous provoquent.

[2] Ils mettent en avant les Écritures et par leur audace ils font tout de suite impression sur quelques-uns. Dans le combat même, ils fatiguent les forts, ils séduisent les faibles, ils laissent en les quittant un scrupule au cœur des médiocres. [3] C’est donc ici surtout que nous leur barrons la route en les déclarant non recevables à disputer sur les Écritures. [4] Si elles constituent leur force, il faut voir, pour qu’ils en puissent user, à qui revient la possession des Écritures, afin que celui qui n’a nul droit sur elles ne soit pas admis à y recourir.

XVI. Je ferais penser que c’est par défiance de ma cause ou par désir d’aborder le débat sous quelqu’autre biais, que j’introduis cette question préalable, si je n’avais pour moi de bonnes raisons, et celle-ci en particulier que notre foi doit obéissance à l’Apôtre quand il nous défend de nous lancer dans les questions, de prêter l’oreille aux paroles nouvelles, de fréquenter l’hérétique, après une réprimande, non après une discussion. [2] Il a si bien interdit la discussion qu’il spécifie qu’on ne doit joindre un hérétique que pour le réprimander ; et il ne parle, qui plus est, que d’une seule réprimande, parce que l’hérétique n’est pas chrétien. Il ne voulait pas que l’hérétique parût devoir être, tout comme un chrétien, réprimandé une fois, puis une fois encore, devant deux ou trois témoins : car s’il faut le réprimander, c’est justement pour la raison qui interdit de discuter avec lui. [3] Au surplus, ces luttes à propos des Écritures ne sont bonnes qu’à époumoner et à casser la tête.

XVII. Il est certains livres des Écritures que l’hérésie ne reçoit pas. Ceux qu’elle reçoit, elle les accommode à son système par des additions et des amputations. Si elle les admet, elle ne les admet pas intégralement. Même quand elle les garde à peu près dans leur intégrité, néanmoins elle les fausse en imaginant des interprétations différentes. [2] Un sens altéré ne fait pas moins de tort à la vérité qu’une plume corruptrice. Leurs frivoles conjectures ne veulent naturellement pas avouer les passages qui les condamnent. [3] Mais ils s’appuient sur les endroits qu’ils ont mensongèrement arrangés et sur ceux qu’ils ont choisis en raison de leur ambiguïté. [4] Quel résultat obtiendrez-vous, vous, l’homme habile en fait d’Écritures, du moment que du côté adverse on niera tout ce que vous affirmerez et qu’au contraire on affirmera tout ce que vous nierez ? [5] Vous ne ferez qu’y perdre la voix dans la dispute et que vous échauffer la bile en face de leurs blasphèmes.

XVIII. Quant à celui, s’il existe, pour lequel vous entrez en discussion sur les Écritures, afin de l’affermir contre ses doutes, se tournera-t-il du côté de la vérité ou non pas plutôt du côté des hérésies ? [2] Ému de ne vous avoir vu prendre aucun avantage et de ce que la partie adverse ait nié et affirmé tout comme vous sans que personne ait bougé de sa position, il sortira de la discussion encore plus indécis et ne sachant plus ce qui est hérésie. [3] Nos griefs, ils peuvent eux aussi les retourner contre nous. Car fatalement ils diront que c’est nous qui produisons des textes altérés et des exégèses mensongères, puisqu’ils revendiquent, tout comme nous, la vérité.

XIX. Il ne faut donc pas en appeler aux Écritures ; il ne faut pas porter le combat sur un terrain où la victoire est nulle, incertaine, ou peu sûre. [2] Ces confrontations de textes n’eussent-elles point pour résultat de mettre sur le même pied les deux parties en présence, encore l’ordre naturel des choses voudrait-il qu’on posât d’abord cette question qui présentement est la seule à discuter : « À qui la foi elle-même appartient-elle ? À qui sont les Écritures ? Par qui, par l’intermédiaire de qui, quand et à qui la doctrine qui nous fait chrétiens nous est-elle parvenue ? » [3] Là où il apparaîtra que réside la vérité de la discipline et de la foi chrétienne, là seront aussi les vraies Écritures, les vraies interprétations et toutes les vraies traditions chrétiennes.

XX. Le Christ Jésus, notre Seigneur — qu’il me permette de m’exprimer ainsi un moment, — quel qu’il soit, de quelque Dieu qu’il soit le fils, de quelque matière qu’il ait été formé homme et Dieu tout ensemble, quelque foi qu’il enseigne, quelque récompense qu’il promette, [2] déclarait lui-même pendant son séjour sur la terre ce qu’il était, ce qu’il avait été, de quelles volontés paternelles il était chargé, quels devoirs il prescrivait à l’homme, et cela soit en public, devant le peuple, soit dans des instructions privées, adressées à ses disciples, parmi lesquels il en avait choisi douze principaux pour vivre à ses côtés et pour être plus tard les docteurs des nations. [3] L’un d’eux ayant été chassé, il ordonna aux onze autres, au moment de retourner vers son père, après la Résurrection, d’aller enseigner les nations et de les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. [4] En conséquence, les apôtres (ce terme signifie « envoyés ») choisirent aussitôt, par la voie du sort, un douzième apôtre, Mathias, à la place de Judas, selon l’autorité de la prophétie qui apparaît dans le psaume de David. Ils reçurent la force promise de l’Esprit Saint qui leur donna le don des miracles et des langues. Ce fut d’abord en Judée qu’ils établirent la foi en Jésus-Christ et qu’ils installèrent des Églises. Puis ils partirent à travers le monde, et annoncèrent aux nations la même doctrine et la même foi. [5] Dans chaque cité ils fondèrent des Églises auxquelles dès ce moment les autres Églises empruntèrent la bouture de la foi, la semence de la doctrine, et l’empruntent tous les jours pour devenir elles-mêmes des Églises.

[6] Et par cela même, elles seront considérées comme apostoliques, en tant que filles des Églises apostoliques. [7] Toute chose doit nécessairement être caractérisée d’après son origine. C’est pourquoi ces Églises, si nombreuses et si grandes soient-elles, ne sont que cette primitive Église apostolique dont elles procèdent toutes. [8] Elles sont toutes primitives, toutes apostoliques, car toutes elles attestent leur parfaite unité ; elles se communiquent réciproquement la paix, elles fraternisent, elles échangent les devoirs de l’hospitalité : [9] tous droits qu’aucune autre loi ne réglemente que l’unique tradition d’un même mystère.

XXI. De ces faits voici la prescription que nous dégageons. Du moment que Jésus-Christ, notre Dieu, a envoyé les apôtres prêcher, il ne faut donc point accueillir d’autres prédicateurs que ceux que le Christ a institués. [2] Car nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils l’a révélé. Or le Christ ne semble pas l’avoir révélé à d’autres qu’aux apôtres, qu’il a envoyés prêcher — prêcher ce que, bien entendu, il leur avait révélé. [3] Mais quelle était la matière de leur prédication, autrement dit, qu’est-ce que le Christ leur avait révélé ? Ici encore j’élève cette prescription, que, pour le savoir, il faut nécessairement s’adresser à ces mêmes Églises que les apôtres ont fondées en personne, et qu’ils ont eux-mêmes instruites tant « de vive voix », comme on dit, que, plus tard, par lettres.

