De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 34

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Chez Antoine Vitté (p. 392-395).

Chapitre 34


que la principale chose, à laquelle il faut avoir esgard pour regler les communions d’une personne, ne sont pas ses occupations.

c’est la seconde raison que vous apportez, pour empescher de communier tous les jours. Mais outre qu’elle n’est pas generalle, et qu’elle n’a point de lieu envers un grand nombre de personnes, qui ont fort peu, ou point d’occupation, ainsi que j’ay desja dit, elle monstre clairement que vous ne possedez guere la seconde qualité que vous desirez en un directeur, qui est d’estre spirituel ; puis que vous jugez des choses divines plustost par le jugement des sens, et par la prudence de la chair, que par la lumiere de la foy, et par la prudence de l’esprit. Toutes sortes de pechez veniels ; les pechez méme mortels, aussi-tost que l’on s’en est confessé ; la froideur ; l’inapplication aux choses de Dieu ; le peu de devotion ; toutes les maladies de l’ame ; estre rempli de l’amour de soy mesme ; estre horriblement attaché au monde, tout cela, selon vostre sentiment, est tres-compatible avec la communion ; mais les fonctions d’un magistrat, et les occupations d’un mesnage ne le sont pas. Un juge, qui doit rendre la justice ne doit pas, dites-vous, penser à communier : mais une femme qui s’est persuadée n’avoir autre chose à faire toute sa vie, qu’à se coëffer, et à se faire un visage de comedienne, qu’à aller au cours, ou au bal, ou à une assemblée de jeu, n’a aucun empeschement pour pouvoir communier tant qu’elle voudra. Ces sentimens sont-ils conformes à l’esprit du christianisme ? Je ne dis pas, que pour regler les communions d’une personne, l’on ne doive avoir quelque esgard à ses occupations. Mais je soustiens, qu’il y a plusieurs choses à considerer, avant que d’en venir là ; que c’est estre pharisien que d’examiner le dehors, avant que d’avoir examiné le dedans ; et que toute la religion chrestienne, ayant son fondement dans le cœur, c’est par le cœur, et par les dispositions que l’esprit de Dieu y forme, qu’il faut regler la participation du plus auguste de ses mysteres. Et en second lieu, je vous responds, que s’il se trouvoit des ames dans la sainteté necessaire pour communier tous les jours, et à qui le Saint Esprit donnast ce desir, il arriveroit rarement que leurs occupations les en empeschassent, pourveu qu’elles ne fussent pas entierement soûmises à la volonté d’autruy ; parce que si Dieu les vouloit dans ces occupations, et qu’ils s’y conduisissent par son esprit, comme la foy nous y oblige, elles leur tiendroient lieu de prieres et de preparation pour approcher de l’eucharistie ; et quant au temps, que cette action demande, il faut estre bien occupé pour ne le pouvoir pas trouver, lors qu’on le cherche avec ardeur, et avec prudence pour le consacrer à la gloire de Nostre Seigneur Jesus-Christ. Ne voyons-nous pas des ecclesiastiques dire tous les jours la messe, bien qu’ils soient dans les mesmes fonctions, que vous jugez incompatibles avec la communion de tous les jours ? Et les premiers chrestiens, qui communioient si souvent, laissoient-ils pour cela d’estre engagez dans les occupations de leur mesnage, dans le soin de leur famille, dans le travail de leurs mains, selon le precepte de Saint Paul, et de mener une vie aussi semblable en apparence à celle des autres hommes, qu’elle en estoit differente aux yeux de Dieu et des anges ?