De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 35

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Chez Antoine Vitté (p. 395-404).
Chapitre 35


si l’on doit porter indifferemment toutes sortes de personnes à communier tous les huict jours, et accuser generalement les confesseurs qui ne le font pas, de ne pas agir prudemment.

l’ordre seul que vous gardez en donnant ces regles, ou plutost le desordre avec lequel vous les confondez, fait voir assez clairement, que vous n’avez pas eu dessein dans cet escrit d’instruire les ames selon les veritables maximes de la pieté chrestienne, mais seulement de les precipiter, sans aucune discretion dans une dangereuse frequentation des sacremens. Avant que d’avoir dit un seul mot de la preparation necessaire pour recevoir l’eucharistie, comme s’il n’en estoit besoin d’aucune : vous portez indifferemment toute sorte de personnes à communier tous les huict jours, et sans leur prescrire en façon quelconque, qu’elle doit estre la pureté de leur cœur, et la sainteté de leur vie, pour approcher si souvent d’un autel redoutable aux saints, et aux anges mesmes, selon la pensée de Saint Pacien, vous les y envoyez, ou plutost vous les y poussez avec moins de consideration, que s’il s’agissoit d’une action toute prophane. Est-il possible, que vous ayez une opinion si basse des dispositions, qu’une communication si ordinaire avec Jesus-Christ demande, que dans un siecle aussi corrompu que le nostre, vous croyez, qu’elles se rencontrent dans tous les hommes ? Mais vous faites bien voir, que vous estes dans ce sentiment, et que la grandeur de la preparation, que l’on doit apporter à ces saints mysteres, n’entra jamais dans vostre esprit ; car puis que vous dites, que vous ne croyez pas, qu’un confesseur fasse prudemment de ne vouloir pas permettre à toutes sortes de personnes la communion de tous les huict jours, il paroist, que vous ne jugez pas quasi possible, qu’une personne ne soit tousjours assez bien preparée pour une si frequente communion. Et en un temps, ou l’abus des sacremens est ordinaire ; où toutes les chaires ne retentissent que des plaintes contre ce desordre ; où tant de personnes veulent couvrir de ce voile tous leurs desreglemens ; où tant d’ames se nourrissent dans une fausse presomption de la misericorde de Dieu, en croyant trouver leur salut dans la participation des mysteres sans les bonnes œuvres, et la bonne vie ; que faites-vous autre chose, que prester des armes à cét erreur, et les arracher des mains de ceux qui s’efforceroient de le combattre ; puis que vous donnez sujet à ces personnes de mespriser les advis de leurs confesseurs, comme remplis d’imprudence, et comme contraires à la plus sainte prattique, que les chrestiens puissent observer ? Mais pour leur donner un contrepoison qui ne leur soit pas suspect, en attendant que nous ayons estably par la tradition de l’eglise, quelles doivent estre les dispositions d’une ame pour approcher dignement de l’eucharistie ; (ce que nous reservons de faire dans l’article où vous en parlez.) je me contenteray d’un seul passage d’un grand saint et d’un grand docteur des derniers temps, qui fera juger au moins éclairées ; si le confesseur qui pousse generallement toutes sortes de personnes à communier tous les huict jours, agit avec plus de prudence, que celuy, qui desire une grande preparation pour une communion si frequente, et qui establit pour la meilleure regle en cette matiere, de suivre, autant que l’on pourra, les diverses dispositions, que le Saint Esprit met dans les ames. Escoutez donc de quelle sorte Saint Bonaventure parle sur ce sujet, et encore dans un ouvrage, où il n’a dessein que d’instruire les religieux, qui faisans profession d’une vie plus pure, et plus sainte que les gens du monde, sont d’ordinaire beaucoup mieux disposez qu’eux pour recevoir souvent cette sainte nourriture. (...) ; vous voyez, comme d’abord il condamne vostre temerité, par laquelle vous condamnez d’imprudence ceux qui ne veulent pas comme vous, prescrire une mesme regle à toutes sortes de personnes, en leur permettant de communier tous les huict jours. Mais entendez un peu ses raisons et ses pensées. (...). Vous n’estes pas si scrupuleux, que de prendre garde à tant de choses ; il vous suffit, qu’il n’y ait point de condition où l’on ne puisse prendre le temps necessaire pour se disposer à la communion des dimanches, et des festes, pour croire que tout le monde en soit digne. Les saints y considerent les merites, les actions, les affections, les mouvemens de la grace, les operations du Saint Esprit, parce qu’ils ne veulent pas prevenir Dieu, et envoyer au saint autel ceux qu’il n’y appelle pas ; mais pour vous, qui ne jugez que par l’exterieur, à la façon des pharisiens, vous ne vous embarassez pas l’esprit en tant de considerations. Et neantmoins il est certain que Saint Bonaventure en eust bien remarqué d’autres, s’il eust escrit pour les gens du monde, et qu’il n’eust pas manqué de considerer, qu’entre ceux, de qui on est en peine de regler les communions, les uns sont dans l’innocence de leur baptesme, et les autres en sont decheus : et qu’entre ces derniers, les uns en sont decheus par un seul peché mortel, et les autres par plusieurs pechez mortels ; les uns sont demeurez fort long-temps dans leurs pechez, et les autres s’en sont relevez incontinent. Il ne touche point ces divers estats des ames, ausquels on doit avoir beaucoup d’esgard dans le reglement des communions, parce que n’ayant composé cet escrit que pour des religieux, il suppose, que la profession religieuse est comme un second baptesme, qui a remis l’ame dans l’innocence, suivant le langage ordinaire de Saint Bernard, lequel parlant à ses religieux ne leur parle jamais des grands pechez qu’ils pouvoient avoir commis dans le monde, parce qu’il les considere tousjours comme renouvellez par leur entrée en religion, ainsi que par en espece de baptesme, et n’applique jamais ces paroles de l’evangile, (...), qu’aux religieux qui se sont relaschez, et qui sont tombez dans des pechez notables apres leur profession. Que si Saint Bonaventure eust eu le dessein particulier de traitter de la communion des laïques, il eust sans doute remarqué ces diverses indispositions, qui sont plus ou moins grandes, selon la qualité des pechez, et la durée du temps que l’on y est demeuré. Mais parce qu’il ne pensoit alors principalement qu’à instruire les religieux. Il adjouste, (...). Vous ne croyez pas qu’un confesseur fasse prudemment de n’oser permettre à toutes sortes de personnes seculieres, ce que ce grand docteur n’osoit permettre à toutes sortes de religieux. Ce saint n’ose establir la communion de toutes les semaines parmy tous ceux, qui ont tout quitté pour servir Dieu, et qui se sont consacrez à une profession plus particuliere de la pieté chrestienne par un vœu public et solemnel ; et vous avez la hardiesse de prononcer des arrests pour establir cette communion de tous les huict jours entre les laïques, quelques indevots, quelques froids , quelques denués de grace qu’ils puissent estre, quoy que remplis d’amour d’eux-mesmes, et si attachez au monde que de merveille , et vous jugez quasi, que c’est violer les loix de l’eglise, que de leur ordonner de communier moins souvent. (...). Il n’est point necessaire de rien adjouster à ces paroles pour en tracer une parfaite image de vostre mauvaise conduite, et vous y faire voir semblable à ces empiriques ignorans, qui sans considerer les divers temperamens, et les differentes dispositions de leurs malades, leur ordonnent à tous un mesme remede, et ainsi en tuënt beaucoup plus qu’ils n’en guerissent. (...). Et cependant c’est à ces personnes embarassées dans les soins du monde que vous ordonnez comme une regle inviolable la communion de tous les huict jours, laquelle Saint Bonaventure n’ose prescrire à tous ceux qui ont quitté le monde ; et ce qui est encore pis, vous l’ordonnez aux personnes, non seulement attachées aux occupations du monde, qui peuvent estre innocentes, mais aussi aux affections du monde, qui ne sçauroient estre que mauvaises : tant vos opinions sont conformes aux enseignemens des saints. (...). Il ne suffit donc pas selon ce grand saint et ce grand docteur, de se confesser souvent pour meriter de communier souvent ; de s’accuser tousjours des mesmes pechez sans s’en corriger jamais ; de ne faire autre chose, que tomber, se relever, et retomber, et enfin de se joüer honteusement de la misericorde de Dieu. Il faut veiller avec grande circonspection, premierement à la garde de son ame ; c’est à dire, à s’esloigner avec soin et avec prudence non seulement des occasions, qui la peuvent perdre entierement ; mais aussi de celles qui luy peuvent causer le moindre mal. En second lieu, au reglement de ses mœurs, c’est à dire, à les rendre conformes aux enseignemens immuables de l’evangile, et à marcher sur les pas que Jesus-Christ nous a tracez. Et enfin à la pureté de sa conscience, c’est à dire, à la conserver pure de toutes les affections du monde ; et à la purifier avec soin des moindres taches par l’eau des larmes, et par le feu de la charité. Mais apres avoir appris de Saint Bonaventure ce qu’un sage directeur doit considerer, pour juger, s’il est plus utile à une ame de communier souvent que rarement, qui est precisément la question que vous proposez en cét escrit, escoutez, je vous prie, sa decision et la conferez avec la vostre ; (...). Ces paroles ne vous frappent-elles point d’estonnement ? Vous avez la hardiesse d’establir, comme une regle generalle entre les docteurs catholiques, que la communion de tous les huict jours doit estre commune à toutes sortes de personnes ; et ce saint veut qu’elle soit le prix et la recompense de la plus parfaite vertu qui se puisse quasi rencontrer ; il croit qu’à peine se peut-il trouver quelqu’un si religieux et si saint, qui ne se doive contenter de cette frequentation de l’eucharistie ; et vous croyez au contraire qu’à peine se peut-il trouver une personne si imparfaite et si déreglée qui n’en soit digne. Enfin Saint Bonaventure pour demeurer tousjours ferme dans cette importante maxime, que la frequentation de cét auguste mystere ne se peut regler que par beaucoup de circonstances, et principalement par les diverses operations du Saint Esprit dans les ames, apres avoir declaré que son sentiment estoit qu’il n’y avoit gueres de personnes si vertueuses, qui ne deussent se contenter de communier une fois la semaine, il y adjouste pour exception ; (...).