[4] Dans ces conditions, il est clair que toute doctrine qui est d’accord avec celle de ces Églises, matrices et sources de la foi, doit être considérée comme vraie, puisqu’elle contient évidemment ce que les Églises ont reçu des apôtres, les apôtres du Christ, le Christ de Dieu : [5] par contre, toute doctrine doit être a priori jugée fausse qui contredit la vérité des Églises, des apôtres, du Christ et de Dieu. [6] Reste donc à démontrer que cette doctrine, qui est la nôtre, et dont nous avons plus haut formulé la règle, procède de la tradition des apôtres, et que par le fait même, les autres viennent du mensonge. [7] Nous communiquons avec les Églises apostoliques, parce que notre doctrine ne diffère en rien de la leur : c’est là le signe de la vérité.

XXII. La preuve en est si facile qu’aussitôt mise en lumière elle ne souffre plus de réplique. Faisons comme si nous ne l’avions pas exposée et permettons à nos adversaires de produire les arguments par où ils pensent pouvoir annuler cette prescription. [2] Ils ont coutume de dire que les apôtres n’ont pas tout su ; puis, poussés par le même esprit de démence, ils font volte-face et déclarent que les apôtres ont tout su, mais qu’ils n’ont pas tout enseigné à tous. Dans les deux cas, c’est au Christ qu’ils infligent un blâme, pour avoir envoyé des apôtres ou trop peu instruits ou d’esprit trop subtil.

[3] Quel est l’homme sensé qui croira qu’ils aient ignoré quelque chose, ceux que le Christ établit comme maîtres, qui furent ses compagnons, ses disciples, ses amis inséparables ? eux à qui il expliquait dans le privé toutes les obscurités, leur disant qu’il leur était donné de connaître des secrets que le peuple n’avait pas le droit de connaître. [4] Pierre aurait ignoré quelque chose, lui, qui fut appelé la pierre sur laquelle l’Église devait être édifiée, qui reçut les clefs du royaume des cieux et le pouvoir de lier et de délier dans les cieux et sur la terre ? [5] Jean aurait ignoré quelque chose, lui, le disciple préféré du Seigneur, lui, qui dormit sur sa poitrine, le seul à qui le Seigneur ait désigné Judas comme le futur traître, lui qu’il recommanda à Marie pour lui tenir lieu de fils à sa place. [6] Que voulut-il qu’ils ignorassent, ceux à qui il fit connaître sa gloire et Moïse et Élie et la voix du Père du haut du ciel ? Non qu’il fît peu de cas des autres apôtres, mais parce que « toute parole doit reposer sur l’affirmation de trois témoins ». [7] Ils ignorèrent donc aussi, ceux à qui, après sa résurrection, il daigna expliquer en chemin toutes les Écritures ?

[8] Il est vrai qu’il avait dit un jour : « J’ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pourriez les supporter maintenant. » [9] Il ajouta cependant : « Lorsque sera venu l’Esprit de vérité, il vous conduira lui-même à toute vérité. » Par là même, il montre que ceux-là n’ont rien ignoré à qui il promettait la possession de toute vérité grâce à l’entremise de l’Esprit de vérité. [10] Et il remplit sa promesse puisque les Actes des Apôtres attestent la descente de l’Esprit Saint. [11] Ceux qui ne reçoivent pas ce livre ne peuvent être au Saint-Esprit, puisqu’ils ne peuvent ni reconnaître que l’Esprit ait été déjà envoyé aux disciples, ni même défendre l’Église, car ils ne sauraient prouver à quel moment ni dans quel berceau ce corps s’est développé. [12] Ils aiment encore mieux ne pas avoir de preuves des idées qu’ils défendent, que de disqualifier, en admettant ces preuves, les mensonges qu’ils font.

XXIII. Ils mettent donc en avant, pour incriminer « l’ignorance » des apôtres, ce fait que Pierre et ceux qui l’accompagnaient furent repris par Paul. [2] « Tant il est vrai, disent-ils, qu’il leur a manqué quelque chose. » Et ils en concluent qu’une science plus complète pouvait leur venir encore, telle que Paul l’eut en effet quand il critiqua ses prédécesseurs dans l’apostolat.

[3] Je pourrais répondre ici à ces gens qui rejettent les Actes des Apôtres : « Montrez-moi d’abord quel est ce Paul, ce qu’il était avant d’être apôtre et comment il le devint », puisqu’en autres questions, ils font de lui si grand usage. [4] Il est vrai qu’il nous dit lui-même qu’il devint de persécuteur apôtre. Mais pour quiconque ne croit qu’après mûr examen, cela ne suffit pas le Seigneur lui-même n’a point porté témoignage sur soi.

[5] Mais soit ! qu’ils croient sans les Écritures pour croire contre les Écritures. Au moins qu’ils nous montrent d’après ce blâme de Pierre par Paul, dont ils font état, que Paul ajouta un nouvel Évangile à celui que Pierre et tous les autres avaient déjà annoncé. [6] La vérité, c’est que devenu de persécuteur prédicateur, Paul est présenté aux frères par les frères comme un frère : je dis à ceux et par ceux qui avaient reçu leur foi des apôtres. [7] Puis, ainsi qu’il le raconte lui-même, il monta à Jérusalem pour faire connaissance avec Pierre, comme c’était son devoir et son droit puisqu’il participait à la même foi et à la même prédication. [8] Ils ne se seraient pas étonnés qu’il fût devenu de persécuteur prédicateur, s’il avait annoncé une doctrine contraire à la leur, et ils n’auraient pas glorifié le Seigneur de ce que Paul, son ennemi, était venu à lui. [9] Aussi lui donnèrent-ils la main en signe de concorde et d’union. Ils réglèrent le partage des fonctions, mais sans diviser l’Évangile : il ne s’agissait point de prêcher chacun un Évangile différent, mais d’annoncer le même Évangile aux différents groupes, Pierre aux circoncis, Paul aux gentils. [10] Au surplus, si Pierre fut blâmé de ce qu’après avoir vécu avec les païens il se séparait d’eux et faisait acception de personnes, ce fut là une faute de conduite et non une faute d’enseignement. [11] Il n’annonçait pas pour cela un autre Dieu que le Créateur, un autre Christ que le Christ né de Marie, une autre espérance que celle de la résurrection.

XXIV. Je n’ai pas la bonne fortune, ou pour mieux dire, je n’ai point la mauvaise fortune de mettre des apôtres en conflit. [2] Mais puisque ces pervers tirent prétexte de cette réprimande de Paul pour rendre suspecte la doctrine prêchée avant lui, je répondrai, comme si je plaidais pour Pierre, que Paul a dit lui-même « qu’il s’était fait tout à tous, juif pour les juifs, non-juif pour les non-juifs, afin de les gagner tous » : [3] tant il est vrai qu’ils critiquaient, eu égard aux temps, aux personnes, aux espèces, certaines pratiques qu’ils se permettaient eux-mêmes en tenant compte des temps, des personnes et des espèces. C’est comme si Pierre avait critiqué Paul de ce que, tout en prohibant la circoncision, il avait circoncis lui-même Timothée. [4] Qu’ils y prennent garde, ceux qui se permettent de juger les apôtres ! Il est heureux que Pierre et Paul aient été mis sur le même pied dans la gloire du martyre.

[5] Mais Paul a eu beau être ravi jusqu’au troisième ciel et, transporté au paradis, y avoir entendu certaines révélations, ces révélations n’ont pu apporter à sa doctrine un supplément qui la modifiât, puisqu’elles étaient de telle nature qu’elles ne devaient être communiquées à personne. [6] Si ces mystères ont transpiré et que quelque hérésie prétende y trouver sa loi, c’est donc que Paul est coupable d’avoir violé le secret ; ou bien qu’on nous montre un autre homme qui ait été enlevé après lui au paradis et qui ait reçu l’autorisation d’exposer ce que Paul reçut défense de dire même tout bas.

XXV. Mais, comme nous l’avons observé, c’est une égale folie de reconnaître d’une part que les apôtres n’ont rien ignoré, qu’ils n’ont rien prêché de contradictoire, et de vouloir pourtant d’autre part qu’ils n’aient pas révélé à tous tout ce qu’ils savaient ; [2] qu’ils aient annoncé certaines choses en public pour tout le monde, et qu’ils en aient confié d’autres secrètement à un petit nombre. Cela, parce que Paul s’est servi du mot suivant en s’adressant à Timothée : « Ô Timothée, garde le dépôt », et encore : « Conserve le précieux dépôt. » [3] Quel est ce dépôt ? Est-il si mystérieux qu’on doive le croire constitué par quelque doctrine ésotérique ? [4] Ou ne fait-il pas plutôt partie de cette recommandation dont il dit : « Je te confie cette recommandation, mon cher fils Timothée », [5] et de ce précepte dont il dit : « Je te recommande, devant Dieu qui vivifie toutes choses et devant le Christ Jésus qui a rendu sous Ponce-Pilate un excellent témoignage, de garder le précepte. » [6] Mais quel est ce précepte ? Quelle est cette recommandation ? On voit d’après le contexte qu’il n’y a là aucune allusion voilée à une doctrine secrète, mais que bien plutôt l’apôtre insiste sur l’obligation de n’en point admettre d’autre en dehors de celle que Timothée avait apprise de lui, et je suppose, comme il le dit, « devant un bon nombre de témoins ». [7] Si par ce bon nombre de témoins on ne veut pas entendre l’Église, peu importe ; en tous cas, ce qui est articulé devant un grand nombre de témoins ne saurait passer pour secret. [8] Et de ce que Paul veut que Timothée confie « ces choses à des hommes fidèles » qui soient « capables de les enseigner aussi à d’autres », on n’en peut tirer aucune preuve pour l’existence de quelque Évangile occulte. [9] Puisqu’il dit « ces choses-ci », c’est donc qu’il parle de ce qu’il écrivait au moment même ; s’il avait parlé de choses mystérieuses, il aurait dit comme faisant allusion à des choses absentes, connues d’eux seuls, « ces choses-là ».

XXVI. En outre, il était logique qu’à celui auquel il confiait le ministère de l’Évangile pour s’en acquitter avec suite et prudence, il recommandât aussi, selon la parole du Seigneur, de ne pas jeter les perles aux pourceaux ni aux chiens les choses saintes. [2] Le Seigneur a parlé publiquement et n’a jamais fait allusion à une doctrine secrète. Lui-même avait enjoint (à ses disciples) de prêcher au grand jour et sur les toits ce qu’ils auraient entendu dans l’obscurité et dans le secret. [3] Lui-même, dans une parabole, avait d’avance fait entendre qu’ils ne devaient point serrer dans une cachette une seule mine — c’est-à-dire une seule de ses paroles — sans la faire fructifier. [4] Lui-même montrait qu’on ne met point ordinairement la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, pour éclairer tous ceux qui sont dans la maison. [5] De tout cela, les apôtres n’ont tenu aucun compte ou bien ils n’y ont rien compris, si, loin de s’y conformer, ils ont caché quelque chose de la lumière, c’est-à-dire de la parole de Dieu et de la doctrine du Christ.

[6] Ils ne craignaient personne, que je sache, ni les violences des Juifs ni celles des païens : ils devaient parler d’autant plus librement dans l’Église, eux qui ne se taisaient pas même dans les synagogues et les lieux publics. [7] Bien plus, ils n’auraient pu ni convertir les Juifs ni gagner les païens, s’ils n’avaient méthodiquement exposé ce qu’ils voulaient leur faire croire. [8] À plus forte raison n’eussent-ils pas soustrait quelque chose aux Églises déjà en possession de la foi, pour le confier en particulier à un petit nombre de privilégiés. [9] Même en supposant qu’ils eussent entre intimes, pour ainsi dire, quelques entretiens, on ne doit pas croire qu’ils surajoutassent alors une autre règle de foi, différente de celle et contraire à celle qu’ils proclamaient publiquement selon le mode catholique ; [10] ni qu’ils prêchassent un Dieu dans l’Église, un autre Dieu chez eux ; ni qu’ils attribuassent au Christ telle substance en public, telle autre en secret ; ni qu’ils annonçassent devant tous telle espérance de résurrection et telle autre devant le petit nombre. [11] N’adjuraient-ils pas dans leurs épîtres les fidèles de tenir un seul et même langage, de ne souffrir ni schismes ni dissensions dans l’Église, étant donné que Paul comme aussi les autres apôtres enseignaient la même chose ? [12] Ils se souvenaient d’ailleurs de ces paroles : « Que votre langage soit : oui, oui : non, non. Car ce qui est en plus vient du démon » ; et cela leur interdisait de traiter l’Évangile de différentes façons.

XXVII. Il n’est donc pas croyable que les apôtres n’aient pas possédé dans sa plénitude la doctrine qu’ils annonçaient ou n’aient pas livré à tous la règle de foi tout entière. Voyons si, tandis que les apôtres l’annonçaient intégralement et en toute bonne foi, les Églises l’ont reçue par leur propre faute autrement que les apôtres ne l’enseignaient. [2] Ce sont là, on le sait, les aiguillons dont les hérétiques excitent nos humeurs de scrupule. [3] Ils tirent parti des réprimandes que l’apôtre adresse aux Églises : « Ô Galates insensés ! Qui vous a ensorcelés ? » « Vous couriez si bien, qui vous arrêtés ? » Et au début même : « Je m’étonne que vous abandonniez si vite celui dont la grâce vous a appelés à un autre Évangile. » [4] De même Paul écrit aux Corinthiens qu’ils sont encore charnels et qu’ils ont besoin d’être encore nourris de lait, étant incapables de recevoir une nourriture plus forte, — eux qui croient savoir quelque chose, alors qu’ils ne savent même pas comment il faut savoir. [5] Lorsqu’ils nous objectent que les Églises ont été réprimandées, qu’ils croient du moins qu’elles se sont corrigées ! [6] Qu’ils se souviennent aussi de ces Églises que l’apôtre félicite pour leur foi, leur science, leur conduite, en rendant grâce à Dieu, et qui aujourd’hui sont unies dans les privilèges d’une même doctrine avec celles qui furent alors reprises.

XXVIII. Eh bien, admettons-le : tous se sont trompés ; l’apôtre s’est trompé en rendant témoignage. L’Esprit saint n’a veillé sur aucune d’elle pour la conduire à la vérité, lui qui avait été envoyé par le Christ et demandé au Père pour être le docteur de la vérité, lui, l’intendant de Dieu, le vicaire du Christ, il a négligé ses devoirs, il a permis que parfois les Églises comprissent différemment, crussent différemment la doctrine que lui-même prêchait par les apôtres. Mais est-il vraisemblable que tant d’Églises si importantes aient erré pour se rencontrer finalement dans la même croyance ? [2] Tant de démarches multiples ne sauraient aboutir à la même issue ; l’erreur doctrinale des Églises aurait certainement pris des formes diverses. [3] Au surplus ce qui se retrouve identique chez un grand nombre ne vient pas de l’erreur, mais de la tradition. [4] Qu’on ose dire que ceux qui ont légué la tradition ont pu se tromper !

XXIX. De quelque manière que l’erreur se soit produite, l’erreur a donc régné aussi longtemps qu’il n’y a pas eu d’hérésie. [2] Pour être libérée, la vérité attendait des Marcion et des Valentin. [3] En attendant, fautive était la prédication de l’Évangile, fautive la foi, fautifs tant de milliers de milliers de baptêmes, fautives tant d’œuvres de foi, fautifs tant de miracles, tant de charismes, tant de sacerdoces, tant de ministères, fautifs enfin tant de martyres couronnés ! [4] Ou si tout cela n’était point fautif ni fait en vain, comment expliquer que les choses de Dieu eussent cours avant qu’on sût à quel Dieu elles appartenaient ? qu’il y ait eu des chrétiens avant que le Christ eût été trouvé ? Que l’hérésie ait existé avant la vraie doctrine ? [5] Mais en toutes choses la vérité vient avant l’image c’est après coup que l’image lui succède ! [6] Au surplus, il serait assez absurde d’attribuer à l’hérésie une priorité sur la doctrine, quand c’est celle-ci qui a prédit les hérésies pour nous mettre en garde contre elles. [7] C’est à l’Église, dépositaire de cette doctrine, qu’il est écrit… disons mieux, c’est cette doctrine elle-même qui écrit à l’Église : « Quand bien même un ange descendrait du ciel pour vous prêcher un autre Évangile que le nôtre, qu’il soit anathème. »

XXX. Où était alors Marcion, le pilote du Pont, si zélé pour le stoïcisme ? où était Valentin, le disciple du platonisme ? [2] On sait qu’ils ne sont pas tellement anciens : ils vécurent à peu près sous le règne d’Antonin. Ils crurent d’abord à la doctrine catholique dans l’Église romaine, sous l’épiscopat du bienheureux Éleuthère, jusqu’au jour où leur curiosité toujours inquiète, par où ils corrompaient leurs frères mêmes, les en fit expulser par deux fois, Marcion avec les deux cent mille sesterces qu’il avait apportés à l’Église. Puis, exilés dans une séparation perpétuelle, ils dispersèrent le venin de leurs doctrines. [3] Enfin Marcion, ayant confessé son repentir, accepta la condition à laquelle fut subordonné l’octroi de la paix ecclésiastique, à savoir de restituer à l’Église ceux qu’il avait entraînés par ses leçons à leur perte. Mais la mort ne lui en laissa pas le temps.

[4] C’est qu’il fallait qu’il y eût des hérésies. De cette nécessité n’allons pas inférer que l’hérésie soit un bien — comme s’il ne fallait pas que le mal existât aussi ! Ne fallait-il pas que le Seigneur fût trahi ? et cependant malheur au traître ! Que personne n’aille donc tirer de là une justification de l’hérésie.

[5] Il faut dire encore un mot de l’origine d’Apelle. Il n’est pas lui-même aussi ancien que Marcion, son maître, de qui il reçut sa formation. Une femme fut l’occasion de sa chute ; il déserta la continence marcionite et, loin des yeux de son chaste maître, il se retira à Alexandrie. [6] Quelques années après il revint, sans s’être amélioré, à cela près qu’il n’était plus marcionite. Il s’attacha à une autre femme : c’était cette fameuse vierge Philoumène dont nous avons déjà fait mention et qui devint ensuite une infâme prostituée. Sous l’influence de son énergie diabolique il écrivit les Révélations qu’il avait reçues d’elle. [7] Il y a encore aujourd’hui par le monde des gens qui se souviennent d’eux ; on voit de leurs propres disciples et de leurs successeurs. Impossible donc de nier leur tardive apparition. [8] D’ailleurs leurs œuvres elles-mêmes, comme a dit le Seigneur, les condamnent. [9] Si Marcion a séparé le Nouveau Testament de l’Ancien, il est donc postérieur à ce qu’il a séparé, car il n’eût pu les séparer, s’ils n’avaient constitué un tout. [10] Ce fait qu’ils formaient un tout avant d’être séparés, puis qu’ils ont été séparés, prouve que celui qui les a séparés était postérieur à eux. [11] De même Valentin, en interprétant à sa manière les Écritures et en corrigeant tout ce qu’il corrige, probablement sous ce prétexte qu’elles étaient auparavant corrompues, démontre qu’elles ne sont pas de lui.

[12] Nous nommons ceux-là parce qu’ils sont les corrupteurs de la vérité les plus notoires et les plus souvent cités. [13] Il y a encore un certain Nigidius, et Hermogène, et beaucoup d’autres qui s’en vont pervertissant les voies du Seigneur. Qu’ils me montrent de quoi ils s’autorisent pour se mettre en avant. [14] Si c’est un autre Dieu qu’ils prêchent, comment emploient-ils les choses, les Écritures, les noms de ce Dieu contre lequel ils prêchent ? Si c’est le même Dieu, pourquoi le prêchent-ils d’une autre manière ? [15] Qu’ils prouvent qu’ils sont de nouveaux apôtres, qu’ils disent que le Christ est descendu une seconde fois, qu’il a de nouveau enseigné lui-même, qu’il a été de nouveau crucifié, qu’il est mort encore une fois, qu’il a été ressuscité encore une fois. [16] Quand Dieu envoie des apôtres, il leur donne aussi d’ordinaire le pouvoir d’opérer les mêmes prodiges que lui-même. [17] Je veux donc qu’on me montre les prodiges accomplis par eux ; au surplus, je reconnais le pouvoir merveilleux par où ils imitent en mal les apôtres : ceux-ci rendaient la vie aux morts, ceux-là donnent la mort aux vivants.

XXXI. Mais après cette digression, je reviens à notre discussion sur la priorité du vrai et la postériorité du mensonge. Nous en pouvons trouver encore une preuve dans la parabole qui montre le bon grain de froment semé d’abord par le Seigneur ; puis ensuite le diable, ennemi de Dieu, venant tout gâter après coup en y mêlant l’ivraie, herbe stérile. [2] Cette image figure nettement la différence des doctrines, car en un autre endroit la parole de Dieu est comparée à la semence. [3] L’ordre des temps montre donc que ce qui a la priorité est vérité venue du Seigneur, et que ce qui est introduit postérieurement est fausseté étrangère. [4] Tel est le principe qu’on doit maintenir contre toutes les hérésies postérieures, qui ne peuvent avoir au fond du cœur aucune assurance pour revendiquer la vérité.

XXXII. D’ailleurs, si quelques-unes osent se rattacher à l’âge apostolique pour paraître léguées par les apôtres, sous prétexte qu’elles existaient à l’époque des apôtres, nous sommes en droit de leur dire : « Montrez l’origine de vos Églises ; déroulez la série de vos évêques se succédant depuis l’origine, de telle manière que le premier évêque ait eu comme garant et prédécesseur l’un des apôtres ou l’un des hommes apostoliques restés jusqu’au bout en communion avec les apôtres. » [2] Car c’est ainsi que les Églises apostoliques présentent leurs fastes. Par exemple, l’Église de Smyrne rapporte que Polycarpe fut installé par Jean ; l’Église de Rome montre que Clément a été ordonné par Pierre. [3] De même encore, d’une façon générale, les autres Églises exhibent les noms de ceux qui, établis par les apôtres dans l’épiscopat, possèdent la bouture de la semence apostolique.

[4] Que les hérétiques inventent quelque chose de semblable ! Après tant de blasphèmes, tout ne leur est-il pas permis ? [5] Mais leurs inventions n’aboutiront à rien ; car leur doctrine, rapprochée de celle des apôtres, manifestera par sa diversité et ses contradictions qu’elle n’a pour auteur ni un apôtre ni un homme apostolique. De même que les apôtres n’auraient pas enseigné des choses différentes les unes des autres, de même les hommes apostoliques n’auraient pas annoncé une doctrine contraire à celle des apôtres, à moins que ceux que les apôtres ont instruits n’aient prêché autrement qu’eux. [6] Voilà la preuve où les convieront avec défi ces Églises qui, — sans pouvoir rapporter leur fondation à un apôtre ou à un homme apostolique, comme étant de beaucoup postérieures, et de celles qui sont quotidiennement établies —, conspirent pourtant toutes dans la même foi, et en vertu de cette consanguinéité de doctrine sont considérées tout de même comme apostoliques.

[7] Donc que toutes les hérésies, sommées par nos Églises de fournir cette double preuve, manifestent les raisons qu’elles ont de se dire apostoliques ! [8] Mais ni elles ne le sont, ni elles ne peuvent prouver qu’elles sont ce qu’elles ne sont pas aussi les Églises qui sont apostoliques de quelque manière ne les reçoivent-elles sous aucun prétexte dans la paix et la communion, vu qu’en raison de la divergence de leur doctrine, elles ne sont en aucune façon apostoliques.

XXXIII. J’ajoute par surcroît une revue de leurs doctrines elles-mêmes, qui existèrent au temps des apôtres et furent par ces mêmes apôtres signalées et condamnées. [2] Il sera plus facile ainsi de les flétrir, si elles sont convaincues ou bien d’avoir existé dès lors ou d’avoir tiré leur origine des hérésies qui dès lors existèrent.

[3] Dans la première aux Corinthiens, Paul censure ceux qui niaient et révoquaient en doute la résurrection : c’était l’opinion particulière des Sadducéens. [4] Y participent Marcion, Apelle, Valentin et tous ceux qui repoussent la résurrection de la chair. [5] Quand il écrit aux Galates, il s’élève contre ceux qui pratiquent ou défendent la circoncision et la loi : c’est l’hérésie d’Ébion. [6] Instruisant Timothée, il censure ceux qui interdisent le mariage : telle est la doctrine de Marcion et d’Apelle, son disciple. [7] Il reprend également ceux qui prétendaient que la résurrection était déjà faite : c’est ce que les Valentiniens affirment d’eux-mêmes. [8] Lorsqu’il parle de généalogies sans fin on reconnaît Valentin. Chez celui-ci un Éon, je ne sais plus lequel, car il a un nom étrange, et même il en a plusieurs, engendre de sa Grâce le Sens et la Vérité. Ceux-ci en procréent deux autres à leur tour, le Verbe et la Vie, qui engendrent eux-mêmes l’Homme et l’Église. De cette première ogdoade d’Éons naissent dix autres Éons et enfin douze Éons avec des noms bizarres, pour compléter cette pure fantasmagorie des trente Éons. [9] Le même apôtre, quand il blâme ceux qui sont asservis aux éléments, fait allusion à l’une des idées d’Hermogène qui, imaginant une matière incréée, l’assimile au Dieu incréé et fait d’elle une déesse mère des éléments, en sorte qu’il peut s’asservir à elle puisqu’il la fait marcher de pair avec Dieu.

[10] Quant à Jean, il ordonne dans l’Apocalypse de châtier ceux qui mangent les viandes consacrées aux idoles et qui commettent des fornications. Il y a maintenant d’autres Nicolaïtes : c’est l’hérésie dite des Caïnites. [11] Dans une épître, il traite d’antéchrists ceux-là surtout qui niaient que le Christ fût venu dans la chair et qui ne croyaient pas que Jésus fût le fils de Dieu Marcion s’est approprié la première erreur, Ébion la seconde. [12] La doctrine magique de Simon, qui rendait un culte aux anges, était rangée elle-même parmi les idolâtries et condamnée par l’apôtre Pierre dans la personne de Simon.

XXXIV. Voilà, je pense, les diverses doctrines mensongères qui existaient sous les apôtres, comme les apôtres eux-mêmes nous l’apprennent. [2] Et cependant, parmi tant de perversités diverses, nous ne trouvons aucune école qui ait soulevé de controverse sur le Dieu créateur de l’Univers. [3] Personne n’a osé supposer un second Dieu. C’était plutôt sur le Fils que sur le Père qu’on hésitait, jusqu’au jour où Marcion imagina, en outre du Créateur, un autre dieu uniquement bon ; [4] où Apelle transforma en Créateur, dieu de la loi et d’Israël, je ne sais quel ange glorieux du Dieu supérieur ; affirmant qu’il était d’une substance ignée ; où Valentin sema ses Éons et assigna pour origine au Dieu créateur le péché d’un seul Éon.

[5] C’est à eux seuls et à eux tout d’abord qu’a été révélée la vérité sur la divinité. Ils ont naturellement obtenu un plus grand privilège et une grâce plus complète du diable, qui a voulu, par rivalité contre Dieu, faire lui-même ce que le Seigneur avait déclaré impossible, en élevant par le poison de sa doctrine les disciples au-dessus du maître. [6] Donc que toutes les hérésies se choisissent le moment où chacune d’elle est apparue : au surplus ce point n’importe guère du moment qu’elles n’ont point la vérité pour elles, et elles ne peuvent l’avoir puisqu’elles n’existaient pas sous les apôtres. [7] Si elles avaient dès lors existé, elles auraient été citées elles aussi, pour être châtiées elles aussi : celles qui ont existé sous les apôtres sont condamnées nommément. [8] Donc, si ce sont les mêmes, encore mal dégrossies à l’époque des apôtres, aujourd’hui plus raffinées, elles portent depuis ce temps-là leur condamnation ; si elles ne leur sont pas identiques, et que nées postérieurement, elles aient emprunté à ces hérésies telle opinion, du moment qu’elles leur sont associées dans la doctrine elles le sont nécessairement aussi dans la condamnation : car prévaut ici cette définition susdite de postériorité, qui veut que même sans participer à la condamnation, leur âge seul fasse préjuger qu’elles sont d’autant plus adultères que les apôtres ne les nomment point. [9] Il est donc encore plus fermement établi que ce sont là ces hérésies dont la venue était alors annoncée.

XXXV. Voilà par quelles définitions nous provoquons et confondons les hérésies, qu’elles soient postérieures aux apôtres ou contemporaines des apôtres, dès lors qu’elles s’écartent de leur enseignement ; qu’elles aient été condamnées par eux en général, qu’elles l’aient été en particulier, dès lors qu’elles ont été condamnées d’avance. Qu’elles osent riposter elles-mêmes en élevant contre notre doctrine des prescriptions de ce genre ! [2] Si elles nient que cette doctrine soit la vraie, elles doivent prouver qu’elle aussi est une hérésie, victorieusement réfutée par la même démonstration qui les réfute elles-mêmes, et montrer en même temps où il faut chercher la vérité, puisque c’est un fait qu’elle n’est point chez elles.

[3] Notre doctrine n’est pas postérieure ; bien plus elle a sur toutes les autres la priorité. Ce sera là la preuve de la vérité, qui partout vient la première. [4] Loin de la condamner, les apôtres la défendent : ce sera là l’indice qu’elle est bien la leur. [5] Celle qu’ils ne condamnent pas, eux qui condamnent toute doctrine étrangère, ils montrent qu’elle est à eux et voilà pourquoi ils la défendent.

XXXVI. Or donc, voulez-vous exercer plus louablement votre curiosité en l’employant à votre salut ? Parcourez les Églises apostoliques où les chaires même des apôtres président encore à leur place, où on lit leurs lettres authentiques qui rendent l’écho de leur voix et mettent sous les yeux la figure de chacun d’eux. [2] Êtes-vous tout proche de l’Achaïe : vous avez Corinthe. N’êtes-vous pas loin de la Macédoine : vous avez Philippes ; si vous pouvez aller du côté de l’Asie, vous avez Éphèse ; si vous êtes sur les confins de l’Italie, vous avez Rome dont l’autorité nous apporte à nous aussi son appui. [3] Heureuse Église ! les apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit un supplice semblable à celui du Seigneur. Paul y est couronné d’une mort pareille à celle de Jean (Baptiste). L’apôtre Jean y est plongé dans l’huile bouillante : il en sort indemne et se voit relégué dans une île.

[4] Voyons ce qu’elle a appris, ce qu’elle enseigne, ce qu’elle certifie en même temps que les Églises d’Afrique. [5] Elle ne connaît qu’un seul Dieu créateur de l’univers ; Jésus-Christ, né de la vierge Marie, fils du Dieu créateur ; la résurrection de la chair. Elle associe la loi et les prophètes aux écrits évangéliques et apostoliques : c’est là qu’elle puise sa foi. Cette foi, elle la marque avec l’eau, elle la revêt du Saint-Esprit, elle la nourrit de l’eucharistie ; elle exhorte au martyre et n’admet personne à l’encontre de cette doctrine.

[6] Voilà la doctrine, je ne dis plus qui annonçait la venue future des hérésies, mais de laquelle les hérésies sont nées. D’ailleurs elles n’ont plus rien eu de commun avec elle, du jour où elles lui sont devenues hostiles. [7] Du noyau de l’olive, fruit doux, riche et nécessaire, on voit sortir aussi l’âpre olivier sauvage ; du pépin de la figue, si agréable et si délicieux, surgit le figuier sauvage, vide et inutile. [8] Il en est de même des hérésies. Elles proviennent de notre souche, mais ne sont pas de notre famille : nées du germe de la vérité, le mensonge les a rendues sauvages.

XXXVII. S’il est vrai que la vérité doive nous être adjugée en partage, à nous qui marchons dans cette règle que l’Église nous transmet après l’avoir reçue des apôtres, les apôtres du Christ, le Christ de Dieu, nous étions donc bien fondés à soutenir que les hérétiques ne doivent pas être admis à nous provoquer sur les Écritures, puisque nous pouvons démontrer, sans le secours des Écritures, qu’ils n’ont rien à voir avec les Écritures. [2] Étant hérétiques, ils ne peuvent être chrétiens, car ils ne tiennent pas du Christ la doctrine qu’ils suivent de leur propre choix en adoptant ce nom d’hérétiques. [3] N’étant pas chrétiens, ils n’ont aucun droit sur les écrits chrétiens, et ils méritent qu’on leur dise : Qui êtes-vous ? Quand et d’où êtes-vous venus ? Que faites-vous chez moi, vous qui n’êtes pas des miens ? de quel droit, Marcion, fais-tu des coupes dans ma forêt ? d’où le prends-tu, Valentin, pour détourner mes sources ? qui t’autorise, Apelle, à déplacer mes bornes ? [4] Ce domaine m’appartient : pourquoi, vous autres, venez-vous semer et paître ici arbitrairement ? Ce domaine m’appartient, je le possède d’ancienne date, je le possédais avant vous ; j’ai des pièces authentiques émanant des propriétaires même auxquels le bien a appartenu. [5] C’est moi qui suis l’héritier des apôtres. C’est d’après les dispositions prises par testament, d’après leur fidéicommis, d’après l’adjuration qu’ils ont faite que j’en suis possesseur. [6] Quant à vous, ce qui est sûr c’est qu’ils vous ont toujours déshérités et reniés comme des étrangers, comme des ennemis. [7] Et pourquoi les hérétiques sont-ils pour les apôtres des étrangers et des ennemis, sinon à cause de la divergence de leur doctrine, que chacun d’eux a inventée ou reçue selon son caprice, contre les apôtres ?

XXXVIII. Là où l’on trouve divergence de doctrine, il faut donc supposer que les Écritures et les interprétations ont été falsifiées. [2] Ceux qui voulaient changer l’enseignement ont dû nécessairement disposer autrement les instruments de la doctrine. [3] Ils n’auraient pu donner un autre enseignement sans changer aussi les moyens d’enseignement. Et de même que la falsification de la doctrine n’aurait pu leur réussir sans la falsification des instruments de la doctrine, de même, nous, nous n’aurions pu arriver à maintenir l’intégrité de la doctrine sans l’intégrité des moyens qui permettent de l’enseigner. [4] Qu’y a-t-il en effet qui nous soit contraire, dans nos Écritures ? qu’y avons-nous introduit de notre cru, pour corriger, soit par suppression, soit par addition, soit par altération, tel passage trouvé dans ces livres, mais contraire à nos propres vues ? [5] Ce que nous sommes, les Écritures le sont depuis leur origine. Nous procédons d’elles avant toute altération, avant qu’elles n’eussent été interpolées par vous. [6] Mais toute interpolation devant être jugée postérieure, puisqu’elle vient naturellement d’un motif de rivalité et que la rivalité ne peut être antérieure à ce qu’elle jalouse ni de la même maison, un homme sensé ne pourra donc jamais croire que ce soit nous qui, venus dès l’origine et les premiers, y ayons porté une plume falsificatrice, et non pas plutôt ceux qui sont venus ensuite et qui en sont les ennemis. [7] L’un a de sa main falsifié le texte ; l’autre le sens, par son mode d’interprétation. [8] Valentin a beau paraître garder intégralement l’Écriture ; il n’est pas moins perfide que Marcion qui a matériellement attenté à la vérité. [9] Marcion, en effet, s’est servi ouvertement et publiquement non de la plume, mais du fer, et il a massacré les Écritures pour les adapter à son système. [10] Valentin les a épargnées, mais c’est qu’il accommodait, je ne dis pas les Écritures à son système, mais son système aux Écritures ; et cependant il a plus retranché, plus ajouté (que Marcion) en ôtant à chaque mot son sens propre, et en y ajoutant ses combinaisons d’êtres fantastiques.

XXXIX. Ces hommes-là procèdent des esprits de perversité, avec qui il nous faut lutter, mes frères, et qu’il nous faut donc étudier. Ils sont nécessaires à la foi pour manifester les élus et découvrir les réprouvés. [2] C’est pour cela qu’ils ont du talent, qu’ils imaginent et construisent l’erreur avec tant d’aisance : aisance dont au surplus, il ne faut pas s’émerveiller comme si elle offrait d’insurmontables difficultés, puisqu’on trouve aussi dans la littérature profane des exemples du procédé. [3] On voit aujourd’hui sortir de Virgile une fable entièrement différente où le sujet est adapté aux vers et les vers au sujet. [4] Hosidius Geta a complètement pompé sa tragédie de Médée dans Virgile. Un de mes parents, entre autres divertissements littéraires, a expliqué d’après le même poète le Tableau de Cébès. [5] On appelle aussi d’ordinaire Homérocentons ceux qui, d’après les poèmes homériques, réunissent en un tout, grâce à un travail personnel, des morceaux pris de-ci de-là, à la manière des chiffonniers.

[6] L’Écriture sainte est naturellement plus féconde en ressources pour les besoins de chaque sujet. [7] Et je ne crains pas de dire que les Écritures mêmes ont été arrangées par la volonté de Dieu de manière à fournir aux hérétiques leur matière. Ne lisons-nous pas qu’il faut qu’il y ait des hérésies ? Or il ne peut y en avoir sans les Écritures.

XL. Demande-t-on par qui est interprété le sens des passages qui favorisent l’hérésie ? [2] Par le diable, bien entendu. Son rôle est de pervertir la vérité. N’imite-t-il pas dans les mystères des idoles les choses de la foi divine ? [3] Lui aussi baptise ceux qui croient en lui, ses fidèles : il promet que l’expiation des fautes sortira de ce bain. [4] Et si je me souviens encore de Mithra, il marque là au front ses soldats. Il célèbre aussi l’oblation du pain. Il offre une image de la résurrection et, sous le glaive, il rachète la couronne. [5] Et quoi ? n’impose-t-il pas à son grand prêtre un mariage unique ? Il a lui aussi ses vierges, il a lui aussi ses continents. [6] Au surplus si nous examinons les superstitions de Numa Pompilius, si nous étudions les fonctions des prêtres, leurs insignes et leurs privilèges, les cérémonies des sacrifices, les instruments et les vases qui y servent, les particularités des expiations et des vœux, n’est-il pas manifeste que le diable a imité l’esprit minutieux de la loi judaïque ? [7] Celui qui s’est si jalousement efforcé de reproduire dans les choses de l’idolâtrie les rites mêmes qui servent à administrer les « sacrements » du Christ, celui-là aussi, dans une intention toute pareille, a désiré passionnément et a pu appliquer à une foi profane et rivale les instruments des choses divines et des sacrements chrétiens, en tirant sa pensée de leurs pensées, ses paroles de leurs paroles, ses paraboles de leurs paraboles. [8] Voilà pourquoi il ne faut pas douter que les esprits de perversité de qui les hérésies viennent, n’aient été envoyés par le démon, et que les hérésies diffèrent fort peu de l’idolâtrie : elles procèdent du même auteur et de la même œuvre que l’idolâtrie même. [9] Ou bien elles imaginent un autre. Dieu contre le Créateur, ou bien, si elles confessent un créateur unique, elles le représentent comme autre qu’il n’est réellement. [10] Aussi tout mensonge proféré sur le compte de Dieu relève-t-il en quelque façon de l’idolâtrie.

XLI. Je ne dois pas oublier de décrire aussi la conduite des hérétiques, combien elle est futile, terrestre, purement humaine, sans gravité, sans autorité, sans discipline, tout à fait assortie à leur foi. [2] D’abord on ne sait qui est catéchumène, qui est fidèle ; ils entrent pareillement ils écoutent pareillement, ils prient pareillement. Lors même que des païens surviendraient, ils jetteraient les choses saintes aux chiens et les perles (d’ailleurs fausses) aux pourceaux. [3] Pour eux, la simplicité consiste à renverser la discipline ; le souci que nous avons de cette discipline, ils l’appellent recherche corruptrice. Ils accordent en bloc la paix à tous sans aucun discernement. [4] Peu leur importe la différence de leurs systèmes, pourvu qu’ils conspirent à renverser la vérité. Tous sont gonflés d’orgueil, tous promettent la science. Les catéchumènes sont définitivement initiés avant d’être entièrement instruits. [5] Et chez les femmes hérétiques elles-mêmes, quelle impudence ! N’osent-elles pas enseigner, disputer, exorciser, promettre des guérisons, peut-être même baptiser ? [6] Leurs ordinations se font au hasard, sans sérieux, sans suite ; ils installent tantôt des néophytes, tantôt des hommes engagés dans le siècle, tantôt nos apostats, pour se les attacher par l’ambition, puisqu’ils ne le peuvent par la vérité. [7] Nulle part, on n’avance plus aisément que dans le camp des rebelles : le fait même de s’y trouver constitue déjà un titre. [8] Aussi ont-ils aujourd’hui un évêque, demain un autre ; aujourd’hui est diacre tel qui demain sera lecteur ; aujourd’hui est prêtre tel qui demain sera laïque ; ils chargent des laïques même de fonctions sacerdotales.

XLII. Que dirai-je du ministère de la parole ? leur préoccupation n’est pas de convertir les païens, mais de pervertir les nôtres. [2] La gloire qu’ils recherchent de préférence, ce n’est pas de relever ceux qui sont à terre, mais de jeter à bas ceux qui sont debout : naturellement puisque leur œuvre n’est point faite de matériaux qui leur soient propres, mais des débris de la vérité. [3] Ils sapent notre maison pour construire la leur. Enlevez-leur la loi de Moïse, les prophètes, le Dieu créateur : ils n’ont plus d’accusation à articuler. [4] Aussi ruinent-ils plus aisément les édifices qui sont debout qu’ils ne relèvent les ruines qui gisent sur le sol. [5] Voilà l’unique tâche pour laquelle ils se font humbles, caressants et modestes. Au surplus ils ignorent le respect, même à l’égard de leurs propres chefs. [6] Voilà pourquoi il n’y a généralement pas de schismes chez les hérétiques. Quand il y en a, on ne les voit pas : le schisme est leur unité même. [7] Je mens, si même entre eux ils ne s’écartent pas de leurs propres règles, chacun tournant à sa fantaisie les préceptes reçus, tout comme celui qui les leur a donnés les avait disposés à sa fantaisie. [8] L’hérésie demeure en son progrès fidèle à sa nature et au caractère de son origine. Les Valentiniens ont pris le même droit que Valentin et les Marcionites que Marcion, celui d’innover à leur gré dans la foi. [9] À examiner à fond toutes les hérésies, on saisit leur désaccord en bon nombre de points avec leurs fondateurs. [10] La plupart des hérétiques n’ont pas même d’Église ; sans mère, sans demeure fixe, sans foi, exilés, ils sont comme des vagabonds au ban de la société.

XLIII. On a remarqué aussi le commerce des hérétiques avec quantité de mages, de charlatans, d’astrologues, de philosophes, c’est-à-dire de gens voués aux vaines recherches. [2] Partout, ils se souviennent du « Cherchez et vous trouverez ». Tant il est vrai que la qualité de la foi peut être appréciée d’après le genre de vie et que la conduite est un critère de la doctrine. [3] Ils nient qu’on doive craindre Dieu : aussi tout chez eux est libre et sans règle. [4] Mais où ne craint-on pas Dieu, sinon là où il n’est point ? Et là où il n’est pas, il n’y a point de vérité. Là où il n’y a point de vérité, on rencontre fatalement un mode de vie comme le leur. [5] Mais là où est Dieu, là se trouve la crainte de Dieu, qui est le commencement de la sagesse ; et là où l’on craint Dieu, sont aussi la gravité honnête, le zèle scrupuleux, le soin inquiet, le choix attentif, la communication après mûr examen, l’avancement dû aux loyaux services, la soumission religieuse, le service pieux, le maintien modeste, et l’Église unie — et tout y est de Dieu.

XLIV. Au surplus le témoignage de cette discipline plus stricte qui existe parmi nous s’ajoute pour montrer où est la vérité : personne n’a avantage à se détourner d’elle, s’il se souvient du jugement à venir où il nous faudra tous comparaître devant le tribunal du Christ pour y rendre compte surtout de notre foi. [2] Que diront donc ceux qui l’auront déshonorée par l’adultère de l’hérésie, elle, la vierge confiée par le Christ ? [3] Ils allégueront, je suppose, que rien ne leur avait été dit par le Christ ou ses apôtres sur les doctrines horribles et perverses qui devaient survenir, qu’aucun avis ne leur avait été donné de s’en garer et de les détester. [4] Ils s’en prendront, plutôt qu’à leur faute et à celle des leurs, à la faute de ceux qui ne nous ont pas prémunis d’avance ! [5] Ils ajouteront en outre beaucoup de considérations sur l’autorité des docteurs hérétiques. Ils diront que ceux-ci leur ont donné de très fortes preuves de leur doctrine, qu’ils ont ressuscité des morts, guéri des malades, prédit l’avenir, de sorte qu’à juste titre on les croyait des apôtres. [6] Comme s’il n’était pas écrit que beaucoup viendront qui feront même de très grands miracles pour fortifier la duperie de leur prédication mensongère ! Aussi mériteront-ils le pardon.

[7] Quant à ceux qui, se souvenant des Écritures et des avertissements du Seigneur et des apôtres, seront demeurés dans la foi intégrale, ils courront risque de leur salut, je crois bien. Le Seigneur leur répondra : [8] « J’avais annoncé que des docteurs de mensonge viendraient en mon nom et au nom des prophètes et des apôtres, et j’avais ordonné à mes disciples de vous donner les mêmes avertissements. [9] J’avais confié une fois pour toutes à mes apôtres l’Évangile et une doctrine d’un contenu identique. Mais comme vous n’y croyiez pas, il m’a paru bon d’y faire ensuite des changements [10] J’avais promis la résurrection de la chair ; à la réflexion j’ai craint de ne pouvoir tenir ma promesse. Je m’étais montré né d’une vierge ; ensuite cela m’a paru honteux. [11] J’avais dit que mon Père est celui qui fait le soleil et les pluies ; mais un autre père meilleur m’a adopté. Je vous avais défendu de prêter l’oreille aux hérétiques ; mais je me suis trompé. » [12] Ce sont là des énormités bien dignes de ceux qui s’écartent de la route et ne se gardent pas du péril qui menace la vraie foi.

[13] Voilà que nous avons plaidé contre toutes les hérésies en général. Nous avons montré qu’il faut les écarter de toute confrontation des Écritures par des prescriptions déterminées, équitables et nécessaires. [14] Maintenant avec la grâce de Dieu, nous répondrons à quelques-unes en particulier. [15] À ceux qui lisent ces pages dans la foi de la vérité, paix, grâce en Notre Seigneur Jésus-Christ pour l’Éternité !